Les Souffleurs de Lumière

Chapitre 19 : Les Montagnes Flottantes

5276 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2016 05:55

 

MONTAGNES FLOTTANTES & LEZARDS LIBELLULES

 

 

Wendy croqua dans sa pomme et mâcha consciencieusement le morceau avant de continuer.

- … et alors, une fois qu’on a été tous barricadés dans la Citrouille, j’ai actionné les ventilateurs pour purifier l’air de ce pollen hallucinogène. Euphrosine a dit que le ciel bleu n'était sans doute qu'une illusion, un couvercle magique ou quelque chose du genre. On s’est dépêchés de traverser le champ et de l’autre côté, on est tombés de nouveau dans un de ces puits avec la gravité inversée. Wooosh ! On a été aspirés et ensuite on s’est retrouvés éjectés ici !

Elle avait fait un grand geste de bras et manqué d’éborgner Christopher qui se décala prudemment de quelques centimètres sur le rebord de la falaise.

- Heureusement que j’ai eu le réflexe de lancer le grappin ! Il s’est accroché et on a pu remonter la citrouille jusqu’à la terre ferme – enfin, si on peut appeler ça la terre, ajouta-t-elle après un instant de réflexion. Elle engouffra le dernier quartier de sa pomme et s'essuya les doigts sur le chiffon de mécanique qui pendait de sa poche. "Et voilà. Une bonne chose qu’on était tous dans la Citrouille, hein ? Depuis, avec la flèche à traction – je m'étais toujours demandé à quoi elle servait, mais maintenant je comprends – on passe d’un îlot à l’autre. C’est génial, non ?"

Christopher acquiesça. Il contempla un instant ses jambes qui se balançaient dans le vide au-dessus des effiloches de brume couleur lavande, puis releva la tête.

- On monte, on dirait, observa-t-il. "Je croyais qu’on essayait d’atteindre les profondeurs de l’Axe."

Wendy se mit à rire.

- Oh, mais Gunter te dirait que c’est notre perception, mais que ce n’est pas forcément la réalité. Après tout, il se pourrait très bien qu’on ait la tête en bas et qu’on soit en fait en train de descendre."

Tout était possible, en effet. Après tout, l’endroit où ils naviguaient défiait à nouveau la logique et l’imagination.

La Citrouille avait ancré ses six pattes sur une des montagnes pourpres qui flottaient dans un ciel immense, d’un violet rougeoyant, piqueté de milliards d’étoiles aux reflets d'améthyste. Des baobabs et des pins parasols aux étranges silhouettes sombres se découpaient sur l’horizon féérique. Des lianes lamées de rose et des glycines luxuriantes tombaient en grappes gracieuses sous les masses de roche poreuse poussées par le vent.

Dans cette clarté crépusculaire, les îlots se déplaçaient lentement. Ils s’entrechoquaient parfois et une pluie de petites pierres vermeilles tombait sur les coraux lie-de-vin qui s’accrochaient aux falaises. L'air était doux, rempli d'une odeur suave et sucrée. De la vapeur mauve s’élevait des cascades qui se déversaient inlassablement dans le ciel et des constellations inconnues miroitaient de toutes parts, sans se soucier d’être observées en levant la tête ou en baissant les yeux.

Vivienne, d’ailleurs, s’était allongée au bord d’une falaise et les étudiait à travers une énorme loupe ronde qui n’était pas sans rappeler un instrument ordinairement réservé à la vision sous-marine.

Calcifer, qui folâtrait avec une nuée de lucioles, avait l'air d'un ruban de lumière ou d'une comète serpentine.

- En tout cas, c’est très beau, dit Christopher avec sincérité.

- Mais ce n’est pas le meilleur, gloussa Wendy. "Regarde bien. Là-bas, par exemple, au-dessus de cet arbre – un… qu’est-ce que Matilda a dit déjà ? Ah oui, un Acacia d’Afrique – tu vois le croissant de lune ?"

Le jeune homme plissa les yeux.

- Ouais. Et ben ?

- C’est pas un croissant de lune, dit la jeune fille en se levant et en frottant son jean pour se débarrasser de la poussière violine qui s’y était collée. "C’est un oiseau. Il y a des créatures dans l’Axe ! Des animaux qui n’existent pas dans le monde extérieur !"

A son expression de ravissement, Christopher pensa qu’elle était très bien assortie avec son fiancé et chercha celui-ci des yeux.

