Les Souffleurs de Lumière

Chapitre 22 : Des Géants de Pierre

5782 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2016 09:29

 

DES GEANTS DE PIERRE

 

 

Même en basculant la tête en arrière, ils ne pouvaient distinguer le plafond de la grotte. Loin au-dessus d’eux, la cascade s’épanouissait en une grosse corolle de mousse rose lumineuse et les éblouissait, les empêchant de décider si l’eau se reflétait en arc-en-ciel sur une haute voute ou si elle formait une sorte de parapluie insensé et magnifique.

Après une descente interminable à travers la vapeur, la Citrouille s’était posée sur un sol de dalles anciennes, comme dans un immense palais vide et silencieux. Ils étaient environnés de géants accroupis, taillés dans une pierre grise granuleuse, dont les expressions impénétrables les laissaient mal à l’aise.

Günter aurait voulu camper là pendant des jours, étudier chaque bas-relief, chaque détail des orteils gigantesques, mais les autres le pressèrent d’aller de l’avant.

De petites lucioles bleues dansaient parfois dans l’étrange clarté obscure de cette salle. De loin en loin, on entendait le bruit creux d’une goutte d’eau qui se répercutait à l’infini.

Le cliquetis des pattes de la Citrouille leur rappelait un peu trop les grattements des Faucheurs et ils attendaient impatiemment le moment où ils émergeraient à nouveau à "l’air libre". Mais lorsque vint le moment de s’arrêter pour la nuit, ils étaient toujours en train de marcher entre deux allées de statues.

Ils s’installèrent à l’intérieur du véhicule, autour de la table du salon après l’avoir agrandie, et Euphrosine servit de grosses louches de potage. Lorsqu’elle s’assit à côté d’Albus et remit le couvercle sur la soupière en porcelaine, il pencha la tête de côté, pensif.

- Les nôtres sont encore rouges et gonflées, comme des blessures récentes. Mais la vôtre est différente. Blanche et lisse, comme les mots sur le dos de la main de mon père, dit-il en pointant le mot "renoncer" gravé sur la peau diaphane de la vieille magicienne.

 Les autres se tournèrent vers lui, intrigués.

- Je connais la célèbre cicatrice d'Harry Potter, bien sûr, dit Günter en traçant un zigzag machinal sur son front. "Mais je n'ai jamais entendu parler d'une marque qu'il aurait sur la main. C'est une blessure reçue pendant la bataille de Poudlard ? Ou lorsqu'il était Auror, peut-être ?"

Albus secoua la tête.

- Non, pas du tout. C'est un vieux souvenir d'école. Un professeur sadique qui lui a fait copier "je ne dois pas dire de mensonges" avec son propre sang. La phrase s’est inscrite de façon indélébile sur sa peau.

- Pas étonnant que Pique-la-lune passe pour un enfant de chœur aux yeux de tes parents… souffla Wendy.

- Mon père m’avait parlé de cette pratique barbare, dit Christopher. "C’est la même année que la directrice complètement givrée qui remplaçait Dumbledore a suspendu toutes les associations d’élèves – y compris le Quidditch et le club de bavboules."

- Charmant, dit Vivienne en soufflant sur sa cuillère de soupe pour se débarrasser d'un cadavre d'insecte.

Calcifer s'amusait à griller les mites et les papillons de nuit qui tourbillonnaient autour du lustre.

- C’était l’a-année où Poud-dlard était géré p-par des Mangem-morts ? demanda Matilda.

Scorpius reposa son verre trop brusquement et un peu d’eau éclaboussa la nappe.

- Oh non, dit Albus, "ça remonte bien avant. Enfin, ce n’est pas très important. Je me demandais juste pourquoi votre cicatrice était différente."

Euphrosine prit le temps de déchirer un bout de pain et d'éponger le potage au bord de son assiette.

- C’est comme tu l’as dit. La mienne est plus ancienne, dit-elle lentement. "C’est la troisième fois qu’elle apparait."

- A chaque fois… "renoncer" ? demanda Terrence, surpris.

