Juste la montagne, toi, et moi.

Chapitre 17 : Frayeur et arrivée incongrue.

2960 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 15/02/2021 13:34

Ce matin, Heidi s'est levé tôt. Sachant qu'elle doit recevoir un exemplaire de son premier roman oublié, elle se dirige vers le village, afin d'éviter au facteur l'ascension jusqu'à chez elle. 


...


En arrivant au village, elle aperçoit Johan, et étonnamment, au lieu de venir la provoquer comme à son habitude, il s'engouffre dans la première rue venue, disparaissant de sa vue. Bien que cela ne manque pas de la surprendre, elle se réjouit de cette confrontation évitée. Elle se dirige donc vers la place centrale du village, afin de réceptionner son colis. Quelques minutes plus tard, son bien en sa possession, elle reprend la route du retour sans plus attendre. 


Rapidement, elle arrive chez son ami, ne pouvant s'imaginer découvrir le contenu du carton sans sa présence.  Elle ouvre alors précieusement la boîte, et découvre son ouvrage relié avec une belle couverture. Ses yeux brillants d'émotion se posent rapidement sur les mots notés au-dessus du titre : "Roman d'innocence". Intriguée, elle retourne le roman afin d'en examiner le dos. Et plusieurs mots attirent son attention : "un vent de fraîcheur" , " lecture rafraîchissante". 


- Pourquoi ils ont dit ça ? s'étonne-t-elle. 


Peter laisse un sourire attendri lui étirer les lèvres. 


- Ça te représente bien, c'est à ton image, ça paraît logique que ce que tu écris te reflète, puisque t'es obligé d'y mettre un peu de toi à l'intérieur.

- C'est pourtant pas l'impression que j'ai eu en écrivant, s'étonne la jeune femme. 

- Fait voir, je te donnerai mon avis.

- Mais t'as toujours détesté lire

- C'est parce que j'ai jamais eu dans mes mains quelque chose écrit par toi. Tu m'as jamais fait lire ce que tu fais. 

- Tu sais bien que j'aime pas trop montrer ce que je fais aux gens que je connais. 

- Je suis pas un gens, j'suis ton adorable grand frère, renchérit-t-il d'un air taquin.

- Raison de plus. 

- Allez, s'il te plaît, supplie-t-il presque.

- C'est non ! affirme-t-elle d'un ton autoritaire. 

- Tu parles de moi dedans ? C'est pour ça que tu veux pas que je lise ? 

- Qu'est-ce tu vas encore inventer ?

- Bah file moi ton bouquin alors.

- Mais pourquoi tu y tiens tant que ça ? 

- S'il te plaît, insiste le jeune homme avec un regard de cocker.

- Je t'ai dit non ! répète-t-elle, pour camoufler sa volonté qu'elle sent se fissurer.

- S'il te plait.

- Non !

- Et maintenant?!

- Mais non !

- Et là ?

- Mais tu viens de me demander !

- Je sais. Et là ?

- T'es sérieux ?

- Oué. Et là ?

- Tu vas continuer longtemps ?

- J'ai toute la journée. Et maintenant ?


Heidi est partagé entre son manque de confiance qui la supplie de ne pas divulguer le moindre mot qu'elle a écrit d'un côté, et son envie de rire ainsi que son affection qui ne demande qu'à craquer devant ces deux yeux suppliants, de l'autre. 


- J'y gagne quoi ? demande-t-elle finalement, une lueur de malice dans les yeux.


Le jeune homme lui dépose un baiser sur la joue en guise de réponse. 


- Et maintenant ?

- Tu sais que t'es casse-pied quand tu t'y mets ? 

- C'est pour ça que tu m'aime, lui répond-t-il avec un clin d'œil. Ça veut dire oui ?

- C'est bon t'as gagné ! Tiens ! capitule-t-elle, tout en lui tendant l'exemplaire qu'elle avait jusqu'ici gardé dans ses mains. 

- Génial ! T'es la meilleure ! 

- Pourquoi ? Tu en doutais ? réplique la jeune femme, faussement indignée.

- Jamais de la vie, s'empresse de lui répondre son ami, en lui déposant un baiser sur le front. Je l'ai toujours su, conclu-t-il avec un dernier clin d'œil.


***


À peine Heidi est-elle rentrée chez elle que son grand-père se manifeste. 


- Alors ce bouquin ? Fait voir !

- Binnn…

- Quoi ? Il est pas arrivé ?

