Clair comme Nuit

Chapitre 22 : ça ne te rappelle rien, Ron ?

5457 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2016 01:28

 

CELA NE TE RAPPELLE RIEN, RON ?

 

 

Ron déposa le corps inanimé de Scorpius sur le lit, puis recula pour laisser place à Lizzie. Ses épaules tremblaient et il ne pouvait pas détacher ses yeux de l'adolescent couvert de sang.

- Il m'a s-sauvé la v-vie, bredouilla-t-il. "Je n'avais p-pas vu ce type et il m'a poussé. I-il s'est pris la rafale et…"

- Une idée du sort qui l'a atteint ? coupa la femme dont la baguette découpait la tunique en lanières pour mieux voir l'étendue des blessures.

- Je.. je sais pas, j'ai pas…

L'infirmerie bourdonnait d'agitation avec la lente arrivée des aurors qui se soutenaient mutuellement. L'odeur âcre du dictame se mêlait à celle épicée de l'essence de murlap et des potions diverses bourboutaient dans les chaudrons près de la fenêtre. Quelqu'un tirait un rideau blanc sur une tringle qui cliquetait, des grognements de douleur s'entrecroisaient avec des exclamations de soulagement, et pourtant Ron avait l'impression qu'aucun son ne parvenait jusqu'à ses tympans.

Le visage terriblement pâle de Scorpius et ses lèvres teintées de bleu le hantaient alors qu'il revivait la scène.

C'était presque l'aurore. La nuit s'éclaircissait et les choses se teintaient d'une lueur blafarde sous le ciel blanchâtre. Des gouttes dégoulinaient sur son visage et il les sentait à peine, exténué au point que tous ses mouvements étaient automatiques.

Nigel à gauche, Aretho à droite, les frères Scott et la petite de Manchester… il comptait machinalement les Aurors encore debout autour de lui – ses gars, ses coéquipiers, sa famille.

Baguette levée, marmonnant les incantations, il tournoyait sur lui-même dans un ralenti étourdissant, accroché farouchement à son désir de survivre, de revoir Hugo et Rosie.

Capturer le vieux MacFusty ? Plus maintenant. Il suffisait de tenir bon, encore quelques minutes, puis les dragons se retireraient et avec eux cette armée de l'enfer. Et il pourrait se reposer…

Il trébucha sur un morceau de métal – un bout de ces fichus bateaux ou peut-être un casque des Ecailleux – perdit l'équilibre et entendit le claquement foudroyant d'un sortilège.

Ah.

Trop tard.

Pendant une fraction de seconde, il crut qu'il allait mourir et se sentit parfaitement calme. Puis quelqu'un fonça dans son épaule et le projeta au sol avec un grognement étouffé.

Il entendit un cri de douleur – un cri d'enfant qui le glaça – et l'instant d'après, l'adolescent blond qu'il avait soigneusement évité depuis son arrivée s'écroulait à côté de lui, le visage éclaboussé par le sang qui avait jailli de son épaule…

- Ron. Ron, je t'ai posé une question.

La voix d'Harry le tira de ses pensées. Il frissonna, revint à la réalité dans l'infirmerie bruyante et agitée.

Lizzie avait terminé de déshabiller le garçon. La tunique en peau de dragon, lacérée et imbibée de sang, était roulée en boule par-terre à côté de ses bottes. Le torse de Scorpius, blême et maigre, luisait à la lumière de la lanterne pendue au-dessus du lit et Ron étouffa un râle.

L'os de la clavicule dépassait dans l'amas de chairs meurtries et l'angle du bras de Scorpius était loin d'être sain.

Lizzie appliqua un linge pour empêcher le sang de continuer de gicler et chercha autour d'elle, fébrile. Ses manches retroussées et son tablier avaient pris une couleur rosâtre.

- Où est encore passé le dictame ? gronda-t-elle.

