Une vie

Chapitre 10 : LA BELLE ET ... LA PETITE BETE

8836 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 24/02/2024 11:36

CHAPITRE 10

LA BELLE ET LA … PETITE BETE

 

 

J'espère que ce chapitre est assez bon parce que j'ai eu énormément de mal à le pondre. À vous de me le dire.

 

Le soleil se leva, promettant une belle journée. Il éclaira dans un premier temps toutes les créatures qui vivaient en hauteur ainsi que la cime des arbres. Ses rayons réchauffaient et revigoraient tous ceux qui sortaient du sommeil réparateur de la nuit. La chaleur et la luminosité glissaient de plus en plus bas afin que tout le monde puisse profiter de la générosité de l’astre. Ses bras caressaient les créatures rampantes, l’herbe basse et une forme noire près d’une rivière.

 

Une jeune femme gisait, échevelée, sur la rive. Ses vêtements d’allure noble avaient subi une lourde épreuve pour être en lambeaux à certains endroits. Un sabre était tout près d’elle. Son visage était jeune, presque enfantin, et pourtant, c’était une adulte. Quelques égratignures et traces de terre le maculaient. Il était à peine visible sous la lourde chevelure de la jeune femme. Sur son cou, un filet de sang séché dont la source était deux trous laissés par un animal carnassier. Elle était vivante : ses épaules se soulevaient au rythme de sa respiration mais elle revenait de loin.

 

Quand elle sentit la chaleur traverser son kimono, Rin cligna lentement des yeux. Etrange ! Jaken ne l’avait même pas réveillée en hurlant des abominations alors qu’elle pouvait entendre de l’eau couler. D’une main encore en léthargie, elle parvint à écarter ses cheveux qui tombaient négligemment sur son visage. En temps, normal, cela n’arrivait jamais puisqu’elle les brossait longuement avant de les relier, juste avant de se coucher. Du coin de l’œil, elle examina enfin le décor qui l’entourait. Il faisait déjà bien jour et bien clair. Encore une autre anomalie ; elle se levait d’habitude aux premiers timides rayons. Que se passait-il donc ? Il fallait savoir.

 

Elle étira ses membres et bâilla lourdement. Puis elle se leva. Devant l’ampleur de cette tâche anodine qui lui procurait actuellement quelques difficultés, elle préféra s’asseoir. Elle se sentit nauséeuse et porta rapidement la main devant la bouche. Elle ferma à nouveau les yeux. Peut-être avait-elle précipité les étapes ? Au bout d’une petite minute et après avoir respiré calmement, elle rouvrit les yeux et s’acclimata à la lueur du soleil. L’envie de vomir avait passé et elle retira sa main. Elle demeurait toujours assise et regardait le paysage autour d’elle.

 

Il n’y avait pas de trace de campement : pas de foyer, pas d’herbe pliée sous le poids des différents membres de sa « famille ». Elle était toute seule au milieu de nulle part avec pour unique compagnie, le pépiement des oiseaux. Ce n’était pas possible ! Où était Ah-Un ? Jaken ? Et Sesshoumaru-sam … ?

 

Elle s’interrompit brusquement et ferma les yeux. Des images venaient s’entrechoquer dans sa tête. Elle porta ses mains à ses tempes et se les massa du bout des doigts mais les images défilaient sans arrêt sous forme de flashs très lumineux : Tetsuo, le crachat, la gifle, Sesshoumaru-sama, … ses yeux, … ses crocs ! Elle eut des sueurs froides et rouvrit les yeux. Comme pour s’assurer qu’elle n’avait fait que rêver, elle fit lentement glisser sa main gauche le long de son visage pour arriver jusqu’au cou. Son regard se fit incompréhensif et hagard quand elle effleura deux trous qu’elle caressa doucement. Elle observa ensuite le bout de ses doigts. Du sang séché. Son propre sang ! Elle se résigna.

 

Sesshoumaru l’avait effectivement mordue la veille pour la punir. Il ne l’avait pas tuée sur le coup, comme c’était dans ses habitudes, mais la perte de sang considérable – les motifs oranges de son kimono étaient cramoisis – l’avait affaiblie. S’il voulait lui infliger une mort lente et douloureuse, il avait presque réussi. Elle était vidée, d’où la nausée au moindre effort. Qu’allait-elle faire à présent qu’elle n’était plus à ses côtés ?

 

Elle était devenue son ennemie. Il la traquerait pour l’achever. Non. Pourquoi lui avoir laissé la vie sauve alors ? Avait-il souhaité se débarrasser enfin d’elle ? La rendre à ses semblables ? Pourquoi ne l’avoir pas fait plus tôt dans ce cas ? Non, cela ne tenait pas debout : il lui avait toujours donné l’occasion de choisir. Elle lui avait maintes fois fait comprendre qu’elle ne retournerait plus dans les villages humains. Il ne s’en était jamais offusqué.

 

Elle tentait de raisonner logiquement mais la faim et la fatigue ne lui permirent pas de réfléchir plus avant. Elle était à côté d’une rivière. Tant mieux ! Mais elle ne se souvint même plus comment elle était arrivée à cet endroit. Les gargouillis de son ventre étaient vraiment désagréables mais Rin, malgré son état, n’avait pas perdu la main. Elle prit deux gros poissons, fit un feu avec quelques branches séchées et, en dépit de la simplicité du repas, se régala.

 

Une fois le ventre plein, elle prit le parti de laver son kimono. Il faisait beau et chaud, et il ne tarderait pas à sécher. Elle en profiterait pour lézarder et réfléchir à son avenir. Elle s’allongea dans l’herbe, nue, après avoir étalé ses vêtements tout à côté d’elle et croisa ses bras sous sa tête en fixant le ciel. Son sabre reposant le long de son tronc. Elle était au calme, rien ne pouvait la déranger excepté le petit tiraillement au niveau du cou qui ramenait constamment ses pensées vers son maître.