- Si mais…

- Et bin ! Qu'est-ce que t'as ? Fait le voir si tu l'as.

- Je l'ai pas.

- Tu viens de dire qu'il est arrivé pourtant. 

- Je… Je l'ai laissé à Peter. Il voulait le lire.


Le grand-père bougone pour le principe. En réalité, il n'est pas plus étonné que ça. Il sait à présent que la présence du jeune homme aux côtés de sa petite-fille ne peut être qu'un bien pour elle. Il ne voit plus d'un mauvais œil cette amitié, au contraire même. 


- Lui il peut lire c'que t'écris alors ? s'enquiert-t-il. 


Le ton de sa voix est celui de la plaisanterie, ce détail échappe pourtant à Heidi. 


La jeune femme est gênée, non seulement elle a préféré déballer son colis en compagnie de son ami, plutôt qu'avec son grand-père ; mais en plus de ça, elle lui a laissé pour qu'il le lise, alors qu'elle a toujours refusé cet honneur au viel homme. Elle est énormément attachée au vieillard, et ne voudrait pas qu'il pense le contraire. Seulement, son attachement pour son ami est également très grand, et se développe un peu plus chaque jour. En plus de ça, ce n'est pas vraiment comme si elle avait prévu de lui laisser. 


- Fais pas cette tête. Tu lui fais bien lire si ça te chante. Tu me le montreras plus tard. 


***


Ce soir, Peter ne dort pas, il lit à la lueur d'une bougie, et pour la première fois de sa vie, il est imprégné par sa lecture. Les personnages prennent vie sur les pages, et il ne pensait pas penser ça un jour, mais il trouve ça terriblement captivant. Il se demande pourquoi il a attendu si tard pour tenter cette expérience, quoique, il doute que les autres auteurs soient aussi doués en la matière qu'Heidi, et que leurs ouvrages puissent être aussi captivants. Il retrouve un peu de sa petite sœur dans la majorité des personnages, parfois même il se retrouve un peu, mais de manière trop discrète pour que ce soit intentionnel, enfin… il le pense. Ne parvenant pas à interrompre sa lecture, il lit jusqu'à que ses paupières soient trop lourdes pour rester ouvertes. Bien évidemment, le lendemain, le réveil est dur, encore plus qu'à l'accoutumée.


Sa mère ayant dû se rendre chez un parent pour quelques jours, elle ne l'a pas réveillé. Il arrive donc vers Marinette, une fois de plus en retard et ensomeillé. Marinette, affairée à la traite, ne l'entend pas arriver. Regardant à peine là où il met les pieds, il trébuche dans un sceau qui traîne au sol, créant un vacarme épouvantable. Marinette bondit alors, poussant un cri de terreur, et renversant son seau heureusement presque vide. 


- Laissez-moi ! Je veux pas rentrer ! s'écrit-t-elle visiblement terrorisée. 

- C'est moi Marinette ! la rassure le jeune homme, ne comprenant pas sa réaction complètement incompréhensible.


 Marinette ouvre grand les yeux, sortant de sa soudaine torpeur. 


- Pardon, fais pas attention, tu m'as surpris, c'est tout. 


Peter est interloqué par cette réaction surréaliste, surtout venant de Marinette, qui l'a habitué à être plutôt sûre d'elle, et confiante en toutes situations. 


- C'est tout ? "Je veux pas rentrer" ? 


La jeune femme ne répondant pas, il poursuit. 


- Tu m'expliques ?

- Je sais pas trop pourquoi, c'est… c'est sortit tout seul


Marinette essaie de se montrer persuasive, mais elle sait qu'elle a complètement échoué. Elle voit deux yeux incrédules et curieux qui la fixent avec malice, comme attendant la vérité. 


Elle baisse la tête, hésitant entre répondre, et détourner habilement la conversation. Finalement, le besoin de se confier, ne serait-ce qu'un peu, devient le plus fort, et considérant son ami comme digne de confiance, elle décide de poursuivre. 


- Tu te souviens quand je t'ai parlé de mes parents, qui m'ont pour ainsi dire poussé à fuir.


À ce moment, le montagnard retire son sourire facétieux, comprenant que la réponse prêtera bien moins à rire que ce qu'il s'attendait. 


 - Dur à oublier.

- Je fais régulièrement des cauchemars où ils me retrouvent, et m'obligent à reprendre mon ancien mode de vie. 

