Apprends moi à te haïr
Je mis plusieurs heures à sortir de Poudlard, hantée par l'entretien. Je serais avec force l'étui que je ne m'étais pas résolue à lâcher pour le moment. Je me souviens avoir transplané dans une gare moldu éloignée de Londres afin d'être sûre de mon anonymat. Le train arriva rapidement. Je m'installai dans un compartiment vide afin de réfléchir en paix à mon départ. Cette idée me réchauffait étrangement le cœur tandis que mon âme continuait de tomber dans un gouffre. Je fus parcourue de frissons tout le long du trajet tant l'été était devenu glacial à cause de la présence froide et sourde des détraqueurs. Le paysage morne et monotone de l'Angleterre défile sous mes yeux tandis que je réalise peu à peu l'ampleur de mon geste. Pour la première fois de ma vie, je ne serais pas un élément du Trio, je serais seule, terriblement seule. Les souvenirs remontèrent les uns après les autres, de nos premiers rires à nos premières larmes. Les chauffeurs finissent par mettre en route le chauffage ce qui rend rapidement l'air irrespirable tant la chaleur me semble intense. Je regarde le paysage comme une étrangère, comme si je n'avais pas cent fois fait ce chemin pour revenir à la maison pendant les vacances scolaires. Je crois à avoir tenté d'imprimer ce paysage sans que je n'y parvienne véritablement, je crois même que je serais incapable d'y retourner aujourd'hui. L'arrivée en gare est difficile, j'ai du mal à ordonner à mon corps de m'obéir. La gare est déserte, vide de toute vie. Les gens se terraient chez eux. La ville est calme tout comme le quai d’où je l'aperçois. Il est encore tôt pourtant, il n'est même pas encore quatre heure. Aucun bruit ne me parvient hormis celui du train qui repart en soufflant une épaisse fumée dans l'atmosphère. Je me souviens m'être étonnée du sentiment de paix qui m'avait envahie à ce moment-là, il était léger, presque imperceptible mais réel ; et ça me faisait du bien !
_ Bon retour Miss Granger me lança le gardien en s'éloignant de moi pour accueillir les nouveaux arrivants. Je lui répondis par un sourire timide tout en m'éloignant à mon tour mais vers la ville. Ce vieil homme à la démarche claudicante a toujours été un point de repère durant mes années à Poudlard. A chaque retour, il était là et me saluais poliment avec un geste de son béret français. Avec les années, son ventre était devenu proéminent, le bonhomme m'était resté fort sympathique. Il disparut de mon champ de vision sur un dernier sourire et signe de la main. Il était visiblement content de me revoir. Rapidement la ville se dressa devant moi. Je n'eus aucune difficulté à monter l'immense côte malgré mon manque évident d'exercice au cours des semaines précédentes.
_ Hermione s'étonne une voix que je reconnue sans mal. Je me retrouvais face à Albert Hannam. Le hasard fait souvent bien les choses. Depuis que je le connaissais, il avait toujours eu cet air jovial. J'avais toujours été apaisée en sa présence, il respirait le calme, la tranquillité. Il faisait partie de ce passé, un passé qui n'est plus mais qu'il a rendu réel au moment où je l'ai revu. Seulement son optimisme me paraissait décalé avec la période que nous vivions alors, comme s'il ne se rendait compte de rien. Je crois avoir échangé quelques banalités avant de repartir au plus vite vers ma destination. Je l'ai quitté presque à regret. J'ai continué mon chemin jusqu'à la petite église du village, celle ou avait eu lieu la cérémonie. Depuis son parvis, on pouvait apercevoir tout le village. Mes pas sont rapides et sec. La foule se fait moins dense à mesure que je monte. Le bâtiment est vieux, peut-être même date-t-il de la période médiévale d'après mes vieux souvenirs. L'église est vide, silencieuse. Les bancs étaient alignés les uns devant les autres jusqu'à disparaître dans l'ombre au fond de l'église. Les bougies qui éclairaient mal l'endroit laissaient une odeur âcre dans l’atmosphère. La lumière du soleil qui passait à travers les vitraux dessinait leurs ombres sur le sol. De mémoire, j'ai hésité à aller plus loin, j'avais peur mais, au final, je finis par réussir à avancer entre les allées. Cette atmosphère sereine m'est bénéfique. Encore aujourd'hui, j'aime aller dans ces endroits mystérieux et magique parce qu'il repose mon âme. Ils sont liés à des souvenirs tristes mais je crois que ces souvenirs ont fini par me sauver sauf qu'à ce moment-là, je voulais disparaître, ne plus être Hermione Granger. Devenir quelqu'un d'autre était la seule solution que j'étais parvenue à trouver pour oublier. J'interromps ma route devant la porte qui mène au cimetière. J'étais tétanisée par la peur. J'ouvris la porte avec une main tremblante. Le vent s'engouffre dans l'église tout en faisant voltiger mes cheveux. Un rire nerveux me prit en apercevant les premières pierres tombales dont l'aspect défraîchi donnerait froid dans le dos à n'importe quelle personne normale. Les gravillons qui délimitaient les allées crissent sous mes ballerines. La tombe de mes parents se trouve au fond du cimetière, c'est l'une des plus récentes.
