Clair comme Nuit

Chapitre 24 : Depuis le début et jusqu'à la fin

3521 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/11/2016 22:20

 

DEPUIS LE DEBUT ET JUSQU'A LA FIN

 

 

Un rideau de pluie grise recouvrait l'île, transformant les brasiers en colonnes de fumée épaisse.

La bulle magique qui protégeait le camp avait cédé et plusieurs piliers de tentes avaient été brisés. Les toiles ployaient en se remplissant d'eau. Des casseroles, des couvertures et d'autres précieuses ressources s'enfonçaient dans la boue. L'arbre sous lequel Harry s'était assis pour surveiller l'entraînement n'était plus qu'une torche noire. Les flammes brûlaient en chuintant sur les barricades dispersées qui protégeaient les Aurors de la fureur des dragons.

Les sortilèges éclataient dans la nuit qui pâlissait peu à peu, un fracas d'étincelles colorées et meurtrières auquel se mêlaient les râles, les menaces, les appels.

Teddy était trempé et son épaule envoyait des éclairs de douleur dans son cerveau chaque fois qu'il levait le bras, mais il continuait à se battre, dos à dos avec son parrain dont le visage tuméfié était presque impossible à reconnaître derrière le verre fendillé de ses lunettes.

Scorpius ne tenait debout que par un miracle. Ses cheveux blonds étaient plaqués sur son front, dégoulinants, son bras gauche pendait le long de son corps et un rictus sarcastique s'était installé sur ses lèvres, mais il ne s'avouait pas vaincu. Entre deux coups de baguette, Ron lui jetait un coup d'œil de temps à autre et une fierté étrange s'étranglait sous son plastron écorché par les griffures des maléfices.

Terrence avait l'impression que son cœur s'était déplacé dans son genou et y battait un rythme effréné. Sa voix était rauque à force de lancer des sorts avec une obstination désespérée, son œil droit gonflé et fermé. Il trébuchait derrière Darren qui poursuivait un groupe, infatigable, sombre figure sous son capuchon de bure.

Sur le flanc de la montagne, le corps d'un des deux dragons était étendu, pantelant, emprisonné dans de multiples chaînes, sa gueule scellée par une énorme muselière d'acier. Hermione repoussait en arrière ses cheveux châtains poisseux de sang et le gardait férocement avec Aretho et Charlie. Leur plan avait fonctionné.

L'aube était presque là.

Les frères Scott étaient morts. Nigel aussi. Les joues pailletées de taches de rousseur de Dean reposaient sur la terre noire labourée, ses yeux bleus grands ouverts comme s'ils contemplaient sa guitare abandonnée un peu plus loin. Lizzie s'accroupit à côté de lui et lui ferma les paupières, ravalant un sanglot, puis elle se hâta vers un blessé qui gémissait sous un pan de toile.

Skyler et Wendy, qui avaient disparu un instant de l'autre côté de la crête, revenaient maintenant à pleine vitesse, couchés sur leurs balais, plongeant entre les mottes de terre et remontant en piqué dans l'obscurité comme s'ils étaient à ciel ouvert sur un terrain de Quidditch. Ils étaient beaucoup plus synchrones qu'au début de la soirée et semblaient presque se jouer des attaques lancées contre eux, comme deux hirondelles pirouettant au-dessus d'un lac.

Wendy avait horriblement mal dans les cuisses, les tibias, les avant-bras et elle était presque certaine que si elle essayait de se redresser, son dos allait se briser avec un claquement sec. Mais elle refusait de s'écouter, forçait ses muscles à outrepasser leurs limites, plissait les yeux pour les garder ouverts et perçants.

La pluie diluait le sang coagulé sur l'arcade sourcilière de Skyler tandis qu'il bombardait l'ennemi en passant en rase-motte, mais il continuait à sourire hargneusement, parce qu'il n'était pas question de ralentir – et que l'endurance et l'agilité de cette gamine le bluffaient.

Ces quatre gosses renversaient toute notion de logique ou d'approprié. Ils étaient intelligents, dévoués, hardis et courageux jusqu'à l'inconscience.

Ils étaient tout, sauf ce qu'on aurait attendu de leur part.

Et Skyler refoulait au fond de lui la pensée que son propre fils n'était qu'un bon à rien, que s'il avait été là par accident ou par vanité, il aurait fanfaronné, pleurniché, essayé d'obtenir de l'attention ou du confort, cherché à se protéger sans jamais se rendre utile.