- A chaque fois, dit Euphrosine. "Les méthodes d'éducation de la professeure de Mr. Potter étaient sans nul doute discutables, mais il semblerait qu'elle avait compris que l'être humain ne comprenne ses leçons qu'à force de les répéter."

Un silence lourd succéda à ses paroles.

- Quelqu'un reveut de la soupe ? finit par proposer la vieille femme.

- Non merci, dit Vivienne en lançant un coup d'œil incendiaire au daemon qui continuait à faire du pop-corn avec les insectes de nuit.

Christopher se racla la gorge.

- On devrait faire des tours de garde ce soir, proposa-t-il. "Au cas où…"

- Je prends le premier, dit Günter avec précipitation. "J'ai un tas de croquis à faire. Ces géants ressemblent à ceux découverts sur l'île de Pâques, vous ne trouvez pas, Terrence ?"

Le médicomage acquiesça distraitement et se joignit à la discussion avec un temps de retard. Albus et Wendy racontaient de vieux souvenirs d'école à Matilda.

Perdu dans ses pensées, un pli sombre au coin des lèvres, Scorpius faisait tourner autour de son petit doigt la chevalière des Malefoy.

 

oOoOoOo

 

Il n'y eut aucune alerte pendant la nuit, ni le lendemain pendant la journée. Dans le halo blanchâtre des baguettes, les géants restaient imperturbables et continuaient à se faire face de part et d'autre de la grotte qui n'en finissait pas.

Günter prenait toujours plus de notes et Christopher remplissait ses poches d'échantillons de cailloux, mais les autres commençaient à s'ennuyer.

En fin d'après-midi, Albus recommença à tousser.

Ce fut d'abord une toux discrète, un simple raclement de gorge qui ne lui attira qu'un sourcil froncé. Puis des quintes de plus en plus rapprochées, jusqu'au moment où il fallut s'arrêter car il ne parvenait plus à reprendre sa respiration.

- Il n'a pas encore de fièvre, expliqua Terrence à son chef d'équipe pendant que les autres installaient de nouveau le camp. "Mais inutile de se leurrer. C'est la troisième fois que son état se dégrade après s'être miraculeusement amélioré. Il va mourir."

Günter considéra longuement le jeune médicomage qui faisait son rapport d'une voix terriblement neutre et détachée, puis il laissa échapper un gros soupir et ses yeux doux s'embuèrent.

- Je voudrais que nous puissions faire quelque chose… murmura-t-il.

- Je l'aurais voulu aussi, dit Terrence. "C'est impossible. Maintenant, j'ai besoin que vous continuiez à mener cette équipe comme si tout était parfaitement normal. Calcifer dit que nous approchons de la fin de notre voyage. Si Al peut garder sa place jusqu'au bout, nous lui aurons permis d'accomplir le rêve d'une vie. C'est peu, mais c'est davantage que ce que la plupart des gens ont la chance de pouvoir laisser derrière eux."

Günter lança un regard attristé en direction des autres qui disposaient des coussins et des fauteuils en cercle autour d'un brasero dans lequel se prélassait Calcifer.

- Est-ce que… est-ce que je peux vous demander… ce qu'il a, exactement ?

Terrence respira profondément.

- Je suppose qu'après tout ce que nous avons traversé, ça ne fait plus aucune différence, marmonna-t-il.

Il mit les mains dans les poches de sa blouse blanche et s'assit sur le socle d'une des statues, entre deux énormes pieds de pierre grise.

- C'est compliqué. Quand il était gosse, ils ont diagnostiqué une sorte de tuberculose foudroyante – sauf que ça ne pouvait pas être ça, puisqu'il n'était pas du tout contagieux. En un temps record, Al est passé par tous les stades de la maladie – fièvre, toux, perte de poids – et s'est affaibli comme s'il était atteint depuis des mois.

Günter s'assit à côté du jeune homme pour mieux écouter.

