Juste la montagne, toi, et moi.

Chapitre 6 : Renouveau en automne.

2912 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 22/12/2019 11:43

Ils restèrent un long moment ainsi, dans les bras l'un de l'autre, jusqu'à perdre complètement la notion du temps qui passe. Pendant ce temps, les chèvres continuent de brouter sans prêter la moindre attention aux jeunes gens. Les dernières fleurs de cette fin d'été vivent leurs derniers jours. Bientôt le paysage va se parer de ses belles couleurs d'automne, et les chèvres devront quitter l'estive, au grand désarroi de Peter qui ne pourra plus passer ses journées en haut des montagnes, là où il se sent si bien. Et cette année c'est aussi Heidi qui vas lui manquer en ce début d'automne, il la verra forcément beaucoup moins. Il est si heureux que, cet été, elle soit revenue lui tenir compagnie comme autrefois. Sa simple présence suffit à le rendre heureux, tant sa joie de vivre est communicative . C'est comme si elle était toujours une enfant pétillante et pleine d'enthousiasme. Un rien suffit pour l'émerveiller ; un oiseau qui se pose près d'elle, la mélodie d'un ruisseau, les premières feuilles brunes, quelques flocons de neige, les premiers bourgeons au printemps, et une infinité d'autres petites choses lui mettent des étoiles dans les yeux. Les enfants eux-même n'ont pas une aussi grande capacité à l'émerveillement. C'est toutes ces choses, et bien d'autres, qui provoquent un si grand attachement pour elle de la part de celui qu'elle appelle son grand frère. Elle est comme une petite fille innocente qu'on a envie de protéger, et leurs 6 ans d'écart ne fait qu'amplifier cela . 


"- Merci grand frère, souffle la jeune fille en desserrant son étreinte et séchant ses larmes du revers de la main. Je vais mieux maintenant. 

- Je suis vraiment désolé pour toi, ma grande. "

Elle lui répond par un grand sourire plein de tendresse, qu'il imite immédiatement. Puis comme si ces émotions l'avait vidée de toute son énergie mentale et physique, elle s'assoie par terre, le regard vide. Jugeant mieux de la laisser, Peter s'éloigne pour lui permettre d'être seule avec elle-même. 

Elle reste ainsi de longues minutes, peut-être même plusieurs heures, fixant les montagnes environnantes, en donnant l'impression de ne pas les voir.


*** 


Deux mois ont passé depuis ce triste jour, et personne n'en a jamais reparlé, comme si rien n'était jamais arrivé. Heidi a retrouvé sa joie de vivre et sa bonne humeur si communicative. Même s’ils  ont été profondément peiné de voir leur petite Heidi aussi effondrée ; aussi bien Grand-Père que Peter sont fortement soulagé que tout cela soit finit, et surtout qu'elle ne soit pas partie loin de ce qu'elle aime, et loin d'eux. 


Les premières feuilles brunissent : l'automne s'installe, déjà, chassant les derniers jours d'été. La nature environnante entame son repos hivernal, bientôt les couleurs chatoyantes couvriront toute la vallée. De nombreux oiseaux migrateurs ont déjà entamé leur long voyage. Reste les oies bernaches qui ne sont pas encore passées au dessus du chalet. Les hirondelles, elles, passent leurs derniers jours dans la montagne, bientôt elles aussi prendront le départ, jusqu'au printemps prochain. Le calme a fait place à l'agitation estivale, comme si la nature se préparait aux long mois glacials approchant à grand pas. Les quelques espèces de passereaux qui, plus courageux, passeront l'hiver ici, se rapprochent dès lors des habitations, espérant trouver quelques restes pour se nourrir. 


Ce matin-là, Peter s'est levé plus tôt pour traire ses chèvres. Aussitôt fini, il entame l'ascension jusqu'au chalet de Heidi. Le soleil se lève à peine à l'horizon. Une fois arrivé, il se dirige discrètement au dos du chalet, prend une échelle laissée perpétuellement là, et la cale sous la fenêtre où dort son amie. Enfin, il grimpe toujours aussi discrètement jusqu'à la hauteur du carreau, et frappe sur celui-ci. 


- Heidi, chuchote-t-il, ouvre-moi, c'est Peter.

- Mais qu'est-ce qu'il t'arrive ?