 

Mais pourquoi était-il devenu tellement enragé ? A l’époque où elle ne savait ni se battre, ni se défendre, combien de fois s’était-elle retrouvée dans des situations inextricables ? Et jamais Sesshoumaru ne l’avait aussi sévèrement réprimandée ! Maintenant qu’elle pouvait l’épauler, il se montrait dur et agressif envers elle. C’était au-delà du bon sens. Pourquoi lui avoir enseigné tout ce qu’elle savait si c’était pour faire de la figuration ? A moins que … qu’il ne supportât pas … qu’elle lui vienne en aide ? Mais oui ! C’était sûrement cela ! Qu’elle sache se défendre était tout ce qui importait au youkai mais sa fierté ne tolérait pas qu’un humain et encore moins une femme lui prête assistance !

 

Elle fut satisfaite de ses déductions mais fronça les sourcils. Un détail empêchait le puzzle de se former. Elle se souvenait qu’il la laissait s’occuper d’ennemis de tous types quand ils patrouillaient. Elle lui avait plusieurs fois demandé l’autorisation de se débarrasser du youkai ou de l’humain impertinent ; il lui répondait toujours par « Fais comme tu veux ». Décidément, elle n’arrivait pas du tout à faire la lumière sur ce problème. Elle réalisa que Sesshoumaru était une personne très énigmatique. Elle ne connaissait que la partie émergée de l’iceberg, et encore …

 

Elle sourit mais redevint aussitôt grave. C’était bien joli d’avoir partiellement élucidé la situation mais cela ne l’aidait pas pour autant. Où allait-elle aller ? La nourriture n’était pas un problème mais le logement en revanche … Inutile de retourner au palais ; la menace de mort pesait toujours sur sa tête. Chez oncle Inuyasha ? Tante Kagome serait ravie de la voir mais l’apparence de son oncle lui rappellerait trop … et puis il avait bien trop mauvais caractère ! Sans compter le moine et sa main baladeuse ! Non ! La forêt était bien moins dangereuse que lui. En plus, il y avait ce traité de non agression territoriale : comme elle faisait partie du clan de Sesshoumaru, interdiction formelle de mettre le pied sur les terres de son oncle. Elle ne voulait pas en plus d’avoir « désobéi », déclencher une guerre ! Oui mais pouvait-on encore la considérer comme une proche de Sesshoumaru ?

 

Elle pensa également à Totosaï mais chassa bien vite cette idée. Bien qu’il l’ait cordialement accueillie, elle avait tout de suite compris que Sesshoumaru et lui ne s’appréciaient pas du tout. Totosaï l’accepterait, sans aucun doute, mais il lui demanderait pourquoi elle était seule. Le vieillard, après avoir entendu son histoire, chercherait certainement à corriger l’arrogant youkai avec ses faibles moyens. Elle ne voulait pas qu’il laissât la vie sur un simple coup de colère. Non. Le plus sage et le plus prudent était de ne mêler personne à cette histoire et de se faire oublier.

 

Il fallait dorénavant qu’elle mène sa propre vie, seule. Mais hors de question de retourner parmi les humains ! Après la manière dont ils l’avaient traitée quand elle était enfant … Même le rejet de Sesshoumaru lui paraissait plus supportable. Malgré ce qu’elle avait subi, elle n’arrivait pas à lui en vouloir. Elle n’arriverait jamais … pas lui … le youkai qu’elle aimait et que peut-être, un jour, elle reverrait.

 

Soudain, une idée germa. Et si elle se rattrapait ? Elle n’avait pas commis de faute selon elle, mais il était important, malgré la situation, de lui montrer sa fidélité, même à distance et dans l’ombre. Elle savait qu’il n’était pas du genre à passer l’éponge ; il ferait certainement une exception tout comme il l’avait acceptée alors qu’il exécrait l’humanité. Et si elle nettoyait ses territoires de la vermine qui le rongeait ? Loin de pleurer à chaudes larmes sur sa condition, elle entrevit l’avenir le plus positivement du monde, avec son optimisme habituel.

 

 

Bien loin de là, un démon rejoignait sa demeure familiale, sans la présence d’une humaine. Enfin ! Son existence allait reprendre un cours normal, une vie de solitude et de calme. Calme ou monotonie ? Ah ! Quelle question ! Quiétude, bien entendu ! En espérant que son demi-frère n’attire plus le mauvais œil sur lui. Il le laisserait désormais se débrouiller tout seul. Il se demandait même ce qui l’avait poussé à venir auprès de lui ! Pour se faire remercier de la sorte ! Mais cette fois, le grand Sesshoumaru n’avait pas eu le dernier mot et les paroles du hanyou lui revenaient en mémoire.

 

—   Espèce de bâtard !

—   Encore une fois, le bâtard ici, c’est bien toi mon pauvre « frère » !

—   Je ne suis peut-être qu’un hanyou mais je ne suis pas un ingrat, moi ! Je sais remercier les gens pour l’aide qu’ils m’apportent !

—   Je vois ça, répliqua Sesshoumaru, nonchalamment. Les compliments que tu me jettes en bouquets …

—   Tais-toi ! Tu sais très bien de quoi je veux parler ! Pourquoi l’as-tu chassée en plus de l’avoir traumatisée ?

—   Je n’ai pas à me justifier devant une … « erreur familiale ».

—   Keh ! pesta Inuyasha. Ton baratin ne m’empêchera pas de dire ce que je pense. Tu n’as pas le droit de la traiter comme ça.

—   Je fais ce qu’il me plaît ! Toute désobéissance doit être punie.

—   Elle t’a rendu service, elle a failli y laisser la vie, bon sang !! Le hanyou se calma. Mouais … j’oubliais … tu es trop fier pour t’abaisser à dire merci … surtout à une humaine. Je crois que notre père n’apprécierait pas que son fils, un pur démon, entache son nom.

—   Comment oses-tu ? Sesshoumaru serrait les dents. Comment oses-tu parler de notre père alors que tu ne l’as jamais connu ? Mais je suis d’accord sur un point, dit-il en se calmant. Je ne m’abaisserai jamais devant cette race immonde.