Harry bouscula Ron pour attraper la petite fiole sur le chariot et la donna à la femme qui remontait ses lunettes sur son nez avec son avant-bras. Elle ne portait plus son chapeau et des mèches grises s'échappaient de son chignon.

- Je crois qu'il a le bras plus ou moins désartibulé, haleta-t-elle. "Il a du se prendre un maléfice explosif ou un sortilège de découpe – et à courte portée, en plus. C'est grave, mais il va s'en sortir, Ron. Maintenant dégage d'ici et va aider les autres !"

Harry hocha la tête et entraîna Ron qui était resté planté, les bras le long du corps, l'air secoué.

- Je voulais laisser son père mourir dans la Salle sur Demande… murmura l'homme roux dont les épaules s'affaissèrent. "Et lui… il m'a sauvé la vie."

- C'était il y a longtemps, Ron, ça n'a rien à voir, dit vivement son meilleur ami en fronçant les sourcils. "Viens, on doit retrouver les autres enfants."

Quelque chose de suppliant dans le ton de sa voix se fraya un passage jusqu'au cerveau embrumé de l'Auror.

- Oh. Al...

L'idée que son neveu puisse être étendu dans la plaine dans le même état que Scorpius électrisa son corps épuisé et il se rua à l'extérieur de la tente.

- Lieutenant ! Vous… ah. Mon colonel, votre fils…

Harry sentit son cœur tomber au fond de lui comme une énorme pierre. Il se retourna lentement en direction de la voix qui les avait arrêtés et une sueur froide perla à la racine de ses cheveux.

Darren, l'Auror au visage défiguré, s'avançait vers eux. La bruine scintillait sur sa longue cape brune. Il portait dans ses bras le corps inerte d'Albus.

- Mon Dieu… souffla Ron en stoppant brutalement. "Il est… ?"

Harry s'était précipité. Il prit son fils dans ses bras et appuya la tête ballottante contre son épaule.

Ses boucles noires étaient embrouillées sur son front, des traces de boue et de souffre encrassaient ses joues extrêmement pâles, mais à part une estafilade sur le nez, Albus semblait indemne.

- Il n'est pas blessé, juste évanoui, confirma Darren de sa voix profonde où le respect semblait surligner chaque mot. "Il a achevé ce démon et quand la bête s'est affaissée, le dragon a encore volé sur quelques mètres, avant de se crasher – à bout de forces, je pense. Il a roulé le long de la pente et, le temps qu'on arrive, c'était redevenu un enfant."

Son œil unique s'illumina avec fierté.

- L'enfant le plus courageux que j'ai jamais vu.

- Je sais, dit Harry d'une voix étranglée.

Il serra Albus contre lui, submergé par la reconnaissance. La peur rétrospective faisait trembler ses genoux et il fut content de sentir la main de Ron dans son dos.

- Colonel Potter !

Aretho leur faisait signe d'une main, moulée dans son armure et encore plus séduisante que la veille avec sa peau mâtinée de caramel chatoyante de pluie et de transpiration, ses dreadlocks ornées d'une plume rouge rabattues en arrière et son décolleté vertigineux. Elle soutenait de son autre bras Wendy qui titubait, l'air hébété, traînant derrière elle un morceau de planche. Colchide arrivait avec elles, Terrence chargé sur son dos comme un koala. L'adolescent à lunettes semblait sérieusement sonné et son jambe gauche était maintenue par deux bouts de ferraille et des nœuds de tissu qui avaient été faits avec l'aide d'une baguette.

- Ces deux-là sont entiers, annonça Aretho, flashant ses dents très blanches dans un large sourire. "Enfin, Swanson est un peu amoché, mais ça va aller."

Elle donna une claque enthousiaste sur l'épaule du garçon qui gémit involontairement.

- Bravo les mômes ! Vous avez survécu au baptême du feu !

Les traits tirés par la fatigue, Wendy se dégagea du bras qui la tenait droite et s'approcha d'Harry en chancelant.

