Clair comme Nuit

Chapitre 21 : Jusqu'à l'aube

4534 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 04/12/2015 09:22

 

JUSQU'A L'AUBE

 

 

Ron claqua chaleureusement l'épaule d'Harry quand celui-ci eut fini de parler.

- Et le colonel Potter a oublié de vous dire qu'il déjà affronté – et vaincu ! – des tas de dragons dans sa vie : un Norbert à crête, un Magyar à pointes, le garde-chiourme de Gringotts et sa belle-mère !

Une tempête de rires secoua les rangs.

- Autant dire que ce soir sera une promenade de santé, pour lui !

- Lieutenant ! Qu'est-ce qu'un "Norbert" ? Jamais entendu parler ! lança une voix gouailleuse.

- Estime-toi chanceux d'être trop vieux pour avoir eu Hagrid en professeur à Poudlard ! riposta Ron avec bonne humeur.

Hermione articulait les mots "norvégien-quand-vas-tu-cesser-de-faire-l'idiot" en face de lui, les sourcils froncés, mais il y a avait une étincelle amusée dans ses yeux bruns.

- Vous savez tous ce que vous avez à faire, alors on ne va pas blablater des heures, conclut Ron, posant son regard grave sur chaque visage. "A vos postes, baguettes prêtes. On se retrouve à l'aube !"

- A l'aube ! hurlèrent les Aurors dans une clameur déterminée, avant de se disperser, vifs et efficaces.

Hermione s'approcha d'Harry qui lançait un dernier coup d'œil en direction de la montagne encore claire dans l'obscurité grandissante.

- Ne t'inquiète pas, murmura-t-elle en lui posant la main sur le bras. "Ils sont en sécurité, là-bas."

Elle n'ajouta pas qu'elle l'enviait parce qu'il avait pu serrer son fils dans ses bras alors qu'elle ne savait pas si elle reverrait un jour ses propres enfants, parce qu'elle partageait sa peur : et si cette nuit, tout se terminait ? Si les MacFusty se levaient vainqueurs au matin… qu'adviendrait-il d'Albus ?

- Ils ne doivent pas savoir, dit Harry, les dents serrées. "Jamais. Et ils ne gagneront pas non plus."

Hermione acquiesça vivement. Elle se retourna, appuya son dos contre celui d'Harry et ils levèrent leurs baguettes vers la voûte céleste sur laquelle la nuit se répandait comme un flacon d'encre renversé dans l'eau.

Protego maxima.

Fianto Duri.

Repello Inimicum.

Hermione sentit ses yeux se remplir de larmes, comme chaque soir depuis le début de la semaine en répétant les incantations qui avaient protégé la petite tente pendant presque un an, puis que les professeurs avaient lancées dans le ciel au-dessus de Poudlard, pour sauver les élèves.

Protego maxima.

Fianto Duri.

Repello Inimicum.

L'indicible mélancolie qui étreignait Harry alors qu'il prononçait les mots familiers fit place à la même rage qui l'animait à dix-sept ans.

Ils allaient vivre. Ils allaient voir la fin de ce cauchemar et rebâtir le monde, et plus jamais des enfants n'auraient à combattre.

La première étoile s'alluma dans le ciel sombre et tout à coup les collines s'embrasèrent.

 

oOoOoOo

 

Il était à la maison, roulé en boule sous la couette moelleuse dans son lit en forme de barque. Il faisait chaud. Ce devait être l'été, parce qu'il entendait le ruissellement des jets d'eau et des cris qui devaient être ceux de James en train de se poursuivre Lily. Il faisait si chaud et…

Le lit balançait.

"Albus. ALBUS !"

La voix impérieuse le tira de son sommeil.

Il faisait noir.

Mais toujours incroyablement chaud.

"Albus, ouvre-les yeux !"

Il obéit – c'était plus difficile à faire qu'à dire cependant.