- Euh oué, mais tu dormais pas là. 

- J'ai toujours une partie de mon cerveau qui a peur que mes parents me retrouvent. C'est débile je sais, mais je sursaute au moindre bruit inhabituel. Je suis sur le qui-vive en permanence. Je sais que je ne risque rien ici, loin de tout, mais c'est plus fort que moi.


Une larme finit par discrètement rouler sur la joue de la jeune femme, suivie d'une autre, qu'elle essuie rageusement. Le ton monte au fur et à mesure qu'elle s'exprime. 


- J'ai peur d'être à nouveau dans leur prison dorée, je ne supporterais plus de perdre ma liberté maintenant que j'y ai goûté !! Je n'y retournerais pas. Et lui non plus, conclut-elle trop bas pour être entendue.


Peter, désemparé, attend quelques secondes avant de répondre. 


- Je suis désolé, vraiment. Mais comment t'arrive à vivre dans ces conditions ?

- Je fais avec, répond-elle en haussant les épaules, reprenant son souffle, tandis que les larmes qu'elle a abandonné de retenir coulent toujours. 


Peter, bien que touché par Marinette, et du fait qu'elle se confie une nouvelle fois à lui, est réellement gêné. Il ne sait pas comment réagir ; avec Heidi tout est naturel, là il se sent démuni. Il aurait envie de lui effacer délicatement les gouttes qui roulent sur ses joues, ou de la serrer dans ses bras, seulement il n'ose pas, et ne sait pas comment elle le prendrait.  

Voyant son désarroi, la future fromagère se ressaisit aussitôt. 


- J'ai un peu cassé l'ambiance là, ironise-t-elle. On s'y met ? 

- Je voulais te proposer de le faire tout seul aujourd'hui, reprend Peter, bien content de changer de sujet. Comme ça tu pourrais te débarrasser des derniers papiers à faire contre le centre.

- Tu vas en avoir pour un temps fou tout seul. 

- J'l'ai fait pendant des années, et je le referai quand tu sera repartie.


Marinette ne peut s'empêcher de grimacer à l'entente de cette dernière phrase. 


- Si ça te dérange pas. J'avoue que je commence à en avoir marre de remplir des papiers, ça m'arrangerait de me débarrasser. 

- Bien sûr que non ça me gêne pas. On te remerciera jamais assez, c'est toute notre vie qui risque de partir en vrille là. 

- Attends au moins que ça réussisse avant de me remercier.


***


Une fois l'opération affinage de fromage effectuée, Peter quitte ses fromages, et retourne se mettre au chaud chez lui. 


En passant le pas de la porte, il découvre Heidi, en discussion animée avec Marinette. Leurs éclats de voix se font entendre, si bien qu'elles ne le remarquent pas entrer.


Décidant de laisser ses amies, le montagnard referme discrètement la porte. Il récupère ses raquettes posées sur le coin du mur, et part marcher. Elles ont autant l'une que l'autre un grand besoin de se détendre, et d'oublier tout ce qui complique actuellement leurs vies. Il ne souhaite pas interrompre un bon moment, et puis prendre l'air lui fera le plus grand bien, lui permettant à lui aussi de se changer les idées.


Tout en admirant ces paysages qu'il connaît tant, mais dont il ne se lasse pas, il réfléchit. Heidi, Marinette et lui, ont eu sur certains points une enfance similaire, même si les raisons sont très différentes. Tous trois ont été privé d'une certaine liberté. Heidi et lui à cause de l'affection presque étouffante de leur grand-père, et mère, Marinette, elle, par l'égoïsme de ses géniteurs. 

Toutefois, leurs réactions divergent : si dans le cas de Heidi cela l'a empêché de grandir normalement et lui a donné ce côté enfantin et innocent si caractéristique et attachant ; pour Marinette et lui, c'est tout le contraire. En effet, autant l'un que l'autre ressentent un grand besoin de liberté, et d'indépendance presque viscérale, supportant mal d'avoir des obligations vis-à-vis de de quelqu'un d'autre. Ce que Marinette lui a confié le matin-même, ne vient que le confirmer. Heidi, elle, aime la liberté que lui offre ses montagnes, mais elle a une grande dépendance affective envers son grand-père et lui-même. 