Mais eux, ils…

Scorpius Malefoy se battait malgré sa blessure, il n'avait jamais laissé échapper une plainte.

Sans les idées brillantes de Terrence Swanson, ils n'auraient jamais pu mener à bien cette opération pour capturer un des dragons mineurs.

Wendy Philips était époustouflante d'audace, indéniablement née pour voler sur un balai et manier une batte. Jamais Skyler n'aurait imaginé qu'on puisse utiliser une baguette de cette façon.

Et Albus…

Skyler braqua le balai pour prendre la courbe au bout de la plaine, ralentit à peine le temps de lever les yeux vers le ciel chargé de nuages sombres avant de se jeter de nouveau dans la bataille.

Là-haut, le fils d'Harry Potter affrontait seul l'Anghenfil.

 

oOoOoOo

 

La nuit était étonnement claire, au-dessus des volutes de brume sombre, et les silhouettes entrelacées des deux combattants s'y découpaient comme dans un abominable ballet d'ombres chinoises.

- Encore ! cria le cavalier de l'Anghenfil d'un ton hystérique.

La gueule du monstre broya l'aile du petit dragon noir et une douleur atroce éclata en feu d'artifice dans la tête d'Albus, l'envoyant sombrer dans une nouvelle vision.

 

Il allait avoir quinze ans. Ses cheveux noirs tombaient en mèches indisciplinées dans ses yeux verts…

Non, ce n'était pas lui. Il était son père.

Harry était couvert de sang, il y voyait à peine, il avait mal à en vomir. Il était terrifié et pourtant il savait qu'il ne pouvait pas reculer, il ne pouvait pas fuir, il devait se battre.

Il n'y avait pas d'autre solution.

La main crispée sur sa baguette, il se força à se lever en s'aidant de la pierre froide, s'avança sur la pelouse souillée du cimetière et fit face à Voldemort qui éructa de joie.

 

Un écho de ce rire sardonique ramena Albus à la réalité. Des spasmes de souffrance secouaient son corps de fourrure. Il ne savait plus qui il était, ce qu'il était, où se trouvait la frontière entre sa conscience de garçon et sa forme de dragon.

Il sentit le souffle fétide de la bête, brûlant, sur lui.

- Est-ce assez, maintenant ?

La voix de MacFusty stridulait de façon grinçante, toute proche.

Le vieil homme était penché sur le cou de l'Anghenfil, assis dans sa selle d'acier, et ses yeux bleus globuleux observaient sa proie avec intérêt. La lune argentait les touffes de cheveux blancs au-dessus de ses oreilles et sa longue cape noire ondoyait dans la nuit, comme si elle délayait les étoiles.

Suspendu la tête en bas, Albus essaya d'avaler sa salive. Il devait rester conscient. Il ne pouvait pas encore céder… Il devait... Il lutta pour garder les yeux ouverts, mais l'œil rouge de l'Anghenfil le happa à nouveau, aspirant les pensées, les souvenirs, les doutes, les peurs, les regrets des humains autour de lui, mélangeant indistinctement vérité et espoir, souffrance passée et craintes irrationnelles et le noyant dans une nouvelle sarabande de visions.

 

Une très jeune Hermione enroulait une écharpe autour d'un tronc d'arbre en étouffant ses larmes, puis disparaissait en transplanant, main dans la main avec Harry.

 

Ron… non, ce n'était pas son oncle. C'était James. Il était assis sous le saule, au bord du lac de Poudlard.

"Tu ne vaux rien", disait-il en jouant négligemment avec un vif d'or.

Il passait négligemment la main dans sa tignasse, une étincelle de mépris dans les yeux, puis se tournait en ricanant vers ses amis.

 

Terrence gisait sur le sol dans une grotte aux parois de glace transparentes comme du cristal. Ses traits étaient tirés, ses cheveux blonds longs et sales, ses lèvres bleuâtres. Il ne portait pas ses lunettes. Une tache d'un rouge profond s'élargissait sur sa blouse blanche de chimiste. Un souffle brillant comme une poussière de verre s'élevait au-dessus de sa poitrine et quelqu'un chantait, quelque part.

 

Lizzie suppliait son mari de rester, le suivait sur la pelouse devant une maison en briques. Il se dégageait sèchement de son étreinte, montait dans une voiture et démarrait en trombe. Lizzie fermait les yeux, la honte inscrite sur son visage. Des passants chuchotaient. Sur la fenêtre de la cuisine, quelqu'un avait peint à la bombe le mot "sorcière" en lettres d'un jaune hideux.

