Expiation

Chapitre 11 : Thorn

1812 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 01/11/2017 00:28

Mon esprit peine à retrouver possession de mon corps. Mais je ressens les diverses connexions de mon cerveau, les neurones, les nerfs, les muscles qui commencent à travailler. Lentement, mes paupières s’ouvrent comme si l’on se réveillait après une dure nuit de sommeil. Dans mon crâne résonne encore ce coup de canon – le premier d’une longue série à venir – ayant guidé instinctivement mon corps vers le fond du gouffre. Là où se situaient toutes les provisions de la Corne d’abondance. Là où allait se dérouler le plus terrible des massacres de ces Jeux. J’ai décidé d’en faire partie. Après tout, je sais me défendre, je suis un tribut de carrière, quoique je n’aime pas trop que l’on m’identifie comme cela. Mais le fait d’appartenir au Quatre suffit pour en être un. Pendant toute notre enfance on nous entraîne à nous battre et à nous débrouiller en termes de survie, c’est le même cas pour les District Un et Deux.

J’ai dû perdre conscience en touchant la surface de l’eau. Je dois me situer à six ou sept mètres de profondeur, ce qui est relativement suffisant pour ne pas y voir grand-chose. Le bain de sang a surement déjà commencé là-haut. Mes forces désormais retrouvées, je parviens à atteindre la surface de l’eau rapidement sans pour autant m’essouffler. Après tout, je viens du District de la pêche. Là-bas, savoir nager est une priorité. Sans attendre et sans grandes difficultés, je rejoins la plate-forme centrale où se situait la majeure partie des équipements. Tout en grimpant sur cette énorme planche flottante, je remarque un peu plus loin sur ma droite un combat en train de se former entre la carrière du Un et la grisonnante fille du Trois. Je n’y prête pas plus d’attention que cela et me concentre sur les provisions en face de moi qui étaient empilées les unes sur les autres. Je me réjouis à la vue d'une boîte remplie d’armes et d’outils qui me sont familiers : de ma position je peux voir entre autres des filets de pêche en abondance ainsi que des tridents dont les pointes aiguisées reflètent à la lueur du soleil écrasant. Sans y réfléchir, je me jette dessus et m’équipe comme je le peux. En deux temps trois mouvements, je réussis à fourrer une boussole et deux tridents – un trident double plutôt grand qui se porte uniquement à deux mains et un autre plutôt classique et petit – dans un filet de pêche que je bascule immédiatement sur mon épaule. Je jette un bref coup d’œil autours de moi avant de m’équiper de deux ou trois couteaux que j’accroche à ma ceinture.

Enfin prêt, je me précipite vers la même direction par laquelle je suis venu mais un tribut de carrière – Trek, le garçon du Deux – s’élança sur moi avec une vivacité et une violence telle que mon corps se retrouva rapidement cloué au sol. Alourdit par mon filet et ce qu’il contenait, je m’en débarrassai un moment pour faciliter ma défense contre mon assaillant qui tentait en vain de m’étrangler. Tout en maintenant sa mâchoire à l’écart, je lui assénai un bref coup de poing du gauche sur ses côtes pour qu’il puisse lâcher prise. En reprenant mon souffle, je tirai un couteau de ma ceinture puis m’élança à mon tour sur lui. Il retint cependant mon poignet au moment où je m’apprêtais à l’égorger. Voyant ses yeux se tourner lentement vers ma ceinture de couteaux, je compris que la suite du combat allait être bien plus délicate. En effet, tout en maintenant mon poignet droit de sa main gauche, il tira une lame de ma propre ceinture avec son autre main pour ensuite essayer de m’éventrer. J’eu le temps nécessaire pour faire basculer mon bassin vers l’arrière et ainsi éviter son coup puis j’en profitai pour laisser mon couteau tomber de ma main droite – encore retenue – jusqu’à celle de gauche qui était libre. La situation étant désormais à mon avantage, je plantai d’un geste vif et précis ma lame dans sa gorge. Il laissa échapper un filet de sang de sa bouche avant de s’écrouler sur le plancher, le corps totalement inerte.

Debout, face au cadavre de ma première victime, je constate à quel point ces Jeux – ou plutôt devrais-je dire le Capitole – peuvent changer les gens en l’espace de quelques secondes seulement. N’ayant pas le temps de peser mes actes, je me dépêche de récupérer mon filet et mes armes avant de reprendre ma route. Je repousse vigoureusement d’un coup d’épaule Jayn, la fille du Cinq et plonge une nouvelle fois dans l’eau en direction de la paroi rocheuse située à plusieurs mètres de la plate-forme principale. Je parviens à gagner un petit escarpement sur lequel je me frotte les mains encore mouillées avant de commencer rapidement mon ascension. Après avoir manqué plusieurs fois de chuter bêtement, je réussis finalement à atteindre mon point de départ.