 

Inuyasha n’y tenait plus. Est-ce que son frère était le dernier des abrutis ?! Était-il vraiment insensible à ce point ? Lui, avait appris, bien que récemment, qu’ouvrir son cœur ne revenait pas à s’humilier. Mais comment convaincre un youkai buté ? Il dégaina Tessaïga et Sesshoumaru croisa aussitôt Tokijin avec lui. Kagome le suppliait d’arrêter mais Inuyasha restait sourd à ses prières ; une furieuse envie de donner une mémorable correction à son frère le démangeait.

 

—   Hmmpf ! Moi, Sesshoumaru, n’ai pas à recevoir de leçon d’un plus jeune dont le raisonnement est faussé à cause des humains.

—   Que tu crois ! Rin n’a jamais voulu que ton bien. Tous les ningen ne sont pas méprisables. Il y a des idiots partout et j’ai le plus digne représentant des démons devant moi.

—   Je vais te faire ravaler tes insultes !

—   Mais avant dis-moi pourquoi tu l’as bannie.

—   Elle m’a désobéi ; elle n’avait pas à être ici.

 

Inuyasha laissa retomber Tessaïga sur le sol, au grand soulagement de Kagome. Sesshoumaru stoppa net devant l’abandon de son frère. Sango et compagnie arrivèrent en même temps que Jaken et Ah-Un ; le village était libéré grâce à l’intervention du dragon. Tout le monde s’arrêta devant les deux frères et retint son souffle. Ils avaient raté une partie de la querelle. Puis, ils virent Inuyasha rengainer son épée et se diriger d’un pas calme et confiant vers Sesshoumaru qui était toujours sur la défensive. Il se rapprocha de plus en plus pour se planter devant lui. Sesshoumaru sentait qu’il n’avait plus aucune envie de se battre. Inuyasha leva la main droite pour mettre deux petites tapes amicales sur l’épaule de son frère. Ensuite, il le dépassa mais lui parla de manière si basse que lui seul put entendre :

 

—   Je ne veux plus te donner de leçon : tu viens toi–même de te punir. Les blessures du cœur sont irréparables. J’espère seulement que tu comprendras les actions de notre père.

—   SILENCE ! hurla Sesshoumaru, ce qui fit sursauter toute l’assemblée.

—   Je souhaite que tu ne réalises pas trop tard …

 

Sur ses paroles énigmatiques, Inuyasha le quitta pour de bon. Il porta sa femme et rejoignit ses amis, médusés par autant de maturité de sa part. Ils firent demi tour et s’enfoncèrent dans la forêt, laissant un youkai hagard et un Jaken non moins bouche bée.

 

Au moment où Sesshoumaru se remit en route, Ah-Un refusait d’avancer. Jaken comprit quelle était la raison de cette résistance et s’enquit de l’absence de Rin. La réponse de Sesshoumaru fut tranchante mais il n’y mit aucune émotion : ni soulagement, ni peine.

 

—   Elle ne viendra plus.

 

Que fallait-il comprendre ? Morte ou partie ? Quand Jaken avait observé le visage de la miko affalée par terre, celle-ci n’avait pas l’air triste et aucune trace de larme n’était visible. Seule la fatigue pouvait se lire. Il en déduit donc que Rin ne faisait plus partie de leur groupe. Il aurait dû sauter de joie après toutes ses années mais une boule se forma dans sa gorge. Le batracien se mit à pester mais Ah-Un ne voulait pas bouger. Le dragon reniflait autour de lui ; il cherchait la présence de Rin. Sesshoumaru entendit l’agitation derrière lui. Il se retourna, fixa froidement sa monture … qui se remit immédiatement en marche.

 

Durant tout le trajet, pas un mot n’avait été prononcé. L’ambiance était étrangement calme mais aussi … angoissante. Un certain malaise régnait au cœur du trio. Quand les portes du palais furent enfin franchies, Jaken fut soulagé. Il reconduisit hâtivement Ah-Un vers son « étable » et s’occupa aussi bien de la bête que Rin le faisait. Il prit d’ailleurs plus de temps que d’habitude ce qui ne dérangea nullement le dragon. En fait, il voulait éviter son maître qui devait certainement étouffer une énorme colère.

 

Sesshoumaru arpenta l’un des innombrables couloirs de sa demeure mais ses pas le menèrent devant la chambre de l’humaine. Curieux. Il resta planté, immobile, devant la porte coulissante pendant quelques secondes avant d’entreprendre de l’ouvrir. Ses yeux s’agrandirent lorsque la chambre parut ; l’odeur de Rin était tellement forte, imprégnait tellement les lieux qu’il se sentit agressé et émit un grognement sourd. Toujours cette odeur de jasmin, délicate … comme elle.

 

Il fit quelques pas, très lentement, pour se retrouver au milieu de la pièce. D’aucuns auraient pu penser, en le voyant, que le grand seigneur des Territoires de l’Ouest hésitait. La pièce n’était pas éclairée mais la lumière du jour qui pénétrait par la porte suffisait à lui rendre compte du contenu de la pièce. Depuis le premier jour où elle y avait mis les pieds, la disposition n’avait pas changé ; le futon, la table basse, l’armoire, le paravent, tout cela était resté strictement à sa place d’origine.

 

Mais la touche personnelle de la jeune fille avait été ajoutée à commencer par les vases toujours remplis, grâce aux soins des invisibles serviteurs, de fleurs du jardin. Elle affectionnait particulièrement les énormes tournesols qui lui rappelaient la couleur des yeux de son seigneur. Dormir dans cette pièce revenait à se trouver sous la surveillance perpétuelle du youkai ; c’était très réconfortant.

 

La petite coiffeuse qui était située près du paravent était sommaire. Là aussi, un vase soliflore. Mais les différents accessoires qui s’y trouvaient étaient réduits à leur plus simple composition : une brosse à cheveux, un peigne et deux rubans de couleur résumaient la coquetterie de Rin. Rien à voir avec tous les artifices qu’utilisaient les courtisanes. Rin était restée simple bien qu’elle fût d’âge nubile.

