Retrieve Bass

Chapitre 11 : onze terrain à une scène

6472 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 02/11/2025 13:56

— À quoi tu penses ?

Les cordes continuent de vibrer après que j'ai retiré ma main. J'essuie mon menton en détaillant Yuji. Il a passé un t-shirt trop large, rouge.

— Pardon ?

— T'as l'air ailleurs.

— Je suis juste concentré.

Nos répétitions prennent tout mon temps libre. Quand je rentre chez moi, la première chose que je fais, c'est de brancher mon casque et de travailler mes prestations de nouveau. J'étudie les enchainements de la veille, le moindre soubresauts musical, la moindre respiration de la guitare, jusqu'à m'endormir avec l'instrumental en tête.

Mais surtout, détail de dernière minute, c'est bien la proposition de Gojo qui joue beaucoup sur mon état actuel.

Geto Suguru, l'ami guitariste de mon prof principal, sera sûrement présent pour juger si je suis à même de le remplacer pour une unique représentation. Bien que la proposition semble déjà actée, sa présence rajoute un stress supplémentaire. Je n'ai pas le droit à l'erreur.

Ça devrait me motiver à travailler plus, à bosser mieux, pour lui montrer que je suis capable de me produire sur une scène à l'étranger. C'est ce que je fais déjà depuis près d'une semaine.

Je mange, je bois, je chie musique. J'ai demandé aux autres de m'envoyer une démo de leur prestation pour adapter et améliorer mon propre jeu. Je les écoute quand je suis dans le bus, aux toilettes, devant la vaisselle, en sortant les poubelles ou en allant faire les courses.

Puis, quand la musique diminue et laisse place au sommeil, même dans mes rêves je suis toujours derrière la guitare. Mes doigts ont fusionné avec, ́a scène me colle aux pieds, la lumière des projecteurs fond ma peau....

Yuji attend que je dépose ma guitare au sol.

— Ton poignet est trop rigide.

— Quoi ? je fais en récupérant une bouteille d'eau.

— Ton poignet est trop rigide. Ça m'est déjà arrivé en jouant de la batterie trop longtemps. Tu devrais t'échauffer pour l'assouplir.

Sur ce, il enlève son propre strapping qu'il portait sur son poignet gauche. Il me le tend après que j'ai fini de boire. Je refoule un rire avant de ramener ma guitare vers moi.

— Ça ira.

— T'en as plus besoin que moi.

Voyant qu'il reste immobile, j'attrape son truc. J'espère qu'il ne s'attend pas à ce que je le porte immédiatement. Surtout qu'il a l'air de l'avoir bien utilisé - si vous voyez ce que je veux dire.

— C'est pas mon truc. Mais merci.

Il reste à la même place pendant que je continue de régler ma guitare. Le fait qu'il m'épie en silence me déstabilise. Il se décide à me proposer :

— On compte allez au city stade à côté. Tu es chaud ?

— Aujourd'hui ?

Il hausse les épaules.

— Yuji, la repres' finale est dans deux jours. J'ai pas du tout le temps pour ça.

— C'est à dix minutes à pied. Une petite course, allez...

Je l'observe, mais il est bien tranquille pour ressentir la pointe d'ennui qui habite mon regard.

— T'es prêt toi ? Tu m'avais pas dis que t'avais encore le refrain à bosser ?

— C'est bon je gère. C'est plutôt Nobara qui doit galérer. Maki ne l'a pas lâché de la journée pour ses ajustements...

Sur l'estrade, se dresse notre chanteuse qui continue de faire des gargarismes avec sa bouche. Maki griffonne et l’informe :

— Ça manque de stabilité. Essaie de mieux soutenir ta voix avec ton souffle.

T'es coach vocal aussi peut-être ?

La brune l'a détaille sous ses lunettes pendant une secondes ou deux.

— T'es devant ton micro, tu crois que je t'entends pas ?

— Ah oops, feint la rousse en laissant traîner un regard vers nous. Les gars vous en pensez quoi ?

Yuji et moi nous nous regardons un bref instant. Yuji se lance :

— Tu devrais écouter les conseils de Maki...?

— J'essaie de t'aider, assure cette dernière. Tu crois que je veux te saboter ? Ça n'a pas de sens.

— Ce n’est pas toi qui sera sous le feu des projecteur. Si ça se trouve, tu souhaites prendre ma place - c'est ce qui arrive dans les films en tout cas.

Ça y est. Nous arrivons dans la derniere phase des répétitions : la paranoïa. Maki, qui s'affaire à calibrer le mixage, a bien compris le jeu de la rouquine.

— C'est ça... Tu devrais vérifier ton café avant de le boire aussi. On sait jamais, j'ai peut-être glissé du sel pour ruiner ta voix ?

— Je ne bois pas de café.