Et soudain ses yeux s'ajustèrent sur le paysage dévoré par les flammes, dans la nuit. De partout des sortilèges fusaient, verts et bleus, et le vacarme était terrible. La fumée lui piquait les narines et il piqua vers le ciel pour lui échapper.

"Reviens."

Son cœur battait tellement fort que ses ailes avaient du mal à s'appuyer sur les courants pour l'éloigner du tumulte infernal.

"Reviens, Al. Ils ont besoin de toi."

Il voulut résister, mais son corps refusa de se laisser contrôler. Un peu de brume lui mouilla le museau et il se retrouva en train de planer en cercles loin au-dessus de la bataille.

"Qu'est-ce que je fais là ? Ce n'est pas ce que papa…"

"C'est ta place, Albus. Regarde. Ils mourront si tu ne les aides pas. Tu dois intervenir, petit frère. Tu dois être fort. Tu dois attaquer l'Anghenfil si tu veux que cette guerre cesse."

Quelque chose s'étrangla au fond de la gorge d'Albus. La queue du dragon battit furieusement l'air, comme pour éparpiller les étoiles.

"Je ne peux pas. Je ne suis pas… je suis seulement…"

"Un enfant ? Oui, tu l'es, petit frère. Mais c'est ta destinée. Va, tu peux les sauver tous."

Des râles montaient dans la nuit, les flammes crépitaient sur la mer et quelque chose d'énorme, de noir et de puissant déployait ses ailes au-dessus de la crête. Un long cou en armure surmonté de cornes d'acier et deux yeux ovales animés de furie.

"Tu dois l'attaquer, Albus. Tu dois le tuer pour mettre fin à son emprise sur les hommes et les siens."

"NON ! Toi, tu peux. Tu es un dragon ! Ne m'oblige pas à faire ça ! Je… je ne voulais pas être toi, je ne voulais pas devenir… ça."

Il avait froid, maintenant.

Il se sentait trahi, sali, abandonné.

Sa mère avait supplié l'escorte venue les chercher à Poudlard pour les emmener au train : "ce n'est qu'un enfant, vous n'avez pas le droit. Albus, dis-leur que tu ne veux pas y aller, montre-leur que tu ne peux pas te transformer."

Mais il l'avait fait, parce que son père avait incliné tristement la tête, comme si se cacher n'aurait servi à rien, et sa mère avait pâli. Elle s'était mise à pleurer sur l'épaule de Neville qui ne disait mot, l'air consterné.

Et maintenant Albus aurait tellement souhaité être blotti dans les bras de sa mère, comme avant, quand on ne lui demandait pas d'être un homme.

"Je n'ai pas choisi !"

"Si. Tu l'as fait. Quand nos cœurs sont devenus un seul ce jour-là, tu l'as fait, Albus. C'est toi qui m'as réveillé dans la galerie et c'est toi qui m'avais appelé dans le bosquet d'arbres enneigé. C'est ta volonté."

"Pourquoi ? Pourquoi je voudrais ça ? Je n'ai jamais voulu être différent !"

"Mais tu voulais être fort. Tu voulais protéger ceux que tu aimais. Tu étais prêt à tout donner pour eux. Depuis le début. Et jusqu'à la fin."

Des étincelles montaient vers les étoiles et les échos des combats semblaient lointains, presque étouffés. Le dragon tournoya, comme pour mieux observer.

"Depuis le début.

Et jusqu'à la fin."

La brise nocturne ébouriffait sa fourrure noire soyeuse.

Un petit garçon courait dans la neige, trempé et grelottant, pour rejoindre le bosquet d'arbres où il avait abandonné son doudou.

Un homme sous une grande cape noire entrait en trombe dans une chambre d'enfant et levait sa baguette, terrifiant.

Une main agitait une paire de lunettes rondes au-dessus de son berceau et il entendait un rire plein de tendresse et d'émotion, une voix qui le remplissait de confiance et d'un bonheur presque impossible à contenir.