- A l'époque, ils ont écarté une maladie transmise par son petit dragon de compagnie. Il restait la possibilité d'une dégénérescence de la magie instinctive, les conséquences d'une malédiction, peut-être même une simple allergie à la glue éternelle : mon maître de stage avait aidé à faire des relevés dans son environnement et il disait que l'atelier des Weasley empestait tellement la colle magique qu'il trouvait insensé qu'on y laisse jouer un enfant aussi jeune. Mais ils n'ont rien trouvé de concluant. Il n'y avait pas de remède non plus. Ils étaient complètement dépassés.

- Mais Albus a guéri.

- Oui. Pouf, comme ça, du jour au lendemain.

Terrence haussa les épaules d'un air las.

- Je ne sais pas exactement ce qui s'est passé sur la montagne, avec le dragon et tout. A Sainte-Mangouste, ce dossier, c'est un sujet qui fâche. Les médicomages de l'époque sont restés mortellement vexés par le mutisme d'Harry Potter et ont seulement gribouillé en marge des trucs du style "remède de bonne femme" ou "potentielle intervention de magie noire". Ils n'avaient peut-être pas tort…

- Le dragon ? La montagne ? répéta Günter sans comprendre. "Vous voulez dire que le dragon qui… qui cohabite avec Albus, est celui qui l'a guéri à l'époque ?"

- C'est compliqué, répéta Terrence. "Bref, les symptômes sont un peu différents avec cette rechute, alors je privilégiais plutôt la théorie des deux âmes qui ne supportent plus de partager le même corps, un peu comme pour la grippe du loup-garou, mais…"

Il mordilla sa lèvre inférieure.

- Mais je crois qu'en fait, tout bêtement, le dragon s'en va. Et qu'après quatorze ans de sursis, Albus va finalement mourir de l'espèce de tuberculose aigüe qui aurait dû le tuer quand il était enfant, conclut-il d'une voix très basse.

Il sortit une main de sa poche et fourragea dans ses cheveux blonds.

- Vous ne devez pas vous sentir coupable, dit doucement Günter. "Vous avez fait tout ce que vous pouviez."

Le médicomage eut un petit sourire amer.

- ça ne rend pas les choses plus faciles pour autant, grinça-t-il.

Il se leva et retourna vers le groupe sans attendre son chef d'équipe. Le vieil homme contempla un moment ce long dos maigre dont les épaules affaissées trahissaient le découragement, puis il soupira et rejoignit les autres autour du brasero.

Après le souper, ils firent encore griller des marshmallows sur le dos ronronnant de Calcifer. Il y avait quelque chose d'étrangement réconfortant dans cette activité de colonie de vacances, un sentiment d'unité rassurant et apaisant.

Christopher joua un peu de guitare, Vivienne chanta de vieux couplets nostalgiques. Matilda finit par s'endormir, roulée en boule dans un fauteuil de chintz. Euphrosine tricotait. Günter triait ses notes et les histoires que racontaient les flammes se reflétaient tranquillement dans ses lunettes.

Il faisait bon. Il n'y avait pas un souffle d'air, pas un insecte, pas une étoile sur la voûte de pierre très loin au-dessus d'eux, mais on aurait pu se croire dans un champ à la fin de l'été.

Wendy était assise au bout d'une couverture, la tête d'Albus sur ses genoux, et s'amusait à tresser de petites nattes dans les cheveux noirs emmêlés de son fiancé. Le jeune homme étendu toussait de temps à autre, s'attirant des coups d'œil anxieux de Scorpius qui prétendait être plongé dans son rapport quotidien.

- A poil, Potter, dit Terrence en s'approchant, sa trousse de médecine à la main.

Albus déboutonna docilement sa chemise, s'interrompant seulement pour reprendre sa respiration après une nouvelle quinte.

Le médicomage s'assit en tailleur à côté de lui et déclipsa les fermoirs de son sac. Il en sortit un pot d'onguent dont il dévissa le couvercle. Il enfonça ses doigts dans la pâte verdâtre qui dégageait une forte odeur de laurier, puis se mit à en badigeonner le torse nu de son ami.

- C'est froid, dit Albus avec un léger tressaillement.

- Dans un moment, tu auras l'impression que c'est une compresse chaude et tu respireras mieux, dit Terrence sans cesser de travailler.