Le dragon était roulé en boule dans un baobab et sa queue en forme d’as de pique se balançait comme celle d’une panthère, en un point d'interrogation agacé. Il avait l'air d'être en train de dormir, mais, tout en soignant le coup de griffe qu'il avait sur le bras, Terrence les avait prévenus que ce n'était qu'une impression.

Apparemment, Albus n'avait plus aucun contrôle sur son âme jumelle et Crocmou n'était pas toujours d'humeur joueuse.

- Il en a gobé un, tout à l'heure, dit Wendy qui avait suivi le regard du géologue. "Je suppose qu'il avait faim, mais ç'aurait été bien de pouvoir examiner un spécimen de plus près."

Son ton résigné était presque comique si on considérait à quel point la situation était dramatique. Christopher lâcha un petit sifflotement d'admiration, puis se leva à son tour.

- Bon, allons en attraper un, alors. Comme ça, quand il reviendra à lui, Potter aura de quoi faire des observations.

- Plus facile à dire qu'à faire, cependant, intervint Gunter qui s'était approché d'eux par derrière et avait écouté la fin de leur conversation. "Comme vous pouvez le constater, à l'exception de son bec en forme de croissant de lune, ce volatile est absolument invisible. Si Calcifer n'en avait pas incendié un par mégarde, nous ne les aurions sans doute pas remarqués."

- ça fait deux piafs morts depuis que nous sommes arrivés, grommela Christopher. "Je doute que notre visite soit très bonne pour l'écologie de l'Axe."

A sa grande surprise, Wendy pouffa de rire.

- En chasse, dit-elle en sortant sa baguette.

Le ciel de pourpre glissait des reflets byzantins dans ses courts cheveux châtains et les étoiles pétillaient, argentées, au fond de ses yeux. Christopher remarqua la petite cicatrice qui traçait une virgule sur son menton triangulaire et se demanda si c'était un accident de mécanique ou une blessure reçue dans les Hébrides.

"Miss Philips, cette impétuosité sera votre perte", lançait un professeur alors que les sixièmes années observaient, goguenards, un groupe d'élèves de quatorze ans couverts de boue et de brindilles. Au milieu d'eux, une adolescente aux longues boucles emmêlées se dandinait impatiemment d'un pied sur l'autre. Elle avait un œil au beurre noir et son uniforme était le plus abimé de tous, mais elle semblait très satisfaite d'elle-même.

Christopher se permit un sourire narquois à ce souvenir. Y avait-il vraiment quelque chose qui fasse peur à Wendy Philips ? Non, certainement pas. Elle n'avait jamais cessé de foncer dans le tas pour aller au bout de ses idées ou protéger ceux qu'elle aimait. Ce n'était que justice qu'elle fasse partie de cette exploration.

Il tira aussi sa baguette de sa poche et se tourna vers Gunter qui attendait, les mains sur les hanches.

- En chasse ! répondit-il joyeusement.

La Citrouille était accroupie sur une étendue d'herbe parme et une spirale de fumée s'échappait du tuyau en chapeau pointu qui servait de cheminée, montant doucement vers le ciel étoilé.

Ils venaient enfin de réussir à coordonner leurs sortilèges pour que le filet magique prenne au piège l'un des oiseaux-lunes – et pourquoi donc tant de choses devaient avoir un nom sélénite dans l'Axe où aucune lumière lunaire ne pouvait filtrer ? – lorsque un bruit semblable à un vrombissement d'hélicoptère s'éleva soudain derrière l'une des montagnes flottantes.

Matilda, qui prélevait des échantillons, pendue au bout d'une corde le long d'une falaise, poussa un glapissement de terreur.

Scorpius, qui écrivait son rapport, assis sur la marche devant la porte de la Citrouille, se leva en laissant tomber carnet et plume, la bouche entrouverte.

Poivre cessa de surveiller la lessive qui s'étendait d'elle-même en tendant des fils d'un baobab à l'autre et plongea dans la corbeille à linge où il disparut.

Euphrosine lâcha sa tasse qui resta suspendue en l'air, le sucre tanguant comme un iceberg sur les vagues du thé, et se retrouva assise sur le sol dans un tas de jupons, renversée par Calcifer qui venait de tourbillonner d'excitation autour d'elle.

Le dragon dressa une oreille et tourna la tête, sa queue se balançant toujours sous la branche.

