Juste la montagne, toi, et moi.

Chapitre 19 : Trop lucide.

2517 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 16/04/2021 07:44

Plusieurs jours se sont écoulés depuis que Lexie est arrivée chez Peter. Des habitudes commencent déjà à s'installer. Chaque matin, Peter prépare un petit déjeuner supplémentaire avant d'aller rejoindre Marinette. La cave d'affinage se trouvant juste à côté de son burron, il fait régulièrement des aller-retours afin qu'elle ne reste pas trop longtemps seule après son réveil. Dès qu'elle se réveille, elle attaque son morceau de pain accompagné de confiture de myrtilles. Rapidement, son grand-cousin la rejoint, et l'aide à s'habiller chaudement, puis l'amène avec lui dans la cave.

Pendant que lui et Marinette terminent le travail d'affinage, elle s'occupe avec quelques crayons de couleurs et un carnet découverts au fond de sa valise. Ce jour n'échappe pas à la règle. 


- C'est bon ma puce ? T'es bien installée ?

- Oui je suis bien. Merci tonton Pet'.


Peter laisse alors la petite s'occuper seule, et retourne aider Marinette. 


- Et dire que ya trois jours t'avais pas du tout envie de t'en occuper. 

- Pourquoi tu dis ça ?

- Elle va pas fondre parce qu'elle est restée cinq minutes toute seule au réveil. 

- Tu voudrais que je la laisse se débrouiller toute seule pendant qu'on s'occupe des fromages ? s'offusque le chevrier.

- Bien sûr que non. Moi aussi je suis plus tranquille quand elle est là. Mais y a de quoi rire en te voyant. Tu parais complètement  paniqué tant qu'elle est pas dans ton champ de vision. 


Peter détourne le regard, gêné d'être pris une fois de plus en flagrant délit de sensibilité.


- Franchement c'est pas la peine de jouer au dur comme ça, tu trompes personne. 

- Je joue pas au dur. 

- Oh que si. Tu fais le gars fort qui a peur de rien, mais dès qu'il y a une nenette un peu sensible ou fragile qui passe, le dur se fait la malle. T'essayes de faire croire que t'as un cœur de pierre, sauf que quand t'es avec Heidi ou même Lexie t'es plus du tout le même. Tu trompes peut-être les autres, mais pas moi. 


Peter ne répond pas, il sait qu'elle a raison. Et vue la clairvoyance qu'elle a eu avec lui, rien ne sert de nier ses propos. Il n'aime pas du tout qu'on lise en lui de cette façon. Habituellement, c'est lui qui parvient à discerner ce que les autres ne voient pas. 


Après encore une poignée de minutes, les deux jeunes gens ont achevé leur travail matinal, et repartent chacun de leur côté. 


Après avoir ramassé ses crayons, Peter se saisit de la petite, et la dépose sur ses épaules. 


- Allez viens ma puce, on va se mettre au chaud. 

- Dis ?

- Oui ?

- Tu me la montreras la fille que tu parles tout le temps ?

- Heidi ?

- Ah oui c'est ça. 

- Je parle pas d'elle tout le temps. 

- Ben si un peu quand même. On va aller la voir alors ?

- Ça te dit qu'on monte la voir cet après-midi ?

- Oh oui, ça serait trop bien !

- Et ben on va faire ça alors.

- Troop bien !!


***


- Allez plus vite !

- Eh doucement ! Ça grimpe, surtout avec des raquettes aux pieds et toi sur mes épaules. Tu fais ton petit poids.

- Mais moi j'ai trop hâte d'arriver ! 

- Ça tombe bien, tu vois le chalet tout là-bas ?

- Oui. 

- C'est son chalet.

- Troop bien !


Quelques mètres de plus, et tous deux arrivent à destination. À peine quelques secondes après les coups, la porte s'ouvre sur Heidi. 


- Peter ? s'étonne la jeune femme néanmoins heureuse de cette surprise. La confusion se dessine encore un peu plus lorsqu'elle relève la tête vers Lexie.


- Je voulais te présenter quelqu'un . Enfin quelqu'un voulait vraiment te rencontrer en fait.

- C'est toi Heidi ?

- Oui. Et toi ? Comment tu t'appelles ?

- Lexie ! 


Heidi lui sourit avant de diriger son regard interrogateur vers Peter.


- Tu te souviens de Sophia ?

- Eu oué, c'est elle qui… Rentrez d'abord, vous allez prendre froid, on discutera de ça dedans. 


Après avoir salué le grand-père, et s'être installés comme ils peuvent devant le manque de chaises, la conversation reprend. Après avoir laissé Lexie faire sa connaissance, Peter explique alors rapidement à Heidi l'identité de Lexie, et la raison de sa présence ici. 


- Et ta mère elle rentre quand au fait ?

- Demain. 

- Tu vas la faire dormir où alors Lexie ? 

- Je vais récupérer les bonnes idées là où elles sont. Un peu de paille, un drap, et le tour est joué. 