Ses longs doigts plats traçaient des cercles précis, massant pour faire pénétrer la crème qui luisait sur la peau pâle du malade.

- ça pique le nez, ton truc, dit Scorpius qui releva la tête en fronçant une narine.

- Je trouve que ça sent comme dans la serre n°1, dit Wendy joyeusement. "Vous vous rappelez en sixième année, quand Terrence avait ensorcelé cet épouvantail et qu'il avait suivi les cours pendant deux jours comme un élève normal ?"

- Le professeur Flitwick avait failli avoir une attaque, gloussa Albus, ses yeux verts pétillants à ce souvenir. "Monsieur de la Plancha, il n'est pas dans mes habitudes…"

- … de me répéter trois fois, complétèrent les autres avec un bel ensemble.

Ils éclatèrent de rire.

- Le pauvre, il avait été tellement secoué quand il avait soulevé le chapeau de l'épouvantail et que ça lui avait arraché la tête.

- Et Miranda Brown qui braillait comme un putois…

- Craig était dégoûté de ne pas s'en être aperçu plus tôt alors qu'ils partageaient le même bureau !

- Finnigan n'a jamais été très observateur.

- Tu avais été convoqué par la directrice et on avait fini de corvée de désherbage pendant une semaine. J'avais les mains toutes bleues, grogna Scorpius en contemplant ses paumes comme si la couleur s'y trouvait toujours incrustée.

Terrence enduisit de nouveau ses doigts d'onguent à l'odeur de laurier et continua l'application, contournant soigneusement la cicatrice en forme de fleur et les lettres rouges sur le torse de son ami.

- C'était votre faute, aussi, lança-t-il. "Quelle idée de vous dénoncer avec moi…"

- J'avais trouvé l'épouvantail, dit Wendy.

- C'était mon idée de le mettre en uniforme, dit Albus.

- Je n'ai rien fait pour vous en empêcher, dit Scorpius.

Les autres lui adressèrent un large sourire hilare.

- C'est vrai que tu n'étais pas très efficace, comme préfet, commenta Terrence. "Je me demande si les profs t'avaient choisi dans l'espoir de maintenir un peu de calme…"

- Si c'était leur raison, ils auraient mieux fait de donner le badge à Al, grogna le jeune homme blond. "Au moins il avait un peu d'autorité sur Macmillan et Flinch-Fletchley. C'est lui qui les a empêchés de terminer leur périscope de l'amour."

Wendy leva un sourcil interrogateur, mais les trois garçons se gardèrent bien de donner des explications.

Albus changea de position avec une légère grimace, comme s'il était gêné par un pli de la couverture. Terrence avait terminé. Il essuya ses mains sur un mouchoir, rangea le pot d'onguent dans sa trousse de médecine, puis sortit un thermomètre qu'il fourra dans l'oreille de son malade. Scorpius, qui le regardait faire, ne s'était pas aperçu que ses doigts tambourinaient un rythme nerveux sur son carnet.

- Je pense qu'on t'a nommé préfet parce que tu en avais les qualités, dit Albus en tendant le bras pour attraper le poignet de l'agent du gouvernement et apaiser cette agitation inquiète. "Tu faisais toujours attention aux plus jeunes, tu connaissais les règles et tu savais pourquoi il fallait les respecter."

Il sourit, de ce sourire chaleureux qui créait immédiatement un cocon de douceur et vous donnait l'impression que vous étiez quelqu'un de spécial, d'important, d'essentiel.

- Même encore maintenant, c'est quelque chose que j'admire chez toi. Ton sens des responsabilités et le fait que tu n'oublies jamais personne.

Scorpius s'empourpra tandis que les deux autres hochaient la tête avec approbation.

De l'autre côté du brasero dans lequel se prélassait Calcifer, Günter terminait de ranger ses notes. Christopher bâillait et il ne tarda pas à souhaiter une bonne nuit à la ronde. Vivienne était déjà partie se coucher. Matilda ronflait toujours dans son fauteuil. Euphrosine dodelinait de la tête au-dessus de son tricot dont les aiguilles continuaient à enfiler des mailles.