- Al ? demanda-t-elle d'une voix inquiète.

- Il va bien, dit Darren en la rattrapant avec douceur avant qu'elle ne s'effondre. "Il est juste épuisé."

Harry hocha le menton.

- Vous l'êtes tous, ajouta-t-il. "On l'est tous. Wendy, tu n'es pas blessée ? Terrence, ça va ? On va jeter un coup d'œil à ta jambe."

Il retourna à l'intérieur de l'infirmerie et déposa délicatement Albus sur un lit vide au fond du chapiteau. Il le recouvrit avec une des couvertures et l'embrassa sur le front.

- Dors, mon fils. Ne rêve à rien. Tu t'es battu comme un lion… je suis tellement fier de toi…

Il tira le rideau et s'éloigna avant que les larmes qui lui montaient aux yeux ne débordent. Il devait être encore plus fatigué que ses articulations douloureuses ne le lui disaient.

Il croisa le regard de Teddy allongé dans la rangée en face et sourit en serrant rapidement la cheville de son filleul. Puis il slaloma entre les lits, salua un Auror qui terminait d'extraire de sa cuisse des éclats de rochers et de métal, sa baguette à la main et le visage (presque) impassible. Il sourit aux frères Scott qui se badigeonnaient mutuellement d'essence de Murlap, accepta le regard de gratitude de Dean dont la tête était enveloppée d'un épais bandage et à qui il avait épargné d'être dévoré la nuit dernière. Trois hommes étaient inconscients, atteints de graves brûlures, et un quatrième bredouillait des mots sans suite en crachotant une purée blanchâtre. Des bols de potions fumantes et répugnantes se déplaçaient tous seuls entre les rangs. Nigel s'assit sur un tabouret à côté du corps qu'il venait de recouvrir d'un drap blanc et enfouit son visage dans ses mains. Harry s'arrêta juste le temps de lui presser l'épaule avec douceur, puis rejoignit le coin où Hermione s'affairait en proférant un certain nombre de paroles à mi-voix qui sonnaient comme des insultes.

- ça va ? demanda-t-il à Wendy qui attendait, assise en chaussettes sur un lit, enveloppée dans une couverture.

La jeune fille hocha la tête. Sa bouche restait entrouverte comme si elle n'arrivait pas à la clore complètement. Elle clignait des paupières de temps à autre et sursautait, comme si elle avait failli s'endormir.

- Tu devrais t'allonger, suggéra le père d'Albus, amusé.

Elle fit signe que non, pointa du menton le rideau qui leur cachait le lit d'à côté, derrière lequel s'agitait l'ombre de Lizzie.

- J'attends… pour Scorpius…

Terrence, qui surveillait anxieusement les gestes d'Hermione qui examinait son genou enflé, leva ses yeux bleus pendant un instant.

- Est-ce qu'il va s'en sortir ?

Harry acquiesça, rassurant.

- Oui, bien sûr.

Il enleva ses lunettes au garçon et les essuya sur un coin du rideau avant de les lui remettre sur le nez avec douceur.

- Tout ira bien. Vous avez été incroyables.

- C'est vrai ? demanda Wendy d'un ton ensommeillé.

L'homme sourit et s'assit à côté d'elle sur le lit. Elle se blottit contre lui instinctivement, comme le faisait Lily, et bailla largement.

Harry sourit encore à Terrence dont les traits étaient toujours aussi crispés. Il retenait visiblement ses larmes et semblait prêt à s'effriter en mille morceaux.

- Tu te rappelles ce que je vous ai dit pendant notre premier cours de Défense Contre les Forces du Mal ? demanda-t-il gentiment, au-dessus des cheveux en broussaille de la femme qui appliquait un onguent sur le genou. "C'est normal d'avoir peur. Ce qui est important, c'est de ne pas fuir et de se servir de ce que l'on sait – de toutes ses forces. Tu n'as jamais reculé, Terrence."