Alexandra Jean Granger
1952-1980
Arthur Louis Granger
1952-1997
La lecture des mots gravés dans la pierre me font mal. Encore aujourd'hui, je ne peux aller dans un endroit comme celui-là sans penser à eux. Je crois que j'ai fini par faire mon deuil mais il m’a fallu longtemps pour accepter cette nouvelle et, à la fois, ancienne réalité. Je me souviens d'une étrange sensation, d'une vague impression de présence autour de moi mais j'étais seule, désespérément seule. A l'époque, j'ai pensé que ce n'était qu'un effet de mon imagination ; aujourd'hui, je préfère croire qu'il était avec moi. Je pris le temps de rester face à eux. A la nuit tombée, je me décidais enfin à partir pour ma maison. Même après toutes ces années, je garde un souvenir vivace de la maison de mes parents. Elle n'est qu'à quelques pas de l'église, sur les hauteurs de la colline. De ma chambre, je surplombais tout le village. J'aimais me mettre dans un vieux fauteuil auprès de la fenêtre pour lire toute l’après-midi dans la lumière du soleil. Tout comme dans l'église, je reste bloqué sur la porte d'entrée de la maison. Je suis sur le trottoir, tétanisée comme une idiote. Finalement, je me résous ; la porte s'ouvre dans un silence total mais immédiatement, la poussière qui avait stagné dans la maison me fit éternuer. Comme j'avais oublié de fermer les volets avant de partir, la maison était baignée par la douce lumière d'une fin de journée toutefois l'atmosphère est glaciale ce qui me fait frissonner. Instinctivement, je me suis dirigée vers le bureau de mon père qui se trouve à quelques mètres de l'entrée. Je me revois hurler « Je suis de retour, Papa » lorsqu'il m'arrivait de lui faire une surprise alors que j'étais au Terrier mais la réalité me rattrape, elle est froide, dure et cruelle. Mon cœur se serra tandis que je laissais les larmes venir inonder mes joues. Le capharnaüm y règne encore, il n'avait jamais eu a cœur d'y mettre de l'ordre. Je me souviens encore avoir caresser, d'une main, la tranche des livres précieux qui trônait sur la bibliothèque à ma droite tout en me dirigeant vers l'espace interdit qu'était sa chaise de bureau. Pour la première et dernière fois de ma vie, je m'y assis seule, regardant ce qu'il voyait depuis cet espace strictement personnel. Un large portrait de nous deux trônes sur le bureau, je l'attrape. Le cadre était plus lourd que ce que je l'avais présumé. Cette photo, aujourd'hui cornée et jaunie, est très ancienne ; je n'étais qu'une petite fille innocente à l'époque. Nous vivions heureux dans notre petit village perdu. Comme l'insouciance cesse trop rapidement aux moments de tristesse ! Je finis par me diriger vers ma chambre, le temps pressait avant que les garçons n’aient l'idée de venir ici pour me chercher mais je ne parvenais pas à lâcher ce cadre, ce petit moment de bonheur. Je me décidai finalement a l'emporter avec moi. Je repousse les souvenirs afin de ne pas tomber dans une spirale infernale, si je m'aventure sur ce chemin, je savais que je risquais la crise de tétanie. Arrivée dans mon chambre, j'attrapais quelques souvenirs insignifiants dont l'absence ne sera pas remarquée. Au sein de l'armoire, je prie plusieurs vêtements avant de me changer afin d'enfiler une tenue de voyage plus neutre pour l'époque comme me l'avait conseillé McGonagall