Clair comme Nuit

Chapitre 10 : Ce qui s'était passé sur la montagne

4723 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2016 02:02

 

CE QUI S'ETAIT PASSE SUR LA MONTAGNE

 

 

Harry avait longtemps pensé qu'il devait sa constitution maigre aux séquelles des années de malnutrition à Privet Drive. Bien qu'il arbore la même tignasse en désordre que son père, James avait poussé avec les épaules larges des Weasley et leur teint éclatant de santé, comme un enfant bien soigné.

Mais Albus, qui pourtant avait été tout autant choyé, s'était développé tout en finesse, avec une peau diaphane et une ossature mince. A quinze ans, il ressemblait plus que jamais à son père au même âge et Harry, pour la première fois de sa vie, se demandait comment Dumbledore avait osé déposer le poids du monde sur des épaules aussi frêles.

Molly avait eu raison de vouloir le tenir à l'écart de l'Ordre du Phoenix. Harry avait la nausée en imaginant Albus en proie aux mêmes cauchemars que lui après l'horrible nuit au cimetière, enseignant ses camarades de classe en cachette d'un soi-disant éducateur aux mœurs monstrueuses, en train de se battre dans le Département des Mystères comme un adulte, témoin de la mort de la personne qui était sa seule famille…

C'était surréaliste. Infâme. Inadmissible.

Même si lui-même l'avait fait, même si à l'époque il avait ardemment voulu être impliqué dans les décisions de l'Ordre du Phoenix et tenir sa place dans le combat, même s'il était presque sûr que son fils aurait pu faire preuve du même courage en face des mêmes circonstances, il ferait tout pour que ses enfants grandissent sans souffrir.

- Papa ?

Il chassa la bouffée de colère qui lui tordait l'estomac et ses yeux revinrent sur son fils qui s'asseyait péniblement sur le lit enchanté, en frottant ses yeux comme quand il était petit.

Harry sentit son cœur fondre de tendresse. Il tendit la main et démêla un peu les boucles noires embrouillées.

- Comment tu te sens, Al ?

- Mmm… courbaturé. Comme si j'avais été passé à la moulinette…

L'adolescent jeta un regard confus autour de lui. Il reconnaissait la pièce où Charlie les avait amenés la veille, mais les deux autres lits étaient vides. Les rideaux étaient noués sur les côtés de la croisée et le soleil entrait à flots dans la pièce aux murs de pierre ancienne. Une légère brise au parfum d'herbe coupée et de pétales de cerisier se faufilait par la fenêtre entrouverte, avec des voix lointaines d'élèves en train de se promener au bord du lac.

- Où sont Terrence et Scorpius ? C'est le matin ? J'ai dormi longtemps ? Je vais être en retard pour les cours ! Pourquoi ils ne sont pas là ? Il leur est arrivé quelque chose ? Est-ce que je me suis…est-ce que j'ai… tu…

Sa respiration s'était accélérée. La panique déferla dans ses yeux d'émeraude, incontrôlable.

"Est-ce que je me suis transformé ? Est-ce que je les ai blessés ? Je suis un monstre, n'est-ce pas ? C'est pour ça que tu as essayé de me tuer, hein ?"

Harry attrapa les épaules minces de son fils et plongea son regard dans celui de l'adolescent.

- Tout va bien, Al, dit-il fermement. "Calme-toi. Tu n'as pas besoin d'aller en classe aujourd'hui, Minerva a annulé tous les cours. Tes amis sont en train de déjeuner avec Neville. Je veux que tu m'écoutes attentivement, d'accord ?"

Albus déglutit. Il hocha faiblement la tête.

Son cœur cognait dans sa poitrine.

Non, il n'avait pas peur. C'était son père. Il l'aimait. Son père ne lui ferait jamais de mal. Son père savait ce qui se passait. Son père ne mentait jamais. Tout irait bien.