Je reprends mon souffle tout en remarquant que mes paumes de mains ont bien étés amochées suite à cette périlleuse escalade : de nombreuses petites plaies laissaient couler lentement un sang plutôt frais et sec. A quelques pas en face de moi se situait le piédestal sur lequel j’ai débuté ces Jeux. Je soupire brièvement. Je n’arrêtais pas de penser à ce qu’il venait de se passer. « J’ai survécu. » me dis-je à moi-même plusieurs fois. Je reprends tout doucement mes esprits et me mis à courir le plus vite possible sans réfléchir où aller précisément. Je m’engouffrais de plus en plus dans les recoins les plus étroits de cette cité abandonnée, complètement engloutie par la nature. Après une ou deux minutes de course, je remarque sur ma gauche à plusieurs mètres un garçon – plutôt grand aux cheveux blonds – qui piquait un sprint vers une direction opposée à la mienne. Je fis mine de ne pas l’avoir vu et continuai dans ma propre lancée. Je regagne bientôt une grande avenue puis franchit l’un des nombreux canaux de la ville en passant par un petit pont en pierre taillée brisé en trois morceaux. Le gouffre doit être bien derrière moi désormais.

Complètement essoufflé, je m’arrête un instant et prend appui sur une colonne brisée d’un très haut bâtiment. Je prends le temps de resserrer ma ceinture et d’ajuster mon filet de pêche sur mes épaules. En levant les yeux, je remarque un ensemble de tuyaux venant d’une cloison du premier étage qui pointe vers l’extérieur. L’un d’entre eux semble laisser échapper un courant d’eau plutôt faible. J’en profite pour me débarbouiller le visage et me rincer la bouche sans pour autant en boire. Mes vêtements et mes bottines sont encore mouillées de l’eau salée du gouffre. On pouvait entendre chacun de mes pas à plusieurs mètres à la ronde. « Au moins les tributs qui n’ont pas tentés leur chance au bain de sang sont secs, eux. » dis-je d’un ton sarcastique. J’ai peut-être de quoi me battre et survivre convenablement mais eux ont les moyens de me repérer et de se rapprocher de moi en toute discrétion. Du moins pour un petit moment, en attendent que je sèche complètement. Mais je retire tout de suite cette idée de mes pensées : si un tribut n’a pas voulu participer au bain de sang, ce n’est pas pour ensuite venir se confronter à ceux qui y ont survécu. Non. Ils doivent surement se cacher quelque part dans la ville. C’est d’ailleurs ce que je devrais faire au lieu de rester planté là, à rien faire.

Soudain, un coup de canon annonçant la fin du bain de sang me fait sursauter. Je regarde en direction du centre de l’arène derrière moi et commence à compter le nombre de morts quand tout à coup apparait au loin derrière un muret une silhouette qui m’est familière. Je fronce les sourcils afin de confirmer mes suspicions. C’est bien elle. Mesaline, la fille de mon District. A la fois surpris et content qu’elle soit encore en vie, je me dirige en courant vers elle en criant son nom plusieurs fois.

« Mesaline ! Mesaline, c’est moi ! »

Dans ma course, je vois son visage se tourner vers moi. Boum. Un énième coup de canon retentit tandis que je me rapproche encore. Je distingue enfin ses yeux bleus très clairs, ses fines lèvres ainsi que sa chevelure brune qui cascadait le long de son dos. Elle doit surement être soulagée de me voir. Je suis le seul à pouvoir la protéger et je le ferais jusqu’à mon dernier souffle. Je n’entends presque plus le bruit du canon artificiel. Je me concentre sur ma lancée et me focalise sur Mesaline qui était toujours au même endroit, en train de me fixer des yeux. Son expression change peu à peu au fur et à mesure que je m’approche d’elle. Son habituel sourire avait disparu et son regard était plus craintif qu’autre chose. Soudainement, elle prit ses jambes à son cou et tourna les talons pour s’enfuir vers l’endroit d’où elle venait. « Mais que fait-elle ? » je me dis à moi-même tout en la suivant.

« Mesaline, attends ! »

Un autre coup de canon résonne. Elle n’a pas l’air de vouloir s’arrêter. Pourquoi a-t-elle décidée de me fuir comme ça, brusquement ? Je ne cherche pas à comprendre et continue de lui courir après. Je la vois jeter un vif regard vers moi avant d’accélérer sa course. A quoi elle joue, bon sang ? Elle tente de me semer en zigzaguant entre diverses infrastructures en ruines mais je ne lâche pas prise et m’efforce à la rattraper tout en lui criant après. Elle part bientôt s’enfoncer dans un énorme hall en ruine. J’y rentre à mon tour et me retrouve nez à nez avec les carrières.

Laisser un commentaire ?