Clair comme Nuit

Chapitre 11 : Wendy n'aime pas non plus les anguilles

5000 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 08/11/2016 23:24

 

WENDY N'AIME PAS NON PLUS LES ANGUILLES

 

 

La grande salle était loin d'être silencieuse, mais elle n'avait jamais été aussi calme à l'heure du repas de midi. Les élèves chuchotaient entre deux bouchées, jetant des coups d’œil furtifs en direction de la table des professeurs.

Charlie Weasley mangeait avec appétit, pas le moindre du monde embarrassé par cette attention. Il avait déjà engouffré trois parts de tarte à la citrouille et un demi-poulet, et se servait maintenant de petits pois à grosses louches.

- Tu crois qu'il est à moitié gorille ? souffla Violette Morgensten, impressionnée par cette descente. "Il a des poils sur les bras et t'as vu la forme de sa mâchoire ?"

- Ne dis pas n'importe quoi ! protesta Miranda Brown avec un regard nerveux en direction de Rose Weasley qui les foudroyait du regard depuis la table des Serdaigle. "Il est de sa famille, elle va nous tuer..."

Terrence pouffa de rire.

- C'est aussi mon oncle, signala Albus d'une voix tranquille.

Les deux filles eurent la même réaction : elles se tournèrent instantanément du côté de Lily qui fit la grimace devant leurs mines effarées.

C'était un fait notoire qu'il valait mieux éviter de contrarier les deux rouquines.

- Al, ton père, il est plutôt comment, comme prof ? Cool ou sévère ? demanda Fabius Macmillan en se penchant pour attraper le plat de tranches de rôti.

- J'en sais rien, je l'ai jamais eu en classe, répondit Albus, très sérieux.

- Qui l'a en premier, cette aprèm ? interrogea Craig Finnigan qui avait creusé un volcan dans sa purée de pommes de terre et le remplissait maintenant de sauce de viande.

- C'est les 7ème année de Poufsouffle.

- Whaaah…

L'homme aux cheveux noirs en désordre attirait encore plus d'attention que le nouveau professeur de Soins aux Créatures Magiques, mais les commentaires à son sujet étaient plutôt mitigés. Maintenant qu'ils le voyaient en vrai, le héros avait l'air plutôt insignifiant – son collier de barbe amincissait un peu trop son visage, il avait les traits tirés de fatigue, les épaules tombantes, un sourire embarrassé qui raflait le cœur des lectrices de Sorcière-Hebdo mais qui n'avait rien de titanesque, et cette manie de remonter ses lunettes rondes de myope n'aidait vraiment pas. Dans l'ensemble, les garçons trouvaient que James avait plus de classe que son père. Ce n'était pas l'avis des filles.

- T'imagine la chance de ceux qui étaient à l'école avec lui… commenta Eleanor Bones en penchant la tête de côté avec une moue extatique.

- On dirait qu'il n'a pas dormi de la nuit… tu crois qu'il continue à gérer les affaires du ministère de loin ? ça craint, ils ne peuvent rien faire sans lui, dit Jane Caradoc, sa cuillère vide suspendue dans l'espace depuis deux bonnes minutes déjà.

- Il est sexy, comme sur les affiches ! soupira Alison Corner d'un air de chèvre amoureuse.

- Ooh, ces yeux verts… ils sont encore plus beaux que ceux d'Albus, gloussa Sandie Morgensten qui mit les mains devant sa bouche, quand un triple coup d'œil lui signifia clairement qu'elle aurait mieux fait de se taire.

- Sérieux, vous ne pouvez pas arrêter ? grommela Wendy avant de mordre dans une part de génoise énorme avec la même férocité qu'elle montrait sur le terrain de Quidditch.

Fichez-lui la paix, il sort à peine de l'infirmerie.

Au bout de la table, James racontait avec forces bruitages et grands gestes le voyage qu'il avait fait l'été précédent avec Harry et Teddy Lupin, le filleul de son père, en exploration dans le Caucase.

Scorpius avait reçu une lettre et la lisait, l'air sombre, assis devant son assiette qui refroidissait. Il n'avait pas pipé mot pendant tout le cours de Runes Anciennes et n'avait jamais été aussi assidu pour prendre des notes en Histoire de la Magie.

