Juste la montagne, toi, et moi.

Chapitre 21 : Frangin

3245 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 19/11/2021 17:14

Depuis une semaine que Peter a envoyé sa lettre à Sophia, pas un seul jour ne s'est écoulé sans qu'il n’espère recevoir une réponse. Même actuellement, durant l'affinage de ses fromages en compagnie de Marinette, ses pensées sont accaparées. 


- Peter, tu es là ? Le facteur a déposé ça pour toi.

- Maman ? On est au fond ! C'est une lettre de ma cousine ? s'empresse-t-il de demander  à peine la vieille dame arrivée à son niveau.

- Je sais pas, j'ai pas regardé. Pourquoi ?


Le jeune homme se précipite sur l'enveloppe, sans prendre le temps de répondre, trop impatient d'examiner l'expéditeur. 


- Alors ?

- Non. C'est du maire. 

- T'as l'air déçu. Pourquoi le maire t'envoie encore une lettre ? J'espère que c'est une meilleure nouvelle que la dernière fois. 


Peter ouvre grand les yeux. Le maire, le maire lui a écrit ! Trop préoccupé par la potentielle réponse de Sophia, et par conséquent, par le sort de Lexie, il n'avait pas réalisé. C'est forcément une réponse au dossier que Marinette a monté. Cette lettre contient peut-être la concrétisation d'un début de réel espoir. Il déchire frénétiquement le papier, trop impatient d'examiner le contenu de la lettre. 


- Peter ?

- Oui ?

- Tu ne m'as pas répondu. 

- C'est une réponse au dossier que Marinette a envoyé. 

- Ah oui c'est vrai, j'avais oublié ça. Et ça a marché ? 

- Attends, laisse moi lire. Bien examiné…. comprends votre désarroi …. Ah voilà. Il va renvoyer un nouveau sondage aux habitants, mais il ne s'engage à rien, et vu que la majorité des gens étaient favorables au projet économique, il doute que le résultat soit différent. Enfin ça c'est ce qu'il pense. Il sait pas ce qu'on a fait entre temps. Marinette !! Viens voir !

- Oui ? Oh bonjour Brigitte. Vous allez bien ? 

- Comme une vieille dame ma petite. 

- Mais non, mais non Brigitte. Bon que ce que tu me voulais Pet'?

- Arrête avec ça. 

- Ça quoi ?

- Pet', tiens regarde ça plutôt. 

- Je vais y réfléchir. Moi ça me plait bien Pet'. Qu'est-ce que t'as de si urgent à me montrer ? Ah super, laisse moi jeter un coup d'œil.


La jeune femme parcour rapidement des yeux les mots du maire. 


- Oh génial! C'est exactement ce à quoi je m'attendais. Des formules toutes faites. Plus qu'à attendre que l'étape suivante se fasse toute seule. 

- Mais qu'est-ce que tu lui a envoyé ? 

- Pas grand chose. Les feuilles de pétitions qu'on a remplies. Des copies de lois un peu compliquées à te résumer, et le formulaire de ma candidature pour être le prochain maire, sachant que j'ai déjà promis aux villageois mécontents de supprimer ce projet de centre en cas d'élections. 

- Quoi ? T'es sérieuse ? 

- T'es bête. Bien sûr que non. Mais lui, il le sait pas. Et je t'assure que là, il doit bien flipper pour sa place.

- Donc d'après toi c'est positif ?

- Carrément. Il renvoit un nouveau sondage, c'est bien qu'il a mordu à l'hameçon. 

- Qu’il a quoi ?

- Qu'il marche. Qu'il court même. Et de toute façon, à part que je veux absolument pas devenir maire, tout le reste est vrai. C'est juste pour appuyer un peu plus.  

- Faut que je prévienne Heidi alors ? 

- C'est à toi de voir mon gars. Mais je pense pas que ça soit une mauvaise idée. Surtout vue comme elle angoisse à cause de tout ça. Eh ! Tu vas où ? 

- Prévenir Heidi. Viens avec moi. 

- Et les fromages ? 

- Ils vont pas s'envoler. Viens !

- Tu préviens pas ta mère ?

- J'ai plus dix ans. De toute façon, elle est partie pendant qu'on discutait. 


Marinette se retourne, et constate que, en effet, la vieille femme a disparue, avant de voir que son ami est à son tour en train de disparaître de sa vue. Elle accourt alors pour le rejoindre.


- Jamais tu m'attends ?

- Désolé, j'ai hâte de lui annoncer que ça a fonctionné.  

- T'emballe pas non plus. Ça se passe comme prévu pour le moment. Mais tant que l'arrêt du projet est pas signé, rien n'est gagné.