Hermione s'était immobilisée pendant qu'il parlait. Elle attendit que le garçon ait acquiescé silencieusement, effaçant d'un revers de manches les larmes qui coulaient sur ses joues à cause du contrecoup, puis elle se redressa.

- Voilà, c'est bon, annonça-t-elle. "L'enflure devrait diminuer d'ici ce soir, à condition que tu ne mettes pas de poids sur cette jambe."

Elle récupéra sa baguette rangée derrière son oreille et l'agita en direction des bouts de ferraille abandonnés sur le sol. Ils se redressèrent, métamorphosés en béquilles, et elle les tendit à Terrence avec un sourire.

- Et maintenant, au lit. Je vais vous donner à tous les deux une potion de sommeil sans rêve, juste au cas où, mais…

Elle s'interrompit et se mit à rire.

- Enfin, certains n'en ont pas besoin, je crois.

Harry inclina la tête vers son épaule : Wendy dormait déjà profondément, la bouche toujours entrouverte, bavant un peu sur le plastron noir de l'Auror, sa main agrippée à la manche de l'homme.

Lizzie souleva le rideau qui les séparait du lit de Scorpius et Terrence sursauta.

- Comment va-t-il ?

La femme lui cachait le blessé, mais son tablier souillé était suffisant pour donner envie de vomir et, plus inquiétant encore, était le visage blafard de Ron assis sur un tabouret de l'autre côté, les yeux fixés sur Scorpius.

- Il ira mieux demain, dit brièvement Lizzie en laissant retomber le rideau. Elle promena son regard sur eux, puis fronça les sourcils. "Potter, pourquoi faut-il toujours que tu termines tous tes combats avec le nez en sang ? Ramène-toi par ici immédiatement."

Harry eut un petit rire. Il se sentait un peu étourdi et vacilla légèrement quand il se mit debout après avoir posé la tête de Wendy sur l'oreiller avec précaution.

Hermione mit les mains sur ses hanches et tiqua avec désapprobation.

A ce moment-là, Skyler apparut nonchalamment à l'entrée du chapiteau.

- Charlie Weasley en a terminé avec le corps du dragon, annonça-t-il à Harry après avoir jeté un coup d'œil du côté de Ron et décidé d'un air sombre que ça ne servait à rien d'essayer d'attirer son attention. "Les… les dépouilles de ceux qui sont tombés ont aussi été rassemblées."

Terrence frémit.

Les yeux vides du cadavre dansèrent un instant devant ses yeux. Ils se dissipèrent cependant très vite quand Harry lui posa la main sur l'épaule, tout en s'adressant à l'Auror.

- Très bien. Merci, Skyler. Puisque l'appel est terminé, je veux que chacun se repose, maintenant. On se retrouve à onze heures au QG pour préparer l'affrontement de ce soir.

L'homme répondit d'un geste du menton rapide et disparut.

Lizzie renifla et tapota le dossier d'une chaise près de l'étagère d'un doigt impérieux.

- Assis, Potter. Comment t'es-tu débrouillé pour être encore le dernier à te faire soigner ?

Hermione remonta délicatement la jambe de Terrence sur le lit et l'aida à s'allonger en surélevant son genou sur un coussin. Elle lui fit boire une potion onctueuse qui avait un goût de vase et borda une couverture sur lui, avant d'en déplier une autre dont elle se servit pour couvrir Wendy. Elle s'attarda un instant, écartant tendrement une mèche de cheveux châtains du visage de la jeune fille, puis rassembla sur le chariot les onguents et les compresses, la tasse vide et ce qui restait de dictame et de pansements moldus avec un soupir.

Terrence était déjà endormi quand elle disparut de son champ de vision. La dernière chose qu'il avait entendue était la voix grave d'Harry qui protestait qu'il ne voulait pas qu'on lui enfonce de coton ni d'algues dans les narines.

