Juste la montagne, toi, et moi.

Chapitre 22 : Tante Dete

2318 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 22/10/2023 14:54

Aujourd'hui Heidi est de bonne humeur. Même s' il reste mince, un espoir de garder ses chères montagnes intactes existe réellement. Jamais elle n'aurait pensé quand Peter lui a expliqué que Marinette avait frappé chez elle, qu'elle serait peut être la source de la solution à leur problème, ni qu'elle parviendrait à se faire une place dans leur vie. C'est une des belles rencontres que la vie a mise sur sa route, et elle serait ravie qu'elle prolonge son séjour encore longtemps, voire qu'elle s'installe définitivement. Elle paraît bien se plaire, et s'est bien intégrée, alors pourquoi pas? Elle a même réussi à apprivoiser son Jo, comme elle se plaît à l'appeler depuis qu'elle a trouvé ce surnom, ce qui la surprend encore aujourd'hui. Alors pour tout ça, Heidi est de bonne humeur. Malheureusement, elle ignore que son engouement sera de courte durée. 


Ce matin, elle sifflote en nettoyant le foin de ses chèvres. L'hiver s'essouffle, laissant peu à peu la place au printemps plus clément. Ajoutant à cela, les efforts qu'elle fournit la réchauffant, elle ne ressent pas le moins du monde le froid environnant. Le bêlement des chèvres se mêlent aux coups contre la porte de la grange, si bien qu'elle ne les entend pas. 


- Heidi ? Tu es là ? 


N'entendant pas de réponse, l'inconnu pousse la porte grinçante, et s'avance de quelques pas. 


- Heidi ma chérie ! Je suis tellement heureuse de te voir. 


Ne s'étant pas rendu compte qu'elle n'est plus seule, Heidi pousse un cri aigu. 


- Non mais ça va pas de rentrer comme ça ! 


Se radoucissant : 


- Pardon. Je suis désolée, j'ai été surprise, vous êtes ?

- Tu ne me reconnais pas ? Ça fait tellement longtemps, tu as tellement changé. Tu es une vrai femme maintenant, répond la vieille dame. 


La montagnarde grimace à l'évocation du mot "femme", auquel elle ne parvint pas à s'habituer. 


- Je suis ta chère Tante. 


Le visage de Heidi se déconfit. Comment peut elle se présenter ici la tête enfarinée et le sourire jusqu'aux oreilles après ce qu'elle a fait ? La jeune femme aurait préféré oublier jusqu'au nom de cette femme. Elle d'habitude si bienveillante et pacifique, sens le rouge lui monter au visage. Avec les années, le nom de sa tante ne lui évoque que celle qui l'a abandonné, puis qui l'a arraché à ses montagne.  


- Bonjour Tante Dete.

- Comment tu fais pour toujours vivre dans ce vieux coin ? J'ai cru ne jamais arriver avec mes vieilles jambes. Et tu vis encore avec le vieux ? Il est toujours pas mort d'ailleurs ? Il fait un froid glacial ici en plus. 


Hedi serre les dents. 


- J'ai bien chaud moi. Qu'est-ce que tu veux ?

- Je voulais te voir et discuter un peu.

- Tu m'as vu et on a discuté. Au revoir maintenant. 

- J'aurais pensé discuter... un peu plus, j'ai fait une longue route pour venir ici. 

- Désolée pour toi. 

- Enfin Heidi. Je me faisais une telle joie de te revoir. J'ai tellement à te dire. Je me suis occupée de toi plusieurs années après le décès de ta mère. Comment tu peux m'accueillir comme ça ? 


Heidi voudrait renvoyer la vielle femme en face d'elle sans considération, mais elle ne peut pas faire abstraction de ses arguments, ainsi que de son visage profondément déçu. Il a toujours été plus fort qu'elle de voir le bon dans chaque personne, de chercher des circonstances atténuantes. Après tout, elle peut toujours laisser à sa tante une chance de se racheter. Elle a l'air sincère, elle ne risque rien à entendre ce qu'elle a réellement à dire. 


- Pardonne-moi. Qu'est ce que tu as à me dire, je t'écoute, répond-t-elle d'une voix radoucie. Assieds-toi sur le tabouret si tu veux. Je suis désolée c'est tout ce que j'ai à t'offrir. 

- Ça m'ira très bien. Merci. Raconte-moi déjà ce que tu deviens. J'espère que tu t'es bien instruite. J'ai été très surprise en apprenant que tu étais revenue vivre ici. C'était une grande chance que tu as écarté. 