- Ça lui remontera quand même le moral. C'est la première vraie avancée depuis qu'on a réussi à convaincre les gens du village, sauf que celle-là, elle a une chance de nous faire arriver quelque part. 

- Tu tiens vraiment à elle non ?

- À qui ?

- À Heidi andouille. 

- Ça paraît évident non ? 

- Oui. Je demande juste. Elle dit que vous avez toujours été amis, et que vous avez jamais pensé à devenir plus. 

- Et ben qu'est ce que tu veux savoir alors puisqu'elle t'a déjà tout dit ?

- Je me demandais juste si t'avais la même version. 

- Bien sûr que j'ai la même version ! T'insinues quoi là ? 

- T'es pas obligé d'être sur la défensive comme ça. Je demande juste. Enfin surtout si ce que tu dis est vrai. 

- Pourquoi ça serait faux ? 

- Je dis juste ça comme ça. Allez avance. J'en connais une qui est impatiente que t'arrive. Même si elle le sait pas encore. 


***


- Non c'est vrai ? Vraiment vrai ?

- Puisqu'on te le dit.

- Mais c'est vraiment super !! T'es vraiment sûre que tout va bien se passer ensuite Marinette ? 

- Je peux pas te le promettre, mais je pense qu'il y a de bonnes chances que ça fonctionne. 


Heidi, débordante d'enthousiasme et de gratitude, s'empresse de sauter au cou de son amie.


- Merci ! Merci ! Merci ! Je sais pas comment on pourra assez te remercier si ça fonctionne. Tu peux pas t'imaginer le poids que tu nous enlèves des épaules. 

- T'en fait pas, c'est pas grand chose, souffle Marinette, quelque peu gênée. 

- Oh que si. Bon, comment on peut fêter ça correctement ?

- Tu veux pas attendre que ce soit définitivement terminé pour fêter ça ?

- C'est vrai, elle a raison, je voudrais pas que tu sois trop déçue si finalement ça fonctionne pas comme prévu.  

- Quel bande de rabats-joie vous deux.

- Bon paye un coup de génépi alors, mais n'oublie pas que rien n'est fait.

- C'est quoi du genepi ?

- Tu connais pas ?

- Je suis pas du coin je vous rappelle. 

- Alors faut qu'on te fasse goûter ça. 

- Mais c'est quoi ?

- Tu verras, rétorque Peter avec un clin d'œil. 

- Par contre, pas un mot à grand-père. S’il demande, tu voulais goûter, c'est tout. 

- T'as réussi à le lui cacher tout ce temps ? Tout le monde ne parle que de ça pourtant.

- Il voit personne, c'est pas bien compliqué. Allez, rentrez, même avec le soleil, il fait pas chaud. 


Après avoir pénétré dans le vieux chalet, nos trois amis se disposent autour d'un vieux tonneau faisant office de table.  


- Ààà, hésite Marinette. À la joie du jour. 

- À la joie du jour, trinquent en cœur les deux amis d'enfance. 

- C'est pas terrible comme formule ça, j'aurais pu faire mieux. 

- On s'en fiche. C'est un jour joyeux, et ça se fête. 

- Purée c'est fort votre truc. 


Heidi et Peter s'esclaffent devant la réaction de Marinette au breuvage typiquement montagnard. 


- Enfin c'est pas mauvais malgré tout. Au fait, ça a l'air d'aller un peu mieux que ces derniers jours toi. 

- Moi ?

- Ben oui andouille, est ce que j'ai vu Heidi ces derniers jours ? 

- C'est bon, je demandais juste, grogne le jeune homme. J'ai juste suivi les conseils de la d'moiselle juste ici. 


Marinette se tourne vers Heidi. 


- Tu m'expliques ? Je crois qu'il est vexé, je saurai rien de plus venant de lui. 


Heidi sourit, amusée. Depuis le temps qu'elle le connait, elle ne se formalise plus pour si peu, et ce depuis longtemps. La rancune ne fait pas partie des défauts de son ami, d'ici dix minutes, tout sera oublié. Chez elle, elle a un vieil ours, et son ami est un jeune ours. Aussi irrécupérable l'un que l'autre. Mais de gentils ours, ils ne font que grogner. Elle devrait l'appeler J.O. ou Jo s'amuse-t-elle. 


- Arrête de bouder Jo.

- Jo ? S'exclament en cœur Marinette et Peter. 

- Je t'expliquerai, sourit Heidi à Peter. 


Puis se tournant vers Marinette. 


- T'occupes, c'est entre nous. Ça te dérange Peter si j'explique à Marinette pour Sophia ?

- Hum hum.

- Donc si tu veux tout savoir, tu avais bien raison. 