L'horloge géante de Poudlard sonna une heure et une nuée de corbeaux s'envola en croassant derrière la tour d'astronomie. Les elfes commencèrent à nettoyer les tables qui se vidaient.

Le groupe de copines de Lily, qui avait terminé de manger, se leva en bourdonnant de commentaires excités, qui se turent brusquement quand le nouveau professeur de Défense Contre les Forces du Mal les regarda soudain fixement, les sourcils froncés.

- Qu'est-ce qu'il leur veut ? chuchota Miranda Brown.

James s'interrompit. Il sourit, moqueur, et échangea un regard entendu avec son frère qui soupirait en secouant la tête.

Lily leva les yeux au ciel.

- Oh là, là, c'est bon, marmonna-t-elle en sortant sa baguette pour défaire la couture qui raccourcissait sa jupe d'uniforme.

Les sourcils de son père se détendirent et il hocha le menton.

- ça, c'est de la magie, commenta Samuel Flinch-Fletchley avec admiration. "Même Pique-la-Lune n'a pas réussi à obtenir qu'elle l'écoute."

Si on mettait de côté la directrice que l'on croisait rarement dans les couloirs, Polycarpus Flaubert, de son tendre surnom Pique-la-Lune, était l'adulte le plus craint de Poudlard. Il était extrêmement pointilleux, n'aimait pas les enfants et postillonnait. Il enseignait les potions depuis deux ans et tout le monde se plaignait du départ en retraite de son prédécesseur. Harry s'était contenté d'hausser les épaules quand James avait décrété qu'il préférait devenir Langue-de-plomb plutôt qu'Auror si cela voulait dire qu'il devrait continuer dans ce cours en sixième année. Pour convaincre son fils de persévérer, Ginny avait expliqué que Flaubert était inoffensif, comparé au professeur que la génération précédente avait dû supporter. Ça n'avait pas marché, mais, forte de cette information, Lily s'était toujours débrouillée pour n'en faire qu'à sa tête.

Pique-la-Lune, en effet, piaillait beaucoup et son haleine empestait, mais il respectait le règlement interminable de l'école à la virgule près. Jamais il n'aurait, comme Ginny s'était plu à  prétendre l'avoir vécu, mis la vie d'un des élèves en danger. Si vous pouviez lui prouver que ses reproches étaient hors sujet, il devenait violet et se taisait brusquement. La jupe ridiculement courte de Lily Potter le suffoquait, mais malheureusement, la longueur standard de ce vêtement n'était indiquée nulle part…

- Je crois que ton père vient juste de se faire un meilleur ami, dit Terrence en terminant d'engloutir un morceau gigantesque de génoise fourrée aux pralines. "Mais ça va refroidir son fan club, de voir qu'il est si vieux jeu."

- C'est tant mieux, dit Albus en riant. "Il déteste qu'on lui demande des autographes et hier, il a dit à Neville que s'il voyait un seul badge animé avec sa tête dessus, il était capable de s'enfuir à la nage par le Lac Noir."

- Comme s'il allait partir avec tout ce qu'on a à faire…

Wendy jeta un coup d'œil soupçonneux au garçon blond plongé dans ses pensées.

- De quoi tu parles ? Qu'est-ce qu'il faut "faire" ? Et je voulais te demander, t'étais , hier toute la journée ? Ne me dis pas "à l'infirmerie avec Al", parce que j'ai essayé de lui rendre visite et Mrs Abbot n'a jamais voulu me laisser entrer.

Albus rougit.

- Désolé, bredouilla-t-il.

Le sourcil gauche de Wendy, celui avec la minuscule boucle d'oreille, se plia, surpris.

- Quoi, "désolé" ? Mais t'as rien fait de mal… Vous êtes bizarres, les gars, depuis ce matin.

Terrence sourit.

- Mais non, c'est dans ta tête, lança-t-il. Il ramassa son sac sous le banc et se leva en passant la bandoulière autour de son cou. "Bon, on y va ? ça ferait moche d'arriver en retard en Sortilèges après qu'on aie gratté un jour de révisions pour le test…"

Wendy sursauta et rassembla précipitamment ses affaires.

- HA ! J'avais oublié !

- On a vu ça, t'étais vraiment détendue pour quelqu'un qui s'apprête à ajouter un T à sa collection, Philips.