— Je ne chante pas non plus. Pas de soucis à se faire tu vois ?

Embarassée, la rouquine claque ses joues avec ses paumes. Le rouge colore son visage avant qu'elle n'attrape de nouveau le micro.

— Megumi, t'es trop lent avec ta guitare. C'est à cause de ça que j'ai dû mal a placer ma voix.

Ça c'est une nouvelle... Je tourne ma tête vers elle en prenant soin de ne pas me déboîter le cou face au culot de sa remarque.

— C'est toi qui est trop rapide. Maki vient littéralement de te le dire.

— Elle m'a dit je manquais de stabilité nuance. C'est parce que ton tempo est trop lent.

Maki tourne les pages de son carnet avant de remarquer que nous attendons tout deux une confirmation de sa part.

— J'ai fait un commentaire concernant la prestation de Nobara. Si elle pense que le problème est le rythme de ta guitare...ça se tient. Voyez ça entre vous.

— Attendez, je joue de la même façon depuis des jours, je leur explique en évitant le sarcasme de traverser ma voix. Et c'est moi qui fait n'importe quoi depuis le début ? C'est à Nobara de s'adapter.

Je les regarde, tour à tour mais c'est Yuji qui prend la parole en premier :

— Tu t'es peut-être surmené. Parfois, j'ai tellement la tête dans le guidon que je ne remarque même plus que je joue le mauvais morceau. Ça arrive.

Ça ne m'arrive pas. Pas à moi. Je suis concentré. Je ne fais que ça.

— Je pense que tu as bridé ton jeu sans t'en rendre compte. Utilise mon strapping pour détendre ton poignet-

— C'est pas mon jeu le problème.

— Ça te coûte quoi d'essayer de jouer plus rapidement au juste ? souffle Nobara. Même Yuji te l'a fait remarquer.

— Et alors ?

— Yuji s'y connaît. Il est doué...

Elle n'aboutit pas sa réflexion, mais son silence finit à sa place.

"Il est doué." Plus que toi.

Juste après ça, Nobara n'ose plus se confronter à moi. Elle même s'aperçoit que son commentaire fait mouche.

Elle se place bien droite devant son micro avant que Maki ne lui donne les dernières directives. Mes épaules s'affaisent pour accueillir ma guitare entre mes bras. Je regarde mes lacets avant de leur dire :

— Je vais essayer d'être plus régulier.

— Cool.

Je ne sais même d'où provient la réponse. J'entends simplement le traditionnel "1, 2, 3 et 4" avant de déverser ma musique.

Quand je rentre chez moi, mon téléphone est déjà sur mon lit.

Je sors de son étui ma vieille guitare électrique que je rangeais sous mon lit. Je l'utilisais quand je voulais bosser chez moi sans déranger Tsumiki juste à coté. Ce n'est pas mon modèle préféré. Cette guitare est trop rigide et j'ai dû mal à ressentir sa puissance. Mais pour ce soir, ça fera l'affaire.

Je branche mon casque dessus et commence à jouer ma partition.

Les accords se succèdent les uns par dessus des autres. Puis se sont les chiffres. Il me reste deux jours. Puis les jours. Mercredi jeudi... et vendredi.

Je recommence une nouvelle fois le morceau fini. Je n'ai pas de difficulté particulière. La partition est simple. Il n'y à pas de piège. Rythme binaire. Des accords ouverts et barrés. Classique.

"Elle m'a dit je manquais de stabilité. C'est parce que ton tempo est trop lent."

C'est faux. Je suis certain que c'était elle qui n'avait pas le bon rythme. C'est impossible que je puisse foirer un truc aussi simple. Elle m'a simplement choisi comme bouc émissaire...

"T'as l'air ailleurs."

C'est faux. Je n'ai jamais été aussi présent au lycée. Je suis concentré. Certes, je suis peut-être un peu stressé par la proposition de Gojo et anxieux à l'idée de la présence de Geto pour notre représentation, mais ça s'arrête là. Parfois, il m'arrive d'ouvrir les yeux au beau milieu de la nuit en pensant à la scène qui s'écroule sous mes pieds, ou au projecteur qui s'effondre sur ma tête... Rien d'alarmant.

Est-ce que j'aurai le temps d'être parfait ? C'est l'unique incertitude qui me dérange à l’heure actuelle.

Au bout du trentième accord, un pincement me fait arrêter aussitôt. Je retire mon casque en me laissant tomber sur mon lit.

— Fais chier.

Je frictionne mon poignet en tentant de diminuer la douleur qui iradie mes muscles. C'est pas le moment. Pas le moment du tout.

Je me laisse quelques minutes de repos avant de rejouer de nouveau. Quand j'attrape ma guitare, j'ai déjà mal. Je pince mes lèvres, gagné par la frustration et abandonne mes répétitions pour la soirée.