 

Sesshoumaru scruta toute la pièce de son regard perçant. Chaque détail, olfactif et visuel, venait s’imprimer dans sa mémoire. Puis il ferma les yeux et serra les poings. Il se dirigea d’un pas sûr vers la coiffeuse, rouvrit les yeux devenus écarlates et d’un revers de la main, balaya tout ce qui s’y trouvait. Avec la même brutalité, il souleva le meuble et le fracassa violemment sur le sol ; le miroir vola en éclat, des bouts de bois s’étaient éparpillés dans la pièce sous la violence de l’impact.

 

Il fit un pas vers la droite et se retrouva face au paravent. Il lacéra les panneaux de toile avant de briser chaque parcelle dans ses mains. Il ne restait plus qu’un tas informe à ses pieds. Il se retourna et observa le reste du mobilier. Sa main droite brillait d’une lueur verte. Sans chercher à viser quelque chose en particulier, il projeta son dokkasou en balayant la chambre de manière large. L’acide rongeait les pieds qui supportaient les vases : ces derniers s’écroulèrent et se brisèrent ; le futon fondait, la commode s’affala dans un bruit sourd, la garde-robe fut rongée de l’intérieur. Après quelques minutes, le spectacle de la désolation régnait. L’acide avait fait son œuvre en laissant des cadavres décharnés de meubles de valeur.

 

Sesshoumaru dont le regard avait retrouvé l’ambre d’origine considéra le travail. Aucune satisfaction ne pouvait se lire sur son visage. Mais, comme saisi par la fatigue ou la douleur, il s’agenouilla et porta sa main criminelle sur son visage et l’autre sur sa poitrine. Les battements de son cœur étaient furieux et sa respiration saccadée. Que lui arrivait-il ?

 

Après quelques minutes dans cette position, il se releva, une fois que sa respiration eut retrouvé un rythme normal. Il se dirigea vers la sortie sans plus regarder autour de lui et appela son serviteur :

 

—   Jaken !

 

Le taiyoukai lui-même tressaillit au son de sa propre voix. Elle n’était pas aussi monocorde qu’à l’accoutumée. Le crapaud apparut dans l’encadrement de la porte au bout de quelques secondes et réprima un cri de surprise.

 

—   Monseigneur ? fit-il humblement.

—   Vide cette pièce et brûle tout.

—   B … bien, acquiesça-t-il.

 

Sesshoumaru sortit et laissa un Jaken pantois. C’était officiel : Rin ne faisait désormais plus partie de leur existence. Il soupira devant l’ampleur de la tâche qui l’attendait mais s’exécuta aussitôt. Cela ne l’empêcha pas toutefois de s’interroger sur le comportement suspect de son maître. Jamais il ne l’avait senti aussi en colère et aussi … désorienté, malgré ce masque impénétrable. Mais il se consola en se disant que si la jeune femme n’était plus là, si Sesshoumaru était dans une colère noire, c’était qu’elle avait commis une action irréparable.

 

 

Les jours passaient. Rin prenait son rôle de nettoyeuse très au sérieux tout en veillant à ne pas se faire voir. Elle oeuvrait beaucoup dans l’obscurité, au sens propre comme au sens figuré, et se reposait la journée. Humains et youkai plus ou moins importants nuisaient à la tranquillité des territoires de son seigneur lige mais grâce à l’entraînement qu’elle avait reçu de ce dernier, elle venait à bout de ses opposants.

 

Quand le ciel rougeoyait, il était temps pour elle de se trouver un arbre bien touffu ou une grotte, abri dans lesquels elle pourrait se reposer et manger en paix. Même si elle n’était plus sous la protection du youkai, elle s’en sortait relativement bien. Avant de connaître Sesshoumaru, elle avait réussi à survivre. Maintenant qu’elle était armée et qu’elle possédait certaines facultés, le problème ne se posait même plus.

 

Seulement, la solitude commençait à lui peser. Bien que Sesshoumaru fût de nature très peu loquace, elle ne se privait pas de lui parler. Le seul à répondre était Jaken. Enfin « répondre » … critiquer serait plus juste. Parler aux arbres ou aux cailloux n’était pas aussi exaltant. Il lui fallait un compagnon de route. Les dieux entendirent sa prière.

 

Alors qu’elle s’était fait un nid douillet en hauteur et qu’elle dormait du sommeil du juste, Rin fut soudainement réveillée par des grognements féroces et des cris plaintifs. Elle se releva, sur la défensive. Des loups ! Que de mauvais souvenirs. Ils n’avaient qu’à se dévorer entre eux, ce n’était pas ses affaires. Même si Kouga lui avait sauvé la vie, ses sbires n’avaient pas hésité à la lui voler et Sesshoumaru de la lui …

 

—   Ohhh, maugréa-t-elle. Fichus loups ! Pas moyen de se reposer tranquillement !

 

Elle s’allongea à nouveau et se tourna de l’autre côté pour essayer de se rendormir. Les grognements continuaient toujours mais les plaintes étaient beaucoup plus fortes. Rin en avait le cœur serré. Ces loups avaient beau s’en prendre à l’un des leurs, les cris de la victime étaient insupportables. Rin se leva pour de bon et résolut de régler cette histoire.

 

Elle sauta de son arbre et courut dans la direction des bruits. Au bout de quelques secondes, elle se retrouva devant une meute concentrée sur leur proie. Elle dégaina son épée et provoqua les animaux.

 

—   Eh, les loups ? Vous faites quoi ?

 

Les loups se retournèrent et la fixèrent, grognant, visiblement peu satisfaits d’avoir été interrompus.

 

—   Je me suis fait avoir la première fois mais maintenant ça va changer.

 

Elle chargea les quadrupèdes qui eurent le même réflexe. En deux trois coups d’épée, les loups furent vite mis hors d’état de nuire.

 

—   Hein ? Qu’est-ce que je vous disais ?

 

De sa ceinture, elle nettoya la lame et la replaça dans son fourreau. Les cadavres de loups mutilés l’entouraient. Elle put distinguer, à l’endroit qu’ils avaient occupé juste avant qu’elle ne les attaque, une masse de chair claire. Curieux ! La couleur du pelage, bien que maculée de sang, ne correspondait pas à celui d’un loup. Les plaintes qu’elle avait entendues étaient véritablement celles d’un canidé. Mais de loin, la forme du corps et sa couleur faisaient penser à un lapin.

