Juste la montagne, toi, et moi.

Chapitre 20 : Un sentiment de déjà vu.

2447 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 01/05/2021 11:10

Le séjour de Lexie touche à sa fin, et avec toutes ces heures passées ensemble, une certaine complexité s'est installée entre elle et Peter.


- Je te laisse avec maman, Lexie. Je dois aller au village. 

- Je peux venir avec toi ? 

- Je serai pas long. Et ya rien d'intéressant pour toi là bas. 

- S'il te plaîîîît !


Le berger soupire, désespéré par son manque de volonté devant cette petite tête blonde.


- Tu seras bien sage ?

- Promis. 

- D'accord alors. Mais tu m'écoutes bien.

- Ouiii ! Trop bien ! Merci tonton Pet. Je serais bien sage. Promis. 



Après s'être affranchi de ses obligations, le jeune homme reprend vite le chemin du retour, suivi de près par une fillette sautillante. Johan passe alors à côté d'eux.


- Bonjour Peter. C'est qui cette gamine ?


Mais le chevrier passe son chemin, sans fournir de réponse. 


- Pourquoi tu lui a pas répondu ? demande Lexie, après quelques minutes. 

- C'est un méchant.

- Ah bon. Un vrai méchant, comme dans les livres ? 

- Pas vraiment. Mais je préfère l'éviter quand même. 

- Mais si c'est pas un méchant c'est un gentil alors ?

- C'est pas un vrai méchant, mais c'est pas non plus un vrai gentil. 


Voyant l'air interrogatif de la petite, le jeune homme essaye tant bien que mal de l'éclairer.


- Tu sais c'est pas si simple. Tu peux pas vraiment dire des gens qu'ils sont méchants ou gentils, souvent ils sont un peu des deux. Des fois les gentils ont l'air méchants, et les méchants gentils. Ou les gentils deviennent méchants et les méchants gentils. Ou certains sont un peu méchants et un peu gentils. Même les vrais gentils ont un peu de méchant en eux, et les vrais méchants un peu de gentil. Ou encore des gentils font des choses méchantes à des gens méchants. 

- Et mon papa alors ? 

- Je peux pas te dire si quelqu'un que je connais pas est gentil ou non.

- C'est bien compliqué tout ça. 

- Tu comprendra quand tu sera plus grande. 

- Ah non ! Je déteste qu'on me dise ça !


Il sourit, amusé de sa réaction. 


- Ça serait bien que ça soit aussi simple que dans les livres. 

- C'est sûr, malheureusement les livres pour enfants et la réalité sont très différents. 

- Pourquoi tu dis pour enfants ?

- Dans les livres pour adultes c'est encore pire qu’en vrai. Dans un  de ceux qu'on a vu à l'école, un livre pas pour les enfants, il y avait un vrai méchant, mais il oublie qu'il est méchant, alors il devient un vrai gentil. 

- J'ai rien compris. 

- Moi non plus, s'esclaffe Peter. T'es contente de rentrer chez toi ?

- Pourquoi tu dis ça ?

- Ça va bientôt faire deux semaines que t'es arrivé. 

- Déjà ? Mais nonnn ! 

- Ta maman te manque plus ?


À l'évocation de sa mère, un sourire timide se dessine sur le visage de la fillette, effaçant quelque peu l'inquiétude qui s'est emparé de ses yeux quand elle a compris qu'elle allait bientôt repartir. 


- Si. Je suis croo contente de revoir maman. Mais je veux pas partir. À la maison je suis toujours toute seule. Et je peux jamais aller dehors. C'est mieux ici.


Pendant un instant, rien qu'un court instant, en voyant les yeux de la petite s'embuer dangereusement, Peter songe partir dans ses montagnes avec elle, là où ils ne les retrouveront pas. Elle ne retournerait jamais à sa vie triste et morne. Seulement, comme il lui a expliqué, la vie n'est pas un compte pour enfants, elle est bien plus compliquée, et il ne peut pas se mêler à ce point de la vie de la fillette. Elle doit repartir. Alors à la place, il interrompt sa marche, et serre la fillette dans ses bras, comme si ce serait suffisant pour la retenir. 


- Tu m'étouffes tonton Pet' ! 


Après un long moment, le jeune homme relâche son étreinte. Et reprend sa marche en silence. 


Il ne va rien faire qui ne le regarde pas, cependant, il compte bien mettre certaines choses au point avec sa cousine lorsqu'elle reviendra. 


Et ce moment est arrivé très vite. Sophia est revenue comme prévu, deux semaines après sa première venue, décevant presque le chevrier. Il s'est surpris à espérer qu'elle ait du retard, voire qu'elle ne revienne pas. Il s'est empressé de chasser cette idée aussi vite qu'elle s'est présenté dans son esprit. La place de Lexie est auprès de sa mère. 