Ça va aller, Megumi. C'est rien.

Je me persuade de cette phrase seule. Elle m'apaise un peu trop, si bien que je tombe dans les bras de morphée avant de d’avoir réalisé.

Un jour plus tard, quand je me retrouve devant le reflet du miroir de la salle de bain. La mousse étalée sur mon menton, j'ai l'impression d'aller un peu mieux.

J'égoutte mon rasoir en constatant que mon poignet droit ne me fait plus aussi mal qu'hier. J'essuie sous mon nez avant de sortir de la salle d'eau.

Tsumiki est dans la cuisine avec sa tablette et ses écouteurs. Elle doit avoir une conférence à suivre en distanciel. Elle souffle sur sa tasse fumante alors que j'ouvre le frigo.

J'attrape la bouteille de jus de pomme avant de récupérer un verre dans la vaisselle qui s'égoutte.

— Pourquoi tu fais pas tes visio dans ta chambre ? je râle déjà alors qu'elle me fait mine de dégager de son périmètre

— La lumière est meilleure ici. T'as pas cours à cette heure-ci ?

Je zieute l'horloge murale tout en grattant mon sourcil. Si j'ai bien suivit, je suis dans le groupe B, ce qui veut dire que je commence une heure plus tard. Je ne me suis pas réveillé en avance non plus.

— Mmh quelque chose a changé chez toi, observe-t-elle.

Mon téléphone vibre dans ma poche. Une notification du groupe de musique.

Yuji

[ Quelqu'un est dispo pour répéter ? J'ai une heure de trou ]

Nobara

[ Chaud ]

Yuji

[ Y'a pas qql d'autre? ]

[ Je rigole ]

[ qql peut m'envoyer ma partition ? J'ai perdu la mienne ]

Maki

[ T'abuses c'est pas sérieux]

Inumaki à liké le message de Maki.

Maki

[ Je t'envoie ça ]

— Tu t'es coupé les cheveux ?

— Quoi ?

— Ah non, tu t'es juste changé. T'as plus ce pyjama affreux...

— C'est toi qui me l'avait offert je te signale.

— Tu m'avais harcelé. C'était le prix pour avoir la paix.

Je soupire et lui avoue :

— Je me suis rasé. C’était ça que tu cherchais.

— Oh. Effectivement...

Yuji

[ Allô vous avez vu le programme ? On passe de 17h à 17h30 juste avant l'apéro dînatoire ]

Ah bon ? Je déroule mon écran d'accueil pour m'apercevoir de la réception d'un nouveau mail de l'administration.

J'ouvre le fichier Excel en constatant le programme de vendredi. Je ne m'étais pas aperçu du nombre de club et d'activité prévue tout le long de cette journée.

Maki

[ On passe après le groupe de théâtre. C'est quitte ou double avec eux.]

Nobara

[ Jpp je veux pas passer après, c'est tjrs la cata ]

[ la dernière fois ils ont joué titanic version lesbienne vu qu'il y'avait que des filles dans le casting ]

[ les parents d'élèves étaient outrés ils ont voulu faire fermer le club ]

[ ça leur a fait de la bonne pub mine de rien ]

— Qu'est-ce que tu lis ?

Je relève les yeux en ayant oublié que j'étais devant Tsumi. Elle me regarde derrière sa tasse.

— Rien. C'est le groupe de musique.

Maki

[ cool haha ]

[ ils jouent quoi cette année? ]

Nobara

[ jsp ]

[ la belle et la bête d'après Lou ]

Yuji

[ J'étais même pas au courant qu'il y avait un groupe de capouera au lycée ]

Maki en réponse à Yuji

[ *capoeira :) ]

Nobara

[ ça a été intégré dans le programme en cours de route juste psk Yaga fait de la capoeira. Ils sont pas ouf en vrai j'ai vu leur presta ]

Yuji en réponse à Nobara

[ T vrmt leur hater numéro 1 mdr ]

Nobara

[ Tg ]

[ Pardon faute de frappe :p]

Inumaki à liké le message de Nobara.

Yuji

[ T s riese ? ]

[ *Sérieuse ]

Nobara

[ Apprends à écrire stp ]

Yuji

[ Inumaki pk tu likes jamais mes réponses?? ]

Nobara

[ C'est lui ton hater numéro 1 ]

Inumaki à liké le message de Nobara.

Yuji

[ ?? ]

[ Sinon personne d'autre de dispo pour répéter? ]

Nobara

[ vsy débrouille toi tt seul ]

Megumi

[ J'arrive ]

— Ça y est, fait-elle alors que je suis déjà hors d'atteinte, il découvre les réseaux sociaux après tout le monde...

La dernière répétition touche à sa fin.

— Tu comptes rester tard ? fait Maki en ramassant ses affaires.

