Les Souffleurs de Lumière

Chapitre 2 : Astérolines

5179 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 09/11/2016 21:31

 

ASTEROLINES

 

 

Le moins que l’on pouvait dire à leur sujet, c’était qu’ils n’étaient pas banals.

Les membres de la Base d’Inlandsis étaient tous très différents et parfois leurs caractères s’affrontaient, mais ils étaient complémentaires et le savaient.

Ils étaient tous rassemblés autour de la longue table, dans la pièce commune de la tour : une grande salle tapissée de velours vert et de boiseries ouvragées, dans laquelle pendaient deux lustres dorés chargés de pendants en verre. Les stores avaient été tirés sur les larges fenêtres ovales qui ressemblaient à d'immenses hublots et offraient une vue incomparable sur la vallée.

Celui qui les avait appelés était le responsable de l’hivernage. Il s’appelait Gunter Von Wartbach et personne ne connaissait son âge exact : peut-être une cinquantaine d’années, peut-être vingt ans de moins ou cent de plus. Les cheveux gris ébouriffés, les sourcils broussailleux, des yeux en amandes qui pétillaient derrière ses lunettes rondes à monture d'écaille, le teint buriné, les pommettes hautes et une bouche qui souriait constamment, il s'exprimait toujours d'une voix douce et agréable. Maigre et pas très grand, il se tenait souvent avec les mains jointes sur sa robe de sorcier miteuse et les épaules un peu remontées, comme un écureuil sur le point de confier un secret. Il était très gentil mais réussissait sans peine à se faire obéir – sans doute parce qu’il savait mieux que personne distribuer les tâches et mettre en valeur les atouts de chacun. Il était venu en Antarctique trente-cinq ans auparavant et n’en était jamais reparti. C'était un anthropologue, mais son titre faisait beaucoup rire l'équipe, étant donné qu'il étudiait plutôt les fantômes des glaces et les vestiges de la civilisation australe.

A côté de lui s’était installé l’elfe de maison grincheux, vêtu comme à l'ordinaire d'un tartan aux bretelles croisées sur son torse concave. Poivre n’appartenait à personne mais il était dévoué corps et âme à Gunter. Il disait souvent qu’il avait été libéré "de force" trente-deux ans auparavant. De ce que Terrence avait pu déduire des marmonnements agacés du petit être, Poivre avait travaillé pour Poudlard et avait un jour malencontreusement ramassé un bonnet tricoté par une élève dérangée. L'elfe gardait une rancune tenace contre la jeune fille bien intentionnée qui l'avait "jeté à la rue dans la honte et la misère". Il avait refusé l'offre du directeur de continuer à servir au château tout en étant payé et s'en était allé sur les routes… jusqu'à Pré-au-lard où il avait fait connaissance avec Von Wartbach lors d'une tempête de neige où ils s'étaient tous les deux retrouvés coincés à la Tête de Sanglier. On ne savait pas trop ce qui s'était passé, mais depuis Poivre s'était attaché à suivre le scientifique partout. Gunter lui versait un gallion par semaine – directement sur son compte à la banque Gringotts – et Poivre devait certainement être richissime, étant donné qu'il avait bien trop peur des gobelins pour aller retirer son argent. Il se montrait charmant – ou du moins, à peu près aimable – avec Wendy et Scorpius, mais râlait constamment après Terrence qu'il trouvait trop bruyant, trop excité, trop négligent. Et, chose inexplicable, il était peut-être la seule créature magique au monde à n'avoir aucune espèce d'affection pour Albus.

A gauche de Poivre s'était assise la personne avec laquelle l'elfe s'entendait le mieux : Euphrosine Howler. La magicologiste – ou magicienne, comme elle préférait se présenter – était une vieille femme courbée et voûtée, aux os craquants et aux articulations rouillées. Le nez crochu, les yeux bleus petits et profondément enfoncés dans leurs orbites, le visage strié de rides comme un saule millénaire, la mâchoire large et décharnée, elle humectait souvent ses lèvres minces et perdait son dentier lorsqu'elle s'énervait. Elle avait sur la tête un toupet de cheveux très blancs noués en une courte tresse qui rebiquait sur la nuque et parlait d'une voix chevrotante comme une sorcière de conte de fée. Elle portait une robe bleue démodée dont la ceinture disparaissait dans les plis épais de sa taille et se propulsait sur ses courtes jambes bien plus rapidement qu'on n'aurait pu l'imaginer d'une femme à la poitrine aussi vaste. Miss Euphrosine Howler était la plus ancienne recrue, tant par son âge que par le temps qu'elle avait passé à la Tour d'Observation. Il n'y avait personne de mieux renseigné sur les phénomènes paranormaux du Pôle Sud ou sur l'évolution de la magie depuis trois siècles. Cette bibliothèque ambulante avait cependant le caractère obstiné et susceptible d'une bouilloire, et ses colères étaient craintes de tous, y compris de Calcifer.