Albus ne luttait plus. La paix qui l'envahissait était comme une caresse.

Il sourit et les yeux d'émeraude fendu d'or se fermèrent avec reconnaissance.

"Je me souviens de ton nom, maintenant."

"Je t'attendais."

Il déploya ses ailes et plongea vers le champ de bataille.

 

oOoOoOo

 

Terrence dévalait la pente, sa baguette à la main, ses lunettes tressautant sur son nez. Wendy était un peu en avant, à droite et les flammes sur la montagne jetaient des reflets rouges dans ses longs cheveux châtains noués en queue de cheval. Scopius courait derrière eux, à gauche, un bras protégeant son front transpirant.

Ils ne savaient pas lequel des trois s'était jeté en premier à la poursuite du dragon.

Colchide les suivait de près, sa haute et massive silhouette sautant de rocher en rocher avec souplesse, gagnant du terrain. Lizzie était restée à la grotte avec Teddy et avait fini par se taire après avoir appelé vainement, horrifiée.

Les adolescents atteignirent la plaine avant d'être rattrapés et la bataille se dressa soudain devant eux. Le sol crevassé s'était soulevé, les arbres en feu crépitaient et le tumulte des voix remplissaient leurs oreilles comme le fracas d'une cascade.

Ils n'eurent pas le temps de réfléchir s'il fallait se courber, se cacher ou au contraire courir audacieusement au milieu du champ. Les éclats de voix, la chaleur des flammes, le bruit crissant des sortilèges qui explosaient de tout côté, la fumée étouffante, l'adrénaline qui fusait dans leurs veines en les étourdissant, tout était flou et grisant.

Il y avait des hommes vêtus de casques horribles, brillants à la lueur de l'incendie et ils étaient presque en corps à corps avec les aurors dont les visages inondés de sueur luisaient.

Mais pas de dragon. Nulle part.

Un éclair bleu frôla la tempe de Terrence, et claqua comme pour l'éveiller de ce cauchemar haletant. Il plongea et s'écorcha les mains et les coudes, mais ne lâcha pas sa baguette.

Expelliarmus. Expelliarmus. Expelliarmus.

Tout ira bien tant que je maitriserais ce sort.

Quelque chose fit trembler la terre et Terrence recula contre le granit froid, sentant sa tunique en peau racler contre les aspérités.

Il se pencha pour jeter un coup d'œil au-delà du rocher et Wendy se cogna contre lui en roulant soudain dans le creux boueux.

- C'était quoi ce sort qui réduit tout en morceaux ? haleta-t-elle. Elle avait de l'herbe dans les cheveux et des traces noirâtres sur les joues. "J'aurais dû mieux écouter en cours. Il faut que je fasse exploser ce truc si je veux passer… t'as vu Al ?

Ils scrutèrent le ciel noir, complètement vide au-dessus des flammes.

- Et Scorpius ?

- Je l'ai perdu en route, réussit à bafouiller Terrence. "Euh… reducto. Le sortilège. Reducto, c'est ce que tu cherches."

- Merci, souffla Wendy, et elle se faufila hors de la protection du rocher, courant la tête penchée.

Terrence entendit exploser quelque chose en ferraille et supposa qu'elle parlait des carcasses de bateaux.

Il chercha Scorpius des yeux mais ne le vit pas. En revanche il aperçut le corps d'un auror qui tournoyait sur lui-même avant de s'écraser comme un pantin désarticulé. Un autre sortilège déflagra contre le bord du rocher, envoyant de petites étincelles sur lui. Il sentit à peine les brûlures, occupé à trouver un moyen de reprendre la progression en direction de la mer.

Pourquoi t'es parti comme ça, Al ? Qu'est-ce que tu as senti ? Est-ce qu'ils t'ont appelé ? Ils te contrôlent ? Et t'es où, maintenant, purée ?

Un rugissement déferla sur la bataille, si fort qu'il eut l'impression que ses tympans allaient se percer. Une sueur glacée coula entre ses omoplates, jusqu'au bas de son dos.

