Clair comme Nuit

Chapitre 23 : Dans l'oeil du dragon

4689 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/11/2016 16:52

 

DANS L'OEIL DU DRAGON

 

 

Quelque chose d'impossiblement joyeux bullait à l'intérieur de Wendy, comme si un bouquet de papillons frémissants était caché sous son pull. Les décorations ridicules pendues au plafond du supermarché, la chanson complètement guimauve qui passait à la radio, les interruptions publicitaires faites par quelqu'un qui ne savait visiblement pas articuler, l'odeur forte des truites mélangée au parfum sucré des pâtisseries, la poubelle de récupération des piles, les clayettes de légumes, les sacs en plastique orange et le brouhaha ambiant : tout était merveilleux.

Elle avançait à côté d'Hermione, une main sur le chariot, et de temps en temps ses yeux accrochaient leur reflet dans une banque vitrée de surgelés.

Leurs cheveux châtains et leurs sourires étaient presque semblables.

- Je suppose qu'on devrait aussi prendre des haricots, marmonna Hermione en vérifiant sa liste. "Ils ne voudront manger que les saucisses et le bacon, je les connais, mais on aura besoin de quelque chose de solide dans le ventre pour tenir toute la nuit."

Elle prit deux boites de conserve sur l'étagère, puis décida de récupérer tout le stock. Ils étaient beaucoup plus nombreux qu'une simple famille, après tout.

- Est-ce qu'on va aussi acheter du rôti ? demanda Wendy en entassant deux sacs de patates et un filet de pommes dans le chariot.

- Pourquoi pas ? Ron sera content, il déteste le poisson et le rôti en sauce est son plat préféré…

Hermione se rendit compte qu'elle avait répondu machinalement et se racla la gorge pour se débarrasser de la gêne qui rosissait ses oreilles.

- Hum. Le lieutenant-colonel Weasley, je veux dire. Avec tout ce qu'il engouffre, on aurait pu croire qu'il n'était pas difficile, mais c'est tout le contraire.

Elle poussa le chariot en avant d'un geste un peu brusque.

- Voyons voir… il nous faut des desserts. Et du chocolat.

Wendy la suivit dans le rayon voisin après avoir pensivement pesé les poireaux et les navets. Elle se glissa derrière la femme qui examinait les différentes variétés de Cheddar en fronçant un sourcil.

- Darren aime assez le fromage…

Elle frotta le bout de son nez, croisa les bras. Wendy la contempla un moment en silence. Elle ne voulait pas laisser échapper la sensation chaude et douce blottie dans sa poitrine.

Attaché à un poteau électrique, le poney broutait dehors à côté de quelques vélos et d'une vieille motocyclette. Elles n'avaient pas mis très longtemps à arriver au village, même avec les précautions prises par Hermione.

Hominum revelio.

Wendy connaissait bien le sortilège, maintenant, à force de l'entendre à chaque motte de terre un peu haute. Elle s'était tenue fermement à la taille de la femme, la joue appuyée contre son dos, respirant l'odeur de chèvrefeuille du gilet en crochet rose.

Elle aurait voulu que le trajet dure des heures, mais très vite les toits pointus recouverts d'ardoises bleues foncées étaient apparus au détour de la colline. Les murets propres, la route bien plate sur laquelle claquaient les sabots du poney, les potagers et les jardinets bien arrangés, tout était parfait et paisible à Glenegedale.

Jamais vous n'auriez pu imaginer qu'une lutte sans merci avait eu lieu à peine cinq ou six kilomètres plus au sud…

Un vieil homme coiffé d'une casquette à carreaux les avait saluées quand elles avaient mis pied à terre : "Hé bé, mais c'est la p'tite madame du campinge de Killeyan ! Alors, ces touristes, i' s'en sortent avé la vie sauvage ? C'est vot'e fille ? Elle est b'en grande, déjà."

Wendy lui avait adressé un sourire radieux avant de passer les portes coulissantes.

Le pépé était magnifique.

La journée était magnifique.

Le supermarché au sol collant était magnifique.