Posée sur un haut tabouret comme un modèle de sculpteur, Vivienne Drake offrait un contraste frappant avec sa voisine. L'astronome de l'équipe avait – ou n'avait pas, les paris étaient ouvert depuis plus d'un an – probablement du sang de Vélane. Sa chevelure d'un rouge carmin cascadait sur ses épaules en boucles soyeuses et sa frange bombée cachait un de ses yeux mutins. Elle avait de longs cils pailletés, des jambes interminables, un décolleté magnifique, une peau crémeuse, un visage un peu rond aux oreilles délicates et une bouche charnue peinte du même ton flamboyant que ses ongles. Toujours moulée dans une robe à la limite de la décence – un sortilège de chaleur jeté sur vos vêtements vous permettait aisément de vous habiller comme vous le souhaitiez – elle marchait en ondulant sur ses hauts talons et lâchait de temps à autre un soupir amusé. Vivienne était loin d'être une idiote et savait parfaitement comment mettre fin à l'attraction irrésistible qu'elle exerçait sur la gente masculine quand elle voulait être reconnue pour son travail plutôt que pour ses charmes naturels. Des rumeurs prétendaient qu'elle était mariée à un vampire, d'autres à un loup-garou et d'autres encore que son époux, maudit par un poulpe géant, sillonnait les océans à bord d'un sous-marin ensorcelé. Wendy n'attachait pas vraiment d'importance à tout cela : la Vélane et elle étaient devenues les meilleures amies du monde le jour où la jeune mécano avait découvert qu'elles avaient toutes les deux été élevées par une belle-mère "du grand monde". Les dons de pianiste de Wendy étaient cependant bien piètres à côté de ceux de Vivienne…

De l'autre côté de la table, Christopher Cadwallader consultait ses notes d'un air boudeur. Terrence et Scorpius le détestaient et s'en cachaient seulement en présence de Gunter Von Wartbach pour qui la paix était une priorité. Le géologue avait ving-trois ans, soit deux ans de plus que les quatre copains. Il était en sixième année à Poudlard pendant la Révolte des Hébrides et s'était montré particulièrement cruel au retour d'Albus à l'école. "Potter le malchanceux, Potter est devenu boiteux" n'était qu'une des nombreuses chansonnettes de mauvais goût qu'il avait composées. Lui et ses amis pinsons avaient transformé le moindre déplacement dans les couloirs du château en une épreuve. Ils avaient très vite compris à quel point l'humidité écossaise faisait souffrir le garçon à la jambe amputée et multiplié les rigoles et les gouttières. A cette époque, on se déplaçait plus volontiers avec un parapluie à l'intérieur qu'à l'extérieur. James avait bien essayé de lui casser la gueule, mais Cadwallader s'était débrouillé pour avoir l'air innocent et la réputation de l'aîné des Potter lui avait porté préjudice lors de sa confrontation avec un élève de Serdaigle aussi méritant et irréprochable. Lorsque Gryffondor avait remporté la coupe de Quidditch, les choses s'étaient encore plus envenimées. Pour une raison qui échappait à tout le monde, Christopher semblait allergique à l'idée qu'un handicapé puisse mener une vie aussi normale que possible.

Lorsqu'il était arrivé en Antarctique, quelques mois plus tôt, Terrence avait craint qu'il ne recommence les brimades d'autrefois, mais rien ne s'était produit – jusqu'ici.