- Chutt, ça te dis de venir faire un tour avec moi? Te me manques trop.

- Oui, mais qu'est-ce que je dis à Grand-Père ? J'ai remarqué qu'il n'aime pas me voir partir depuis qu'il y a eu Joël, alors si tôt... 

Le jeune homme fronce les sourcils, c'est la première fois depuis cette fameuse journée qu'elle évoque ce nom, qui rappelle tous ces souvenirs.

- Il ne se rendra même pas compte que tu es partie. Je n'ai qu’une heure devant moi, et tu n'as qu'à sortir par la fenêtre. 

Après une courte réflexion, elle acquiesce, trop contente de passer un moment avec son ami. 

-Je m'habille et j'arrive. 

- Je t'attends en bas.

La jeune femme rejoint Peter en un temps record. 

- On y va ? 


Le jeune berger lui attrape la main et part en courant vers un chemin où on ne pourra pas les apercevoir du chalet. De loin on pourrait croire deux enfants qui s'amusent. Une fois hors de vue, ils s'arrêtent de courir, et pouffent de rire devant cette situation cocasse.


- On va où maintenant ? demande la jeune montagnarde. 

- Viens, je veux te montrer quelque chose. 


Il la précède, et grimpe sur un chemin escarpé et sinueux. Bientôt, ils arrivent près de la falaise. Peter se retourne et fait signe à Heidi de ne pas faire de bruit. 


- Chutt, regarde ici, dit il en montrant le vide.

- Oh un nid d'aigle.

- Baisse-toi, ils vont arriver. 

- Oh oui j'en vois un. J'en n’avais jamais vu d'aussi près. 

- Regarde là-bas, c'est un jeune, il est né au printemps. Il va rester dans le coin encore quelques mois, et il ira chercher ensuite un nouveau territoire. 

- C'est vraiment merveilleux, merci grand frère. 


Ils restent tous deux ainsi à observer les rapaces un long moment, immobiles. De temps à autre, Peter jette un coup d'oeil sur Heidi, qu'il trouve toujours aussi captivante, il en oublierait presque les aigles qui les frôlent. 


- Qu'est-ce qu'ils sont beaux!! 

- Oui, c'est pour ça que je voulais vraiment te les montrer.

Il faut qu'on parte maintenant, on risque de s'apercevoir de notre absence. 

- Oui tu as raison. 


Les jeunes gens s'éloignent discrètement pour ne pas déranger les oiseaux.En descendant Heidi ne voit pas une racine traversant le chemin de part en part, et s'y prend le pied. Elle perd l'équilibre, tombe sur le pauvre Peter qu'elle entraîne dans sa chute. Tous deux se mettent à rouler ne pouvant se retenir sur ce sentier si escarpé, et, se retrouvent tout en bas en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. 


- Tu vas bien Heidi ? Rien de cassé ? 

- Oui oui, merci, toi non plus ? 

- Non ça va, mais quesqu'il t’a pris de te jetter sur moi comme ça ? 

- Je me suis prise le pied dans un truc et j'ai perdu l'équilibre, désolée. 

- Non c'est rien. 

Se rendant soudain compte du ridicule de la situation, un fou rire les prend tous deux, une fois de plus. 

Après s'être chaleureusement salués comme de vieux amis qu'ils sont , chacun s'éloigne de l'autre dans la direction de leurs maisons respectives. Mais brusquement, Peter se retourne, et après avoir parcouru à grandes enjambées la distance qui les sépare, il saisit la main de la jeune fille, qui, surprise, se retourne à son tour. 


- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Il faut que je te dise Heidi. 

Il marque une pause ;  pendant une fraction de seconde il pense à vider tout ce qu'il a dans le coeur, mais il se ravise en pensant aux conséquences d'un tel aveu. 

-Merci d'avoir partagé ces moments avec moi, j'ai vraiment apprécié. 

Il s'arrête quelques instants, reprend son souffle, et poursuit : 

-Tu comptes tellement pour moi petite soeur, plus que tu ne penses ; et j'apprécie énormément les moments passés avec toi. Je serai toujours là pour toi. J'ai vraiment eu peur de te perdre quand l'autre bourgeois a tenté de t'attirer loin d'ici, j'ai cru te perdre pour de bon… Je suis tellement heureux que tu sois encore là. Si je le recroise un jour, je ne sais pas si je pourrais me retenir. Il n'a pas le droit de te faire du mal comme il l'a fait.