— Il faut que je finisse un dernier truc.

— Tu as dis la même chose il y a une heure.

Sur ce, elle referme son carnet et le fourre dans son sac. Les agents d'entretiens sont déjà dans les couloirs. L'un d'entre eux pointe le bout de son nez et nous engueule de veiller aussi tard :

— A votre âge, j'étais déja chez moi en train de jouer aux jeux vidéos avec mon grand frère - qui lui aussi avait déjà finit de bosser à cette heure-ci par ailleurs...

— A qui vous le dites ! Megumi..?

— Allez petit, rembraie l'agent, remballe ton matos et écoute ta copine. Tu dois avoir mieux à faire non ?

Je roule des épaules. Cette fois-ci, la douleur d'hier s'est déplacé jusqu'à mes omoplates. Ça doit être le signe pour rentrer chez moi... Je soupire en reposant la guitare à sa place.

Maki et moi sortons tous les deux du lycée en dernier. Le parking des professeurs est déjà vide tandis que les lampadaires de la ville s'allument tour à tour. J'enfonce mes mains dans la poche de mon jogging avant qu'elle ne me dise :

— Tu sais, tu n'es pas obligé de me raccompagner jusqu'à chez moi...

— C'est de ma faute si tu rentres tard. C'est la moindre des choses.

— J'avais des choses perso à finir aussi, nuance-t-elle aussitôt.

Si je savais déjà que je n'avais pas l'étoffe d'un prof, Maki, au contraire, en avait toutes les qualités. Durant tout le long, elle a assisté à toutes nos répétitions et n'a pas manqué de nous remettre ses prises de notes à chaque séances pour nous faire progresser.

Même si elle ne joue pas demain, elle nous montre qu'elle est tout aussi investie que nous dans ce club.

— Tu ne regrettes pas de ne plus être scolarisé au lycée comme tous les autres ?

C'était une question qui me trottait dans la tête depuis un moment. À vrai dire, j'avais déjà envisagé d'arrêter pour de bon l'école et me concentrer sur un parcours professionnel. J'aimais la musique. J'avais l'idée d'intégrer Retrieve Bass de nouveau. Alors, qu'est-ce que j'attendais ?

Un seul obstacle se dressait devant moi ; c'est que j'hésitais encore.

Un choix aussi radical méritait d'attendre un peu. Le doute était le dernier maillon qui me retenait à retourner en cours. J'avais déjà séché un bon nombre de fois. Alors, pourquoi j'agissais comme un élève modèle désormais ?

Néanmoins à ce stade, je me demande comment vive ceux qui ne sont plus dans les carcans traditionnels. Maki devait avoir la réponse.

— Tu me demandes plutôt si la vie au lycée me manque. Alors là, pas du tout.

Avant qu'elle n'aille plus loin, on entend des éclats de voix à quelques mètres de nous. Je reconnais aussitôt la facade du city stade dont parlait Yuji. Maki remarque mon intérêt.

— Intéressé ? glisse-t-elle en poussant son épaule contre la mienne.

— Quoi ?

— Yuji et Nobara en parlait encore d'y retouner aujourd'hui. Si tu faisais une apparition surprise, tu pourrais gagner des points sur ton capital sympathique.

Est-ce bien le moment pour quelque chose d'aussi futile ?

Tout le monde semble oublier que le jour J est pour demain. Il ne manquerait plus que je me casse quelque chose en courant quelques heures avant ! Avec ma chance actuelle, ça ne serait pas surprenant.

— J'ai mieux à faire. Je me suis déjà fait reprendre par Nobara, tu l'aurais oublié ? Je suis loin d'être prêt pour demain.

— T'es encore sur ça ? pointe-t-elle avec amusement. Nobara a encore du mal à se souvenir des paroles. Ne te rend pas malade pour une simple remarque-

— Il faut encore que je bosse sur mes transitions. Je veux être calé une bonne fois pour toute.

Elle se place devant moi avant que je ne puisse avancer plus loin.

— Tu devrais te défouler un peu. La frustation n'a jamais donné rien de bon.

— Je ne suis pas frustré.

Elle me dévisage un instant mine de dire "t'es sûr de toi?".

— Je veux juste être parfait pour demain.

— C'est impossible. La perfection n'existe pas, mais tu étais déjà au courant, affirme-t-elle en croisant les bras. Je n'essaie pas de te décourager, tu y mets du tient et tant mieux... Mais certaines choses sont plus belles quand elles sont incomplètes. Ça vaut pour la musique.

J'ai bien compris qu'elle me voit comme l'obsessionnel de service. Mais j'ai d'autres ambitions :

— Ce n'est pas tout. Il y aura un guitariste pro dans les spectateurs. S'il me repère, je suis quasi sûr de pouvoir jouer dans son groupe pour une représentation à l'étranger. C'est l'occasion rêvée de me faire remarquer.