Pour finir, Cadwallader n'était pas laid et il aurait même pu être considéré comme beau, s'il avait souri en montrant ses dents bien alignées, ou cessé d'afficher une moue renfrognée. Il avait des cheveux châtains un peu ondulés, des épaules de sportif et une petite cicatrice sur la mâchoire. Quand il parlait de ses "cailloux", comme ricanait Scorpius, un éclat de passion s'allumait dans ses yeux bruns aux paupières lourdes.

Albus ne perdait pas espoir de réussir un jour à s'entendre avec lui et il s'était assis précisément à côté de son vieil ennemi pour écouter le rapport de Matilda.

- Alors, v-voilà, bredouilla celle-ci en puisant dans le regard paternel de Gunter la force de s'exprimer en public. "Je… j'ai t-trouvé… une p-plante."

Il y eut un moment de silence tendu, comme s'il s'agissait d'une information cruciale.

Ça ne l'était pas, cependant.

Matilda Musaraigne était biologiste, c'était son boulot de trouver des plantes.

Le dernier membre de l'équipe était une jeune femme maigre et flasque qui donnait l'impression d'avoir été juste essorée. Si Vivienne avait du sang de Vélane, Matilda en avait peut-être de Sirène. Ses longs cheveux noirs lui tombaient sur la figure comme des algues, son teint était constamment blême – à l'exception des boutons d'acné qui bourgeonnaient régulièrement sur son front – et ses pieds auraient certainement pu lui servir de palmes. Elle avait d'énormes lunettes de myope, portait une robe mauve informe et bégayait la moitié du temps, quand elle ne rongeait pas ses ongles en tripotant la couture de sa poche.

- Quelle sorte de plante ? demanda gentiment Albus quand l'attente devint un peu trop inconfortable.

Matilda lui jeta un regard reconnaissant. Elle trifouilla dans les dossiers et les tubes à essai qu'elle avait apportés et posés devant elle sur la table. Evidemment, l'un des tubes se mit à rouler et alla s'écraser sur le plancher avec un bruit cristallin. L'invertébré glauque et verdâtre qu'il contenait se mit à ramper pour s'échapper, tandis que la jeune femme se répandait en excuses éperdues.

Euphrosine roula des yeux d'un air exaspéré, mais ce fut elle qui rattrapa la créature d'un léger mouvement de baguette et qui la stocka momentanément dans une tasse à thé.

- Continue, Matilda, encouragea Vivienne. "Est-ce que cette plante va nous en apprendre plus sur l'emplacement de l'Axe ?"

Terrence frétillait sur sa chaise, se retenant à grand' peine de couper la parole à la trop lente scientifique pour expliquer toutes les conclusions qu'il avait déjà tirées de cette découverte.

Scorpius prenait gravement des notes. Poivre avait disparu dans un scintillement éphémère, puis il était réapparu, une fois la petite mare d'eau de mer nettoyée sous la table.

- Nous a-avons f-fa-fait des re-levés dans l'o-océan, a-après l'irru-uption du v-volcan. Il y a-a sous la s-surface d-d-des organismes mi-i-crosco-opiques q-qui ressemblent à des f-flocons d-de neige.

Matilda essuya ses longues mains humides de sueur sur sa robe et prit avec précaution un globe de verre parmi ses affaires. Elle le glissa dans un des arceaux dorés de l'occhiolino, puis alluma d'un coup de baguette magique nerveux la bougie à l'intérieur de la machine, tandis que Gunter plongeait la pièce dans l'obscurité avec un éteignoir.

Sur le drap blanc tendu au mur se mit à flotter quelque chose qui ressemblait à un pissenlit ou à une méduse aplatie.

- V-voici u-une astéroline marine, expliqua Matilda en frissonnant comme si elle contemplait quelque chose de terrifiant ou de majestueux. "C'est s-s-seulement la d-deuxième fois q-qu'on a pu en réco-olter d-depuis… cent cin-inquante ans."

- Laissez-moi deviner, dit Christopher d'un ton brusque. "La dernière fois qu'ils en ont trouvé, c'était avant que les renards à queue de feu ne viennent du Nord."

- C'est… commença la pauvre Matilda à qui Terrence ne laissa pas le temps de finir.

- Exactement ! compléta-t-il d'une voix surexcitée. "Et maintenant, la meilleure ! Les léopards de mer qui vivent au large de l'Île de l'Ogre en sont recouverts et c'est ce qui a rendu les Moldus malades. Ça veut dire que l'Axe doit s'ouvrir quelque part au-delà des Dents de Crystal.