Il faisait un peu plus frais, maintenant. Wendy reboutonnait la chemise de son fiancé et Terrence nettoyait le thermomètre.

- On faisait une sacrée équipe, quand même, dit Albus qui n'avait pas lâché la main de l'agent du gouvernement. "Pas étonnant qu'ils aient choisi un préfet avec la tête sur les épaules. Terrence essayait de faire sauter Poudlard, Wendy terrorisait les autres équipes de Quidditch…"

- Et toi, t'étais , croassa Scorpius, presque comme si cela lui avait échappé.

- J'étais là, sourit le jeune homme aux yeux d'émeraude. "Je suis vraiment content de vous avoir rencontrés."

La jeune fille avala sa salive avec difficulté, mais l'expression du médicomage se fit un peu sévère alors qu'il rangeait ses affaires dans sa trousse.

- C'est quoi ce discours de la fin du monde, Al ?

- J'avais juste envie de le dire, c'est tout. Pourquoi on devrait attendre des occasions spéciales pour dire ce qu'on pense ? Je suis vraiment fier de vous avoir eu comme amis. Je ne serais pas le même, si on ne s'était pas connus…

Wendy se pencha au-dessus de lui. Ses courtes mèches châtaines glissèrent sur son visage, cachant un instant ses yeux embués.

- C'est parce que tu parles au passé que tu nous fais flipper, gronda-t-elle gentiment.

- Ah pardon.

Albus cala plus confortablement sa tête sur les genoux de sa fiancée. Ses longs cils sombres papillonnèrent un peu. Il se sentait gagné par l'agréable torpeur provoquée par les effluves de laurier et la douce chaleur du feu, mais il n'avait pas envie d'y céder tout de suite.

- Si tu es fatigué, dors, dit Terrence, amusé. "On n'ira nulle part, tu sais."

Wendy renchérit d'un vif mouvement de tête et Scorpius pressa brièvement la main qu'il tenait toujours dans l'ombre.

- Je n'ai pas sommeil, assura Albus avec un bâillement mal réprimé. "Parlons de trucs. Parlons de l'Axe ou de Jen Pendragon."

- A cette heure-ci de la nuit, j'aimerai mieux qu'on parle d'autre chose, frissonna la jeune mécano. "Parlons de neige ou de renards à queue de feu. On en a vu aucun, pour l'instant."

- Je suis sûr qu'ils sont seulement passés par le premier puits, dit l'agent du gouvernement. "Aspirés en ligne droite depuis le Pôle Nord."

- S'ils avaient dû chercher leur route dans ce dédale, ils ne seraient jamais arrivés en Antarctique...

- Au fait, Scorpius, dans tes notes, t'as marqué les directions qu'on prenait, au fur et à mesure ? demanda Terrence en faisant disparaître sa trousse de médecine d'un coup de baguette. Il invoqua à la place une couverture qu'il étendit sur les jambes d'Albus tout en continuant à parler. "Parce que je me demandais comment on se déplace par rapport à la surface... Par exemple, est-ce qu'on reste vraiment dans l'Axe ? Ou est-ce que l'Axe n'est autre qu'un genre de monde à l'intérieur de la Terre ? Aussi bien, on est actuellement sous l'Afrique ou au milieu de l'océan Pacifique…"

Les autres écarquillèrent les yeux à cette hypothèse.

- Je suppose qu'avec la magie, on ne peut pas écarter la possibilité qu'on se trouve dans une sorte de prisme avec des niveaux superposés – un genre de carrefour de mondes parallèles par exemple, continua le jeune homme en jouant distraitement avec la pointe de sa queue de cheval blonde, ses yeux bleus perdus dans un océan de conjonctures derrière ses lunettes rondes. "Mais peut-être que c'est aussi simple que ce que les anciens imaginaient et qu'on se contente de parcourir un territoire situé sous la surface de la planète…"

Scorpius lui tendit son carnet de notes.