Heidi explique ensuite à Marinette la raison du mal être de leur ami les jours précédents puis pour l'envoie de la lettre. Comme prévu par Heidi, son ami n'a pas fait la tête plus de dix minutes, et a rejoint la conversation, comme de rien. 


- Et t'as eu une réponse alors ?

- Hum hum. J'attends toujours. Bon, c'est pas tout ça, mais il va peut être bien falloir qu'on redescende nous. 

- Oui t'as raison. Au revoir Heidi. Et merci pour le genepi. 

- Avec plaisir, merci pour tout ce que tu fais. 

- Ça te gêne d'avancer ? Je te rejoins vite.

- Non non, pas de soucis.


Peter attend que son amie ait passé le pas de la porte pour adresser la parole à Heidi


- Tu voulais me dire un truc de privé ?

- Non. Juste te remercier. Ton idée d'une lettre m'as vraiment aidé. Ça peut paraître bête, mais j'ai arrêté de tourner en rond, en me sentant impuissant. J'ai l'impression d'avoir fait ce que j'ai pu, et j'attends une réponse. J'ai un espoir, et ça change tout. 

- Ravie de t'avoir aidé à aller mieux frangin. 

- Et cette histoire de Jo ? Tu m'expliques ?

- J'ai sorti ça sans réfléchir. Jeune ours. Les initiales ça fait J et O. Jo quoi. 

- Génial, entre Marinette qui m'appelle Pet, et toi qui m'appelle ours… 

- Jo pas ours.

- C'est pareil. 

- Ya que nous à connaître l'explication, réplique Heidi, en ponctuant sa réponse d'un clin d'œil. 

- Moue. Bon, j'y vais, Marinette va m'attendre. 


Marinette, justement, attendait Peter non loin de la porte du chalet, et tourne distraitement la tête vers la fenêtre à ce moment-là. 


- Rentre bien.

- À bientôt petite sœur, conclut-il en lui déposant un baiser sur le front. 


À cette vision Marinette éclate en sanglots, ces mêmes sanglots qui sont prêts à se manifester à chaque instant, et qu'elle refoule sans cesse. 

.

A peine le pas de la porte passé, Peter l'aperçoit, et se précipite vers elle, avant de l'entraîner en retrait quelques mètres plus bas. 


- Mais qu'est ce qu'il t'arrive ? 

- C'est de te voir avec Heidi comme ça. 

- Je comprends pas. 

- Ça ravive…  trop… trop…  de sou..venirs, parvint à articuler la jeune femme.

- Je suis désolé, je ne comprends pas ce que tu me dis.

- Je ne t'ai pas tout dit sur les raisons de mon départ, répond-t-elle après quelques instants ses yeux ancrés dans ceux de Peter, qui l'observe toujours, attendant une réponse à ses interrogations. Il la fixe attentivement, attendant la suite qui tarde à venir, et qu'il devine importante. Il comprend la valeur des mots qui vont suivre, tant pour l'importance que son amie leur porte, que pour l'ampleur des révélations à suivre.


- J'ai un frère. Un frère jumeau. 

- Tu ne m'as jamais parlé de lui.

- Ça me fait trop mal ! Il me manque terriblement. 

- Pardon, t'es pas obligé d'en parler si c'est trop dur pour toi.

- Non ! injecte-t-elle, j'ai envie que tu saches. J'ai besoin d'en parler à quelqu'un, continue-t-elle en se séparant du chevrier.

- Je t'écoute alors, répond-t-il doucement en s'asseyant sur une pierre plate.


Il lui désigne la place à côté de lui.


- Assieds-toi.


Marinette inspire profondément avant de se lancer. 


- J'ai un frère jumeau, et on est extrêmement fusionnels. On ne se sépare jamais plus de quelques heures, enfin on ne se séparait pas, rectifie-t-elle en baissant les yeux.


Peter lui passe alors timidement un bras réconfortant sur les épaules, l'incitant à poursuivre. 


- C'est lui qui m'a emmenée en bivouac la première fois, on aimait tellement être tous les deux, seuls, en pleine nature. À partir du moment où on y a goûté on ne pouvait plus s'en passer, et on y allait dès qu'on le pouvait. Nos parents trouvaient ça ridicule, mais on leur demandait pas leurs avis. C'était un peu notre bouffée d'air frais à tous les deux. Lui non plus ne supportait pas leur mentalité. C'était encore pire pour lui, il serait l'homme de la famille, la relève pour leurs stupide affaire. Alors ils lui mettaient encore plus la pression qu'à moi.


Peter, craignant l'épilogue du récit, retient son souffle, tandis que la jeune femme face à lui poursuit son récit, inlassablement. C'est comme si maintenant que les mots ont commencé à sortir, elle ne peut plus arrêter le flot de ses paroles , la libérant d'un poids trop longtemps retenu. 