— C'est donc pour ça...

— Mais aussi c'est par ce que je ne veux avoir aucun regret. J'ai envie de montrer tout ce dont je suis capable. Au moins, quelque soit la réponse finale, j'aurais été satisfait de ma prestation.

— Ça se tient.

Si Geto Suguru réalise, par un heureux hasard, que je n'ai pas la carrure pour le replacer, il ne faut pas que cela m'atteigne. Je ne veux pas mettre toute mon énergie sur son seul avis. Je fais de la musique avant tout pour mon propre plaisir. Toutefois, c'est ce que j'essaie de me convaincre. Qui sait comment je réagirais si les choses devaient mal finir...

— Évidemment que la vie au lycée me manque.

Je ne m'attendais pas à ce qu'elle embraie sur ce que je lui ais demandé plus tôt. Qu'à-t-elle en tête tout d'un coup ?

— Je pensais que ça te convenait.

— Je suis certaine d'avoir pris la bonne décision, confirme-t-elle contre toute attente. Je dis ça simplement car c'est la nostalgie qui parle à ma place. Il n'y a aucun monde où je voudrais de nouveau réintégrer un cursus normal, sache-le. Pourtant...

Elle se gratte le bras tout en cherchant le mot adéquat, l'inspiration convainquante.

— C'est une fois que j'ai quitté le lycée, que j'ai vraiment apprécié apprendre. C'est parce que j'ai fais ce choix aujourd'hui, que je me rends compte que j'aimais partager une classe avec des élèves, les pauses avec mes amies, et écouter les ragots à propos de la vie des profs...

— Si ça te manque tant...tu peux toujours...?

— Non. J'assume mon choix. Les regrets arrivent toujours à temps. Sans ça, je n'aurais jamais compris tout ce que je te dis. Je suis heureuse, ne t'y trompe pas.

Elle préfère hausser les épaules.

— Profite un peu, lâche-t-elle avec légèreté. Même si ça ne tente pas plus que ça, et que tu penses que c'est inutile. Amuse-toi. C'est précisément parce que c'est insignifiant que ça prend toute son importance.

Et, comme si elle se rendait compte de l'heure et de l'endroit où elle était, elle embraie :

— Oula faut pas que je tarde - merci de m'avoir accompagner jusqu'ici mais faut vraiment que j'avance.

— Maki...

— On se retrouve demain - en forme, c'est clair ?

— Et toi alors ? je lui lance alors qu'elle est déjà en chemin. T'as pas envie d'aller sur le terrain avec les autres ? Si tu y vas... je viens aussi.

Elle essaie de décrypter mon expression. Finalement, elle souffle du nez.

— Je dois retrouver mes parents. Ils m'autorisent à rentrer tard à cause de mes obligations, mais je ne vais pas abuser. Une autre fois peut-être, ajoute-elle. Si tu veux y aller, ne te cherche plus d'excuse Megumi !

Elle me salue une dernière fois avant de s'éloigner. Un moment passe avant que je ne me décide de me mettre en mouvement.

— Je-rêve !

C'est ce que j'entends quand j'apparais sur le terrain du city, pendant que Nobara, en première ligne, rectifie ses baskets. Évidemment, elle ne loupe pas l'occasion pour commencer à me charier, mais je la devance :

— C'est quoi cette écharpe ?

Elle aggripe son bout de tissu avec un air perplexe.

— Il fait froid. Je protège ma voix jusqu'à demain.

— C'est pas mieux que tu rentres chez toi dans ce cas...? Je lui demande en déposant mon sac à dos sur le gazon synthétique.

— Non, je veux m'amuser un peu avant.

— Tu as changé d'aviiiis, s'exclame Yuji à côté. Content de te voir ici.

Lou apparait derrière lui. Une surprise flagrante se lit dans son regard quand elle me voit. C’est réciproque.

— Salut-

— Lou s’entraînait avec Nobara au départ - tu la connais déjà, non ? Elle nous prête un ballon pour l’occasion, c'est pas trop génial ?! continue Yuji avec un peu trop d’énergie. On se fait un foot du coup ?

L'amie de la rousse hoche la tête.

— On peut faire les mecs contre les filles. Nobara, t'es prête ?

— J'aurais préféré un basket, répond cette dernière. Mais, si je suis dans la team de Lou, alors va pour un foot. Vous êtes mort les mecs.

— Alors à l'origine, raconte Yuji, j'hésitais à m'inscrire au club de football, donc je dirais que j'ai le potentiel pour-

— On commence ! hurle Nobara marquant le début du match.

Louane envoie le ballon à ses pieds.

— Megumi démarque-toi !

C'est ce que me dit Yuji alors que Nobara continue d’accélérer en ligne droite. Enfin, elle se fait stopper par mon coéquipier.