- La ferme, Swanson, espèce de singe savant.

Charlie Weasley les suivit du regard alors qu'ils quittaient la salle en continuant leur dispute, suivi par Albus qui n'avait pas l'air de s'en formaliser.

- Cette minette-là…  elle est pas bête non plus. Elle va vite nous poser problème, murmura-t-il pour lui-même avant de se resservir de mousse à la rhubarbe sous les yeux béats des elfes.

Scorpius avait terminé de lire sa lettre et son assiette était toujours pleine. Il fit une boulette de papier avec le parchemin et la jeta rageusement contre le mur.

Le professeur Trelawney, qui passait à côté de lui à ce moment-là, tressaillit et posa ses gros yeux de libellule myope sur lui, très choquée.

- M. Malefoy, quelle violence ! protesta-t-elle d'une voix un peu tremblante. "Vous auriez pu blesser quelqu'un."

Neville Londubat, une pile de livres sur les bras, s'arrêta à côté d'eux.

- Je ne pense pas que ce bout de papier aurait pu faire mal à qui que ce soit, Sybille, dit-il gentiment. "Scorpius n'avait pas non plus l'intention de laisser traîner des détritus dans la Grande Salle, j'en suis sûr."

Il sourit au garçon buté qui baissait les yeux en se mordant la lèvre.

- M. Malefoy, je crois savoir que le vieux Fi… que le professeur Flitwick serait déçu s'il devait vous mettre en retenue pour absence injustifiée à son cours.

Scorpius haussa les épaules.

- Faudrait que je reste à Poudlard, pour ça… murmura-t-il.

Sybille et Neville échangèrent un regard inquiet.

- Venez dans mon bureau, mon garçon, reprit le professeur Londubat après quelques instants. "Je crois que c'est important que nous discutions un peu, tous les deux."

L'élève obéit sans un mot, l'air lugubre.

Cette scène-là n'avait pas non plus échappé à Charlie.

 

oOoOoOo

 

Wendy défit la barrette plate qui retenait sa frange châtain en arrière et ébouriffa les cheveux qui retombaient sur son nez en râlant assez fort pour faire sursauter Miranda Brown mais assez discrètement pour que le professeur Flitwick ne l'entende pas.

- Pourquoi faut-il absolument savoir décrire exactement ce que l'on fait, grogna-t-elle. Elle plaqua de nouveau sa frange et l'épingla d'un geste brusque."C'est de l'instinct ! On n'a pas besoin de faire autant de parlote, tant qu'on a sa baguette, franchement !"

Terrence pouffait de rire en refermant son encrier. Il fit rouler ce qui lui restait de parchemins enroulés dans son sac de classe.

- T'as de l'encre un peu partout, signala-t-il malicieusement. "Tu aurais dû en mettre plus sur ta copie que sur ta figure."

- Hé, vous deux, ça suffit, intervint Albus distraitement.

Il cherchait quelque chose autour de lui et Wendy cessa de se nettoyer le visage avec le chiffon du tableau que Terrence lui avait aimablement tendu.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Vous avez vu Scorpius ?

Les deux autres vérifièrent machinalement la salle de classe qui se vidait peu à peu.

- Non, c'est vrai.

- Il a sauté le test, j'y crois pas ! s'exclama Wendy avec une vague expression de regret de ne pas y avoir pensé elle-même.

Peut-être qu'en effet une retenue était préférable au T dont elle allait probablement écoper… Elle était vraiment – vraiment – très nulle en théorie des sortilèges.

- Tu crois qu'il pique un roupillon quelque part ? pouffa Terrence en bâillant. "Pas étonnant, après cette…"

Il s'interrompit et adressa une grimace d'excuse à Albus.

- Oy, grouillez-vous, il parait que le cours a été déplacé au bord du lac ! leur lança Samuel Flinch-Flechley en passant à côté d'eux, un bras jeté en travers des épaules de Craig Finnigan.

- Quoi ?

Fabius Macmillan fit un saut-de-mouton au-dessus d'un bureau, ses frisettes rousses dans toutes les directions.

- T'as pas entendu le gori… j'veux dire, l'oncle d'Al, le dire pendant le déjeuner ? T'avais la tête où, Swanson ? Dans tes rêves bleus ? Comment ça se fait que Potter et toi vous ayez l'air complètement défoncés ? Elle était où, la fête privée d'hier soir ?