Harry sourit. Posément, il enleva ses chaussures et recula sur le lit pour caler son dos contre le mur en pierres. Albus hésita, puis se rapprocha. L'homme passa son bras autour des épaules du garçon, en retenant un peu son souffle, et la reconnaissance l'envahit quand le poids de son fils s'appuya doucement contre lui, avec la même confiance qu'autrefois.

- Al. Tu sais, quand tu avais six ans, tu es tombé très malade et les médicomages, tous les gens qu'on a interrogés, tout le monde disait que… que tu ne pourrais pas guérir.

Albus fronça les sourcils.

- Je ne m'en souviens pas.

- Je sais, dit son père. "C'est ce qu'il avait dit. C'est pour ça qu'on ne t'en a jamais parlé, avec maman. On pensait que tu n'aurais jamais besoin de t'en rappeler."

Il y eut un silence, pendant lequel Harry revit le petit garçon qui se mourrait, ses grands yeux verts fiévreux fixés sur Ginny et lui, son sourire lumineux qui s'éteignait peu à peu.

Des années après, l'angoisse et l'impuissance qu'il avait ressenties pendant ces moments-là étaient plus douloureuses que la brûlure de sa cicatrice devant le regard de Voldemort.

- Il est arrivé à ce moment-là. Un dragon noir, venu de nulle part. Au début ce n'était qu'un bébé, vous jouiez ensemble dans la neige quand tu allais encore assez bien, et puis il a grandi. Il est devenu énorme et, plus il grossissait, plus tu perdais tes forces. Maman pensait que c'était lui qui t'affaiblissait.

Albus écoutait intensément.

- Et toi ? souffla-t-il. "Tu pensais quoi ?"

Harry sourit et resserra son étreinte autour des épaules du garçon.

- Je trouvais que vous vous entendiez à merveille. Je ne pouvais pas croire qu'il te fasse du mal exprès. Et puis ton oncle Charlie a dit que le dragon était venu à nous précisément pour te sauver.

Sa gorge se noua. Ce qui venait ensuite était tellement difficile à expliquer.

- Charlie… Charlie, Neville et moi, on a suivi les instructions du dragon.

- Il parlait ?

Les yeux verts d'Albus brillaient.

Comme il ressemblait à l'enfant qui les avait suppliés de garder le petit dragon noir maladroit !

 Harry prit une grande respiration.

- Il ne parlait pas à voix haute, plutôt… comme des mots dans ta tête. Et tout le monde ne l'entendait pas. Charlie était celui qui la comprenait le mieux. Moi… il m'a parlé surtout à la fin.

Il sentit le corps de son fils se raidir.

- A la fin ?

Harry se décala un peu et inclina le menton pour regarder le visage anxieux levé vers lui.

- Le dragon… le dragon nous a emmenés en haut d'une montagne, pour que Neville trouve une plante. Une fleur très rare qui pourrait te permettre de canaliser la magie très ancienne qu'on allait invoquer.

Il s'efforçait de parler doucement, de façon rassurante.

- Le dragon et Charlie savaient ce qu'ils faisaient. C'était la seule solution pour te sauver. Quand le moment est venu, le dragon… a…

Il avala sa salive.

Il pensa à sa mère et aux yeux bleus de Dumbledore, derrière ses lunettes en demi-lune, quand à la fin de sa première année d'école, le vieil homme lui avait expliqué ce qui le protégeait du seigneur des ténèbres.

- Le dragon est mort pour te sauver, Albus. J'ai… Charlie a expliqué qu'il fallait que tu… meures, pour que tu puisses renaître (Merlin, que c'était compliqué et tordu, des années après…) et quand j'ai… quand je t'ai… tué, le dragon a fait quelque chose, et…

Les yeux d'émeraude fixés sur lui s'étaient embués, mais le garçon ne semblait pas s'en apercevoir. Son visage était très pâle. Harry tendit la main et essuya une larme qui roulait sur la joue de son fils sans qu'il s'en rende compte.