dans la lettre qu'elle m'avait fait envoyer pendant le voyage en train. J'avais lu toute la documentation nécessaire pour m'acclimater à l'époque où je me rendais : les années 40. J'enfile un pantalon noir que je prenais autrefois pour l'équitation ainsi que d'épaisses chaussettes en laine avant de mettre mes bottes de cavalière qui seront beaucoup plus confortable pour une longue marche plutôt que mes petites ballerines que j'avais eu la mauvaise idée de mettre le matin même. Un pull en laine vert et une veste bleu marine rejoignirent l'ensemble mais je fus surprise par le tapotement d'un bec d'hibou au moment où je mettais un point final à ma tenue. J'ai fini par lui ouvrir après que les battements de mon cœur se soient calmés. L'animal entra dans ma chambre et vint se percher sur l'une des portes de mon armoire. Avec délicatesse, je lui retirai la lettre accrochée à sa patte gauche avant de lui donner une friandise, j'en gardais toujours d'avance en cas d'une visite d'Hedwige. De mémoire, je ne crois pas que le vieil hibou de Ron soit parvenu à me délivrer un seul des messages qu'il m'avait adressé, ce qui ne manquait jamais de provoquer une dispute lorsqu'il me disait que je ne lui répondais pas. J'ouvris la lettre d'une main tremblante, reconnaissant le sceau de Poudlard. Et si McGonagall avait changé d'avis.
« Miss Granger,
Dans quelques minutes, un deuxième hibou vous apportera un lourd paquet qui contiendra toutes vos économies. Vous aurez besoin de cet argent afin de faire bonne figure parmi les plus hauts représentants de la société sang-pure. J'y joins également un ouvrage sur les plus grandes familles sorcières, il pourrait toujours vous être utile !
Je vous souhaite, pour la dernière fois, bonne chance.
En espérant votre réussite.
Minerva McGonagall
PS : Vous serez seule dans ce combat, ne l'oubliait jamais ! ».
L'écriture était sèche et nerveuse comme si elle avait écrit cette missive à la va-vite. Alors que je faisais un dernier tour d'inspection à la maison, un hibou entra et déposa le paquet sur mon lit. Je le pris sans regarder la somme qu'il y'avait à l'intérieur. Je connaissais les comptes de mon père et cet argent me rendait riche, peut-être même plus qu'Harry lui-même. Je déposai la boite dans ma valise avant de la boucler définitivement. Je lançai également le livre déposé par le hibou même si je n'avais aucune intention de le lire. J'avais quinze jours avant la rentrée pour composer une histoire crédible, ce livre ne me servirai sans doute pas à grand-chose et en effet, il ne m’a jamais servi ! Je suis enfin prête à partir. Pour la dernière fois de ma vie, je referme le loquet de la porte d'entrée et laisse la clé sur la porte, peut-être les garçons l'ont-ils trouvée et s'en sont servi comme refuge pendant un temps, en tout cas je l’espère ! Je vérifie que la rue est vide de toute présence avant de prendre le retourneur entre mes mains. Cinquante-quatre années me séparait de 1943, je calculais rapidement dans ma tête. A l'aide de ma baguette, j'intimais à l'objet de me mener à la date voulue : le 18 août 1943 vers six heures du matin. Il fallut quelques secondes pour que l'objet se mette en route. Avant que je ne disparaisse vers le passé, je vis que l'unique étoile brillante disparaissait peu à peu derrière un ciel assombri.