 

Dans la Grande Salle de Poudlard, quelqu'un tendait la jambe en pouffant de rire et Scorpius s'étalait sans aucune grâce avec son assiette. Il se relevait, couvert de tarte à la mélasse et personne ne venait à son aide.

 

L'air déçu et en colère, Skyler criait sur un adolescent au menton fuyant et aux cheveux gras qui lui claquait brusquement une porte au nez.

 

Wendy était assise sur le couvre-lit fleuri d'un lit de princesse et elle sanglotait, les bras croisés sur ses genoux.

 

Il s'arracha aux images dans un effort désespéré, griffa, mordit, poussa et lacéra les babines du dragon pour se dégager. Les crocs du monstre frémirent à peine, resserrant leur emprise sur les plumes de satin noir qui se gorgeaient de sang. Un os craqua et Albus hurla de douleur, alors qu'une nouvelle vision l'engloutissait.

 

Un vieillard pleurait, seul dans l'obscurité. Il était penché sur une table recouverte d'un drap et tenait la main d'une toute jeune fille à la peau pâle comme du lait.

- Personne ne nous enverra de secours, Père, dit un homme en s'approchant de lui, la voix enrouée.

- Nous avons servi le ministère avec fidélité, Josias, gémit le vieillard en relevant la tête. Un rayon de lune passa sur son visage ridé et blafard, baigné de larmes – et Albus reconnut avec horreur Bercelak MacFusty. "Pendant toutes ces années, nous avons gardé le secret des dragons, effacé la mémoire des Moldus, surveillé les côtes des Hébrides… ils ne nous ont pas oubliés."

- C'est trop tard, Père. Elle n'est déjà plus là.

 

Le vent qui s'engouffrait sous les ailes du monstre projeta des gouttelettes glacées sur le museau du petit dragon de fourrure et Albus revint à la réalité.

MacFusty le scrutait, mais pourtant ses iris bleus, dans leurs globes blancs striés de vaisseaux sanguins, semblaient contempler autre chose.

Voyait-il aussi les images que l'Anghenfil faisait surgir comme une série de cauchemars ?

 "Il ne le voit pas. Il le sent, cependant", répondit une voix douce et profonde à la question qui traversait furtivement l'esprit enfiévré d'Albus.

"Dewis !" Un sanglot l'étrangla alors qu'il se laissait envelopper dans la présence immatérielle du dragon de son enfance. "Tu es là..."

"Je ne partirai pas. J'étais et je suis toujours là, petit frère."

"Je ne t'entendais plus… J'ai peur. J'ai mal… je voudrais juste… que tout s'arrête."

Il avait l'impression de tourbillonner dans le noir, seul, abandonné. L'œil rouge de l'Anghenfil le vrillait de pouvoir et de souffrance. Il ne pourrait pas vaincre.

"Tiens bon, Albus."

Il n'avait pas la force de se dégager de la gueule du monstre et il avait pitié de l'homme fou qui riait hystériquement dans la nuit. Il ne voulait pas le tuer. Il entendait encore les cris plaintifs du dragon qu'il avait attaqué la veille : un un un animal, qui ne comprenait pas, qui se débattait pour rester en vie, qui ne contrôlait pas sa violence et n'avait pas choisi d'être mêlé à la guerre. Et lui, qu’avait-il fait ? Il l'avait frappé à mort !

"Tu as défendu les tiens. Tu as sauvé des vies", protesta doucement Dewis.

"Ce n'était pas lui que j'aurais dû attaquer. L'Anghenfil est pourri par la haine et la cruauté. C'était lui mon adversaire. C'est lui que j'aurais dû tuer, pour briser son lien avec MacFusty."

"Mais tu ne veux pas."

 Les étoiles tombaient en pluie de feu, autour de lui. Il voulait tendre les mains et les caresser, comme des pétales flottant sur une mer d'encre. Il n'y avait plus de souffrance, plus de rire démoniaque, plus un son, plus rien.

"Ce n'est qu'un vieil homme qui souffre et qui a perdu la raison, Dewis", murmura Albus avec une tristesse infinie. "Un vieil homme qui a trop regardé dans l'œil d'un dragon, qui l'a laissé nourrir son amertume et sa colère. Je ne peux pas le faire revenir en arrière. Je ne peux pas changer le passé. Je ne suis pas capable."