- Mais qu'est-ce que c'est que ce truc ? balbutia Terrence en baissant sa baguette.

Le toucan invisible dans le filet magique dut sentir que le piège s'affaiblissait car il devint soudain rose bonbon, se débattit furieusement pour s'échapper et s'envola avec un croassement indigné, éparpillant derrière lui un nuage de plumes.

Les yeux écarquillés, Gunter, Wendy et Christopher s'étaient figés et ne virent pas leur spécimen se faire la malle.

Derrière l'une des montagnes pourpres qui flottaient tranquillement dans le ciel violacé venait de surgir une immense créature.

Un lézard géant si on en croyait les écailles et la tête de saurien, la crête bleue, les pattes griffues et le mufle visqueux dont jaillissait une langue préhensile. Une libellule, si on considérait les longues ailes nacrées déployées en élytres aux membranes de différentes tailles, fines et délicates, et l'abdomen annelé qui se terminait par une espèce de bourgeon.

Le tout était à peu près aussi gros qu'un camion et vous observait avec ses yeux globuleux.

- Il considère le menu, bredouilla Christopher.

- Mais non. Il se demande s'il faut avoir peur de nous, protesta Wendy à voix basse, resserrant sa main moite sur sa baguette.

- Il est magnifique, murmura Gunter.

De l'agitation dans les parasols des pins d'un îlot tout proche laissa deviner l'envolée d'une nuée d'oiseaux-lunes, mais leur camouflage était parfait : leurs becs attrapaient les reflets d'améthyste des étoiles et se fondaient dans l'immensité rougeoyante.

- Ne bougez pas, dit soudain la voix d'Albus, toute proche.

Wendy étouffa une exclamation heureuse.

Son fiancé était en train de se laisser glisser de son baobab à l'acacia biscornu dans lequel étaient perchés les quatre apprentis chasseurs. Terrence surveilla l'exercice en fronçant les sourcils, inquiet de le voir chuter, puis lui tendit la main pour l'aider à se hisser sur leur branche.

- Désolé pour le coup de patte, chuchota le jeune homme quand il fut à leur niveau. "C'était un réflexe, on a eu mal. Ça fait à Dewis le même effet que si tu étais un papillon, quand tu le touches."

- Oh, dit le médicomage avec un éclair de compréhension dans les yeux.

Il se frotta machinalement la nuque.

- Mais sous ta forme humaine, ça ne t'affecte pas, observa Christopher à voix basse.

Albus leva ses yeux d'émeraude dans lesquels dansait un poudroiement d'or.

- Non, dit-il. "Plus maintenant."

Gunter ne dit rien.

- On voulait attraper un oiseau-lune pour que tu puisses l'étudier, souffla Wendy d'un ton malicieux. "Mais maintenant on se demandait si tu ne préfèrerais pas plutôt un moustique à carapace."

 Albus pouffa de rire.

- Je crois j'aimerais beaucoup ramener à l'Institut un spécimen de zygoptère abyssal, si je pouvais trouver une cage assez grande.

- On fait de la magie, non ? gloussa la jeune fille. "On devrait pouvoir arranger ça."

- On va se faire bouffer, je vous rappelle, grogna Christopher.

Mais ce ne fut pas le cas. L'énorme libellule les toisa de son regard reptilien et vola en vrombissant autour de l'îlot pendant un moment, mais ils eurent tôt fait de constater qu'elle utilisait sa trombe pour aspirer le suc des glycines et ne semblait pas équipée du genre de râtelier qu'on se serait attendu à trouver dans une gueule aussi énorme. Alors que leur montagne flottante continuait de croiser dans l'espace interstellaire, d'autres créatures comme elles apparurent et ils eurent tout le loisir de les étudier.

Albus noircit un tas de pages de carnets avec des croquis montrant les espèces d'ouïes que la bête avait sur les joues. Ses annotations allaient du système de vol permis par des nodus semblable à ceux d'un odonatoptère à des remarques sur le dessin compliqué des écailles : arabesques violettes sur fond turquoise pour ce qu'il identifia comme les mâles, alvéoles jaunes et camouflage rouge pour les femelles.

Assis au bord de la falaise, il ne semblait pas voir le temps passer et Terrence dut l'obliger à faire une pause pour avaler une paire de sandwichs et un verre de lait. Sur l'horizon, une grande lumière étincelante avait fini par naître et grossissait d'heure en heure, comme une supernova.