- C'est grâce à lui que tu es encore vivant. Il t'aimait énormément. Alors… je ne sais pas pourquoi, maintenant, ces choses arrivent, mais… je suis certain que le dragon ne te veut aucun mal.

Il écarta une mèche du front de son fils.

- Je suis désolé de t'avoir caché ça pendant des années, ajouta-t-il doucement. "Je n'ai rien dit à maman non plus, c'est pour ça qu'elle est furieuse. On n'avait plus rien à perdre, à ce moment-là, c'est pour ça que… c'est comme ça que j'ai réussi à lancer le sortilège. Tu allais mourir de toute façon, alors si ça pouvait te sauver…"

Albus hocha très lentement la tête, comme dans un rêve.

- Je comprends, souffla-t-il.

Il avait l'air au bord de l'évanouissement, le regard vide.

- Je te promets qu'on va trouver une solution, mon grand. Tu n'es pas tout seul, ne t'inquiète pas…

Harry l'attira contre lui, le nicha dans ses bras comme quand il était tout petit. Albus se laissa faire, comme s'il n'était pas vraiment conscient.

"Je suis là, petit bonhomme. Papa ne t'abandonnera pas. Tu n'as pas besoin de faire face au monde entier tout seul. Je te protège. Je te protègerai toujours."

Cette absence de réaction était terrifiante.

Ce fut presque un soulagement quand les sanglots secouèrent le dos maigre de l'adolescent et que sa voix brouillée s'étouffa contre l'épaule de son père.

Jusqu'à ce qu'Harry, ahuri, comprenne ce qu'il bredouillait.

- Pardon, papa… pardon…

Mais avant qu'il ne puisse protester, le corps d'Albus scintilla en un milliard de particules dorées et Harry dut fermer les yeux, ébloui.

Quand il les rouvrit, le dragon noir était devant lui.

- Cro… Crocmou ?

Il passa une main sur son visage, rassembla ses pensées en se redressant.

- Al ?

Le dragon pencha la tête de côté et ses oreilles pelucheuses s'agitèrent, étonnées. Ses grands yeux verts fendus d'or observaient l'homme avec intérêt. Sa queue en forme d'as de pique balaya les dalles d'un mouvement joyeux et il s'avança.

La main d'Harry toucha le museau de jais doux comme du satin.

"Al ?"

Le dragon se mit à ronronner, les paupières à demi-fermées.

"Papa ?"

Le cœur d'Harry battit à tout rompre.

"Tu m'entends ?"

Il n'y eut pas de réponse. Le dragon éternua tout à coup et s'écarta. Il tourna la tête vers la fenêtre, intrigué, écouta les appels et les rires dehors. Ses ailes se gonflèrent un peu.

- Non, dit Harry. "Tu ne peux pas sortir."

L'animal grogna et les muscles roulèrent sous sa fourrure d'ébène, comme s'il haussait les épaules avec dépit. Il huma la brise, puis le lit de Terrence, trottina jusqu'à la porte fermée et gratta le battant avec sa patte.

- Non, répéta Harry, amusé malgré lui.

Il fourragea dans ses cheveux noirs emmêlés et soupira.

- Qu'est-ce qu'on va faire de toi ?

Comme en réponse, la porte s'ouvrit et le dragon, surpris, fit un bond en arrière, les ailes déployées.

Charlie glissa la tête à l'intérieur et son air sérieux laissa place à un sourire quand il découvrit l'animal.

- Ah, dit-il. "Vous avez fini de discuter, je vois."

Harry grimaça.

- Pas vraiment. J'avais juste réussi à expliquer, quand soudain…

Son beau-frère hocha le menton, l'air entendu. Il passa la main sur son front d'un geste machinal et Harry se surprit à penser que c'était peut-être pour ça qu'il était dégarni.

- Tout à coup Al a été submergé par l'émotion – et paf, compléta Charlie.