- J'avais toujours pensé que la Vallée des Souffleurs de Lumière était l'endroit où se trouvait la porte, dit pensivement Gunter en se grattant le menton. "Ça change tout. Si le passage est dans la partie accessible aux Moldus, alors…"

- Alors il va falloir revoir toute notre politique à l'égard de la coopération scientifique avec eux, dit gravement Scorpius. "Ça ne sera pas aisé. Il faudra peut-être même envisager de leur révéler l'existence de notre monde."

Il y eut un autre silence tendu, puis la silhouette d'Albus se leva dans l'obscurité.

- Peut-être qu'on pourrait voir ça autrement, dit-il. "Peut-être que les courants ont entrainé ces plantes vers la côte, ou qu'elles ne sont qu'un des signes que l'Axe va de nouveau s'ouvrir. Je ne pense pas qu'il soit sous l'eau, vraiment. Les renards, la qualité des pierres qu'a trouvé Chris à la Carcasse de la Baleine…"

- Tiens-toi en à tes bestioles, coupa sèchement le géologue.

Wendy était sur le point de riposter quelque chose lorsque la voix mélodieuse de Vivienne s'éleva.

- Je pense qu'Albus Severus a raison, dit-elle.

Sa baguette scintilla dans le noir puis une carte du ciel se dessina sur le plafond en grains violets étincelants. Sept étoiles y brillaient plus intensivement que les autres et la jeune femme les caressa de la main.

- Orion, souffla-t-elle. "C'est la constellation qui nous a appris l'existence de l'Axe, bien avant qu'on s'aperçoive des échanges entre les deux pôles. Trois étoiles à part des autres, pour trois lieux impossibles, et une nébuleuse qui ressemble étrangement aux croquis faits par les anciens sur les Souffleurs de Lumières… je crois qu'il faut continuer à chercher au-delà de la côte inaccessible."

Gunter appuya sur le poussoir de l'éteignoir et toutes les lumières retournèrent dans les lampes. Poivre claqua des doigts et les stores s'enroulèrent, dévoilant à travers les hublots géants l'étendue blanche de la plaine, colorée de rose comme si le soleil couchant y avait renversé une coupe de champagne.

La nuit allait bientôt tomber.

- Pour l'instant, que chacun se concentre sur ses tâches du soir, dit le chef d'équipe en posant son regard doux et ferme sur chacun d'entre eux à son tour. "Demain, nous comparerons nos notes, à la lumière de cette nouvelle information. Pas de précipitation. Un pas à la fois, même seulement un demi pas s'il le faut. C'est l'esprit qui animait nos prédécesseurs et les Souffleurs de Lumière sont venus à eux. Nous trouverons l'Axe – en son temps, si tel est notre destin."

Euphrosine hocha gravement la tête, ses petits yeux bleus indéchiffrables au fond de leurs orbites. Son visage sillonné de rides semblait plus tendu qu'à l'ordinaire et Terrence lui jeta un coup d'œil aigu, en se demandant si c'était à cause de la discussion ou seulement parce que Calcifer et ses sautes d'humeur leur donnaient du fil à retordre, en bas dans la chaudière.

Matilda rassembla précipitamment ses notes et ses échantillons, faillit oublier celui de l'astéroline et manqua de nouveau casser quelques tubes à essai lorsqu'elle trébucha sur un pli du tapis vert épais qui courait sous la longue table. Wendy vint à son aide et les deux filles quittèrent la pièce ensemble. Christopher s'approcha de Gunter qui était plongé dans ses pensées, debout devant la fenêtre, et se mit à lui parler à mi-voix.

Scorpius était parti avec son bloc-notes, sans doute pour rédiger son rapport sur la journée et Poivre avait disparu – sans doute en cuisine où, n'ayant jamais réussi à perdre ses habitudes d'elfe de maison, il préparait le prochain repas.

Albus décida qu'il n'allait pas attendre que Cadwallader finisse de monopoliser leur chef d'équipe et il s'engagea dans l'escalier en colimaçon pour aller au sommet de la tour vérifier ses instruments avant sa nuit d'observation des baleines.