Un oiseau-lune se posa près de l'éthologue et s'approcha avec curiosité, repérable uniquement aux empreintes de pattes qu'il laissait dans la poussière violine. Albus attendit patiemment, puis il tendit la main très doucement et toucha le bec d'ivoire en forme de croissant de lune.

Le toucan frémit et ses plumes se colorèrent un instant, puis il s'envola et disparut. Le jeune homme sourit, puis se dépêcha de tracer une esquisse du volatile.

- T'as pu faire toutes les observations que tu voulais ? demanda Terrence en venant s'asseoir à côté de l'éthologue.

Le soleil qui se levait en face d'eux rebondissait sur le verre de ses lunettes.

- Pas toutes, dit Albus. "Mais bien plus que ce que j'espérais."

Il posa son crayon et tourna la tête vers son ami.

- Encore désolé pour le coup de griffe. Je te promets que c'était un accident.

Le médicomage tapota le bandage enroulé autour de son bras.

- C'est bien ce qui m'inquiète, dit-il au bout d'un moment. "Regarde, tu vas mieux, aujourd'hui. Pas de fièvre, les pupilles claires et tu as de l'appétit. C'est n'importe quoi, quand on considère que tu avais l'air à moitié mort il y a deux jours. Mais je me demande si ce n'est pas le prix à payer, tu vois. Quand tu t'es transformé, ces derniers temps, Dewis avait entièrement le contrôle, n'est-ce pas ?"

Albus baissa les yeux.

- Pas Dewis, murmura-t-il. "Crocmou. J'veux dire… ce n'était pas comme si je savais ce qui se passait et que j'entendais la voix de Dewis. On ne se disputait pas non plus, on n'essayait pas d'être tout entier l'un ou l'autre… c'était… c'était comme si on dormait tous les deux et qu'il n'y avait plus qu'un dragon au gouvernail. Une bête sauvage, Terrence. Pas un humain métamorphosé ou la mémoire ancienne de Dewis sous cette forme, mais… juste un animal."

- C'est pour ça qu'il a croqué l'oiseau, dit lentement Terrence. "Parce que c'est ce que font les chats."

Albus eut un pauvre sourire.

- Les très gros chats.

Son ami lui posa une main sur l'épaule et la serra.

- On trouvera une solution, dit-il. "Je sais que toutes les réponses sont dans l'Axe."

Il y avait une certitude inébranlable dans sa voix, mais son ami ne comprit pourquoi que le soir, lorsque l'équipe, rassemblée autour de Calcifer pour faire griller des marshmallows, se mit à évoquer l'expérience du Champ des Savoirs.

Gunter fut le premier à raconter qu'il avait vu son fils en train d'étudier avec lui en Antarctique. Sa voix humble encouragea les autres et ils s'ouvrirent les uns après les autres, le regard fixé sur les braises qui pétillaient doucement en montant vers les étoiles, sur le dos ronronnant du petit daemon.

- Moi, j'ai rêvé que Nero avait cessé de poursuivre Moby Dick et que nous vivions tous ensemble dans une maison sur pilotis sur l'Île au Volcan, soupira Vivienne quand Christopher eut terminé de parler.

Personne ne comprit exactement que qui ou de quoi elle parlait, mais chacun ressentit sa tristesse.

- J'ai rêvé qu'on avait des enfants… ajouta-t-elle d'une voix presque inaudible, en baissant les yeux sous son épaisse frange cramoisie.

Matilda lui passa un bras autour des épaules sans rien dire. Wendy chercha la main d'Albus dans l'obscurité et la serra. Il répondit d'une tendre pression.

- Moi, j'étais dans une sorte de bibliothèque gigantesque, expliqua Terrence avec animation. "Il y avait des livres par milliers de milliards, sur tous les sujets possibles et imaginables. C'était si grand qu'il fallait prendre des ascenseurs de verre pour aller d'une section à une autre ! C'était comme une planète entière recouverte de bouquins et il suffisait de penser à un sujet pour savoir où on trouverait tout ce qui avait été écrit là-dessus."

Ses yeux bleus étincelaient derrière ses lunettes. Il repoussa derrière son oreille une longue mèche blonde et continua d'une voix vibrante d'excitation.