Hermione fit la moue, la main sur une bouteille de lait.

- Si on avait un frigo, j'aurais pu faire de la crème anglaise… ça aurait remonté le moral de Dean.

Parce qu'elles étaient née-moldues toutes les deux, être ici, utiliser ces mots, n'était pas anormal. C'était un lien de plus.

Et Wendy n'avait pas envie de le briser, mais la question sortit malgré elle de sa bouche.

- Le chef des Aurors… c'est votre mari, n'est-ce pas ?

Elle avait soigneusement évité les mots "le père de Rose".

- C'était mon mari, rectifia Hermione en détournant les yeux.

Elle se concentra sur l'étagère des yoghourts.

- Vous ne vous disputez pas, pourtant, remarqua Wendy en pensant aux remarques acérées échangées par son oncle et sa tante au-dessus de la dinde de Noël chaque année.

- Ron est… commença la femme avant de s'interrompre en fronçant les sourcils.

Maladroit ? Idiot ? Insupportable ?

Prompt à dire des mots qu'il va regretter plus tard et lent à comprendre qu'il aurait dû parler plus tôt ? Balourd, égoïste et malgré tout désireux de faire de son mieux en toutes circonstances ? Un homme adulte qui réagit comme un ado en pleine confusion hormonale sous le coup de l'émotion ? Un père assidu qui ne devrait pas oublier qu'on n'a jamais fini de gagner le cœur de la mère de ses enfants ?

Elle respira profondément et mit quatre séries de mousse au chocolat en parts individuelles dans le chariot.

- Ron et moi avons tendance à nous entendre parfaitement en temps de crise – mais il semblerait que nous ne soyons pas capables de nous supporter quand tout va bien, expliqua-t-elle avec un peu d'humeur.

Wendy hocha la tête, mais à vrai dire, elle ne comprenait pas. Elle déambula un moment sur les talons d'Hermione, silencieuse, aidant à remplir le chariot de victuailles, perdue dans ses pensées.

Un coup de coude amical la fit tressaillir et elle s'aperçut qu'elles étaient à la caisse. Elle surprit le regard intrigué et compatissant d'Hermione et se troubla.

- Est-ce que tes parents se disputent souvent ? demanda la femme en réajustant son sac à main sur son épaule – elle avait dû fouiller dedans pendant quelques minutes pour retrouver son portefeuille moldu.

Wendy haussa les épaules.

- Non. Jamais. Ils ne se voient pas assez pour ça.

Le sentiment joyeux sous son pull s'était éteint. Hermione n'insista pas. Elles bourrèrent leurs courses dans des sacs plastiques puis sortirent du supermarché tellement chargées que Wendy crut qu'elles n'attendraient jamais le poteau électrique où les attendait le poney. Hermione jeta un bref coup d'œil aux alentours, puis elle ouvrit de nouveau son sac à main et se mit à y fourrer les sacs les uns après les autres sous les yeux ébahis de l'adolescente.

- Sortilège d'extension indétectable, expliqua la femme avec un sourire amusé qui fit soudain place à un pli douloureux.

- Très utile quand tu dois t'enfuir rapidement – ou pour aller faire du shopping sur Oxford Street avec une demoiselle qui veut se tenir à la dernière mode.

Elle s'interrompit, ferma les yeux un instant en mordillant sa lèvre inférieure.

- Rosie me manque tellement… et Hugo… oh, si je…

Elle rouvrit les paupières et prit l'expression atterrée de Wendy pour autre chose.

- Ma pauvre chérie… ta maman est sûrement mortellement inquiète. Elle doit tellement te manquer !

Wendy recula d'un pas.

- Ma mère est morte quand j'avais deux ans. Je ne me souviens pas d'elle, dit-elle abruptement. "Je ne crois pas que mon père s'en apercevrait si je disparaissais, il travaille tout le temps. Et ma belle-mère a les jumeaux, ça lui suffit."

Les yeux bruns d'Hermione se remplirent de larmes.