 

oOoOoOo

 

Charlie regardait brûler le corps de la bête dans les hautes flammes bleues, insensible au grésillement de la graisse et au bruit des écailles qui éclataient à la chaleur. Les bras croisés, il contemplait la nuit précédente plus que le bûcher magique.

Nul doute qu'il n'y avait pas d'autre solution. Là où les Aurors avaient échoué pendant des jours et des jours, le dragon avait réussi en quelques heures seulement.

L'arrivée de Crocmou au-dessus du champ de bataille avait semé la confusion au premier abord. Les MacFusty, abasourdis, l'avaient vu s'attaquer au premier des monstres comme au ralenti. Le petit dragon de fourrure, crachant un jet de feu furieux, s'était agrippé au cou d'une des créatures, mordant et griffant comme un chat en colère accroché à la gorge d'un lion.

Ce n'était pas l'Anghenfil et Charlie sentit la transpiration coller sa chemise dans son dos quand le vent froid se leva sur la plaine.

Heureusement.

Le dragon ennemi s'était défendu férocement, cloué au sol par sa lourde armure de métal, il avait rugi, déployé ses ailes, jeté de violents coups de serres et de queue pour se débarrasser de son adversaire qui tournoyait avec agilité autour de lui, ses yeux verts brillants comme des comètes dans la nuit en flammes.

Au moment où le monstre, le sang gouttant de multiples blessures, s'était finalement élevé dans le ciel enfumé, Charlie avait cru qu'Albus allait s'enfuir. Le dragon de fourrure était à bout de forces et ses ailes avaient beau battre désespérément, elles avaient du mal à le tenir à distance de la gueule effroyable de son adversaire.

Mais Crocmou avait tout donné dans un dernier effort et le Noir des Hébrides s'était abattu lourdement sur le sol en bramant de façon désespérée.

Charlie ferma les yeux un instant, troublé.

Les  deux autres dragons n'étaient pas intervenus malgré leurs barrissements déchirants et le favori de Bercelak MacFusty s'était contenté d'observer le combat depuis la crête, perché comme un cygne cauchemardesque.

Ils ont mal.

Ils ne sont pas libres, pas plus que les hommes fous qui se jettent sur nous comme s'ils croyaient à cet empire chimérique.

Il y a quelque chose de faux. De mal emboité. De terriblement malsain.

Il rouvrit les yeux et regarda les braises creuser les os de la carcasse. Pendant un instant, le squelette garda la même position que le dragon endormi à jamais, les ailes recourbées et le cou ployé avec tranquillité, puis une étincelle claqua et il n'y eut plus que de la fumée et un tourbillon de cendres.

Charlie avait la nausée en pensant à ce que devait ressentir Albus.

Il avait dû entendre les pleurs du dragon bien avant que celui-ci ne meure.

Et sûrement les comprendre.

Mais malgré tout, il l'avait achevé.

 

oOoOoOo

 

Quand il sortit de la réunion avec les Aurors, Harry n'avait qu'une envie : retourner à l'infirmerie et se laisser tomber sur le lit en face de celui de son fils, pour se rendormir en contemplant Albus sain et sauf. La sieste de la matinée (cent quatre-vingt-quinze malheureuses minutes) avait été tout sauf suffisante.

Mais il y avait toujours quelqu'un pour lui poser une question, suggérer une action qu'il approuvait en définitive, comme aller repérer les lieux, superviser un entraînement – ou savoir quoi faire au sujet des provisions.

- Okay, tu peux y aller, mais sois de retour avant le thé, répondit-il à Hermione qui portait de nouveau son gilet en crochet rose.

Elle avait réussi à se laver les cheveux et ses longues mèches châtaines virevoltaient dans le vent venu de la mer.

Elle hocha la tête et attrapa les rênes du poney de la veille.

- Essaie de braquer autre chose que le Fish & Chips, cette fois, lui lança l'aîné des frères Scott. "On va finir par prendre du poids !"

Hermione lui balança un regard ironique, les paupières mi-closes.