Qu'est-ce que c'était ? Merlin, c'était quoi, ça ?

Une ombre couvrit le rocher et il se recroquevilla, levant les yeux malgré lui entre ses bras croisés en protection.

Une énorme gueule passa au-dessus de lui, promenant son haleine fétide sur le camp. Il voyait les crocs gigantesques, presque aussi grands que lui, mais ce n'était pas le plus effrayant. La bête en marchant faisait trembler le sol. Elle redressa la tête et son long cou caparaçonné de métal ondula. Ses yeux ovales n'avaient pas de pupilles, comme s'ils étaient uniquement remplis d'un liquide rouge brûlant. Ils sondaient les alentours, insensibles aux sortilèges qui ricochaient sur les écailles noires.

Terrence sentit ses jambes se liquéfier.

Le dragon.

Le dragon de mon enfance, du livre, de l'épouvantard, de mon cauchemar…

L'Anghenfil.

Il mit les mains sur sa bouche pour s'empêcher de crier et sentit qu'il avait arrêté de respirer.

La bête huma l'air, puis se déplaça vers la gauche. De petits cailloux dansèrent près du pied de Terrence. Des points noirs dansaient devant ses yeux et le fracas de la bataille s'estompait.

- Terrence ! aboya une voix toute proche, tandis qu'on agrippait son épaule. "Dégage d'ici, grouille !"

Il se laissa entrainer, titubant. Le dragon, de dos, devenait de plus en plus flou…

- SWANSON ! Aguamenti !

Une masse d'eau glacée se jeta sur son visage et il reprit ses esprits. Il était à l'abri sous un pan de tente déchiré accroché à un pilier auquel pendaient des anguilles rayées. Scorpius était en face de lui, l'air furieux. Une entaille saignait sur son arcade sourcilière et il avait la lèvre éclatée.

- Réveille-toi, crétin ! fulminait-il. "Wendy est presque à l'intérieur. Va l'aider !"

Terrence cligna des yeux, ses cheveux dégoulinants déjà presque secs à la fournaise de la bataille.

- A l'intérieur de quoi ? bredouilla-t-il.

- Le camp, imbécile ! Allez, dépêche ! T'es quoi, un génie ou une huitre ? Allez, GROUILLE !

Scorpius le fit pivoter dans la bonne direction et le poussa férocement en avant, puis il se jeta à nouveau dans la mêlée comme si c'était naturel pour lui de lancer des sortilèges de combat sans ralentir pour respirer.

Peut-être qu'il a pris des cours de duel…

Peut-être que je devrais en prendre aussi…

Le cerveau de Terrence pataugeait dans la même boue que ses pieds tandis qu'il avançait péniblement en direction de la bulle géante et transparente qu'il apercevait derrière le dénivelé.

Il s'arrêta derrière un yacht retourné et enfoncé dans le sol et scruta de nouveau le ciel. Ses yeux piquaient, irrités par la fumée. Il avait du mal à les ouvrir et l'impression que s'il les frottait, ses paupières allaient se déchirer.

- Terrence ! hurla quelqu'un et il sursauta, juste à temps pour éviter le sortilège qui s'écrasa sur le yacht. Sans réfléchir, il bondit de côté, jetant l'expelliarmus spontané sans regarder derrière lui. Il y eut un craquement lourd et une exclamation de douleur, puis quelqu'un l'attrapa par les épaules.

- Bien joué !

C'était le père d'Albus et Terrence se sentit envahi d'une bouffée de joie enivrante quand il croisa le regard fier de l'homme, comme s'il s'était agi de son propre père en train de le féliciter.

Pendant un instant seulement, puis le regard vert derrière les lunettes devint dur, un mélange de frayeur et de reproche.

- Qu'est-ce que tu fais là ? Pourquoi tu n'es pas avec les autres ?

Ils s'accroupirent en même temps pour éviter deux sortilèges qui filèrent au-dessus de leurs têtes.