 

Intriguée, elle s’approcha pour confirmer son jugement et s’agenouilla. Ni lapin, ni loup, ni rat, mais … un chien. Ou plutôt un chiot. Machinalement, elle passa la main sur le corps pour la retirer aussitôt. Des battements de cœur ! Faibles mais perceptibles. Elle était donc arrivée à temps.

 

—   Mon dieu ! Il est encore vivant !

 

Sans plus réfléchir, elle souleva la petite créature et se dirigea vers la rivière la plus proche. À l’aide de son obi, elle entreprit de nettoyer délicatement l’animal malmené. Elle fouilla ensuite dans son baluchon et trouva des bribes de tissus pour panser ses blessures qui suintaient, mais faiblement. Toutefois, au moment où elle s’approcha du blessé, celui-ci, comme s’il n’avait rien subi, se leva et pénétra dans la rivière pour s’immerger totalement sous les yeux horrifiés de Rin, complètement paralysée par sa réaction. Il ressortit quelques instants plus tard et s’ébroua. Rin en avait la mâchoire décrochée.

 

Les plaies de l’animal semblaient avoir disparu ! Et pourtant, c’était bien du sang qu’elle venait d’éponger ! Elle regarda le chiot s’approcher d’elle et fut saisie de stupeur. Il avait bel et bien des séquelles mais elles étaient très anciennes ; son œil gauche était crevé et sa paupière fermée. Une cicatrice en forme de croissant de lune « ornait » son front et deux balafres déformaient légèrement sa babine droite, juste sous l’unique œil … ambré qui la regardait intensément. Tout cela manqua de faire défaillir Rin.

 

—   Oh ! Mon dieu ! s’écria-t-elle en se prosternant aux pattes du chiot après que les bandages lui sont tombés des mains. Sesshoumaru-sama ?! Mais que faites-vous ici et sous cette toute petite forme. Je vous ai déjà vu sous votre véritable forme mais là... ! Comment vous êtes vous retrouvé dans une pareille situation, vous, un puissant youkai ?

 

Le chiot s’assit sur son arrière-train et pencha la tête de côté comme s’il cherchait à comprendre ce que le bipède femelle faisait à quatre pattes. Rin releva prudemment la tête et émit un craintif :

 

—   Sesshoumaru-sama ?

 

Le chiot inclina la tête de l’autre côté, se demandant quel rite accomplissait l’humain. Au bout de cinq minutes passées dans une position plus que ridicule, Rin finit par comprendre et fronça les sourcils :

 

—    Tu t’es bien moqué de moi !

Puis elle s’assit près de son baluchon, sans quitter l’animal des yeux. Elle fouilla lentement pour ne pas effrayer l’animal et lui tendit de la viande séchée. Le chiot tapa de la queue sur le sol. Il huma l’air puis tourna la tête de côté dédaignant la nourriture que Rin lui présentait.

 

—   Allez ! Prends ! Tu en as vraiment besoin … même si tu n’es plus blessé, dit-elle en avançant prudemment.

 

L’animal l’ignorait superbement. Mais Rin réfléchit à la cause de son refus.

 

—   Peut-être que tu ne bois encore que du lait. Si c’est le cas, je suis désolée mais je n’ai rien sur moi ; il va falloir que tu te contentes de ce que je te présente.

 

L’humain et l’animal s’observaient. Rin commençait à trouver l’hésitation du chiot pénible. Enfin, quoi ?! Ne sentait-il pas qu’elle ne lui voulait aucun mal puisqu’elle l’avait tiré des griffes des loups ? La main toujours tendue, elle souffla de désespoir. Peut-être qu’après tout, il avait encore peur.

 

—   Bon, écoute. Je vais laisser la viande ici et reculer ; comme ça, tu pourras la manger tranquillement.

 

Elle s’exécuta mais doucement, sans quitter l’animal des yeux et recula sur ses genoux pour se trouver à distance respectable. À ce moment, le chiot se leva et s’approcha doucement de l’appât qu’il flaira. Il s’assit devant mais n’y toucha pas. Il regarda Rin qui faillit s’arracher les cheveux de rage :

 

—   Non mais j’y crois pas ! Je sais que tu me comprends alors ne me dis surtout pas que tu n’aimes pas la nourriture des humains, hein ! On m’a déjà fait le coup ! C’que vous êtes butés, vous les chiens ! Tu es un carnivore, non ? C’est du sanglier ! C’est ça ou rien ! râla-t-elle en croisant les bras sur sa poitrine.

 

Lentement, le chien baissa à nouveau la tête et parut reconsidérer la chose. Il ouvrit enfin la gueule et ses crocs se saisirent du présent de Rin. Il mâcha puis déglutit et retourna à sa place initiale.

 

—   Alors ?! Tu vois ? T’es toujours en vie, non ? demanda-t-elle amusée. Tu sais que par moments, tu me rappelles quelqu’un ? D’abord tu fais ton fier et ton arrogant, et puis au final, tu cèdes parce que c’est pour ton bien.

 

Elle tira un autre morceau de viande mais espérait cette fois qu’il viendrait le prendre dans sa main.

 

—   Tiens, j’en ai encore d’autres, mais n’en profite pas !

 

Craintivement, il s’approcha de sa paume qu’elle avait gardée ouverte. Il déroba la lamelle et se recula à nouveau. Ça prendrait le temps qu’il faut mais elle arriverait à l’apprivoiser. Au bout d’une vingtaine de morceaux, c'est-à-dire tout le repas de Rin, l’animal s’était laissé approcher mais grognait toujours pour signifier qu’elle ne devait pas tenter de le toucher.

 

—   D’accord, d’accord ! Je n’insisterai pas ! Et moi qui pensais que le chien était le meilleur ami de l’homme. En tout cas, pas de la femme.

 

Quand le soleil vira à l’orange, Rin qui avait fini par s’attacher à la caractérielle petite boule de poils prit une décision. Elle s’adressa à lui car elle était dorénavant certaine qu’il la comprenait parfaitement.