Le montagnard ne se rend compte qu'à présent d'à quel point les deux jeunes femmes sont très différentes l'une de l'autre. La première est autant discrète (même si du point de vue de Peter, il suffit qu'elle se trouve dans une pièce pour remplir celle-ci de sa présence) que la deuxième ne passe pas inaperçue. Pourtant, elles partagent leur joie de vivre, et leur côté battante, dès lors quand il s'agit de défendre ce auquel elles tiennent. Le berger ne pourrait se passer de la présence de sa brunette dans sa vie, mais petit à petit, Marinette prend également une place dans son cœur. Le moment de son départ risque de lui être dur. Et dire qu'au début il n'attendait que ça.  


Après une bonne heure de marche, le chevrier s'apprête à rentrer chez lui pour de bon. S'être aéré lui à fait un bien fou, seulement il commence à avoir vraiment froid. Il n'avait pas prévu de rester dehors, et ne s'était par conséquent pas assez couvert.


Cette foi-ci, même si Marinette et Heidi sont encore en compagnie l'une de l'autre, il ne fait pas demi-tour pour autant. Elles rient toujours, visiblement d'une anecdote. 


- Mais si ! Et après il a… ah bonjour Peter. Je t'attendais.

- Apres il quoi ? Vous vous fichez de moi là non ? énonce-t-il, tentant de camoufler son envie de rire.

- Non on parlait de…

- Du grand-père d'Heidi, la coupe Marinette.

- Moué, je vais faire semblant de croire à vos mensonges. Tu m'attendais p'tite sœur ?

- Oui, pour récupérer mon livre. 

- Quoi ! Mais non ! 


Le chevrier se rend compte en voyant la surprise de son amie de l'exagération de sa réaction. Il reprend un peu plus calmement.


- Heu oué, mais je voulais le finir avant. T'en a vraiment besoin tout de suite. 

- Tu te fiches de moi là ?

- Pourquoi ? Non ?

- Tu veux vraiment me faire croire que t'a l'intention de le lire en entier ?

- Bien sûr ! C'est génial ce que t'a écrit ! Je comprends pas les éditeurs, pourquoi ils en ont pas voulu avant ! Pourquoi tu demandes ça ?

- C'est que… non pour rien. Je pensais que t'allais juste feuilleter, mais c'est chouette si t'aime bien. Merci.

- Je peux le garder encore un peu alors.

- Oui oui, je vais remonter du coup.

- Reste un peu. Tu nous embêtes pas. 

- J'ai des trucs à faire à la maison. 

- Ah.


Peter baisse la tête, il aurait préféré qu'elle reste un peu plus.


***


Marinette est restée la journée entière afin de boucler les derniers papiers à remplir. Ensuite elle a entrepris d'expliquer à Peter comment ils vont s'y prendre pour mener à bien leur projet, et sauver leur paradis sauvage. Peter n'a pas eu de problème pour comprendre le rôle -plutôt simple- qu'il aura à jouer, mais quand la jeune femme a entrepris de lui expliquer les tenants et les aboutissants de chaque étape, ce fut une toute autre étape. Pour lui qui a détesté l'école, et qui ne s'y est jamais investi, comprendre le fonctionnement de règles de droit n'est pas une mince affaire. L'apprenti fromagère a tout de même insisté un bon moment avant de capituler.

...

Une fois Marinette partie, Peter, harassé, peut enfin se reposer. Malheureusement pour lui, à peine la jeune femme a-t-elle fermé la porte que celle-ci retenti sous plusieurs coup. Peter s'interroge sur la raison qui pousse son amie à frapper alors qu'elle sort à l'instant.


- Rentre Marinette !


Voyant qu'elle n'ouvre pas, le berger se dirige vers la porte en marmonnant, afin de lui ouvrir. Alors qu'il s'apprête à râler, une jeune femme apparaît derrière la porte, une valise à la main, et une petite fille accrochée à ses jambes. 


- Oui ?

- Peter ? T'as tellement changé ! Je t'aurais jamais reconnu, souffle-t-elle. 

- On se connaît ? 

- Je suis Sophia.

- Sophia ? articule Peter, ouvrant la bouche à s'en décrocher la mâchoire, se demandant s'il doit vraiment croire ses oreilles. 

- Comme tu le vois.

- Je suis tellement content de te voir ! Qu'est-ce qui t'amène ?

- Je veux te présenter ma fille.


Une demi-heure plus tard, la jeune femme a quitté le village dans le train du soir. Peter lui, se retrouve assis par terre, la tête entre les mains, en compagnie d'une valise et d'une petite fille, encore inconnue quelques minutes en arrière.

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