- Al est d-devenu un d-dragon et i-il s-s'est envolé, bégaya Terrence avec l'horrible impression que c'était de sa faute et qu'il aurait dû davantage veiller sur son meilleur ami.

Harry leva la tête instinctivement, scrutant la nuit remplie de fumée.

- Je ne vois pas, haleta-t-il.

- On va le trouver, assura Terrence dont le cœur s'était un peu raffermi. "Promis."

Harry hésita, puis il acquiesça silencieusement.

- Okay.

La confiance dans son ton était telle que Terrence se demanda s'il était devenu un homme, là, maintenant, sur ce champ de bataille.

Harry se redressa, agitant sa baguette et sans qu'il ait besoin de parler, des éclairs vrillèrent les alentours. Il s'élança vers la gauche, disparut dans le rideau de flammes et d'ombres. Quatre ou cinq hommes avec des masques grimaçants le suivirent immédiatement, sautant par-dessus les débris de bateaux et de branches incandescentes.

Terrence regarda attentivement autour de lui avant de se précipiter vers la motte de terre qui le séparait de la bulle magique qui protégeait le camp. Il trébucha sur un corps, entrevit deux yeux ouverts et fixes qui lui firent dresser les cheveux sur la tête. Il s'efforça de les oublier, les mains crispées sur sa baguette, cherchant de tous côtés.

Oh pourvu que Wendy…

Oh, Scorpius…

Et les autres…

Il hoqueta, sentant de la bile se rassembler dans sa bouche à l'idée que peut-être…

- Terrence ! Par ici !

Wendy lui faisait signe. Il la rejoignit, se laissa tomber à plat-ventre à côté d'elle sous le rocher couvert de mousse où elle s'était cachée.

- Il me faut un balai ! souffla-t-elle en pointant du doigt les tentes intactes à l'intérieur de la protection magique.

T'es vivante…

Il respira profondément, essayant de calmer sa cage thoracique qui cognait contre le sol comme si son cœur essayait de s'en échapper.

- Il faut que je vole, tu comprends, Terri ? supplia farouchement la jeune fille. "Je n'arrive pas à me battre par-terre, je suis trop nulle et trop maladroite. S'te plaît… aide-moi…"

Terrence avait réussi à reprendre le contrôle. Il enleva ses lunettes et les essuya sur un coin encore propre de sa manche. Elles étaient maculées de souffre et de gouttes de boue.

Il pointa sa baguette en direction de la bulle magique.

- Accio balai.

- J'ai déjà essayé, grimaça Wendy.

Il s'aperçut qu'elle ne tenait pas sa baguette, mais un grand bout de planche, avec un clou au bout.

- Qu'est-ce que t'as fait de ta ba…

- Dans ma poche, interrompit la jeune fille. "Je préfère une bonne batte. Tu crois que la barrière les empêche de sortir ?"

Ses yeux gris étincelaient à la lueur des flammes qui jetaient des ombres sur son visage, sculptant ses traits délicats comme ceux d'une femme.

- Terrence, il faut qu'on l'aide. Il n'était pas dans son état normal. Tu crois qu'ils le contrôlent ? Charlie a dit que les autres dragons obéissaient à l'aphalune…

- L'Anghenfil, corrigea machinalement Terrence. Il tâtonna dans l'obscurité, trouva la main de Wendy et la serra. "Ne t'inquiète pas. Al est plus fort que ça."

Le dire à haute voix l'aida à s'en persuader aussi.

Il est à moitié humain. Il ne devrait pas…

Pourquoi son oreille saignait-elle ? Est-ce que…

Un feulement courroucé interrompit le cours de ses pensées, hérissant un frisson sur sa nuque.

- C'est lui ! gloussa Wendy comme si elle délirait.

Et soudain il le vit.