Albus lui asséna un coup de son manuel des Sorts et Enchantements Niveau 4 et il y eut comme un son creux.

- Te fous pas de mon oncle. C'est le meilleur dragonnier d'Angleterre.

Fabius haussa les épaules en frottant une bosse imaginaire.

- Pour ce que ça sert, les dragons… grommela-t-il.

- Etudier les dragons est essentiel et dangereux ! Tout le monde ne peut pas s'improviser dragonnier, c'est un apprentissage délicat et noble, protesta Rose Weasley de sa voix importante, ses livres serrés sur le cœur et l'air outré.

- Ah… elle était encore là, elle… soupira Samuel. "Retourne à la bibliothèque, raton. Fiche la paix aux humains."

Albus se racla la gorge et ses yeux verts plongèrent, très sérieux, dans ceux du garçon nonchalant qui finit par se troubler et faire un pas de côté en détournant la tête.

- Tu, euh… tu viens, Craig ? Les meilleures places sous le hêtre vont être prises, si on se dépêche pas.

Terrence les regarda s'éloigner avec une moue narquoise, suivis par Fabius Macmillan qui décachetait l'emballage d'une couinesouris.

Wendy sourit maladroitement à Rose.

- Désolée, dit-elle. C'est des quiches finies, ces mecs. On n'est pas tous super-intelligents comme vous à Serdaigle et, euh… enfin, tout le monde n'est pas comme ça, à Gryffondor, hein. Y'a des gens sympas aussi.

Rose la fusilla de ses yeux pleins de larmes.

- Je sais ! siffla-t-elle. "Mes deux parents étaient à Gryffondor !"

Elle s'enfuit d'un pas rapide, le menton rentré, et Albus relâcha sa respiration, attristé.

- Tu crois qu'elle a raté son test ? demanda Terrence tandis qu'ils prenaient aussi la direction du lac.

- Non. C'est à cause de mon oncle et ma tante. Ils ont divorcé cet été. Quand ça a commencé à barder sérieusement, c'est ce que son père reprochait tout le temps à sa mère. D'être trop – littéraire.

- Oh, hoqueta Wendy. "Je suis désolée… je crois que ton frère me l'a dit, mais j'avais pas capté… La pauvre…"

- Mon frère ? répéta Albus, étonné.

- Ouais, hier. Quand t'étais à l'infirmerie et que Terrence avait disparu.

Le dernier mot avait dangereusement grincé et les deux garçons se consultèrent du regard.

"On va devoir lui dire…"

"Non. On a promis…"

"Al, tu sais bien que tu ne pourras pas…"

"Tais-toi. Je t'en prie."

La supplication muette plus que la nécessité de ne pas ébruiter un secret qui pouvait ébranler tout Poudlard fit cesser la conversation inaudible.

Terrence avait essayé de convaincre les adultes d'inclure Wendy dans le plan, mais ça avait échoué. On reconnaissait son cerveau, mais on ne l'écoutait pas.

Albus, lui, n'était pas très sûr de vouloir dire la vérité sur son soi-disant séjour à l'infirmerie.

Est-ce que ça n'allait pas tout changer dans leur relation ? Comment Wendy le regarderait-elle une fois qu'elle saurait ?

La jeune fille pila.

- Whaou. Qu'est-ce qui leur est arrivé ?

Un groupe d'élèves de septième année avançaient vers eux sous les arcades. L'un d'entre eux avait le bras en écharpe, plusieurs boitaient, la plupart affichait un œil au beurre noir ou une lèvre fendue.

- … première fois qu'on a un cours comme ça…

- Il est barge !

- … en tout cas, si tu redis encore une fois qu'il est rouillé, Buxtorf, je te tue !

- … c'est un grand malade !

- La grande class' !

- … jamais vu ça…

- … trop fort !

Le trio les regarda défiler, ébahi.

- Tu crois qu'ils avaient cours avec lequel des deux ? finit par articuler Wendy.

Les yeux de Terrence luisirent avec anticipation.

- Défense contre les forces du mal ! C'est des Poufsouffle de 7ème année. Trop cool, Al, apparemment ça déchire, le cours avec ton père !