— Tu crois que tu peux me couper la parole et continuer comme si de rien était ? C'est moi qui vais te-

Elle feinte un tir sur le côté gauche. Yuji se laisse avoir et trébuche. Trop tard. Elle le sème à toute allure et ballon attérit dans les filets avant je comprenne que j'étais supposé l'arrêter.

Louane vient lui taper dans la main.

— Looser ! s'extase la rouquine. Vous-deux !

C'est plus fort que moi.

— Avec ta vieille écharpe...

— Et toi, rétorque-t-elle, avec tes vielles baskets.

Je regarde mes pieds. Ok, je l'ai bien cherché.

Yuji s'approche de moi et m'attrape l'épaule. Caché par sa main, sa bouche se rapproche de mon oreille, comme si des caméras invisibles pourraient suprendre notre échange. Il s'y croit vraiment.

— On change de tactique-

— On avait une tactique ?

— Tu contre attaque. Dès qu'on a la balle, on essaie de se faire des passes rapides pour les semer. Ok ?

— Ok ?

Il me secoue à nouveau une dernière fois avant de partir en foulée légère pour se positionner correctement. Il s'y croit vraiment.

Nobara prend une grande inspiration, et au lieu de frapper fort, elle ouvre son pied à la dernière minute et...

— Derrière toi ! me crie Yuji. 

La balle atterit sous la semelle de Louane.

— Bloque-la !

Et là, possédé par [insérer le nom d'un footbaleur pro] je glisse au sol et tente un tacle pour l’arrêter. Que neni.

Les crampons de Louane griffent déjà le gazon avant qu’elle n’envoie le ballon au-dessus de ma tête. Elle receptionne sa balle sur sa cuisse avant de me doubler. Yuji me hurle :

— Traaaace ! ARghh-oublie...dit-il après que la balle frappe le poteau intérieur et atterit dans le but dans un angle - évidemment - parfait.

— Dit-leur ! s'époumonne Nobara à l'autre bout du terrain à sa coéquipière.

Louane me regarde une seconde de trop. Ou c’est l’agacement de savoir qu’elle a gagné qui me fait voir des choses.

— Looser...vous deux.

— Yeahhh ! C'est ça !

Sur ce, Nobara se rue sur elle, comme si elle avait remporter la ligue des champions. Ou quelque chose du genre. Yuji arrache le gazon de ses mains. Enfin, il essaie.

 — Tu t'es cru pour Ramos ?! s’écrit-il en jetant un amas de terre. C'était quoi ce tacle ?!

— J'ai tenté un truc, je lui dis en m'essuiyant le front.

— Ouais, bah tente pas trop.

Ok. Je sais maitenant à quoi m'en tenir avec eux. Ils ne sont pas là pour simplement s'amuser. Ils veulent gagner dans les règles de l'art.

Sous un certain aspect, c’est la même chose pour moi et la musique. Je commence à saisir que l’émotion qui m’envahit n’est pas bien différente de la leur, ou de celle que je ressens en montant sue scène. Nobara annonce, en baillant :

— On vous laisse commencer... vous nous faites de la peine.

Yuji renifle avant de me faire signe e garder nos positions. Ou autre chose, mais je n’ai pas le temps de lui demander d’explications. Il est déjà devant la balle. Tout le monde est immobile.

Mes mains tremblent. Mon corps vibre comme si un courant électrique se diffusait en continue. Mon front dégouline de sueur et perle sur mon menton. Je connais déjà cette sensation. Elle ne m’est pas inconnue.

— Go !!

L’adrenaline. Cet état d’euphorie. Le flux se déploie, comme si on avait appuyé sur interrupteur. C’est cette force qui me pousse à bondir à mon tour.

La balle roule jusqu’à moi. Du moins, c’est ce qui était prévu, mais le pied de Louane bloque sa trajectoire.

Ses yeux se baissent sur moi avant que je ne contre-attaque. Elle pile et pendant un moment, je crois avoir l'avantage. Évidemment : je rêve. Je subie une humiliante roulette de sa part avant qu’elle tire sa balle vers Nobara. On l’entend déjà triompher :

— Mais vous êtes trop nuls-

Yuji arrive comme une flèche et lui arrache le ballon. Il accélère et je sais que je dois tenir le rythme avec lui.

— Haha ! Dans tes dents !

Un petit coup de pied intérieur, et il arrive à me faire une passe pendant que j’arrive au niveau des cages.

Cette fois-ci, j’écrase le ballon d’entrée de jeu. Une fois sous contrôle, j’avance. Louane apparait une seconde plus tard, ses jambes me barrent la route, m’obligeant à ralentir. Puis c’est tout son corps qui obstrue tout passage.

— Mais-fais chier.