- Oh non, j'avais une autre idée, répliqua-t-elle. "Je pensais m'arrêter au pub et leur demander de me préparer une marmite de panse de brebis farcie."

Des protestations s'élevèrent autour d'eux et quelqu'un coinça le jeune homme sous son aisselle pour lui shampouiner la tête aux phalanges.

- Her-mignonne, fais pas ça, je t'en supplie ! Je préfèrerai encore manger quelque chose cuisiné par Skyler, plaida Aretho.

Le surnom rappela à Harry des jours lointains et il jeta un coup d'œil pensif en direction de l'infirmerie que Ron n'avait pas quitté depuis l'aube.

Wendy était assise devant le réfectoire avec Darren qui venait lui de fabriquer un gourdin semblable au sien, métamorphosant sa baguette comme Hagrid l'avait fait avec son parapluie quand il n'était pas autorisé à se servir de magie. Elle se leva brusquement quand Hermione enfourcha le poney et mit ses mains dans son dos en s'approchant, les joues un peu roses.

- Tu veux aller avec elle ? demanda Harry qui l'avait observée.

Le visage de Wendy s'éclaira.

- Oui, s'il vous plaît, répondit-elle timidement.

Hermione la détailla de haut en bas d'un air soupçonneux.

- Tu es sûre que ça ira ? Tu t'es assez reposée ?

L'adolescente hocha vivement le menton.

Hermione finit par sourire et lui tendit la main pour la hisser en selle derrière elle.

- Okay, alors.

Harry regarda le poney s'éloigner et soupira profondément, puis il se dirigea fermement vers l'infirmerie, sachant qu'il ne dormirait probablement plus de la journée.

Il se glissa sous le pan de toile et croisa le regard de Lizzie.

- Terrence ? chuchota-t-il pour ne pas déranger le repos des blessés.

Elle indiqua le fond du chapiteau d'un geste de la tête. Harry se mordilla les lèvres. Il traversa le dortoir et s'approcha doucement du lit où dormait toujours Albus.

Il ne s'était pas éveillé de la journée, mais il semblait paisible et c'était suffisant pour rassurer son père.

Terrence était assis sur le lit d'à côté, ses béquilles appuyées contre le matelas, l'air très sombre. Harry le fit lever silencieusement.

- Viens, murmura-t-il. "J'ai du travail pour toi."

Il le soutint jusqu'au lit de Scorpius et l'aida à s'installer dans la chaise qu'il avait transformée en fauteuil avec une rampe pour que la jambe du garçon soit positionnée confortablement.

- Je veux que tu gardes un œil sur lui pendant un moment, chuchota Harry, doucement mais fermement.

Terrence acquiesça sans détacher les yeux de Scorpius qui respirait difficilement, la fièvre en grosses gouttes sur son visage grimaçant de douleur. Il naviguait entre sommeil et conscience et gémissait souvent, involontairement, comme un enfant en plein cauchemar.

Ron n'osait pas tendre le bras et tapoter son épaule valide pour l'apaiser. Scorpius ressemblait tellement à son père, c'était comme de voir Malefoy étendu là, haletant de souffrance... Il avait ouvert les paupières, à un moment. Ses pupilles vitreuses avaient eu du mal à se focaliser sur quelque chose de précis au début, puis il avait regardé Ron, clairement.

- Pourquoi est-ce que tu m'as sauvé ? avait marmonné l'Auror, tellement déstabilisé qu'il avait du mal à articuler.

Un drôle de sourire avait pincé les lèvres pâles de l'adolescent – la ressemblance avec Drago s'était encore accentuée, insupportable – et il avait grogné de douleur.

- Parce qu'on est du même côté, pardi.

Il n'avait pas dit : "parce que je te devais ça, Weasley", ou "tu croyais que j'allais te laisser crever comme tu voulais le faire pour moi ?" ou n'importe laquelle des remarques acerbes auxquelles Ron s'était attendu.