Son ami se contenta hocher prudemment la tête.

- J'espère que leurs parents ne vont pas envoyer trop de réclamations. Je crois qu'il les a pris pour des Aurors en formation et déjà quand il était instructeur, maman lui disait de ne pas y aller trop fort… Swanson, arrête de saliver, ça coule par terre.

- Ouais, t'emballe pas, commenta Wendy dont les joues rouges trahissaient sa propre excitation. "Tu crois qu'on va faire des duels ?"

- Vous êtes irrécupérables…

Le Lac Noir scintillait au soleil quand ils arrivèrent au ponton sur lequel se massaient les 4ème année de Gryffondor et ceux de Serpentard qui partageaient le cours avec eux.

Tous les élèves avaient les yeux fixés sur le professeur trapu qui se tenait debout dans une barque, en maillot de corps. Ses cheveux drus très roux et les cicatrices qui hachuraient ses bras musclés le rendaient encore plus impressionnant. Il souriait largement, pas le moindre du monde inquiété par les tentacules du calmar géant qui dansaient hors de l'eau pas très loin derrière lui.

- Bienvenue, bienvenue, lança-t-il d'une voix gouailleuse. "Est-ce que tout le monde est là ?"

- Si vous faisiez l'appel, vous le sauriez… marmotta quelqu'un à côté d'Albus et il s'aperçut avec soulagement que c'était Scorpius.

- T'étais où ? souffla-t-il.

- Quelque part, Potter, répondit le garçon blond avec son expression dédaigneuse habituelle. "Concentre-toi, parce que si ça tourne comme hier soir, ça va finir en première page de la Gazette du Sorcier. Et pas parce que Kevin Mordecrat est un gros fouineur."

Albus rougit et vérifia que personne n'avait entendu.

Hier soir.

Il se souvenait seulement de l'instant où sa concentration lui avait échappé – où il avait souhaité un peu trop fort faire une pause – mais Terrence lui avait assuré que l'heure pendant laquelle les trois adultes, Scorpius et lui avaient couru derrière le dragon avait été épique. Crocmou, visiblement, avait apprécié sa baignade au clair de lune et s'était bien amusé à retourner toutes les barques d'un coup de museau joueur…

- Professeur ? Est-ce que le calmar géant est la créature que nous allons étudier aujourd'hui ? demanda Violette Morgensten en levant timidement la main.

Charlie Weasley secoua la tête avec un gros rire.

- Oh non, pas si vite ! On fera ça vers la fin de l'année – ou la semaine prochaine. Nan, aujourd'hui, ce sont ces petites beautés avec qui vous allez faire connaissance !

Il tirait sur les mailles d'un filet accroché au bord de la barque tout en parlant et tout le monde se pencha pour mieux voir.

L'eau bourboutait, brillante et claire, et des corps fins allongés grouillaient dans les mailles.

Wendy pâlit un peu et attrapa machinalement la manche de la robe de sorcier d'Albus.

- Oh non, c'est des vers…

Adelais Fowler était presque aussi verte que le liseré de son sweater de Serpentard.

- Pourvu qu'on ne doive pas les toucher, lâcha-t-elle entre ses dents.

Charlie attrapa d'une main le montant du ponton et jeta le filet sur les planches d'un puissant mouvement d'épaule.

Le premier rang recula instinctivement devant la masse embrouillée des anguilles.

- Voilà, dit l'homme. Vous vous mettez par deux et vous m'en attrapez une chacun. Allez, soyez pas timides. Les yeux d'anguilles sont un ingrédient récurrent dans la préparation des potions. Les élevages sont essentiels.

- Pardon, monsieur, est-ce qu'on risque de prendre l'électricité ? demanda Paul Sommerset.

A part les nés-moldus, personne ne comprit de quoi il parlait.

- Est-ce qu'on ne devrait pas porter des gants ? insista Paul.

- Meuh non. Un p'tit pincement n'a jamais fait de mal à personne, rigola Charlie. "Allez, au boulot, tout le monde. Terrence, tu fais équipe avec Scorpius."

Wendy leva un sourcil, stupéfaite de voir que les deux prénoms étaient déjà familiers pour le nouveau professeur, mais elle n'eut pas le temps de chercher une explication logique parce plusieurs élèves s'étaient décidés à saisir les anguilles visqueuses qui se tortillaient sur les planches.