Peter accompagne sa réplique d'un clin d'œil, décrochant un sourire à son amie.


- Ça fait dix minutes qu'elle fixe ta luge. Ça m'étonnerait pas qu'elle ait envie de l'essayer.

- Je lui propose ? 

- Comme tu veux. 

- Alors mistinguette ? Ça te dit de… Qu'est ce qui t'arrive ? s'inquiète Heidi en voyant les larmes monter aux yeux de la petite.


- C'est ma maman qu'il m'appelle comme ça. Elle me manque beaucoup. 


Heidi ne connaît que trop ce sentiment. Elle aussi a connu la profonde souffrance d'être loin de chez soi, et loin des siens. Prise d'un élan de tendresse et d'empathie, elle prend la fillette sur ses genoux et la serre contre elle, les larmes lui montant aux yeux. Elle sent son cœur se déchirer en entendant la plainte de la fillette. 


- Ça va mieux, c'est bon. Merci pour le calin. Dis ?

- Oui ? répond l'écrivaine, peinant à reprendre ses esprits.

- Je peux essayer ta luge ? J'en ai jamais fait. 


Heidi sourit, avant d'accepter. Rapidement, tout ce petit monde, se retrouve ainsi de nouveau les pieds dans la neige. 


- T'as déjà fait de la luge ?

- Non. Jamais. Je vais quasiment jamais dehors d'habitude, maman a pas le temps. Et de toute façon on peux pas faire de luge en ville.


Heidi laisse un rictus apparaître sur son visage. Les explications de la petite lui rappellent trop de mauvais souvenirs. Elle sent le goût de l'amertume lui envahir la bouche.


- Bon bah on va en profiter alors. Allez viens ma belle. 

- Tu peux descendre avec moi tonton Pet' ? J'ai un peu peur toute seule.


La jeune femme hausse un sourcil en se tournant vers son ami, surprise par se surnom. Il se contente de hausser les épaules pour toute réponse. 


- J'arrive ma puce. 


Le jeune homme attrape l'objet de bois, et le place devant la pente.


- Installe toi. 

- Pas là !

- C'est bien là pourtant.

- Ça descend trop ! Ça fait peur.

- Bon, et de ce côté là ? Ça te va mieux.

- Oui, ça fait moins peur. 

- J'étais plus téméraire que ça au même âge, chuchote Heidi. 

- Chut ! Elle va t'entendre, répond le jeune homme à voix basse, et les sourcils foncés. Elle a juste pas l'habitude, laisse-la s'amuser comme elle en a envie. 


Heidi sourit doucement pendant que le jeune homme retourne vers la fillette. Il a déjà l'air bien attaché pour prendre ainsi sa défense alors qu'elle n'a pratiquement rien dit. Elle aime bien voir son ami montrer sa sensibilité, à sa façon. Et voir cet aspect de sa personnalité se manifester envers quelqu'un d'autre qu'elle est inhabituel. Elle est contente de voir que cette petite arrive à l'aider à s'ouvrir, comme elle l'a fait elle-même avec son grand-père. Jusqu'ici, elle est la seule à qui il montre son vrai visage. Et s'il pouvait ne pas attendre la vieillesse pour laisser parler son cœur, ce serait merveilleux. Elle ne lui parle jamais de la manière dont elle voit les choses. Elle a peur de le braquer. Elle a également terriblement peur qu'il se détourne d'elle si jamais elle montre cette autre facette d'elle-même. Elle sait bien qu'il aime beaucoup son côté enfantin, et elle craint que s'il découvre qu'elle sait aussi avoir une vision plus adulte, et plus lucide sur le monde qu'il ne le pense, qu'un masque tombe, et qu'il l'apprécie moins. Pendant longtemps, elle s'est comportée ainsi inconsciemment, mais même quand elle a pris conscience de sa manière d'agir, elle a préféré continuer, au cas où... C'est sûrement des inquiétudes infondées, elle s'en rend compte, mais elle refuse de prendre le risque. Peut-être qu'un jour il comprendra, mais pour le moment elle est simplement  heureuse pour le moment présent, comme cette journée. Le temps qui passe vient bien souvent retirer un à un tous les éléments auxquels on tient dans la vie, et l'avenir lui fait atrocement peur. À quoi bon penser à demain ?


Perdue dans ses pensées, elle ne les voit pas effectuer plusieurs descentes. 


- C'est bon tonton Pet'. J'ai plus peur, on peut faire la grosse descente maintenant. 

- C'est parti alors. Tu t'accroches bien hein ?


Et c'est reparti pour une descente, durant laquelle Lexie crie à pleins poumons d'accélérer. 


- Elle a vite pris de de l'assurance, pouffe Heidi, une fois tous deux remontées. 

- Tu vois bien, suffisait de lui laisser le temps. T'en fais une avec moi ?

- Je passe devant alors.

- Grimpe ! 