Wendy serra les dents parce que même si elle désirait plus que tout que la femme la prenne dans ses bras, elle ne voulait pas qu'elle le fasse par pitié. Elle fit un pas en avant, ramassa un autre sac de courses et le laissa tomber dans la besace sans fond.

- C'est cool, comme sortilège. Je suis sûre que Terrence adorerait l'apprendre. Il se trimballe toujours beaucoup trop de trucs, ça lui serait super utile.

- Wendy…

- C'est bizarre de penser qu'on est lundi et qu'il est quatre heures de l'après-midi, continua la jeune fille d'un ton léger forcé. "A cette heure-ci, si on était à Poudlard, on devrait être en cours avec Pique-la-lune… On dirait que c'était il y a un siècle qu'on était juste des élèves…"

Hermione avala sa salive. Elle acquiesça silencieusement.

Elle ne connaissait que trop bien cette impression. Elle se revoyait, à peine plus âgée, en fuite dans l'Angleterre dévastée par les Mangemorts, en train de réaliser qu'elle aurait dû être à l'école en train de passer ses ASPICS comme n'importe quelle autre élève, si le monde avait été en paix.

Elle pensait que le sentiment d'injustice et d'impuissance qu'elle avait ressenti à ce moment-là n'aurait plus jamais lieu d'être après la chute de Voldemort.

- Est-ce que… est-ce que c'était pareil quand vous étiez en guerre, à l'époque ?

Elle leva les yeux, surprise que Wendy aie fait le lien.

- A la radio, précisa celle-ci en faisant un geste du menton en direction du supermarché. "Ils disent qu'une nappe de pétrole a pris feu près d'Islay la nuit dernière. Les moldus ont leur propre version de ce qui se passe…"

Hermione hocha la tête.

- Oui. Il y a un département du ministère de la magie qui s'occupe spécialement de ce genre de communications.

Elle hésita.

- Wendy ? Terrence m'a dit que tu aimerais avoir un balai. Il doit nous en rester un, sûrement en très mauvais état, mais je peux demander à Nigel d'y jeter un coup d'œil, si tu veux.

Elle sourit.

- Il parait que tu es une sacrée joueuse de Quidditch. Tu m'apprendrais ? Si tu veux bien… Je suis assez nulle. J'ai passé beaucoup de temps à lire pendant mes études et – non pas que lire ne soit pas bien, au contraire ça m'a toujours été très profitable – mais je me disais, je vais finir par prendre du poids, je ne suis plus si jeune et…

Wendy sourit en retour et comme en réponse, le soleil de fin d'après-midi caressa son visage, étincelant sur l'escarboucle à son sourcil gauche.

- Je veux bien, répondit-elle.

Ses longs cheveux châtains s'entortillaient, soulevés par le vent de la mer, comme ceux d'Hermione.

Tout doucement, la sensation chaleureuse s'était rallumée sous son pull.

 

oOoOoOo

 

Sous l'un des rares arbres à avoir encore un peu de feuillage, assis sur un tabouret, les bras croisés, Harry surveillait les Aurors qui s'entraînaient en sourcillant. Son pied droit tapotait impatiemment le sol et il ne s'en rendait pas compte.

- Je peux m'assoir ici ?

Il tourna la tête et sourit à l'adolescent appuyé sur ses béquilles.

- Bien sûr, répondit-il en attirant vers eux une des chaises mal empaillées qui trainaient devant le réfectoire.

- Albus s'est réveillé, annonça Terrence en s'installant. "Mais Charlie a dit qu'il devait d'abord lui parler seul à seul pendant un moment", se hâta-t-il d'ajouter en voyant l'homme faire un mouvement pour se lever.

Il laissa tomber les béquilles à côté de lui et remonta ses lunettes sur son nez.

- Scorpius va un peu mieux. M. Weasley était avec lui, mais Lizzie l'a viré.

- Ah, dit Harry sans que son visage ne trahisse ce qu'il pensait.

- Je peux presque remarcher normalement, continua Terrence avec une pointe de son ancien enthousiasme. "Si j'avais été soigné par un toubib moldu, j'en aurais eu pour une semaine, à tous les coups ! C'est incroyable !"