- Il n'a jamais eu l'ombre d'un espoir de mener une autre vie que celle tracée pour lui avant même sa naissance. Ils rejetaient  toute leur ambition sur lui, et il était sous pression tout le temps. Il y a que quand on était rien que tous les deux qu'il arrivait un peu à la faire baisser. C'était clairement pas assez, et un jour il a craqué. Il a voulu en finir avec tout ça pour de bon. 


Peter ouvre de grands yeux, horrifiés, craignant le pire.


- Il a tenté d'en finir avec la vie, heureusement les médecins ont pu le sauver. Je pensais que nos parents allaient enfin comprendre, qu'ils allaientt réagir, se rendre compte que c'était trop pour lui, pour nous… mais non. Au lieu de ça, ils l'ont traité comme un moins que rien. Ils lui ont dit à quel point ils le méprisaient pour ce qu'il a fait. Et ils lui ont mis encore plus la pression pour qu'il rattrape le retard qu'il a pris pendant qu'il était hospitalisé. Il aurait recommencé si on n’avait pas réagit.

- C'est là que vous avez fugué alors ?

- Non, il avait trop d'importance pour eux, ils auraient tout fait pour le retrouver et qu'il prenne la suite de notre père. On a mis en scène un accident pour qu'ils croient qu'il était mort. On s'est débrouillé pour que personne ne puisse se rendre compte qu'il n'était pas vraiment mort. C'était inimaginable pour moi de vivre sans lui, mais je préférais bien sur ça, plutôt que d'aller le voir au cimetière du coin, et de très loin. Après il est parti. 


Les parents ont à peine pleuré, ils se sont vite remis, et ils ne se sont pas une seule fois remis en question. En fait, ce qui les inquiétait le plus, c'était que leur affaire familiale change de nom. Ça faisait plusieurs générations qu'elle était transmise de père en fils, et elle aurait pris le nom de mon mari (que j'aurais sûrement pas choisi d'ailleurs), puisque maintenant que mon frère n'était plus là, ils n'avaient plus le choix de me la transmettre. Ils me dégoûtent.


Pendant tout le temps de son récit, des larmes amères coulaient sur les joues de Marinette. Peter l'écoute, ému par son histoire, et gêné de ne pas savoir comment agir.


- On a quand même gardé contact avec mon frère, par lettres, on avait tout organisé avant. Je laissais des lettres cachées quelque part, et quelqu'un lui les faisait parvenir. Il me répondait de la même manière. 

- Pourquoi tu es pas partie avec lui ?

- Il a refusé. C'était pas prudent que je le suive là où il allait. Il a même refusé de me dire où c'était. Au cas où. 

- Je le comprends. T'es sa petite sœur. Il voulait te protéger. 

- On est jumeaux.

- Petite dans le sens affectif. Tu serais plus vieille que tu serais quand même sa petite sœur.

- Hum. Enfin finalement je suis partie toute seule alors bon. 

- Et pourquoi t'es partie au bout du compte ?

- Je les supportais de plus en plus difficilement, et en plus de mes études de droit qu'ils m'ont obligé à poursuivre, ils me faisaient prendre des cours pour gérer une entreprise. C'était de plus en plus étouffant. 


Et puis un jour ils ont carrément manqué de respect à mon frère, alors qu'il le croyait mort. Ils ont dit que c'était un imbécile, et qu'il n'aurait jamais été fichu de tenir la boîte correctement, et je te passe tout le reste. Ils ont dit ça devant moi alors que je m'endormais tous les soirs en pleurant parce qu'il me manquait trop, et ils le savaient. Finalement ils s'en fichaient totalement de nous deux. Autant de l'un que de l'autre. On était juste des outils pour réaliser leurs ambitions. Notre ressenti et notre bonheur, c'était même pas un bonus pour eux. Ça ne comptait pas du tout. C'était trop, j'ai laissé une dernière lettre à mon frère pour le prévenir et je suis partie. La suite, tu la connais. Mais ce qui me console un peu, c'est que sinon je serais jamais venue ici. J'aurais pas découvert ce coin super, j'aurais pas rencontré Heidi, et, je t'aurais pas rencontré, conclut-t-elle en baissant les yeux. 


Peter ne prête pas vraiment attention à ces derniers mots. Une idée vient de lui apparaître, et il veut au plus vite lui partager. 


- Tu sais quoi ? On va faire ça ensemble. 

- Pardon ?

- Tu vas recontacter ton frangin, et tu vas le faire venir ici. Et moi je vais faire revenir ma cousine et Lexie. 

- Je sais pas où il est.

- On va se débrouiller. 

- D'accord mais après ?

- Après on verra. T'es partante ?

- Partante. On va faire ça ensemble.

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