"Tu ne peux pas changer les circonstances, mais tu peux décider de ce que tu vas faire pour les affronter. Tu n'as pas de pouvoir sur ce qui t'arrive, mais tu en as sur tes choix. C'est ce que tu dois leur rappeler."

"Je n'y arriverai jamais !"

Le monstre étendit ses ailes, en vol stationnaire. Son long cou ondula comme s'il allait régurgiter. Le vieil homme se pencha pour mieux apercevoir le petit dragon de fourrure toujours pris au piège des crocs géants. Il bougeait à peine, comme un chiffon noir maculé de sang.

Et pourtant l'Anghenfil s'agitait nerveusement.

"Quelqu'un a donné sa vie. Quelqu'un a pleuré. Quelqu'un a pardonné. Tu es né à cause de ces trois choix, Albus Severus Potter", continua Dewis de sa voix grave et remplie d'amour. "Tu existes parce que Lily Evans a tendu la main à celui dont personne ne voulait et parce qu'à cause de cela, un homme a tout sacrifié pour protéger l'enfant d'un autre. Tu as vu le jour dans la lumière, parce que ton père a pris la décision d'effacer le passé en te donnant le nom de Severus."

Le monstre gronda. Ses babines se retroussèrent. Bercelak MacFusty sursauta. Il y avait comme un chant, autour de lui. Inaudible et pourtant puissant. Magnifique et cependant terrifiant.

Et le corps du petit dragon de fourrure s'illuminait lentement, comme si toutes les étoiles se rassemblaient autour de lui.

"Le monde est un endroit sombre, Albus. Il y aura toujours des gens pressés d'assouvir leur soif de pouvoir, leur désir de vengeance, leur envie de posséder. Ce sera difficile et tu ne pourras pas toujours changer la façon dont regardent les autres. Les yeux du dragon te donnent un grand pouvoir, Albus, mais c'est ton cœur qui attire les gens. La lumière vient de toi. Tu aimes. Tu aimes si fort que tu insuffles de la vie et de l'espoir, et c'est cela qui les amène à toi."

Albus repensa à la scène du cimetière. Il était sûr que c'était un vrai souvenir, pas une des illusions malsaines de l'Anghenfil.

Un souvenir de son père au même âge.

Un souvenir où, malgré tous les espoirs perdus, malgré la souffrance, malgré la peur, il se levait et faisait face.

Peut-être que ce souvenir était celui qu'Harry aurait partagé avec lui – s'ils avaient pu aller ensemble à cet endroit pour ses quinze ans...

Alors il respira profondément, oubliant les vagues de douleur prêtes à le submerger, et écouta la voix de son dragon, se laissa envahir par la magie qu'il avait acceptée, des années auparavant, en haut d'une montagne enneigée.

"C'est toi qui as donné envie de vivre au furet. Et c'est aussi toi qui as éclairé le monde de Wendy, ouvert la porte derrière laquelle était enfermé Scorpius, et donné à Terrence un but. C'est ce que tu es, petit frère. Depuis le début et jusqu'à la fin."

Albus sourit.

Et les grands yeux verts de Lily Evans, ces yeux qui avaient changé le cours de la vie de Severus Rogue, les yeux qui avaient affronté l'ennemi d'un monde et l'avait vaincu – ces yeux qui étaient les siens et qui reflétaient son âme et celle d'un dragon nommé "choix" – s'ouvrirent et se posèrent avec compassion sur le monstre et le vieil homme.

 

oOoOoOo

 

La dernière étoile s'éteignit et les nuages se dégagèrent, emportés par le vent de la mer. Dans le ciel rose soyeux, un rayon doré s'étendit comme une flèche et vint frapper la terre, inondant la plaine de sa lumière pure.

Toutes les baguettes s'abaissèrent alors que le dragon tombait dans le cône de soleil scintillant des gouttes de pluie.

Lentement, si lentement.

L'Anghenfil s'écrasa, faisant trembler le sol. Sa tête monstrueuse s'abattit sur une des dernières tentes encore droites et ses ailes se froissèrent avec un bruit de tôle affreux. Sa queue s'agita un instant, comme un long serpent d'acier, puis elle retomba lourdement et il ne bougea plus.

Il tenait dans sa gueule le corps brisé d'Albus.

 

 

A SUIVRE…

Ce chapitre a été édité après les corrections de la merveilleuse Oldie ! Many, many thanks !

 

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