Je tente de protéger la balle malgré tout. Elle sent, de un, que je pu - littéralement, vu qu’elle est assez près de moi - et de deux, que je focalise toute mon attention sur le fait de ne pas m'étaler par terre. Il lui suffit d’un petit coup de pied entre mes jambes pour dégager le ballon. Ce dernier file droit mais j’ai le mérite de rester debout.

J'ai encore le temps.

Je m'élance et devance Louane. Je feinte et j'arrive à me créer une ouverture. Je savoure mon exploit avant d’entendre mon partenaire :

— Par ici !

Je ne l’écoute plus. Je peux le faire.

Je suis devant les buts. Je peux marquer. J’y crois.

C’est alors que les crampons tranchent l’air. Toujours les même.

Louane apparaît dans le coin de mon oeil et une angoisse irréelle, plus grande que moi-même, m’envahit. Elle est trop près. Tel un virus, la panique me pousse à hésiter une seconde de trop. Elle me colle quitte à me faire trébucher de nouveau. Elle est trop près !

Dans l’action ma main est effleuré. Une douleur imaginaire surplombe le reste de raison. Pendant ce temps, je crois que ma carrière de guitariste est finit. Que je ne pourrais plus jouer à cause d’une blessure bidon pendant un match de foot tout aussi bidon...

J’aurais dû porter le strapping de Yuji.

C’est ce que je pense en dernier, avant de m’apercevoir que Louane est à terre.

Je tire et décroche mon premier but. Derrière moi, le city n’a jamais été aussi silencieux.

— Tout va bien ? envoie Nobara en première.

J’observe notre chanteuse et Yuji s’approcher de Louane au sol. J’aperçois avant tout le monde une larme qu’elle fait disparaitre tout aussi vite.

— Qu’est-ce qui se passe ? je demande alors que Yuji inspecte sa cheville.

— C'est quoi ton problème putain ?! me lâche Louane les dents serrées. Tu m’as foncé dessus d’un coup ! Ton pied s’est écrasé sur ma cheville ! T’es taré ou quoi ?

— Quoi ? Je-

— Si tu sais pas jouer évite de faire des trucs de con ! Surtout si t’es pas capable d’encaisser la pression !

— Je suis désolé. Excuse-moi-

J’avance une main pour l’aider à se relever, mais elle la repousse avec véhémence.

— Dégage.

L’expression de ses yeux est plus dure que le reste. Je manque de mot et surtout d’assurance pour trouver mieux à lui répondre.

— Ce serait préférable que tu la laisse tranquille, avance Nobara en me tirant par le bras.

À la place, Louane préfère accepter le soutien de Yuji. Lui, continue de tirer la tronche à côté, comme par mimétisme.

— Je vais lui faire un bandage, nous annonce-t-il l’air solennel. Je dois avoir des trucs dans mon sac.

Il continue de secouer la tête en m’accablant :

— C’est pas fair-play, Megumi.

Dans l’angle mort de Louane, il en profite pour me glisser discrètement un pouce en l’air en me m’envoyant un "bien joué Ramos" silencieux. Quel acteur.

— Tout ça pour faire le beau, râle Nobara après qu’ils se sont déplacés jusqu’aux bancs. Je lui ait pourtant dit qu’il avait pas la moindre chance avec elle... Mais là, tu viens de lui offrir le beau rôle.

Je reste à racler le sol avec ma basket. La frustation me gagne bien vite. Quel nul. Quel con.

J’observe ma chaussure et me rappelle que c’est avec elle que je l’ai blessé. Par ailleurs, je remarque que ma semelle est en train de se faire la malle... Elle était bonne pour la poubelle de toute facon.

"C'est quoi ton problème putain ?"

J’aimerais bien le savoir aussi.

— J’ai pas voulu lui faire mal. Je ne m’en suis même pas rendu compte.

— T’as merdé, me rappelle-t-elle au cas où je l’aurais oublié. Ça arrive. Faut que tu sois patient parce qu’elle ne va pas te pardonner facilement. Tu sais qu’elle devait jouer demain pour les portes ouvertes ?

Comme si ça ne pouvait pas s’empirer davantage... Allez, c'est mon tour d’être le villain de l’histoire. Je passe mes mains sur mon visage.

— Et merde....

— Qu’est-ce que t’avais en tête au juste ? riposte-t-elle hilare. Tu voulais impressionner qui en faisant des coups pas possibles ?

— J’ai paniqué. J’ai cru... j’ai cru qu'elle allait me blesser à la main.

Elle hausse ses sourcils. Elle lorgne sur ma main qui ne s’est jamais aussi bien portée. Pas comme la cheville de Louane. Et merde.

— Hé beh. On peut dire que tu as pris les devants.

Le téléphone de Nobara vibre dans la poche intégrée de son legging. Elle consulte sa messagerie et son sourire s’étire au fur et à mesure.