- Hum, dit Harry à qui l'expérience avait appris que le rétablissement rapide d'une blessure par magie n'accélérait pas le long processus de guérison du traumatisme qu'elle engendrait.

- Wendy n'est pas encore rentrée ?

- Nope.

Terrence se cala plus confortablement sur la chaise un peu bancale et observa les chorégraphies parfaitement orchestrées des Aurors, la précision de leurs sortilèges et la façon presque dansante qu'ils avaient de déplacer pour esquiver et attaquer.

- Ce soir, on va de nouveau se battre ?

- Oui, dit Harry doucement.

Le garçon mâchouilla l'intérieur de ses joues pendant quelques instants, puis il se redressa.

- Pourquoi vous ne faites pas de prisonniers ?

Harry le regarda un moment avant de répondre.

- Parce que…

Il chercha un meilleur moyen de formuler sa phrase et n'en trouva pas. Ses yeux verts si semblables et si différents de ceux d'Albus plongèrent finalement dans les prunelles bleues de l'adolescent.

- Dès qu'on entrave les hommes de MacFusty, ils cassent une de leurs dents et s'empoisonnent. Sans aucune hésitation, dit-il gravement. "Des fanatiques comme ça – ou des gens soumis à un maléfice qui les oblige à le faire – ne cesseront pas de se battre tant que leur chef ne sera pas tombé. C'est pour ça que Bercelak est notre cible."

Il n'ajouta pas que Ron lui avait aussi expliqué que pour chaque prisonnier fait au début du conflit, les MacFusty portaient leurs représailles sur les moldus. D'après Skyler et Darren, si on pouvait capturer le vieux fou qui avait commencé cette guerre, il y aurait peut-être un moyen de négocier avec son fils aîné.

Mais pour cela, il fallait vaincre un obstacle de taille : l'Anghenfil.

- Tant qu'on n'aura pas tué le dragon, on ne pourra pas gagner, hein ?

Harry soupira.

- Tant qu'on n'aura pas tué ce dragon, oui.

Terrence jeta un coup d'œil vers l'infirmerie et ses épaules se crispèrent.

- Tout repose sur Al, donc, murmura-t-il.

Le soleil baissait. Leurs ombres et celle de l'arbre s'allongeaient sur l'herbe. Il faisait froid, de nouveau, et ils frissonnèrent.

 

oOoOoOo

 

Charlie s'assit sur le lit d'en face et prit les mains de son neveu dans les siennes pour les empêcher de trembler violemment.

- Je suis désolé, Al…

Les yeux de l'adolescent le fixèrent comme s'ils hallucinaient.

- Tu ne sais pas, Charlie… tu ne sais pas.

Sa voix se brisa.

- Il pleurait tellement… et c'est de ma faute… je n'ai pas pu le sauver…

De l'autre côté de l'infirmerie, Scorpius avait entrouvert un œil. Oppressé par la fièvre, il respirait difficilement, mais il était parfaitement éveillé.

Et le silence était tel sous le chapiteau, qu'il entendait chaque mot prononcé.

 

oOoOoOo

 

Les Aurors s'étaient assis en rond. Certains bavardaient à mi-voix, d'autres se contentaient de regarder le feu de camp qui brûlait au milieu du cercle. Dean jouait de la guitare, mélancolique. Aretho dessinait des figures de contes de fée avec les flammes, de la pointe de sa baguette, pour la plus grande joie des frères Scott. Colchide était installé en tailleur, très droit, les coudes sur ses cuisses comme s'il méditait. Enveloppée dans une couverture, Lizzie buvait son thé à petites gorgées, tenant sa tasse à deux mains.

Ils étaient déjà habillés de leurs plastrons noirs et de leurs épaulettes d'acier. Le ciel immense, drapé de rose et d'or, s'étendait au-dessus d'eux. Il ne restait que quelques heures avant la nuit.

Tout était paisible.