Terrence le rattrapa à mi-chemin et monta avec lui.

Le soleil rougeoyait sur les vitres et enflammait la crête enneigée qui séparait la vallée de la plaine accessible aux Moldus.

Il faisait nettement plus froid sous le dôme de cristal, même avec la chaleur diffusée dans les tuyaux par Calcifer ou les sorts jetés à leurs vêtements.

Les deux jeunes gens passèrent un long moment à nettoyer les lentilles gigantesques, sans échanger un mot.

Puis Albus lâcha soudain une sorte de reniflement.

- "Nous avons trouvé une plante ?" marmonna-t-il d'un ton moqueur.

Terrence contourna le siège molletonné qui se dressait sur un piédestal au milieu de l'observatoire et transforma d'un coup de baguette son chiffon en oiseau de proie. Le faucon en torchon fondit sur son ami qui s'en débarrassa facilement d'un peu de pulvérisateur de produit nettoyant.

- J'étais juste en train de revenir de la base japonaise avec un échantillon prélevé sur les malades quand je suis tombé sur Matilda et son astéroline, protesta Terrence d'un air ennuyé. "On a comparé nos trouvailles et… voilà."

- Voilà, répéta Albus avec un gloussement plein de sous-entendus.

Il s'enfuit vers la porte de l'observatoire, les bras croisés au-dessus de la tête et se réfugia sur la terrasse ronde bordée d'une balustrade en ébène, où son meilleur ami le rattrapa et se pendit dans son dos jusqu'à ce qu'il crie grâce.

Quand ils eurent fini de se battre, ils restèrent simplement debout, la tête renversée en arrière, à contempler les milliards d'étoiles qui scintillaient doucement, si claires, si loin au-dessus de leur tête, dans l'immensité de l'Antarctique. Leurs haleines se condensaient en deux légers nuages et ils ne tardèrent pas à grelotter, l'un simplement vêtu d'un pantalon et d'un pull, l'autre à peine protégé par sa blouse blanche de médecin.

Albus ferma la porte derrière eux d'un coup de baguette, puis donna une tape sur la tête de Terrence qui lui rendit la pareille. La chaleur qui coula dans leurs membres comme un bon chocolat chaud les fit soupirer d'aise.

- J'adore la magie, dit Terrence avec délice, en s'accoudant sur la balustrade enneigée.

Albus ne répondit pas tout de suite.

- N'empêche que tu n'aurais pas dû aller trainer près de ces moldus, dit-il enfin, d'un ton de léger reproche. "Imagine qu'ils…"

- Il n'y pas moyen qu'ils soupçonnent quoi que ce soit, assura Terrence avec insouciance. "J'ai utilisé la motoneige que Wendy a trafiquée et j'avais même mis une de ces affreuses combinaisons qu'ils utilisent. Pour un né-moldu comme moi, ce genre d'infiltration, c'est du gâteau, Al."

Il prit une grande respiration puis continua d'un ton calme.

- Au fait, tu sais… Poivre. C'est un elfe de maison.

- Je ne suis peut-être pas aussi brillant que toi, mais j'avais remarqué, dit Albus d'une voix narquoise.

Terrence dispersa la plaisanterie d'un geste impatient de la main.

- Non, je veux dire… j'ai réfléchi. Ce n'est pas normal qu'il ne soit pas attiré par toi.

- Je ne suis pas son type, tenta encore son ami, comme pour détourner la conversation.

- Al, je suis sérieux ! Ecoute. Soit il a découvert d'une façon ou d'une autre que tu étais le neveu d'Hermione Granger, soit…

- Soit ? répéta Albus avec un frisson qu'il ne put réprimer.

- Soit… Toi, t'aurais jamais dû aller dans la flotte aujourd'hui, s'interrompit Terrence en fronçant les sourcils. Puis il baissa le ton : "Soit il est immunisé. Tu sais bien que personne ne peut lutter longtemps contre l'influence de l'œil du dragon."