Son regard s'éclaira quand elle aperçut les deux tubes jaunes et noirs qui ondulaient dans le tas. Celles-ci avaient moins l'air répugnantes que leurs congénères grises et roses.

- Hé, Al. On prend ces deux-là, okay ?

- Hum.

Il semblait encore plus écœuré qu'elle, mais se pencha quand même sur le filet.

Charlie l'observait, un sourire en coin. Terrence, lui, avait ses yeux sur le professeur.

Qu'est-ce qu'il manigance encore ?

Le soleil tapait sur sa nuque, plus chaud qu'au début de la semaine et si ça n'avait pas empesté le poisson, l'après-midi aurait pu être délicieuse au bord de l'eau. Dennis Castorman se bouchait le nez ouvertement et Fabius Macmillan lui agitait son anguille sous le nez en la faisant parler d'une voix de crécelle : "bonjour cher ami, quelle belle journée pour un serpent". 

Wendy attrapa une des anguilles dans son mouchoir et se redressa avec un haut-le cœur.

- Qu'est-ce qu'on fait, ensuite, M. Weasley ? bredouilla-t-elle.

Charlie ne répondit pas tout de suite, ses yeux plissés intensément fixés sur Albus dont le visage frémissait.

- Al ? T'es fâché ? Je suis désolée d'être aussi chochotte, mais j'aime vraiment pas quand ça grouille et…

- Tais-toi, grinça Albus avec une drôle de voix sèche.

Son poing se resserra autour de l'anguille jaune et noire qui se tortillait au bout de son bras. Il sentait ses lèvres se retrousser sur ses dents et quelque chose grattait au fond de sa gorge.

Non non non.

Contrôle, mon vieux.

Il avait vraiment du mal à comprendre pourquoi il était aussi furieux.

Charlie renifla joyeusement. Il fit claquer sa langue et tapa dans ses mains.

- Okay, maintenant vous allez les mesurer, dit-il en sautant sur le ponton et faisant quelques pas au milieu de la classe. "On ne gardera que les plus grandes, qu'on placera dans des bassins d'eau stagnante très pure. Les autres…"

L'exclamation de stupeur générale lui coupa la parole. Il se retourna juste à temps pour apercevoir les éclaboussures sur le lac.

- P-p-professeur, balbutia Kevin Mordecrat. "Potter vient de jeter son anguille à… à la mer."

- Ah, dit simplement Charlie. "Il faut que vous sachiez que l'anguille est un carnassier cannibale et que pour l'engraisser, on la nourrira de pâtée de poisson."

Wendy échangea un coup d'œil éberlué avec Terrence qui se contenta de hausser les épaules.

- Tss, fit Scorpius.

Albus regardait en direction du lac et il espérait que le grondement sourd qui lui chatouillait la glotte passait inaperçu dans le bruit des vagues.

- Mais t'es fou, lui chuchota Wendy. "C'est pas parce que c'est ton oncle que tu peux te comporter comme un sagouin. Qu'est-ce qui te prend ?"

- Miss Philips, est-ce que vous pouvez me dire quels sont les prédateurs de l'anguille ?

Elle rougit.

- Euh…

Le regard inquisiteur du professeur la transperçait.

- Peut-être savez-vous quel animal redoute l'anguille plus que la mort ?

Terrence prit une longue respiration. Il n'aimait pas du tout ce petit jeu. Mais avant qu'il ne puisse parler, Samuel Flinch-Fletchley leva la main.

- Les dragons, dit-il. C'était dans le journal de ce matin. Ils en ont mis partout autour du camp des Aurors dans les Hébrides pour se protéger des rebelles."

- Très bien, jeune homme. Dix points pour Gryffondor. C'est bien Gryffondor, votre maison ?

Les Serpentards gémirent, excédés.

- Mais il est complètement grave, ce type, souffla Dennis. "Je vais le dire à mon père."

Violette Morgensten hocha vigoureusement la tête.

- C'est du n'importe quoi, Poudlard, ces temps-ci…

Scorpius eut un étrange rire sarcastique.

- Et encore, ça c'est rien. Attendez qu'on soit en cours de Défense contre les Forces du mal

 

 

A SUIVRE…

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