 

—   Écoute. La nuit va tomber d’ici quelques minutes. J’ignore si tu es seul ou si tu as de la famille. Je te propose de dormir dans mon baluchon pendant que je marcherai et chasserai. Je ne risquerai pas de toucher.

 

Le chiot qui s’était affalé sur le sol, repu par un repas gargantuesque ouvrit son œil et fixa le dit baluchon. Paresseusement, il se redressa et trotta jusqu’au morceau de tissu pour s’installer parmi les autres affaires de Rin et se rendormit. La jeune femme était bouche bée en le voyant agir ainsi. Ah, ben ! Il ne s’était pas fait prier ! Il comprenait très bien ce qu’on lui disait, la petite crapule !

 

—   Alors c’est oui ! Mais je te préviens, tu risqueras d’être parfois secoué.

 

Rin se releva et « remballa » ses affaires, chiot y compris, en veillant à ce qu’il n’occupe pas la place du fond. Puis, elle fit passer l’anse en bandoulière et se mit en route. Elle n’avait peut-être pas fermé l’œil de la journée mais elle avait certainement gagné un compagnon de route. Il fallait encore qu’elle lui trouve un nom. C’était un mâle ; elle en était sûre. Elle l’avait bien vu quand il était assis …

 

Rin sourit intérieurement. Et si elle l’appelait comme son oncle ? Non, ce serait insulter le pauvre animal. Il avait peut-être le même caractère mais il ne hurlait pas comme ce dernier. Sessh … ? Non ! Il fallait à tout prix éviter ce nom bien que certains détails physiques, comme ses cicatrices, lui rappelassent étrangement le youkai. Ni l’un, ni l’autre. Décidément, elle avait très peu d’imagination. Puis, soudain, une idée lumineuse :

 

—   Taïsho ! s’écria-t-elle. Mais comme tu es encore tout petit, ce sera Taï-chan. Tu aimes ?

 

Évidemment, pas de réponse, du côté du baluchon. Du moins, pas de grognement.

 

—   Je prends ça pour un oui ! lança-t-elle joyeusement.

 

Rin avait ainsi fait l’acquisition, pour un temps appréciable, d’un petit quadrupède qui allait lui réserver quelques surprises. Cela faisait une semaine qu’il voyageait avec elle et leur relation s’approfondissait toujours un peu plus. Il avait fini par se laisser toucher puis caresser. Rin lui proposa même de dormir sur son épaule pendant qu’elle patrouillait. Il était du jour, et elle de la nuit. Deux partenaires très complémentaires pour peu qu’il lui fût d’une « indispensable assistance » la journée. Taï-chan, que se soit le jour ou la nuit, passait son temps à dormir.

 

—   Tu parles d’un chien de garde ou de chasse ! En plus, il n’écoute même pas quand je lui parle ou alors, seulement quand il entend le mot « repas » !

 

Quand Rin s’installait confortablement pour se reposer, Tai-chan prenait place sur son ventre, ce qui lui plaisait énormément : elle pouvait sentir battre son cœur. Mais quelle ne fut pas sa surprise quand il lui présenta son arrière-train !

 

—   En voilà des manières ! s’indigna-t-elle. D’abord tu râles parce que tu ne veux pas être caressé et maintenant, tu veux que je te touche le derrière ?! Soit ! Mais tu l’auras cherché !

 

Curieusement, Tai-chan se laissa faire et semblait même apprécier ; une espèce de ronronnement lui échappa.

 

—   Pervers ! siffla-t-elle. J’aurais dû t’appeler Miroku. Je suis certaine que le père de Sesshoumaru-sama était un youkai respectable, lui.

 

Une fois la surprise passée, Rin caressait nonchalamment le postérieur de son compagnon. Elle aussi finit par apprécier cette partie charnue de son anatomie si bien que, lorsqu’elle le portait sur son épaule, il offrait généreusement cette partie pour qu’elle la flatte. Si Sesshoumaru-sama la voyait, il aurait cette fois-ci une bonne raison de voir rouge.

 

Mais un jour, sans raison apparente, alors qu’elle laissait tremper ses jambes dans l’eau d’une rivière, Tai-chan la mordit à la main gauche, exactement à la jonction entre le pouce et l’index, là où une fine peau fait office de palme. Puis, aussitôt après, il la lécha.

 

—   Aïe ! Non mais ça va pas ? Qu’est-ce qui te prend ? Qu’est-ce que vous avez tous à me mordre ? En voilà des façons de montrer ta gratitude ! En plus, je te rappelle que c’est toi qui as voulu que je te caresse à cet endroit !

 

Elle porta la main devant son visage. Deux petits trous rouges de part et d’autre de la membrane de chair étaient visibles.

 

—   Eh, ben ! T’as beau être minuscule, t’as vraiment de très bonnes dents. Mais j’aimerais quand même savoir quelle mouche t’a piqué.

 

Au bout de quelques secondes, grâce aux facultés dont elle avait hérité par accident, le saignement cessa mais les marques restèrent bien visibles.

 

—   Allons bon ! désespéra-t-elle en touchant la cicatrice plus ancienne. Si ça continue, je vais mourir percée de tous les côtés. Tu parles d’une mort honorable ! Mais ce qui me rassure, c’est que je ne mourrai pas d’une infection ; il m’a tout de suite nettoyée.

 

L’incident passé, Rin sentit quelques démangeaisons. Cela commença au niveau des cicatrices. Puis elles se répandirent dans toute la main. Rin se grattait frénétiquement. Par la suite, les démangeaisons cessèrent et sa main fut comme ankylosée. Deux jours après, tout était redevenu normal mais Rin restait sur le qui-vive. Elle reconnut toutefois que la morsure de Sesshoumaru ne lui avait rien fait si ce n’est la fatiguer cruellement.

 

Un soir, devant le feu qui grillait quelques poissons, Rin fut dérangée pendant son repas par un cri. Un humain ou plutôt une humaine.