La montagnarde serre les dents pour ne pas répondre une réplique sanglante. Si il existe une chance d'être de nouveau en bon terme avec sa tante, elle doit la saisir. Et elle doit se montrer reconnaissante de s'être occupée d'elle un certain temps, bien que limité. 


- Je me suis instruite, ne t'en fais pas. J'ai publié plusieurs ouvrages. 

- Des ouvrages ? 

- Oui des romans.

- Qu'est-ce que tu entends par publier ?

- Un éditeur a publié plusieurs de mes romans. 

- Toi ? Mais ce sont les hommes qui écrivent. Enfin bon, qu'est-ce que tu fais d'autre ?

- J'aide grand-père. Et je marche en montagne aussi.

- Oui, enfin, comme travail.

- C'est tout. De toute façon on se débrouille avec peu d'argent. La montagne est riche. 

- C'est… tout ? Mais écrire c'est bien, mais ce n'est pas un métier. 

- C'est pour me faire des reproches que tu es venue ?

- Non. Pardon. Si ça te plait après tout… En réalité, je suis venue m'excuser. 


Heidi ouvre de grands yeux, sous le choc. Après ce qu'elle a fait, et toutes ces années, elle voudrait s'excuser ? Maintenant ? Est-elle sincère ? A-t-elle une arrière-pensée ? Difficile de ne pas se poser la question. Mais Heidi veut lui laisser le bénéfice du doute. 


- Pardon ?

- M'excuser de ne pas avoir pu prendre soin de toi plus longtemps, d'avoir dû te mentir pour que tu partes, et de ne pas avoir compris que tu ne voulais pas de l'instruction que la famille Sesemann avait à t'offrir. J'ai compris tout ça récemment, et j'en suis sincèrement contrite. 

- C'est des excuses ou des reproches déguisés ? 


La jeune écrivaine se mord la joue. Elle voudrait ravaler ses mots. Ce n'est pas comme ça qu'elles repartiront sur de bonnes bases.


- Pardon ? 

- Tu m'as laissé chez un vieil homme connu pour être un meurtrier, alors qu'il ne voulait pas de moi. Et quand je me suis attaché au coin et à des gens, tu t'es rappelé que j'existais. Alors tu t'es dit : " Tiens, si je l'arrachais encore une fois à tout ce qu'elle connaît, et que je l'envoyais dans la pire maison au monde". Et tout ce que tu trouves à me dire c'est “désolée d'avoir privilégié mon travail à toi ? Et désolée que tu sois une incapable qui n'a pas voulu de cette vie triste à mourir ?”


Cette fois-ci pour recoller les morceaux, c'est vraiment mal engagé. Heidi s'en veut déjà, mais c'est comme si les mots étaient sortis d'eux-même sans lui demander son avis. Comme s'ils étaient retenus depuis bien trop longtemps, et qu'ils avaient besoin de s'échapper. 


- N'exagère pas. Mademoiselle Rottenmeier était très compétente, et tu avais une amie. 

- Elle était plus tyrannique que l'armée. Elle aimait répéter " Ici on ne rit pas, on ne court pas, on ne danse pas, on marche en silence." Elle aurait dit "on ne vit pas" ça aurait été plus rapide. 

- Désolée que tu ai eu à subir ça. 

- Arrête de répéter ça, je vois bien que tu ne le pense pas. 

- Bien sûr que si.

- Non ! Tu cherche seulement à apaiser ta conscience. 

- Pourquoi tu es comme ça ?

- Parce que tu m'as abandonné ! Plusieurs fois ! Et qu'à cause de toi j'ai toujours peur qu'on m'abandonne encore ! Je veux toujours me plier en quatre pour ne pas être encore rejetée. J'en ai marre ! Marre ! Marre d'avoir peur que ceux en qui je devrais avoir totalement confiance m'abandonnent ! 

- Mais enfin, je ne t'ai jamais abandonné. Je t'ai laissé avec ton grand-père, tu es toujours chez lui, c'est bien la preuve qu'il s'est bien occupé de toi ? Et même si la gouvernante était dure, je l'ignorais. J'ai fait ce qui me semblait le mieux pour toi. 

- Non ! Tu as fait ce qui te semblait le mieux pour toi. Tu ne voulais pas d'une gamine dans les pattes. Et tu ne savais pas comment elle était, c'était bien là le problème. Tu m'as laissé avec des inconnus. Et pour grand-père c'est pire, tu savais pas à quel point il prendrait bien soin de moi. Tu pensais que c'était la pire personne à qui tu pouvais me confier, et tu l'as fait quand-même. Je comprends même pas pourquoi tu es revenue à l'époque. Pour apaiser ta conscience déjà à l'époque ? À moins que ce soit pire ? Tu sais quoi ? Je veux même pas savoir ! Je ne veux plus rien savoir. Et je ne veux plus te voir non plus !