- Merci infiniment ! Tu m'as sauvé la vie en t'occupant de Lexie. Tu t'imagines même pas à quel point. Vraiment merci. 

- Pas de quoi. 


Le jeune homme se retient de rire en s'entendant prononcer ces mots. C'est bien ironique, lui qui avait envie de lui dire ses quatre vérités en face deux semaines plus tôt…  


- Elle ne t'en a pas fait trop voir ?

- Ça risque pas, elle est adorable. 

- Ah ça me rassure, en général elle est un peu dure avec les inconnus. 

- S'ils n’essaient pas de s'adapter aussi !


La jeune femme hausse les sourcils, étonnée par cette réflexion. Mais elle n'a pas le temps de se poser plus de questions puisque Peter reprend aussitôt la parole. 


- Tu m'expliques maintenant ? C'est quoi cette vie que t'offres à ta fille ? Il est où son père ? Et t'as eu quoi de si important ces deux semaines ? Parce que pour t'obliger à confier ta fille deux semaines à un inconnu, j'espère que c'est un truc sacrément important !

- T'es pas un inconnu. 

- La dernière fois que tu m'as vu j'avais pas 15 ans, alors si, je suis un inconnu. Et c'est pas la question !

- Viens, je te dis rien devant elle, répond-t-elle discrètement en désignant sa fille.


Peter emmènent alors la jeune femme à l'écart, et lui inquique d'un signe de tête qu'il attend sa réponse, et qu'elle  a intérêt à avoir une explication convainquante.


- Son père… il, il est mort. Très peu de temps après sa naissance. Mais j'ai pas spécialement envie d'en parler. 

- Je suis désolé. Vraiment. Mais pourquoi tu ne lui a jamais dit ? Elle a le droit de savoir ! 

- Parce que j'y arrive pas ! Tu ne connais rien à ma vie ! Tu l'as dit toi-même, on est des inconnus. Alors ne me juge pas s'il te plait. Et ce que j'ai fait ces deux dernières semaines, ça ne te regarde absolument pas.

- Je te rappelle que c'est moi qui me suis occupé de ta fille pendant que t'étais je ne sais où, en train de faire je ne sais quoi. Alors si, ça me regarde. Mais t'as raison, tu fais ce que tu veux de ta vie, ça ne me regarde pas. Par contre, tu fais pas ce que tu veux de celle de ta gamine. Tu te rends compte de la vie que tu lui donnes ? De l'avenir que tu lui offres ? 


La jeune femme a baissé les yeux, visiblement honteuse. 


- Je sais. C'est plus compliqué que tu le crois. Mais je t'assure que j'y pense. Je voudrais tellement que les choses soient différentes. Y a pas un jour où je ne m'en veux pas. Je ne fais pas ce que je veux. Crois-moi.



***



Sophia est repartie depuis quelques jours, avec Lexie. Peter s'est efforcé de ne pas penser à tout ça, se disant que ce n'est pas sa vie, qu'il n'y peut rien, qu'il ne peut ni doit faire quoi que ce soit, qu'il ne doit plus y penser, qu'il doit passer à autre chose. Il a réussi, un temps seulement, un temps très bref, deux jours pour être exact. Ces deux jours écoulés, tout lui est revenu en pleine tête. 


Maintenant il rumine le sort de cette gamine, qu'il avait d'abord refusé de prendre en charge. Il ne l'avait jamais vu un peu plus de deux semaines en arrière, et ignorait même son existence. Pourtant, maintenant il se sent concerné par ce qui peut lui arriver, par ce qu'elle peut ressentir. Un lien s'est créé entre eux, et il ne peut pas faire comme si elle n'était jamais venue. Il l'imagine dans sa maison de banlieue, sûrement vieille, exigue, et délabrée, à regarder par sa fenêtre qui donne sur d'autres maisons, toutes aussi mornes que la sienne. Elle doit sûrement être seule et s'ennuyer. Peut-être qu'elle rêve des montagnes, peut-être même qu'elle pense à lui. Tout cela lui donne étrangement une impression de déjà vu. De nombreuses années en arrière, le séjour de Heidi à Francfort avait déjà éveillé en lui le même genre de questions. Seulement cette fois-ci, c'est le passage ici qui n'est n'est que passager, et non celui en ville. Cette fois-ci, il n'a pas l'espoir d'un retour, et il ne peut pas non plus espérer que tout se passe bien pour elle dans une grande et riche maison, il sait que ce n'est pas le cas. Tout ça change tout.



***



- Marinette ?

- Comme tu le vois. 

- Mais qu'est-ce que tu fais là ? Et comment t'a trouvé la maison ?

- J'ai suivi les traces de pas dans la neige. J'ai besoin de te parler.