- Les latitudes et longitudes sont marquées chaque jour. Après, les relevés de l'astrolabe, c'est quand même du grand n'importe quoi, vu qu'il se bloque systématiquement sur une étoile qui n'existe pas – ou alors qui se déplace. Je crois que Vivienne a abandonné l'espoir de comprendre.

Terrence eut un petit sourire.

- Vivienne aura le choc de sa vie quand elle pigera, marmonna-t-il.

Il feuilleta le carnet pendant un moment, sous le regard intrigué des trois autres, puis releva la tête.

- J'essayerai de faire une carte à partir de ça, dit-il pensivement. "En la comparant avec celles d'Euphrosine et de ceux qui nous ont précédé, on arrivera peut-être à tracer le contour d'un continent."

Il considéra encore quelques instants les pages couvertes de l'écriture élégante de Scorpius, puis lui rendit le carnet.

- En tout cas, c'est passionnant, dit-il d'un ton sincère. "Je pensais que tu écrivais d'une manière… euh…"

- Ennuyeuse ? suggéra l'agent du gouvernement, ironique.

- Non, mais… plus réglementaire. Des faits, des dates, pas de sentiment, quoi. Mais on dirait un roman et pourtant, du peu que j'ai lu, tu n'as pas extrapolé. Si j'étais le mec qui te lit au ministère, j'adorerais recevoir des rapports rédigés de cette façon !

Scorpius haussa les épaules.

- Il me trouve trop extravagant.

- C'est vrai que tu as toujours été doué pour écrire, dit Albus avec admiration. "Quand on faisait des versions en Runes Anciennes, tes traductions étaient dix fois plus jolies que celles des autres."

- Ses dissertations aussi, ajouta Wendy avec chaleur. "Une fois, je lui ai emprunté son devoir d'Histoire de la Magie et j'ai complètement oublié pourquoi après l'avoir lu. C'était captivant !"

- Tu aurais dû faire cours à la place du professeur Binns, grogna Terrence. "S'il n'avait pas une voix si soporifique, j'aurais pu avoir des O dans toutes les matières aux ASPIC."

Scorpius renifla, narquois.

- Je pense que dans ce cas-là, on devait plutôt le remercier. Tu avais déjà suffisamment la grosse tête, ce n'était pas la peine d'en rajouter.

Albus gloussa de rire et faillit s'étouffer sur une soudaine quinte de toux. Tout le monde s'agita pour essayer de le soulager. Une fois que la crise fut passée, ils se réinstallèrent comme ils l'étaient auparavant et le silence les enveloppa d'une couverture rassurante.

Calcifer dormait. Le feu pétillait autour de lui et des étincelles dorées montaient vers la voûte de pierre.

- Si t'en as marre du Département des Mystères, tu pourras toujours te reconvertir comme écrivain, Scorp', dit Wendy au bout d'un moment, en penchant la tête de côté.

Le jeune homme blond resserra le bras qu'il avait passé autour de ses genoux.

- J'sais pas, marmonna-t-il.

Albus tâtonna pour retrouver la main qu'il tenait quelques minutes plus tôt. Il sourit.

- Nous, on sait. On adorerait te lire. Tu pourrais raconter tout ce qu'on a vécu ici et publier un livre.

- Et ensuite, on le mettrait en cabane pour avoir divulgué des secrets d'état, pouffa Terrence.

La mécano le foudroya du regard.

- Sois un peu sérieux.

Günter s'approcha d'eux en contournant le brasero et les fit sursauter. Matilda et Euphrosine avaient dû se réveiller et aller au lit, leurs fauteuils étaient vides.

- Je vais me coucher, annonça le chef d'équipe. "Ne veillez pas trop tard, une longue journée nous attend demain."

- Je m'assurerai qu'on soit raisonnable, dit Terrence.

- J'éteindrai le feu, dit Scorpius.

- Je ferai rentrer Calcifer, dit Wendy.

- Bonne nuit, dit Albus.

Günter fit un pas pour retourner vers la Citrouille, puis se ravisa. Sa robe de sorcier balaya le sol poussiéreux quand il se retourna. Ses yeux doux souriaient derrière ses lunettes.

- Je pense aussi que vous avez du talent, Scorpius, dit-il avec bonté. "Ne l'oubliez pas."