- Mais pour qui tu te prends espèce de sale gamine ? Tu ne connais rien à la vie. Et tu ne sais rien de MA vie. Tu crois que tu peux me donner des leçons parce que tu as écris quelques misérables bouquins ? Tu crois que c'est un métier ? Tu ne sais pas ce que c'est de manquer d'argent, alors ne viens pas me donner des leçons !

- Pourquoi tu parles d'argent ? Je t'ai jamais parlé de ça. 


Voyant que la réponse ne viendra pas, Heidi poursuit :


- Je ne vois pas en quoi m'arracher à grand-père, à Peter et à mes montagnes pouvait régler tes problèmes d'arg…


Hedi se stoppe en pleine phrase, les yeux écarquillés. 


- Tu ne m'as quand-même pas laissé en échange d'argent ? 


Tante Dete baisse les yeux, mais ne répond rien.


- Tu m'as vendue ? C'est pour ça que tu m'as laissé chez eux alors ? Sors d'ici, répond calmement Heidi, sonnée.


C'est encore pire que ce qu'elle aurait pu imaginer. 


- Heidi, s'il te plait…

 - Non ! Va-t-en, affirme-t-elle avec assurance. 


La vieille dame hésite un instant, avant de tourner les talons, laissant Heidi en plein désarroi. Sous le coup de l'émotion, elle tombe à genoux. Pourquoi est-elle revenue ? Ce séjour à Francfort  lui a laissé des traces indélébiles, dont elle ne parvient pas à se débarrasser ; tout ça pour de l'argent. Elle a été vendue, parce que c'est bien de cela dont il s'agit. Sa tante l'a emmené à Francfort pour recevoir une somme d'argent. Elle l'a vendue. Heidi est atterrée. 


Au bout d'une longue période où la jeune femme perd la notion du temps, elle finit par se redresser, laissant les chèvres en plan. Elle a besoin de réconfort. Elle pénètre dans le vieux chalets où se trouve son grand-père, et sans attendre, le rejoint avant de l'étreindre, entourant son cou de ses bras. Le vieil homme, surprit, n'attend pas pour autant avant de refermer ses bras sur elle.


- Merci grand-père !

- Pourquoi donc ? 

- Merci d'avoir pris soin de moi tout ce temps, merci d'avoir été là pour moi, merci d'être toi. 


Le vieillard desserre son étreinte un instant afin de s'essuyer le coin de l'œil. 


- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? 

- Tante Dete est venue. 


Il s'écarte pour regarder sa petite fille, interloqué. 


- Pardon ?

- Elle est venue pour… aucune idée en fait, mais elle m'a avoué qu'elle a touché de l'argent pour me laisser avec les Sesemanns. Et même si elle dit l'inverse, elle ne s'en veut pas du tout pour tout ce qu'elle m'a fait. Elle n'avait pas le choix qu'elle dit.


Le grand-père baisse la tête, désolé de ce qu'il vient d'apprendre. Il voudrait dire quelque chose, mais il ne sait quoi répondre. Il n'a jamais vraiment su y faire. Se sentir impuissant devant le désarroi de sa petite fille l'attriste profondément. 


- Je suis désolé, finit-il par dire du bout des lèvres. 

- C'est a elle d'être désolée, pas à toi. T'as rien à te reprocher grand-père, affirme Heidi, sûre d'elle. Au contraire. 


Débordé par les sentiments puissants qu'il ressent pour ce petit brin de jeune femme, la fille de son unique fils tragiquement disparu, il la serre de nouveau de ses vieux bras, avec toute la force qu'il lui reste. Il est tellement reconnaissant à la vie de l'avoir mis sur son chemin. Il ignore où il en serait aujourd'hui sans elle. Il ne peut imaginer sa vie sans elle à ses côtés. Elle est tout ce qu'il a de plus précieux, et l'entendre lui communiquer son attachement le remplit d'affection. 


Ma chère petite fille. Merci d'illuminer chaque jour de ma vie de ta présence.




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note de l'auteure.


merci si vous lisez encore ma ff sur Heidi tout ce temps après que je l'ai commencé. J'ai plusieurs chapitres de côté, que je pourrais vous partager une fois une petite correction effectuée.


À côté de ça j'ai plusieurs fictions originales terminés ou non, dont certaines sont sur Wattpad. Si jamais certains son tentés pour les découvrir ici, hésitez pas à me le dire en commentaire ou MP (aussi si c'est juste pour en savoir plus, il y a du contemporain et de l'imaginaire).


bonne fin de Week-end.

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