- Oh ! Peter !! 

La jeune femme se jette à son cou, les yeux embués par cette déclaration d'amitié. 

-Je t'aime aussi. Tu sera toujours mon grand frère quoi qu'il arrive.


Enfin, ils retournent vite chacun chez soi, avant de devoir justifier leurs absence, à une heure où ils ne devraient pas être partis. 


Heidi remonte vite au grenier, avant d'en redescendre, mais côté chalet cette fois-ci. 


- Bonjours Grand-Père, comment tu vas ?

- Ça va merci. Tu te lève tard aujourd'hui.

- Euu oui, hier je me suis endormie tard, j'ai regardé les étoiles longtemps. 

- Hum je comprends. Mais dis-moi, pourquoi il y a une échelle sous ta fenêtre ?

La jeune femme blêmis à cette évocation. C'est vrai qu'ils n'ont pas pensé à la redescendre en partant tout à l'heure. 

- Et bien, j'ai vu un insecte bizarre hier soir au dessus de ma fenêtre, mais je le voyais mal de l'intérieur. J'ai voulu l'observer de plus près. 

- Humm...

Grand-père semble sceptique de cette réponse, mais ne cherche pas pour autant à questionner plus sa petite fille. Elle a 22 ans à présent, et ce n'est donc plus une petite fille qu'on doit surveiller, même si la plupart du temps, il a grand mal à s'en rappeler. Il faut dire que parfois il a l'impression qu'elle a toujours 6 ans, à cause de sa grande pureté, et sa magnifique capacité d'émerveillement.

Il est tellement soulagé qu'elle ne soit pas encore une fois partie loin de lui, et avec un stupide jeune bourgeois égoïste, tout juste sorti des jupes de sa mère qui plus est. Il préfère de loin qu'elle passe du temps avec Peter. Il n'aime pas vraiment ce qu'il devine au fond des pensées du jeune homme, mais il lui fait confiance malgré tout. Peter est bien trop attaché à sa petite fille pour faire quoi que ce soit qui puisse lui nuire, il préfèrerait se créer des ennuis à lui-même plutôt qu'à Heidi ; et ça le vieil homme le sait bien.


Heidi voit bien que son grand-père n'est pas dupe. Mais comme souvent, il fait semblant de la croire. Elle l'aime tellement. Sans lui elle aurait grandi dans un orphelinat, triste et sinistre, loin des montagnes qu'elle aime tant. Jamais elle ne comprendra ce que lui reproche tout ces gens. Elle le voit tellement différemment que tout ce qu'ils disent, tellement aimant, tellement attentionné, et tellement d'autres choses encore. 


Comme chaque matin, elle boit son grand bol de lait de chèvre, mais aujourd'hui elle a bien plus faim qu'à l'accoutumée. Elle fait son maximum pour réfréner son appétit, ouvert pas son expédition matinale, et ne pas avaler trop vite son bol, afin de ne pas donner la puce à l'oreille à son grand-père. En l'avalant elle repense aux paroles de Peter tout à l'heure. Elle sait déjà tout ça, mais le fait d'entendre son ami le lui dire la remplit d'un profond sentiment de joie. Mais plus elle y réfléchit, plus elle a l'impression qu'il voulait dire autre chose. Peut-être qu'un jour elle saura.


***


De son côté, Peter est arrivé juste à temps pour que son absence ne soit pas remarquée. Quelques secondes à peine après qu'il soit rentré dans la bergerie, sa mère à son tour y a pénétré. 


- Qu'est ce qui t'arrives aujourd'hui Peter ? Tu es bien long pour la traite ! 

- Je suis au fond maman, c'est bon, j'ai fini.

- Est ce que tu pourrais aller en ville me faire quelques commissions s'il te plait mon garçon ? 

- Bien sûr maman, tu en as besoin pour quand ? 

- Le plus tôt possible. Merci mon petit.

- Maman arrête, j'ai bientôt 30 ans !

- Oh mais non ne dis pas ça, il reste 2 ans encore. Et tu seras toujours mon tout petit. Prends la liste plutôt que de dire des bêtises. 