L'agent du gouvernement piqua son second fard de la soirée, tandis que les autres rigolaient.

Günter s'éloigna en croisant les mains derrière son dos. Il avait les épaules endolories à force de se pencher sur les croquis de la fresque, mais il ne regrettait pas la fatigue. Il aurait pu aller se coucher bien plus tôt, mais il était resté à écouter les quatre jeunes sorciers bavarder, émerveillé encore une fois devant l'amitié qui les liait.

Il avait presque senti la présence familière de Poivre à ses côtés, comme si le vieil elfe était là aussi, assis sur un tabouret avec une grosse tasse de chocolat chaud, en train de secouer la tête aux élucubrations de Terrence.

Le cœur du chef d'équipe se noua douloureusement.

Il fallait qu'ils restent en vie.

Tous.

Ce n'était pas possible d'imaginer de les séparer, pas après tout ce qu'ils avaient traversé ensemble…

Il se mit en tenue de nuit et jeta un dernier coup d'œil à travers la vitre avant de se coucher.

Le brasero brûlait toujours gaiment dans l'obscurité et le groupe n'avait pas bougé.

Terrence dessinait des formes brillantes avec sa baguette. Wendy gobait des dragées colorées, une main caressant tendrement le front de son fiancé. Scorpius racontait quelque chose. Albus était toujours allongé et riait entre deux quintes de toux.

Günter eut un sourire attendri. Il laissa retomber le rideau et, pendant une seconde, il lui sembla qu'il avait aperçu une silhouette dans les volutes de fumée. Une gerbe d'étincelles qui esquissait le contour d'une encolure majestueuse, la courbe gracieuse d'une aile noire…

Il secoua la tête, l'esprit embrumé de sommeil, et bâilla largement sous son bonnet de coton.

Il dormait déjà lorsque sa joue toucha l'oreiller.

Le lendemain matin, lorsque Günter sortit de la citrouille en s'étirant, l'estomac gargouillant à l'odeur délicieuse des pancakes que préparait Vivienne, le feu était réduit à l'état de cendres grises soyeuses. Calcifer y était enfoncé jusqu'au cou et ressemblait à un poussin de braise rouge. Il dormait en laissant échapper de petits tchiiii-puuuu vraiment très peu dignes d'une créature aussi puissante.

Les Quatre de Poudlard avaient visiblement oublié d'aller se coucher.

Au milieu du tas de couvertures et de coussins parsemés de miettes de biscuits et d'emballages de bonbons, Terrence était étalé, les lunettes en travers de la figure, ses cheveux blonds éparpillés autour de lui, la bouche entrouverte. Wendy était roulée en boule sous son bras, le visage blotti contre Albus qui était couché sur le dos et émettait une sorte de ronronnement paisible. Scorpius était pelotonné de l'autre côté, les genoux remontés contre la poitrine comme un enfant, et tenait près de sa joue la main de son ami.

Günter eut un petit rire, puis se décida à les réveiller avant que Christopher ne s'y emploie d'une manière certes plus amusante mais bien moins tendre.

Après le petit déjeuner, ils reprirent la route. La toux d'Albus semblait sous contrôle et l'humeur était au beau fixe. La Citrouille faisait joyeusement cliqueter ses mandibules dans les cheveux ébouriffés de Wendy et Matilda avait fait un rêve absolument déjanté qui les fit tous beaucoup rire.

Puis ils arrivèrent au bout de l'allée de statues de pierre géantes et se retrouvèrent face à un haut mur lisse.

Il n'y avait rien. Aucune issue nulle part, si ce n'était un grand miroir cerclé d'or sur le sol gris, assez grand pour refléter un carrosse.

Christopher l'effleura du bout des doigts pour essayer d'en déterminer le matériau et la surface brillante se rida légèrement, projetant une ombre chatoyante sur la voute de pierre au-dessus de leurs têtes.

 

 

A SUIVRE...

Prochain chapitre : LA JEUNE FILLE, L'ETOILE ET LE MAGICIEN

 

Laisser un commentaire ?