Ron enjamba l'épaule de Nigel et vint s'asseoir entre Harry et Hermione. Il venait de se brosser les dents et sentait le dentifrice à la menthe.

- Alors, professeur, quelles sont les nouvelles de Poudlard ? demanda-t-il d'un ton jovial qu'il espérait naturel. "Est-ce que Neville va enfin déclarer sa flamme à Luna ?"

Harry sourit. Il but tranquillement une gorgée de café avant de répondre.

- Oh non. T'es en retard d'une guerre. Si Neville épouse quelqu'un, ce sera l'infirmière scolaire, Hannah Abbot.

Ron ouvrit de grands yeux.

- "Hannah Abbot" comme dans la petite de Poufsouffle avec de grosses joues ?

- Elle n'est pas petite ! protesta Harry tandis qu'Hermione levait les yeux au ciel. "Elle est plus grande que moi."

- Harry, ce n'est pas difficile d'être plus grand que toi, dit sentencieusement Ron. "Ta femme est plus grande que toi. James est plus grand que toi. Et si Albus nous refait une poussée de croissance comme celle d'il y a deux ans, il sera aussi plus grand que toi."

Il fit une pause pour jeter un coup d'œil affectueux à son neveu, assis de l'autre côté du cercle.

- En tout cas, il a l'air nettement plus doué que nous deux au même âge, question approche des filles.

Hermione pouffa de rire et Harry se demanda s'il devait vraiment se réjouir de cette dernière constatation. C'était déjà bien assez de devoir surveiller James qui était un vrai coureur de jupons…

En face d'eux, Albus observait pensivement les flammes.

Il était assis à gauche de Scorpius dont l'expression rappelait beaucoup à Harry celle de Sirius quand celui-ci parlait de son meilleur ami. Le garçon avait été autorisé à se lever, mais il était encore faible et on l'avait enveloppé d'un tel tas de couvertures et de châles qu'il disparaissait presque.

A sa droite, Charlie cachait Wendy derrière son large dos, ce qui devait expliquer pourquoi celle-ci s'était sentie assez enhardie pour poser sa joue sur l'épaule d'Albus. Terrence était assis un peu plus loin, entre Teddy qui croquait des biscuits salés, nettement plus en forme que la veille, ses cheveux de la même couleur que le ciel, et Darren qui portait son capuchon comme pour ne pas rompre la douceur apparente de ce moment.

Inévitablement, malgré la mélodie de la guitare, malgré la promesse tacite qu'ils s'étaient fait, les conversations revinrent sur le conflit.

- Au moins, ces foutus dragons sont tellement attachés à leur île qui ne la quitteront jamais, soupira quelqu'un. "Imagine s'ils s'étaient envolés jusqu'à Londres, s'ils avaient fallu les combattre en pleine ville…"

- J'aime mieux pas imaginer le vieux MacFusty en train de demander soumission à Buckingham au nom de l'Anghenfil…

- Il est vraiment cinglé.

- Il a trop regardé dans l'œil du dragon, intervint Charlie d'une voix lente et grave qui établit le silence. "C'est quelque chose qu'il ne faut pas faire. Ils lisent jusqu'au fond de ton âme. Ils la changent."

Son regard évita délibérément celui d'Harry qui s'était raidi, en face de lui.

- Qu'est-ce que tu veux dire ? demanda Skyler en cessant de tailler un bout de bois avec son couteau.

- Que ce qui est noir au fond du cœur de Bercelak MacFusty est contrôlé par l'Anghenfil. On ne dresse pas un dragon. C'est la première chose que tu apprends quand tu commences à travailler dans une réserve. Ce sont de magnifiques créatures anciennes, mystérieuses, et tu ne dois pas les laisser te regarder.

Il y eut un silence lourd. Certains bougèrent inconfortablement à leur place, faisant crisser l'herbe.

Albus continuait de fixer les flammes.

- Et lui, alors ? Il a quelle influence sur nous ? demanda soudain Skyler d'un ton dur, en indiquant le garçon du menton.

- Al n'est pas dangereux ! protesta farouchement Wendy en se redressant.