— Tu te souviens du gamin que j’aidais après les cours ?

— Celui qui mangeait ses copies ?

Comment l’oublier.

— Oui. Il était convaincu qu’il avait tout raté à son interro. Il m’a envoyé ses résultats. Il a eut un 15 !

— Ça fait au moins une bonne nouvelle, je soupire avant d’avoir autre chose de mieux à lui demander : pourquoi tu fais de l’aide aux devoirs alors que t’as pas des notes terribles ?

— Et alors ? C’est toujours mieux de donner des conseils qu’on applique pas sois-même, non ? C’est ce qu’on appelle la pédagogie, monsieur. Tu devrais être le premier à le savoir, ajoute-t-elle après avoir levé ses yeux de son téléphone.

Nobara m’indique qu’elle compte passer un appel. Sans doute pour féliciter son élève de vive voix. Elle s’éloigne, et je suis le seul à être encore sur le terrain. La prochaine fois... il n’y aura pas de prochaine fois.

Je n’aurai pas dû venir ici, c’est aussi simple que ça.

Le réveil ne se passe pas comme prévu.

— Où est ma chemise !?

Je l’avais repassé et mis sur un ceintre exprès pour ne pas perdre de temps. Grave erreur.

— Ton père l’a prise, m’informe Tsumiki.

Je la regarde comme si j’avais le pouvoir de télékinésie de faire sauter la maison à renfort de dynamite.

— Qu’est-ce que tu viens de dire ?

— Il a vu une chemise propre, il l’a mise. Je peux pas faire plus simple.

— Il rentre même pas dedans.

Ce n’est pas une question, et je ne suis même plus sûr que ce soit une affirmation non plus. Elle hausse les épaules et je comprends que c’est sa manière de me dire qu’elle en a rien à foutre. Soit.

Ça y est, la journée de merde a officiellement commencé.

J’arrive à l’école avec une chemise que Tsumi a bien voulu me dépanner. Dans cette maison de fou, elle est bien la seule à avoir tous ses fringues repassés et pliés avec soin. J’espère simplement que personne ne remarquera que ma taille est plus ceintrée que d’habitude...

— Pourquoi t’as taille une taille de guêpe ? remarque Maki.

Elle a opté pour une chemise en satin vert. Ses cheveux tiennent en une haute queue de cheval qui se balance à droite à gauche en fonction de ses déplacements.

— C’est qu’une impression, je lui répond.

Nous nous préparons à reunir l’équipement nécessaire pour les deplacer sur la scène provisoire montée dans la cours. Le lycée s’est mis en pause pour une journée, mais ici, c’est déjà le bazar.

Yuji réapparaît. Il était partit aider les techniciens pour l’installation mais prenait plus de temps que nécessaire.

Sa chemise rouge est marquée par des auréoles et sa cravate noire est déjà de travers. Pour l’occasion, il a opté pour de l’estompe noire autour de ses yeux. Inumaki lui a montré la photo d’un panda, mais Yuji ne semblait comprendre ni la comparaison, ni qu’il avait abusé sur la quantité.

Lui non plus n’a pas dû avoir un réveil facile. Enfin, je ne pense pas qu’il ait dormi du tout...

— On est dans la merde.

Inumaki le snob. Lui, a misé sur un ensemble noir et une casquette pour dissimulé le reste de son visage. C’est un choix.

— Ça va aller, je lance à Yuji. Tu peux déplacer ce carton et me rammener la multi-prise par contre ?

Moi, je mets ça sur le compte du stress et, à raison, le manque de sommeil. Maki est la seule qui prend le temps de le rassurer. La réaction de Yuji est tout autre :

— Non non, on est vraiment dans la merde.

Il déplace le carton mais oublie la multi prise. Je ne lui en fais pas la remarque. Je m’en charge à sa place.

— Raconte-nous. Qu’est-ce qui t’arrives ? Tu m’inquiètes...

Il se gratte ses cheveux mais ne parvient même pas à atteindre son crâne couvert de gel. Pour l’occasion, il a tenté de réaliser un spiky en hérissant ses mèches en pointes rigides. Il nous a envoyé une photo Pinterest comme référence, sans savoir le temps que cela allait lui prendre. À 6h du matin, il avait enfin finit et nous recevions la photo finale.

— Alors ? s’impatiente-t-elle. Crache le morceau Yuji.

Il me regarde et... je reconnais un air coupable.

— Il manque Nobara. Le concert est... il est fichu.


Nda : Hello tout le monde! J'espère que vous appréciez la lecture et qu'à côté tout se passe bien dans vos p'tites vies! Si le chapitre vous convient et que l'histoire vous plaît, n'hésitez pas à vous manifester par un petit like ou un commentaire si le coeur vous en dit! En attendant...où est passée Nobara..??

xoxo

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