- Ah, oui. Bien-sûr. Tu me fais peur là. Qu'est ce qui se passe ?

- C'est Peter. Il débloque complètement, je ne sais pas ce qu'il a. Il est complètement absent, c'est comme si son corps était là, mais pas son esprit. Et il a l'air tout le temps contrarié. Je sais plus quoi faire. Tu le connais bien toi, tu devrais pouvoir l'aider. Ça fait plusieurs jours qu'il est comme ça. Sa mère comprend pas non plus.

- Je vois. Ça fait combien de temps ?

- Quelques jours. Pas longtemps après que sa cousine soit repartie en fait. 

- Purée Peter, qu'est-ce que tu nous fais ? Je pense savoir ce qui va pas. Je redescends avec toi. Tu m'attends trente secondes ? Je préviens grand-père. 

- Pas de problème. Mais qu'est-ce qu'il a alors ? 

- On en parle en descendant ?

- D'accord. Je t'attends.



***



- Qu'est-ce que t'as ? Marinette m'a dit que ça fait des jours que t'es pas comme d'habitude ? C'est à cause de Lexie ?


La réponse est pratiquement évidente pour Heidi. Elle connaît bien son ami, il est plus qu'évident pour elle qu'il a dû vraiment s'attacher à la fillette durant les deux semaines où ils se sont côtoyés. Déjà au bout de quelques jours en sa présence, elle constatait qu'il semblait déjà très attentionné et protecteur.  


- Elle est malheureuse ! Sa vie est horrible ! Et je l'ai laissé repartir, comme je t'ai laissé partir. 

- Comment ça tu m'as laissé partir ? Partir où ?

- À Francfort. J'aurais prévenu ton grand-père tout de suite, il serait arrivé à temps pour t'empêcher de partir. Ou alors si j'avais refusé de te laisser seule avec ta tante, j'aurais pu te prévenir qu'elle mentait. Je l'avais senti pourtant qu'un truc tournait pas rond. Et j'ai laissé faire. Et comme je suis le dernier des crétins j'ai pas retenu la leçon, et j'ai recommencé. Elle me l'a dit. Elle est malheureuse. Ici elle était heureuse. J'aurais dû empêcher ma cousine de repartir. J'aurais d… 

- Stop ! J'en ai assez entendu. 


Heidi se place devant son ami aux yeux rougis, le regard dans le vague, et lui pose une main sur l'épaule. 


- Tu n'y peux strictement rien dans mon départ à Francfort. T'étais un gosse, tu ne pouvais pas deviner ce qui allait arriver, et t'aurais rien pu faire de toute façon. Elle m'aurait emmené de force. C'est elle la coupable. Elle m'a menti, juste pour soulager sa conscience de m'avoir abandonné. Et encore que, des fois je me demande si la raison n'est pas encore pire. J'aurais jamais imaginé que tu t'en voulais pour ça. Et je suis revenue. C'est le principal. T'as pas à t'en vouloir, ça m'a jamais effleuré l'esprit de t'en vouloir pour ça. Et pour ta petite cousine, tu n'y peux rien. Elle a une mère. Tu ne peux pas t'immiscer dans leurs vies comme ça.

- Elle est malheureuse. C'est pas une raison suffisante ? Elle ne reviendra pas, elle.

- Si.. non.. je sais pas…  Tu peux toujours proposer à ta cousine de venir passer quelques jours ici. Ça fera du bien à tout le monde. 


Pour la première fois depuis le début de la conversation, Peter relève la tête, et la lueur se trouvant habituellement dans ses yeux semble faire son retour. 


- Tu penses qu'elle acceptera ? 

- Essaies, tu verras bien. Tu voudras de l'aide ? 

- Non, je préfère le faire seul. Elle pourrait penser que c'est pas vraiment moi si c'est c'est trop bien écrit et rédigé. Je veux qu'elle sache que je tiens vraiment à ce qu'elle vienne.

- D'accord. 


Peter se dresse alors sur ses deux pieds, et saisit son amie par les épaules, qui ne tarde pas à lui rendre son étreinte, soulagée que sa suggestion puisse quelque peu le soulager. 


- Merci. J'étais tellement mal que je n'y avais même pas pensé. Et merci. 

- Pourquoi celui-là ? 

- Merci d'être là, tout le temps, depuis si longtemps, et à chaque fois que j'en ai eu besoin.

- Vas donc écrire ta lettre plutôt, lui répond la montagnarde en lui tendant un sourire complice. 


***


Quelques heures plus tard, Peter est installé sur sa table, un tas de feuilles froissées s'amoncellant devant lui. Il a dans les mains une lettre manuscrite, et celle-ci lui convient enfin. Elle partira demain à la première heure, emportant ses espoirs avec elle. 

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