Il croisa ses bras recouverts de cicatrices. Il portait un gilet en peau de mouton d'un goût discutable, qui accentuait le côté viking de sa silhouette trapue.

- Tout va bien se passer. Il maîtrise ça de mieux en mieux.

- Je n'ai pas l'impression, pourtant, protesta Harry en reprenant son équilibre : le dragon venait de lui donner un coup de tête par jeu et l'avait presque jeté par terre.

Charlie s'accroupit, les coudes posés sur ses cuisses, les mains offertes devant lui. Il siffla quelques notes, presque distraitement.

Le dragon se tourna vers lui instantanément, les oreilles dressées.

- Viens, p'tit gars.

Il attendit que l'animal s'approche pour flairer ses doigts, puis sourit à son beau-frère en grattant la gorge soyeuse du dragon qui ferma les yeux de plaisir, ronronnant comme un vieux moteur diesel.

- J'ai vérifié. Ce n'est pas un animagus, Harry. Son copain Terrence m'a expliqué qu'il ne se souvenait pas de s'être transformé. Et d'après le petit Malefoy, la première fois qu'il s'est changé en dragon, c'était dans la galerie, après une discussion bien sérieuse sur la guerre. C'était vraiment une bonne idée de ne pas effacer leurs souvenirs. Ce gosse-là, Swanson, il est drôlement malin.

Il attrapa les mâchoires de la créature, qui se débattit un peu mais ne réussit pas à se dégager, et montra à Harry la marque blanche au milieu des poils noirs, sur le poitrail du dragon.

- Regarde. L'autre n'avait pas ça. C'est la cicatrice laissée par la fleur de neige quand la magie s'est rassemblée pour le sauver. D'après ce que les garçons ont dit et les observations qu'on a pu faire depuis hier soir, je pense qu'Albus et le dragon sont tous les deux en lui. Mais pour l'instant, ils apparaissent chacun à leur tour. Il lui a donné une part de son cœur quand il lui a transmis sa magie.

Une sueur glacée coula le long du dos d'Harry.

- Une part de lui-même ? J'ai fait de mon fils un horcruxe ?

Charlie secoua vivement la tête et le dragon lui échappa. Il jeta un regard agacé en direction du dragonnier et s'assit dans un coin de la pièce où il entreprit de se laver à grands coups de langue sur sa patte.

- Non, protesta l'homme roux. "Jamais de la vie ! Enfin… ça ressemble à ça, mais…"

Harry était livide.

- Ne t'inquiète pas, reprit Charlie avec hâte. "Je vais continuer à étudier ça. En tout cas, crois-moi. Toutes les légendes au sujet du dragon-phœnix concordent sur un point : il ne fait aucun mal aux enfants. Albus ne craint rien."

Il s'approcha de son beau-frère et lui mit la main sur l'épaule.

- Tant qu'il arrivera à maîtriser ses émotions, il n'aura pas de peine à rester sous sa forme humaine. Ce n'est pas un lycanthrope, il ne sera pas soumis à des circonstances extérieures qu'il ne maîtrisera pas, comme la lune ou j'sais pas quoi. Et lorsqu'il sera plus fort – mieux entraîné – il pourra même partager la conscience du dragon. Harry. C'est… ce qu'est Albus, c'est quelque chose d'extraordinaire ! Tous les dragonniers voudraient pouvoir…

Il s'interrompit en croisant le regard fulminant d'Harry.

- Albus n'est pas un dragonnier ! siffla celui-ci. "C'est un gamin qui a le droit d'aller à l'école et d'être comme tout le monde ! Il…"

Il y eut un fourmillement d'or derrière eux, puis la voix un peu essoufflée d'Albus s'éleva.

- Mais pourquoi je suis encore à poil ?

Charlie attrapa un drap sur le lit et le loba à son neveu qui vacillait sur ses jambes.