- Je pense que dans cette illusion, il y a quand même une part de réalité. C'était très tangible, et je me demande jusqu'à quel point ça aurait pu devenir vrai. Il n'y avait personne d'autre de vivant, mais on pouvait invoquer les auteurs et parler avec eux et leurs poser des questions ou leur demander de développer tel ou tel paragraphe et c'était tellement – intéressant !

Les mots se précipitaient si vite dans sa bouche qu'il en bégayait presque.

- ça d-devait être horrible si t-tu étais tout seul, dit Matilda avec un frisson.

Terrence la regarda d'un air stupéfait.

- Oh, dit-il. "Je n'y avais pas pensé de cette façon."

Il haussa les épaules pour dissiper l'idée et reprit son récit avec enthousiasme.

- Le plus important, c'était que toutes les connaissances du monde, les expériences du passé, les futures découvertes, une analyse exacte et fouillée du présent… tout était à portée de main !

Il avait le souffle encore coupé, mais il se rembrunit soudain.

- Enfin, jusqu'au moment où tu m'as sorti de là en me secouant, conclut-il.

Les autres ne dirent rien pendant un moment.

- Tu regrettes de ne pas être resté là-bas ? demanda finalement Christopher.

Terrence mâchouilla l'intérieur de sa joue. Il jeta un bref coup d'œil en direction de Wendy qui l'observait avec inquiétude, évita le regard de braise que Calcifer fixait sur lui, puis lâcha un petit reniflement insouciant.

- Bah. On a encore un tas de choses à découvrir ici, alors… ça va.

Euphrosine fixait les flammes d'un air terriblement sombre.

- Jen avait dit ça, lui aussi… murmura-t-elle.

Il y eut un autre moment de silence, puis Gunter se racla la gorge et se tourna vers Scorpius qui était perdu dans ses pensées.

- Et vous, agent Malefoy ? De quoi avez-vous rêvé ?

Le jeune homme blond sursauta. Un éclair - de colère, ou peut-être de honte - passa dans ses yeux gris orageux.

- Je suppose que nous ne sommes pas obligés de le raconter, lâcha-t-il entre ses dents.

Le chef d'équipe eut un mouvement d'étonnement.

- Euh… non, bien sûr. Personne n'est forcé de partager son ressenti. Je pensais juste que… que cela pouvait apporter quelques chose à notre compréhension de l'Axe.

- J'en doute, siffla Scorpius.

Il se leva et quitta le cercle d'un pas énervé.

- Il n'aime pas que l'on fouille dans son linge sale, dit Poivre d'un ton sentencieux. "Les elfes n'aiment pas cela non plus."

- Ce que vous n'aimez pas, c'est qu'on vous donne du linge, lança Vivienne.

Et tout le monde rit, un peu maladroitement.

- Moi, j'ai rêvé que j'étais dans le Poudlard Express, dit Wendy. "C'était comme quand j'avais onze ans, mais il y avait des différences. Par exemple…"

- Ah non, le sujet était clos, protesta Calcifer en faisant soudain ronfler ses flammes, réduisant le marshmallow de Christopher à l'état de cendres gluantes. "On ne peut pas plutôt parler d'essayer de faire goûter une couenne de lard aux oiseaux invisibles ? Je suis sûr qu'ils sont carnivores."

- Je crois qu'on va plutôt parler d'esprits sylvains, riposta le géologue d'un ton menaçant.

Les autres rirent, mais Albus ne se joignit pas à eux. Il regardait en direction de la Citrouille et se demandait ce qui avait ramené sur le visage de Scorpius une expression qu'il n'y avait pas lue depuis leur première année à Poudlard.

Autour d'eux, le ciel violet pâlissait à la lumière vive du soleil sur l'horizon et les montagnes flottantes s'ourlaient d'or. Dans la vapeur incandescente qui s'élevait des cascades mauves, les lézards libellules volaient en étendant leurs immenses ailes nacrées.

 

oOoOoOo

 

Le lendemain, ils se réveillèrent sur un plateau rocheux. La nuit étoilée avait disparu et ils surplombaient une immense plaine, très plate, sous un ciel d'un blanc laiteux. Il fallut encore s'encorder pour descendre et une fois en bas, ils réalisèrent qu'il faisait très chaud et que de petits grains secs s'élevaient du sol, comme s'il neigeait du sable à l'envers. Certains se nouèrent un foulard autour du nez, d'autres choisirent de se protéger avec un sortilège de têtenbulle, même si cela vous donnait l'impression d'avoir un bocal sur le visage.