 

—   Hmmm ! soupira-t-elle en écartant son repas du feu. Le devoir m’appelle. Toi, reste-là et ne bouge pas. Mouais ... de toute façon tu ne bouges jamais …

 

Rin se dirigea aussitôt vers la « demoiselle en détresse » qu’elle trouva rapidement, un peu trop rapidement, et seule. Pourquoi avait-elle crié alors ? Rin se planta devant la jeune… youkai tout en évitant de se dévoiler complètement. La youkai tressaillit ; instinctivement, elle recula puis voyant que Rin ne bougeait pas :

 

—   Qui êtes-vous et que me voulez-vous ?

—   Un vagabond qui passait par là et qui a entendu votre appel à l’aide.

—   Qui me dit que vous n’allez pas profiter de la situation ?

—   Je suis une personne de parole. Ce n’est pas dans mes habitudes d’attaquer sans avoir été provoquée …

—   Mais nous, oui, dit une voix grave venant des arbres.

 

Rin releva brusquement la tête pour tenter de localiser la présence apparemment hostile. Mais la voix semblait provenir de toutes les directions. Elle dégaina immédiatement son sabre et se concentra. Une attaque, peut-être massive, se préparait. Et pourquoi cette femme ne bougeait-elle pas ? Elle finit par arriver à la conclusion qu’elle n’avait été qu’un leurre.

 

Soudain, cette dernière disparut et instantanément, les branches des arbres fondirent sur elle à la manière de tentacules avides. Il en sortait de toutes parts mais également de dessous la terre. Rin put éviter les attaques pendant dix bonnes minutes. Mais malgré sa rapidité et les nombreux coups de sabre, elle ne pouvait lutter devant le nombre toujours croissant des « assaillants ». Elle se fit happer par ces branches et fut maintenue au dessus du sol, écartelée, son sabre toujours dans sa main, immobilisée.

 

—   Bon sang ! Qui êtes-vous et que me voulez-vous à la fin ?! maugréa-t-elle.

—   Nous sommes les oni des bois. Nous pouvons parfaitement maîtriser les différents éléments de la nature, fit la même voix que tout à l’heure.

 

Rin vit s’approcher un être de taille inférieure à un humain. Il était petit, ventripotent, sale et horriblement velu. L’oni poursuivit en levant ses yeux verts, dépourvus de paupière, vers Rin :

 

—   Nous avons entendu parler d’un nettoyeur qui officiait sur les terres de l’ouest, le territoire de ce maudit Sesshoumaru. Il parait qu’il est pratiquement vêtu de la même façon que lui. Nous n’avions toutefois pas pensé que ce serait une femme. Est-ce que tu es bien le bras droit de ce bâtard ?

—   Je vous interdis … oups !

 

Rin se retrouva soudain la tête à l’envers, au même niveau que l’oni.

 

—   Tu n’es pas en position de nous interdire quoi que ce soit. Alors réponds. C’est bien toi, non ?

—   Oui, et alors ? avoua-t-elle fièrement.

—   À cause de toi, nous avons énormément perdu de nos camarades oni. Tu es pareille à ce youkai, tu massacres notre race sans aucune pitié !

—   Hmmpf ! nargua-t-elle en détourant la tête. C’est parce que vous nuisez à notre tranquillité, tiens ! Si vous étiez pleins de bonnes intentions, nous n’en serions pas arrivés au point de souhaiter vous éradiquer.

—   Là tu te trompes parce que c’est toi qui vas disparaître. Tu vas payer pour ce maudit chien.

 

À peine eut-il prononcé ces mots que l’étreinte des branches se resserra autour de son cou et de sa poitrine. Le sang pulsait de plus en plus furieusement dans ses tempes en raison de sa position. Son crâne allait exploser. Plus elle luttait et plus elle s’étranglait. Sa vue se troublait tout comme son ouïe. Elle crut néanmoins percevoir un grondement, celui d’un animal de taille assez raisonnable. Mais le son lui parvenait de tellement loin …

 

En revanche, elle reprit pied dans la réalité quand elle heurta violemment le sol. Cette fois, ce fut le cri déchirant du oni qui lui écorcha les oreilles. Elle en fut d’ailleurs effrayée. Mais que se passait-il donc autour d’elle ? Tout allait si vite qu’elle ne pouvait faire coïncider les informations. Elle n’eut pas plus tôt posé la question qu’elle sentit quelque chose de chaud mais désagréablement humide passer sur son visage et sa tête en général. Bahhhh ! Des morceaux de chair encore palpitante qui lui tombaient dessus ? Non. Le contact aurait été plus bref et elle n’aurait pas senti de souffle chaud.

 

Elle réussit à ouvrir les yeux et constata effectivement qu’un amas de chair gisait non loin d’elle. L’oni ! Elle inspira un grand coup ; cela ne lui posait plus de problème comme il y a à peine quelques secondes. En plus, elle sentit qu’elle était libre de ses mouvements. Elle était heureuse et surprise mais elle savait très bien que tout n’était pas fini. Ses ennemis étaient encore là même privés de leur porte-parole. Elle devait très vite se relever mais quelque chose l’empêcha de se redresser totalement. Sa tête heurta quelque chose de chaud, ferme ou plutôt musclé et terriblement poilu. Deux colonnes de cette même matière l’encadraient et elle finit par réaliser qu’elle se trouvait sous le poitrail imposant d’un animal. Elle baissa son regard. Des pattes blanches ? Mon dieu ! Se pouvait-il que …

 

Sans crier gare, l’animal qui se trouvait au-dessus d’elle grogna et partit à l’assaut des branches et racines qui se mouvaient toujours. Elle put enfin voir celui qui l’avait … léchée !

 

—   Sessh … non, Tai-chan ?!

 

Elle était médusée. Son compagnon n’avait plus rien de l’inoffensif petit chiot, excepté son œil ambré. Mais elle le reconnut sans problème et était certaine de son identité. Sa taille était démesurée et atteignait sans problème la sienne. Ses crocs ressemblaient véritablement à ceux d’un carnivore adulte, sa queue avait grandi et était plus touffue et sa musculature … elle la voyait rouler sous sa peau à chaque mouvement. Il était rapide tel un félin et bondissait de manière impressionnante par rapport à son poids.