Il n'y avait pas d'amertume dans ses yeux gris. Pas de passé qui le rongeait ou d'arrière-pensées controversées. Juste l'ironie typiquement Malefoy et une innocence qui rappelait à Ron celle de Hugo.

L'homme continuait de mâchouiller ses poings noués devant son visage, sans se rendre compte que les heures passaient.

Il tressaillit quand Harry lui posa la main sur l'épaule.

- Viens avec moi, ordonna son meilleur ami à mi-voix.

Ron voulut protester qu'on ne devait pas laisser le blessé sans surveillance, mais il croisa le regard de Terrence de l'autre côté du lit, ainsi que celui de Lizzie qui était intraitable.

Il se laissa entraîner.

Il faisait grand jour, dehors. La bruine s'était arrêtée. Il était peut-être trois heures de l'après-midi, voire plus tard. Il cligna des yeux, engourdi. Ses épaules se réveillaient douloureusement et des fourmis mordaient ses jambes restées trop longtemps dans la même position.

- Viens, répéta Harry, et il le suivit docilement jusqu'à la crête en face de la mer.

Ils s'assirent dans les hautes herbes, à quelques pas d'un endroit où la terre brûlée était couverte de cendres.

Les vagues léchaient le rivage et le bruit régulier du ressac avait un effet calmant sur eux. Dans un rayon de soleil timide, les mouettes piaillaient en se disputant des reliefs de poisson.

Ron respira profondément.

- Ce sont des sacrés gamins, dit-il au bout d'un moment.

Harry se contenta d'hocher la tête. Il avait arraché une touffe d'herbe et la triturait pensivement.

- Ce n'est pas Malefoy, hein.

- Non.

Le grand rouquin se mordit les lèvres, sentant l'émotion lui nouer la gorge.

- On va les ramener – tous. Sains et saufs, marmonna-t-il, la voix un peu rauque.

- Oui.

Il renversa la tête en arrière, savoura l'odeur du sel qui piquait un peu les égratignures sur ses pommettes et son front.

- Ils ne te rappellent personne, Ron ? demanda Harry, ses yeux verts fixés sur la mer.

Ses cheveux noirs en désordre balayaient ses lunettes rondes.

Son meilleur ami lâcha une sorte d'éternuement amusé.

- Un certain trio qui ne pouvait pas s'empêcher de se jeter dans la gueule du loup ? proposa-t-il.

Harry sourit.

- Oui, aussi, je suppose. Je pensais à un quatuor de maraudeurs prêts à risquer leurs vies pour un ami…

Il y eut un silence, dans lequel il y avait beaucoup de souvenirs.

- Tu as raison, dit finalement Ron, qui regardait toujours la mer, bleue et paisible. "Mais ça ne se terminera pas de la même façon."

Sa main pressa l'épaule d'Harry, un instant.

- Albus n'est pas Rémus. Le ministère finira par l'accepter. Et il n'y a pas de Queudver parmi eux. Juste une Lily intrépide et trois gars qui la méritent.

Harry ne répondit pas tout de suite.

L'écume bullait légèrement sur les vagues en contrebas, pétillant comme de la mousse quand l'eau se brisait contre les rochers. Le vent chargé d'iode gonflait les manches des deux hommes. Le soleil caressait leurs corps meurtris par la bataille de la veille, délassant les tensions.

Ils étaient très jeunes et si vieux déjà.

Toujours les mêmes, pourtant.

Ron bâilla sans pouvoir s'en empêcher. Il frotta son menton anguleux, faisant crisser sa barbe rousse, massa machinalement les larges cernes sous ses yeux.

- C'est bon que tu sois là, Ron, murmura Harry en regardant devant lui, ses doigts jouant toujours machinalement avec le brin d'herbe.

Ron hésita, puis un rire étouffé creusa sa cage thoracique.

- Merci.

 

 

A SUIVRE...

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