- Bon retour parmi nous, dit-il de sa voix tonitruante et joyeuse. "Enfile ça, pas la peine de t'habiller, ça suffira. On a du pain sur la planche."

Les yeux de l'adolescent se tournèrent vers son père, éperdus.

- J'ai… je me suis… transformé ?

Harry acquiesça doucement.

- Oui. Mais Charlie a une idée pour empêcher que ça t'arrive sans prévenir.

Albus se mordilla les lèvres en s'entortillant dans le drap comme dans une couverture.

- J'étais… Crocmou ?

Les deux hommes échangèrent un regard.

- Tu te souviens de Crocmou ? demanda avidement Charlie.

Albus ferma les paupières, puis les rouvrit.

- Non, dit-il simplement. "Mais je… je dormais, je crois… et quelqu'un m'a appelé comme ça. Est-ce que c'est le nom du dragon ?"

Ses grands yeux verts attendaient la réponse sans ciller, mais ses doigts tripotaient un pli du drap. Harry sentit son cœur se gonfler de fierté devant ce courage.

- Je ne sais pas si c'était son nom, mais en tout cas, tu l'appelais comme ça et ça semblait lui convenir, répondit-il en s'approchant de son fils.

Il enleva sa veste.

- Tout va bien se passer, Al. Ne t'inquiète pas, répéta-t-il fermement, en ajustant la veste un peu trop large sur les épaules de l'adolescent.

Charlie sourit.

- Oh, oui, ça va aller, c'est certain ! Tu dormais ? Pas vraiment, mon bonhomme. Ça veut dire que la symbiose entre le dragon et toi est déjà en train de se faire. C'est in…

- Je ne veux pas devenir lui ! cria Albus. "J'ai déjà l'impression que… et si je n'étais plus moi déjà depuis le début, depuis qu'il m'a donné son cœur…"

Son visage se crispa, suppliant.

"Si je n'existais pas, en fait ?

Si j'étais vraiment mort sur la montagne ?

Est-ce que je suis quelqu'un d'autre, en fait ? Quelque chose d'autre ?

Est-ce que je vais disparaître complètement ?

Papa, maman, est-ce que vous allez encore m'aimer maintenant que je ne suis plus ce que vous croyiez ?

Est-ce que James et Lily vont me rejeter ? Et Terrence, et Scorpius et les autres ? Ai-je encore le droit d'être ici ?

Je suis un monstre, n'est-ce pas ?"

Harry le serra contre lui dans un mouvement presque violent.

- ça ne va rien changer, Al ! jura-t-il d'une voix rauque.

"Je t'aime. Je t'aime. Je t'aime."

Comme il voulait que ses mots soient assez forts pour refouler la magie ancienne, sauvage, qui consumait Albus et faisait crépiter des étincelles à la racine de ses cheveux…

"Je suis là. Je ne te lâcherai pas, peu importe ce qui arrive.

Tu n'es pas le dragon et le dragon ne prendra jamais ta place.

Je l'en empêcherai. Je te protègerai.

Tu n'es pas ce que j'étais, l'histoire ne se répètera pas, tu ne vivras pas ça…"

Le fourmillement doré s'évapora.

Harry rouvrit les yeux et contempla ses bras. L'adolescent frémissant contre lui et les reniflements qui mouillaient sa chemise étaient bien réels.

Il n'y avait pas eu de transformation.

Il vit Charlie en face de lui. Le visage de son beau-frère était marqué par une expression étrange.

- Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Harry en se détachant de son fils et en l'examinant avec attention.

Non, plus de trace de magie.

Il était de nouveau lui-même.

Blême et épuisé, mais bien là.

Le dragon avait été refoulé.

- Son cœur ? répéta Charlie à mi-voix. "A quel moment a-t-on parlé de "son cœur" ? Comment tu sais ça, Al ?"

Le garçon secoua la tête.

- Je ne le sais pas. Je le sens, murmura-t-il au bout d'un moment.