- Moi aussi je veux en faire une avec Heidi !! 

- Après nous ? 


La fillette aquiess, et les deux amis entament alors la descente. Mais rapidement, ils dévient et se dirigent droit vers un gros épicéa.


- Attention le sapin !! s'égosille Lexie.


Au dernier moment, le berger donne un grand coup de rein, et la luge bascule avec ses occupants, qui se retrouvent sans dessus dessous, dans la neige. Passé l'instant de surprise, ils éclatent alors de rire, tout en essayant tant bien que mal de se redresser. La frayeur de Lexie ne l'empêche pas de clamer son envie de réitérer sa glissade, avec Heidi cette fois-ci. L'après-midi se poursuit un long moment, toujours dans une ambiance bonne enfants, avec un enchaînement d'aller retours.


Bien plus tard, Peter descend silencieusement en direction de son buron, la petite sur les épaules. C'est elle qui finit par rompre le silence. 


- Mais t'as deux amoureuses toi alors ? 

- Mais bien sûr que non ! Qu'est-ce que tu racontes ? 

- C'est laquelle la vrai alors ? 

- Tu parles de Heidi et Marinette ?

- Ben oui.

- Aucune. C'est des amies toutes les deux

- Mais c'est trop triste, réplique-t-elle, avec une moue dépitée. 

- Mais non voyons, c'est pas triste d'être ami avec quelqu'un, même une fille. Je les aime beaucoup, et elles m'aiment bien aussi. 

- Ah bon. 


La petite fille marque une pause, regardant en l'air, comme si elle était dans une profonde réflexion. 


- Et pourquoi elle a des étoiles dans les yeux quand elle te regarde alors ? 

- Qui ça ma puce ?

- Marie, celle qui a fait un bonhomme qui ressemblait pas à un bonhomme avec nous quoi. Heidi ça fait pas ça quand elle te regarde. Par contre toi tu la regardes comme maman quand elle me regarde moi.

- C'est vrai ? rit Peter.


Il n'est pas plus surpris que ça par cette remarque. Il ressent une grande affection pour son amie, alors rien d'étonnant que la fillette trouve une similitude avec le regard affectif d'une maman envers sa fille. En revanche, une autre partie du discours le chiffonne. 


- Qu'est-ce que tu veux dire par des étoiles dans les yeux ?

- Oui c'est ce que maman dit quand elle parle de papa. Elle dit qu'il avait des étoiles dans les yeux quand il la regardait. Elle sourit quand elle dit ça, et après souvent elle pleure. Elle veut pas que je la vois pleurer, mais je m'en rend compte quand même. 

- Il est où ton papa ?

- Je sais pas, maman elle veut pas me dire. Je l'ai jamais vue. Maman dit qu'il m'aime beaucoup. 

- C'est sûr ma puce, affirme le montagnard en passant délicatement de pouce sur sa petite main, qui se trouve dans la sienne depuis le départ.  Il est bouleversé par ces révélations, même s'il comprend facilement qu'il lui manque beaucoup d'informations. 


Cherchant à changer de sujet, il reprend la parole, et dit la première chose qui lui passe par la tête. 


- Tu préfères qui alors toi ? Marie ou Heidi ? 

- Je sais pas, je les aime bien toutes les deux. Marie elle est plus drôle, mais Heidi elle saute moins partout, elle me fait jamais peur, et quand j'ai été kriste elle m'a fait un câlin, après j'étais plus kriste. Mais elle est gentille quand-même hein ! Marie je veux dire. Je l'aime bien aussi hein ! 

- Elle te fait peur ?

- Mais non juste des fois, pas tout le temps. Et c'est pas elle qui me fait peur. C'est juste qu'elle fait tout super vite, même quand elle parle, du coup des fois elle me surprend, et après je fais un bond. 


Peter rit doucement en entendant la description que Lexie fait de ses amies.


- Tu lui dis pas à Marie hein ? Je l'aime bien quand même ! Elle est très gentille avec moi. Je veux pas qu'elle soit kriste à cause de moi. 

- Promis.

- Tu veux pas aller plus vite ? Il fait un peu trop beaucoup froid, et du coup j'ai pas très beaucoup chaud. 

- Tu t'accroches ? Je vais essayer de courir. Et en arrivant je te présente ma maman. 

- Troop bien ! 


Une fois tous deux rentrés, Lexie a très vite sombré dans un profond sommeil, bercé par de doux rêves de neige. Le calme étant revenu, Peter a tout son aise pour repenser aux paroles de la petite.


 Elle a des étoiles dans les yeux quand elle te regarde


Sur le coup, il n'y a pas prêté attention, trop sonné par tout ce qu'elle lui a révélé immédiatement après. Seulement, maintenant, sa réflexion enfantine revient se percuter à son esprit, encore et encore. 


C'est sûrement son imagination. Oui ça doit être ça, elle est débordante à cet âge-là. Ça ne peut être que ça de toute façon.

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