Peter ne relève pas, il sait bien qu'il est tout ce qu'il reste pour elle, et qu'elle a peur qu'à son tour, il disparaisse de sa vie d'une manière ou d'une autre. Elle a très peu connu son père ; son mari est décédé jeune, la laissant seule avec un très jeune enfant. Et sa mère s'est également éteinte il y quelques années. Peter aussi a une très grande affection pour sa mère, elle est son unique parent, et malgré les difficultés elle a toujours fait l'impossible pour s'occuper de lui du mieux possible. Il est conscient des sacrifices qu'elle a fait pour lui, et il lui en est très reconnaissant. 


Il continue à penser à tout ça sur le chemin du village. Pourra-t-il un jour quitter le foyer familial sans briser le coeur de sa mère ? Enfin bref songe-t-il. Le jeune chevrier regarde alors la liste des commissions, le tout sera rapide il n'y a pas grand chose. 

Très vite, il arrive en bas.


En pénétrant dans le village, il aperçoit trois de ses anciens camarades qu'il n'a pas vu depuis longtemps. Il ne pourrait pas dire que ce sont ses amis, il n'a d'ailleur même jamais été vraiment en bon terme avec eux ; mais ne pouvant pas les éviter il ne voit pas d'autre solution que de les saluer.


Déjà enfants, ces trois-là étaient les têtes dures de l'école. Johan était le pire d'entre eux, et Jorim n'étaient pas en reste pour autant. Dorian lui était un peu moin agité et se contentait souvent de suivre le mouvement. Même s'ils ont grandi, et travaillent tous trois, ils n'en ont pas moins gardé leur âme de rebelles. Beaucoup même les craignent, et les considèrent comme des voyous. 


- Salut les gars, ça va ?

- Hey ! Mais c'est Peter ! Ça fait longtemps qu'on ne t'a pas vu ici. répond Dorian

- Oui c'est vrai, poursuit Johan. Pourquoi tu ne viens plus nous voir, on t'a fait quelque chose peut-être ?

- Mais non, d’ailleurs je passe tous les soirs au village. 

- Tu ne doit pas rester longtemps alors, ironise Johan

- Je suis juste bien occupé. 

- C'est Heidi qui t'occupe autant ? Elle a finit par accepter tes avances ?

- Arrête Johan l'interrompt Dorian 

- Mais il a raison, quesque tu veux qu'il fasse sinon tout ce temps là-haut. continue Jorim

- Vous êtes complètement malades !! C'est juste une amie, rien d'autre, et quelles avances ?!

- Oui bien sûr, et pendant des heures vous vous regardez dans les yeux, ah mais non, pardon, vous regardez les marmottes bien sûr, ironise Johan.

- C'est bon maintenant, on y va, laissez-le, interrompt Dorian.

- Je vous interdis de dire ça, elle est comme ma soeur, et rien d'autre !

- C'est bon on a compris, laisse tomber. Bonne journée monsieur le gentleman, ironise  Jorim d'un ton moqueur.


Peter les voit continuer de rire tout en s'éloignant. Il est complètement désappointé d'apprendre que c'est ce que certains pensent : si eux le disent c'est que d'autres aussi. Il aurait eu envie de les étrangler en entendant tout ça, c'est vrai que parfois il s'est surpris à rêver de plus, mais cela fait bien longtemps qu'il a rejeté cette idée. Heidi le considère tellement comme son frère qu'il sait qu'il ne peut espérer rien d'autre. Certe il aurait aimé qu'un jour leur relation évolue, mais cela fait très longtemps qu'il est clair pour lui qu'elle sera toujours son amie. 

Vraiment il espère qu'elle n'aura jamais d'échos de ce qui se dit au village, elle en serait vraiment perturbée. 


Peter n'a guère le temps de s'inquiéter pour Heidi, il voit presque aussitôt après le départ de ses jeunes voisins, le facteur local arriver en courant vers lui. Dans ces petites régions reculées des Alpes, tout le monde se connaît, et le facteur ne fait pas exception. 


- Peter ! Peter ! Attend ! 

Il arrive complètement essoufflé.

- Qu'est ce qu'il t'arrive ? 

- Est-ce que tu pourrais me rendre un service, je te devrais une fière chandelle ? 

- Oui bien-sûr, de quoi as-tu besoin ?

- Merci beaucoup.Tu vas me faire gagner un temps fou. Est ce que tu peux remettre à Heidi cette lettre de Francfort, elle lui est destiné ?

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