 

Mais ses yeux s’écarquillèrent davantage quand il ouvrit la gueule pour projeter … de l’acide ! Toutes ses pensées s’entrechoquèrent pour finalement s’imbriquer parfaitement les unes dans les autres et arriver à cette conclusion. Tai-chan était un youkai. Son adorable petit toutou paresseux et gourmand était un youkai féroce. Un grand sourire se dessina sur son visage. Un inu youkai ! Elle était entourée d’inu youkai ! Or, celui-ci n’était pas comme Sesshoumaru-sama puisqu’il ne pouvait pas prendre forme humaine. Mais peu importe. Elle avait un allié de taille.

 

—   J’arrive Tai-chan ! cria-t-elle réconfortée.

 

Rin lutta âprement contre le restant des oni alors que Tai-chan protégeait ses arrières en déchiquetant et faisant fondre la défensive vivante mais sans cesse renouvelée de leurs ennemis. Si seulement elle aussi disposait de la même arme ! Elle n’était pourvue que d’un sabre. Ingrate qu’elle était ! Cette arme lui avait été offerte pour son dix-septième anniversaire par un Taiyoukai qui, et ce n’est pas rien de le signaler, méprise les humains. C’était le plus somptueux cadeau et la plus belle marque de … de … d’intérêt qu’il pouvait lui témoigner. Elle n’allait tout de même pas se mettre à cracher dans sa soupe !

 

À nouveau prise sans ses pensées, elle ne remarqua pas la branche tentacule qui fonçait droit sur elle. Dans un stupide réflexe d’humain, alors qu’elle avait pourtant des années d’entraînement intensif derrière elle, elle porta sa main gauche devant son visage et cria. Soudain, elle sentit quelque chose au niveau de sa main. Ça y est ! La branche devait l’avoir transpercée. Mais comment se faisait-il qu’elle pouvait encore réfléchir ? Elle baissa sa main et constata, à quelques pas d’elle une masse informe en train de se désagréger dans l’acide. L’acide ? Mais Tai-chan était à plusieurs mètres derrière elle et bien occupé ! Que se passait-il donc aujourd’hui ?

 

Son regard vint se poser sur sa main qu’elle finit par trouver étrange. Cette sensation bizarre, à quoi était-elle due ? Elle remarqua que sa paume luisait d’un éclat vert qui ne lui était que trop familier.

 

—   Non ! s’écria-t-elle en tombant à genoux. C’est pas … c’est pas possible ! J’ai moi aussi … nom de nom !

 

Il y avait bien longtemps qu’elle n’avait plus subi aucune modification ! Mais celle-ci battait tous les records en émotions ! Elle se rappela soudain Tai-chan qui sans raison valable l’avait mordue, Tai-chan qui pouvait projeter un dokkasou, Tai-chan qui à sa manière l’avait … gratifiée ? Était-ce possible ? Il était si désagréable au début et si peu démonstratif ! Elle se ressaisit et se jura bien d’avoir une « explication » avec lui.

 

Parfait ! Si de la main droite elle se servait de son sabre et de la gauche de sa nouvelle acquisition, le travail serait fini en deux temps trois mouvements. Petit problème toutefois : elle ne maîtrisait pas du tout sa nouvelle attaque. Il lui faudrait probablement quelques semaines avant qu’elle ne puisse l’utiliser correctement. Soit ! Pour l’instant, elle se contenterait de jets lancés au hasard mais comptait surtout sur ses autres ressources.

 

Au bout d’une heure de combat acharné, Rin et Tai-chan se débarrassèrent finalement de tous leurs ennemis, animaux et végétaux. Rin était pantelante mais tenait toujours sur ses jambes, avide d’obtenir les explications tant attendues. Elle avait rengainé son sabre après l’avoir soigneusement nettoyé. Elle attendit que Tai-chan vienne à elle, bras croisés sur la poitrine dans une attitude de défiance. Le youkai arriva effectivement comme s’il avait su qu’un jour ou l’autre il devrait se justifier. Il se planta en face d’elle sous sa véritable forme et s’assit sur son arrière-train. Leur regard était quasiment à la même hauteur.

 

—   Bon ! commença Rin, écoute-moi bien, mon grand. J’ai horreur de surprises de dernière minute. Ça fait quelques semaines maintenant que nous voyageons ensemble et c’est seulement aujourd’hui que je découvre qui tu es réellement.

 

Tai-chan inclina la tête de côté et adopta son air le plus innocent possible.

 

—   Et pas la peine de faire ces yeux … pardon … cet œil là ! C’est vrai que je t’en veux mais tu aurais dû me faire confiance. Et puis …

 

Elle lui tendit sous le museau sa main gauche, paume vers le ciel.

 

—   C’est quoi, ça ? J’veux dire je sais ce que c’est mais en quel honneur ou suite à quel crime ?

 

Pour toute réponse, Tai-chan lécha sa main de son immense langue. Rin était trempée jusqu’au poignet.

 

—   Non, Tai-chan. C’est bon, je n’ai plus mal. Pas la peine de t’excuser. Mais ce que je voudrais savoir c’est pourquoi.

 

Le youkai se leva et rapprocha dangereusement sa gueule du visage de l’humaine qui ne bronchait pas mais le fixait sévèrement. Soudain, sa langue balaya lentement la totalité du visage de Rin, cheveux compris. Elle eut tout juste le temps de fermer les yeux mais un deuxième coup de langue suivit puis un troisième etc … léchant toute la chair qui pouvait l’être. Son appendice, bien qu’un peu râpeux, la chatouillait à certains endroits comme le creux du cou. Elle éclata de rire et eut du mal à repousser les assauts affectueux du quadrupède.

 

—   D’accord ! D’accord ! J’ai compris, je crois. Moi aussi je t’aime beaucoup, mon petit … grand Tai-chan !

 

Le chien cessa ses câlins et se retira. Rin put enfin se calmer et ils s’observèrent tous les deux, en silence. Elle se jeta ensuite sur lui et entoura son énorme cou de ses bras.

 

—   Merci pour le cadeau, Tai-chan, murmura-t-elle. Je m’entraînerai dur pour en faire bon usage.


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