- Chut ! T'es fou, ou quoi ? siffla Albus en jetant un regard inquiet autour de lui. "Tu racontes vraiment n'importe quoi, c'est impossible…"

- Pas du tout, rétorqua Terrence, les yeux étincelants derrière ses lunettes embuées par le froid. "Tu sais le temps que passe Poivre dans la chaudière ? Des heures par jour, à regarder Calcifer droit dans les yeux. Calcifer qui en sait bien plus que n'importe qui au sujet des Souffleurs de Lumière…"

Les yeux verts d'Albus s'écarquillèrent.

- Tu crois que ce sont des…

Terrence fit la moue.

- Là, par contre, t'es vraiment lent, soupira-t-il. "Je suis sûr qu'ils le sont. Peut-être leurs ancêtres, ou une autre espèce, mais… toutes ces légendes qu'étudie Gunter, et les croquis dans les livres d'Euphrosine, et… tu te rappelles ce que tu m'as dit ? Ce que tu as senti quand tu es arrivé ici ?

- Comme si j'étais… chez moi, murmura Albus.

- Ouaip. Je parie que si Poivre est insensible à ton charme, c'est qu'il a passé des heures à regarder dans l'œil d'un autre dragon…

Albus s'accouda à son tour sur la balustrade, comme s'il avait besoin de quelque chose pour se tenir pendant qu'il réalisait lentement ce que voulaient dire les paroles de son meilleur ami.

La nuit était parfaitement silencieuse, si l'on écoutait distraitement. Mais si vous vous concentriez, le continent Antarctique émettait toutes sortes de sons. La banquise craquait sourdement, les vagues bruissaient contre les glaces. Un renard à queue-de-feu jappait au loin, dans une gerbe d'étincelles dorées. Le vent chuchotait en se glissant dans les crevasses, comme s'il jouait avec une nuée d'oiseaux transparents.

Albus ferma les yeux.

Parfois, lorsqu'il dormait, il lui semblait entendre comme un battement de cœur, quelque part au plus profond de la terre recouverte de neige – un bruit familier, rassurant, répercuté à travers la tour comme si quelqu'un lui répondait.

La brise glaciale effleura son visage et il enfouit son menton dans le col montant de son pull noir, chantonnant à mi-voix.

- Hé, dragon, t'as pas besoin de faire ça

Terrence sourit et se joignit à lui.

C'était une chanson ridicule, mais qui leur rappelait des souvenirs. Darren, un des Aurors qui avaient combattu dans les Hébrides, la leur avait apprise.

- … t'as jamais demandé à être un dragon, j'ai jamais demandé à être un champion

Dans la nuit, leurs deux voix un peu fausses, mêlées de rire et d'émotion, montaient vers les étoiles comme une offrande au passé.

- Les gars, c'est dangereux, votre petit duo romantique, dit soudain la voix sévère de Scorpius derrière eux.

Ils se retournèrent, adressèrent un clin d'œil synchrone à ses sourcils froncés. Il secoua la tête, puis haussa les épaules. Il s'approcha et s'accouda nonchalamment sur la balustrade à côté d'eux.

- … la vérité, c'est qu'à la fin, sans mes amis, je ne suis rien…, enchaina-t-il sans les regarder, un sourire ironique au coin des lèvres.

Wendy poussa la porte à son tour, quelques instants plus tard et elle eut un petit reniflement amusé. Les bras croisés, elle s'appuya contre le mur et ferma les yeux.

- Hé dragon, tu devrais jeter toutes ces vieilles idées

Elle était de retour sur l'île froide et battue par les vents. Sur une colline jaunâtre, la haute silhouette sombre de Darren se découpait et il sifflotait comme s'il n'était pas en train de contempler la  lande tachetée de croix noires.

- … tout ce que j'peux faire pour toi, c'est chanter ma chanson avec foi…

Elle soupira.

Comme c'était loin, et pourtant si près…

Dans l'obscurité de la Tour, de l'autre côté de la vitre, une petite silhouette biscornue se découpait, bleutée par le rayon de lune, et deux grands yeux jaunes brillants comme des étoiles écoutaient chanter les garçons.

 

 

A SUIVRE...

Outre "Dragon Lullaby", la chanson des garçons qui est un extrait de A VERY POTTER MUSICAL,

ce chapitre est truffé de références à d'autres fandoms. Saurez-vous toutes les retrouver ?

Passez de merveilleuses fêtes et à bientôt avec le prochain chapitre :

L'ENVOL DES BALEINES

 

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