On ne voyait pas le soleil, mais on le sentait oppressant. Ils marchèrent toute la journée et aperçurent d'autres créatures dans une espèce de brouillard de chaleur : des antilopes qui bondissaient et d'étranges singes peinturlurés comme des guerriers, aux ventres pendants et aux longs bras qui trainaient. Wendy se plaignait du sable qui s'incrustait dans les rouages de sa machine et la faisait grincer douloureusement. Matilda dénicha un genre de fleur rouge et faillit se faire dévorer la main par les pistils hargneux. Vivienne continuait de chercher sans succès la raison pour laquelle l'astrolabe s'était remis à fonctionner dans l'Axe. Elle leur avait assuré que les étoiles qu'ils avaient vues les jours précédents n'en étaient pas, mais elle ne pouvait leur expliquer pourquoi.

La nuit tomba abruptement, comme si quelqu'un avait appuyé sur un interrupteur. Calcifer se mit à briller telle une vive flamme bleue dans le noir et pendant un instant ils crurent que le sable allait cesser d'élever du sol. Puis ils se mirent à grelotter alors qu'un souffle de vent glacé courait à ras de terre, et soudain des cristaux de neige se mirent à monter vers le ciel en une danse lente.

Scorpius et Terrence étaient persuadés qu'ils marchaient "sur le plafond d'une grotte géante", mais Christopher affirmait qu'il s'agissait d'un phénomène minéralogique.

Le dragon, qui avait trottiné docilement toute la journée à côté d'Euphrosine, s'enfonça dans l'obscurité subitement et ne revint qu'une heure plus tard, les babines ensanglantées, un cuissot entre les crocs.

- Un genre d'autruche, si j'en crois cet ergot, l'identifia Gunter quand il put récupérer l'os raclé jusqu'à la moelle. "Mais évidemment ce serait mieux si notre expert en créatures pouvait se contenter de les étudier, au lieu de les dévorer."

La Citrouille éclairée de l'intérieur dessinait un halo bienveillant dans la plaine obstinément sombre. Poivre fit des crêpes et ils eurent l'impression d'être de retour dans la Tour d'Observation, jusqu'au lendemain où la chaleur les accabla de nouveau.

Au bout de la plaine, ils se trouvèrent au-dessus d'une autre vallée et celle-ci était remplie de verdure, de sapins et de buissons en fleurs. De fines écharpes de nuages traversaient le ciel bleu et des ptérodactyles passaient en poussant des cris perçants au-dessus des collines.

- J'y comprends que dalle, dit Christopher en passant une main dans ses cheveux. "C'est quoi, l'Axe, à la fin ? Une réserve naturelle ? Un délire de la nature ? C'est quand qu'on tombe sur la source de la magie ou le secret des origines de la vie ?"

- Je commence à croire que nous n'avions rien compris depuis le début, murmura Vivienne.

Terrence, lui, ne dit rien. Il venait d'arrêter sa longue-vue sur quelque chose et sa respiration s'était arrêtée.

- Des traces de civilisation, souffla-t-il lorsqu'il réussit enfin à parler.

Gunter se rua sur la longue-vue et l'ajusta à son œil, les mains tremblantes.

Dans la loupe de verre se dressait une haute tour en ruines. Elle était entourée de murs effondrés, dorés par la lumière, et semblait aussi vieille que le monde.

- Agartha, balbutia le vieil homme. "C'était donc vrai… un peuple a habité ce pays…"

Ses bras retombèrent le long de son corps et il se tourna vers les autres, un sourire illuminant son visage buriné par leur longue marche dans le désert.

Tous les humains, y compris Euphrosine, semblaient sous le choc. Mais le dragon, lui, leva le museau et huma l'air. Ses crocs se découvrirent et il gronda sourdement.

- Ouaip, tu as raison, lui dit Calcifer qui regardait gravement les ruines dressées au cœur de la plaine verdoyante.

Et Poivre plissa les yeux, sa main grêle en visière au-dessus de ses sourcils broussailleux.

D'aussi loin, ils ne pouvaient pas le voir, mais une ombre avait bougé au pied de la tour et des yeux rougeoyants s'étaient tournés dans leur direction pendant un instant.

 

 

A SUIVRE...

 

 

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