Surgissant dans le maelström de fumée, de flammes, de sortilèges qui éclataient en couleurs vives, plongeant dans le tumulte des cris de douleur et des hurlements menaçants, ses ailes droites et la gueule entrouverte, ses yeux verts fendus d'or écarquillés comme pour mieux se concentrer.

Le dragon de fourrure rasa le sol, crachant un feu-follet de glace bleue qui explosa sur le flanc d'un navire, puis piqua vers le ciel avant de vriller et de revenir à pleine vitesse vers les combattants.

La stupeur qui avait saisi tout le monde sans exception se dissipa et une gerbe de sortilèges fusa dans la direction du dragon. Il l'évita sans peine, tournoya avec grâce, revint en feulant de colère.

Sa queue en forme d'as de pique ondoyait derrière lui, renversant les débris de rochers et ses ailes se gonflaient. Il était dangereusement près du sol puis l'instant d'après comme une comète à travers le ciel de nuit, s'évaporant dans la fumée comme une menace invisible.

- Ils sont perturbés, dit Wendy avec excitation. "Regarde, c'est le bazar ! Les Aurors reprennent du terrain !"

Terrence se demandait quel terrain, puisque les partisans des MacFusty ne semblaient pas intéressés par la bulle qui protégeait le camp.

Des bribes qu'ils avaient entendues, les Aurors cherchaient uniquement à mettre la main sur le chef des rebelles. Ils ne faisaient pas de prisonniers.

- Où sont les dragons ? demanda soudain Wendy d'un ton inquiet. "Al est en train de leur mettre la pâtée, mais…"

Et comme en réponse, la tête cornue du dragon caparaçonné d'acier réapparut sur la crête, suivie par une autre silhouette à peine moins monstrueuse.

Wendy se redressa si brutalement que sa tête heurta le rebord de pierre de leur refuge.

- AL ! Aïe !

Elle plissa des yeux en frottant l'emplacement douloureux, au bord des larmes.

- Tu t'es carrément assommée, soupira Terrence qui se trouvait odieux d'avoir presque trouvé ça comique. "Ça va ?"

- ça va, grogna Wendy.

Et elle s'extirpa de sous la roche pour courir de nouveau dans la direction de la bataille, sa batte de fortune voltigeant au-dessus de sa tête, criant de toute la force de ses poumons.

- DEGAGEZ BANDE DE BRUTES !

On aurait dit qu'elle prenait d'assaut les vestiaires de l'équipe adverse après un match de Quidditch contre Serdaigle. Wendy était une notoire mauvaise perdante.

Terrence s'élança derrière elle et réussit à la ceinturer et à rouler sur le sol avec elle avant qu'un triple sortilège ne l'atteigne en pleine poitrine. Le clou de la planche lui lacéra la joue et son genou heurta quelque chose de plein fouet, faisant clignoter des lumières sous son crâne tellement la douleur était vive.

Il eut le temps d'apercevoir encore les ombres aux masques brillants qui se rapprochaient de lui, des ailes noires immenses qui se déployaient dans la fournaise, puis il perdit conscience.

 

oOoOoOo

 

Quand il rouvrit péniblement les yeux, il était toujours étendu sur la terre boueuse du champ d'herbe rase. Il se sentait glacé jusqu'aux os, à tel point que la douleur dans son genou semblait lointaine, engourdie.

Le ciel, au-dessus de lui, était blanchâtre et les dernières étoiles s'y éteignaient.

C'était l'aube.

Il poussa sur ses coudes pour se redresser, secoua un peu la tête pour éclaircir ses pensées confuses. Tout était silencieux, à part le chuintement des braises qui se dissolvaient sous la fine bruine et le cri plaintif d'une mouette qui traversait l'air.

Il était seul.

Ah. Non, quelqu'un venait dans sa direction.

Un homme avec une longue cape foncée, qui portait quelque chose dans ses bras.

Un adolescent dont les bras et les jambes pendaient mollement dans le vide, comme s'il n'était pas conscient.

Ou mort.

 

A SUIVRE...

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