- Il n'a jamais essayé de nous contrôler ! ajouta vivement Scorpius en pâlissant.

Charlie respira profondément. Tous les yeux étaient sur lui dans le silence tendu.

Le ciel, au-dessus d'eux, s'assombrissait lentement.

- Tu n'as jamais vu des créatures ou des gens venir spontanément vers lui ? Ou remarqué que lorsqu'il te regarde dans les yeux – quand tu es très énervé ou effrayé ou triste, ou perdu – tu te sens différent ensuite ? Ce sont les yeux du dragon.

Terrence avait pâli.

- Alors… les elfes ? chuchota-t-il.

- Les elfes étaient fascinés par Albus bien avant qu'ils ne réalisent ce qu'il était, parce qu'ils sentaient confusément son pouvoir, dit fermement Charlie.

Les flammes crépitaient au milieu du cercle.

Dans le Poudlard Express, une petite fille de onze ans décidait d'ouvrir son cœur…

Les hiboux volaient dans la Grande Salle et venaient saluer Albus même lorsqu'il n'avait pas de courrier…

L'elfe Boolay répétait en se tordant les mains qu'il ne voulait pas "être regardé" par le Grand, peu importe l'honneur que cela pouvait représenter…

Drago Malefoy, debout dans un des couloirs de Poudlard, sentait sa colère retomber sans raison…

Albus n'avait pas bougé. Il ne semblait pas avoir remarqué les coups d'œil qu'on lui lançait, les murmures, les visages tourmentés de ses trois amis.

- Je ne le fais pas exprès, dit-il enfin, d'une voix fragile.

Harry voulait se lever, traverser le cercle pour asséner son poing au milieu du visage de Charlie, mais Ron le retint.

- Attends, murmura-t-il.

- Bien sûr que tu ne le fais pas exprès, dit Charlie gentiment. "Mais quand le dragon-phœnix a donné sa vie pour sauver la tienne, il t'a transmis une partie de son cœur. Et de ses pouvoirs."

- Le furet, murmura Terrence.

Charlie inclina le menton gravement.

- Et Teddy. Et Scorpius.

Les Aurors clignèrent des yeux, pas certains de comprendre ce qu'il impliquait.

 - Les dragons ne peuvent pas guérir. Ils ne parlent pas. Ils n'ont pas de fourrure non plus. Ce sont des êtres remplis de puissance et dont le regard peut changer la couleur d'une âme, mais ils restent des créatures magiques, simplement des créatures. Ils connaissent leurs limites, mais ne les dépassent jamais. Ils pleurent, mais ne savent pas consoler. Ils aiment, mais ne peuvent pas pardonner. Ils sont courageux, mais ne se montreront jamais héroïques. Ils éprouvent de la pitié, mais ne comprennent pas la compassion.

Charlie s'interrompit, choisissant ses mots avec précision, conscient que la nuit s'approchait et qu'ils devaient être prêts.

- Ce que tu es, Albus, c'est bien plus qu'un garçon à moitié dragon. Ce qui est venu à toi sous cette forme est un être différent. Et il n'est pas venu par hasard. Il est venu à cause de ce qu'il avait lu en toi.

Les reflets du feu scintillaient dans les grands yeux verts de l'adolescent.

Il semblait étrangement lointain, alors qu'il était assis au milieu d'eux.

- Ce soir, tu peux nous sauver tous. Hommes et dragons. C'est un choix que tu dois faire.

- Je sais, souffla Albus.

Loin au-dessus de leurs têtes, la première étoile n'allait pas tarder à s'allumer, et les Aurors avaient compris ce qu'on attendait d'eux.

Distraire l'ennemi. Protéger l'enfant. Le laisser affronter seul l'Anghenfil et briser le regard du dragon.

Harry ferma les yeux avant de donner le signal de départ.

Pourquoi l'histoire se répétait-elle sans cesse ?

Une douleur vrillait le bas de sa nuque, comme un pressentiment insupportable.

 

 

A SUIVRE...

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