Ses yeux verts agrandis par le tumulte des questions sans réponses se perdaient dans le vague.

"Est-ce que tu es là, tout le temps ?

Qu'est-ce que tu veux de moi ?

Tu m'entends, dragon ?"

Harry se racla la gorge. Il n'aimait pas le retour de ce regard absent.

Oh, il le détestait.

Son estomac se révulsait à l'idée que son fils ait en lui la même horreur qu'il avait découverte au fond de lui à la fin des combats. Cette chose immonde qui l'avait rongé et imprégné, cachée au tréfonds de lui-même, cette graine d'abomination laissée par un sortilège que jamais personne n'aurait dû prononcer…

Non, pas Albus.

Pas lui, pas ça, jamais.

Il fit un pas en avant, comme pour marteler ce qu'il disait.

- Il ne s'est pas transformé, là, maintenant, fit-il remarquer d'une voix forte.

Ce ne serait pas pareil.

Il n'y aurait pas de sacrifice, pas de voix dans la tête d'Albus, pas de sentiments qui ne lui appartenaient pas en train d'éclore dans son esprit n'importe quand.

Il n'aurait besoin de tuer personne.

Harry était assez fier d'avoir contré la magie du dragon avec ses prières silencieuses. Peut-être était-il arrivé – enfin, presque – au niveau du vieux sorcier qui l'avait accompagné dans la gare imaginaire…

Peut-être pourrait-il le dépasser, trouver une solution pour débarrasser son fils de ce stigmate et vaincre autrement, cette fois.

Albus n'aurait pas à combattre, il le ferait pour lui.

Charlie sourit et gratta l'arrière de sa nuque. Son cou noueux rougit jusqu'aux oreilles.

- Al est un p'tit gars épatant, gloussa-t-il d'un air énigmatique. "Je sens que je vais adorer travailler avec lui."

- Travailler ? répéta Albus en tressaillant comme s'il s'éveillait.

- Ouaip. Travailler, comme dans s'entraîner, bosser jusqu'à plus soif, apprendre et recommencer jusqu'à y arriver. A partir d'aujourd'hui, mon cher neveu, tu vas prendre des cours du soir en plus de tes leçons…

- Je vais retourner en classe ? coupa précipitamment le garçon, stupéfait.

- Oui, s'esclaffa Charlie. "Dès demain. A condition que tu me prouves que tu peux refaire consciemment ce que tu viens juste d'accomplir."

Albus se mordilla les lèvres, toujours drapé dans son drap. Il avait froid aux pieds.

- Tu peux le faire, Al, l'encouragea Harry qui n'était pas trop sûr d'avoir compris ce que voulait dire son beau-frère.

Il n'arrivait pas à mettre la main sur ce qui lui échappait.

Charlie contemplait l'adolescent en hochant le menton avec approbation. Il voyait déjà le changement. Le plus timide et le plus fragile de ses neveux se tenait autrement et l'éclat dans ses yeux verts s'était affermi, plus ferme, plus fort – plus sage.

"Tu peux y arriver, Albus Severus Potter.

Je t'attends."

La voix profonde était presque imperceptible, mais elle dégageait de la chaleur, beaucoup de douceur et un certain humour.

Il l'avait sentie au fond de lui au moment où il allait se retransformer. Comme un écho lointain, quelque chose de familier.

"N'aie pas peur, petit frère.

Je vais me rendormir.

Prends ton temps pour faire connaissance avec moi."

Albus décida de ne rien dire et se contenta d'acquiescer quand Charlie lui donna une légère bourrade agrémentée d'un "alors, t'es prêt ?" enthousiaste. Il sourit à son père qui avait l'air inquiet et mal à l'aise.

"Tout ira bien, papa.

Fais-moi confiance."

Tout était différent depuis qu'il entendait la voix du dragon.

 

 

A SUIVRE…

Laisser un commentaire ?