Le Revers de L'Infini - Tome 2 : L'Eveil

Chapitre 15 : Rapport de suspicion

1268 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 20/10/2025 19:32

La nuit est tombée sur le bâtiment administratif. Les murs, épais et froids, retiennent un silence pesant. On n’entend que le froissement régulier de papiers, le cliquetis rare d’un stylo. Le bureau du directeur Yaga baigne dans une lumière basse, jaune et fatiguée. Les ombres s’étirent jusque sur les dossiers ouverts qui couvrent le bois de son bureau.

Le directeur penche la tête, le front plissé, relisant des lignes qu’il connaît déjà par cœur.

Nanami se tient debout, bras croisés, silhouette droite, visage fermé. Près de la fenêtre, Gojo regarde dehors, bras repliés, lunettes sur le nez, mais le regard loin, au-delà du verre, perdu dans la nuit.

 

— J’ai vérifié les archives du gamin, commence Nanami, la voix grave. Origine, aptitude, fiches médicales. Tout est cohérent… sauf ce qu’il a fait à l’hôpital. Ça, ça n’a rien de cohérent.

 

Le bruissement des pages accompagne sa phrase. Yaga tourne lentement une feuille, sans lever les yeux.

— Et Aya affirme qu’il a “fait disparaître” un fléau de classe S, dit-il d’un ton égal. Pas d’exorcisme. Juste… en s’approchant.

 

Un silence s’installe, coupé par le léger grésillement d’une lampe. Gojo ne bouge pas. Sa voix finit par s’élever, calme, presque trop calme.

— Un fléau de classe S qui se reconstitue après avoir explosé… puis disparaît sans qu’on le combatte...

Il pivote lentement vers eux. Sous les verres abaissés de ses lunettes, ses yeux brillent d’un éclat attentif, presque inquiet.

— Et tout ça… en présence de Yu… Juste parce-qu’il l’a approché.

 

Nanami serre un peu plus les bras contre sa poitrine.

— Tu crois qu’il est lié à ces fléaux ?

 

Gojo soupire, retire ses lunettes, les laisse pendre du bout des doigts, distraitement.

— Je crois surtout… que les fléaux ont reconnu quelque chose.

Il les fixe tour à tour, d’abord Nanami, puis Yaga.

— Ou quelqu’un.

 

Le silence s’épaissit. L’air même semble se figer.


Yaga relève enfin la tête.

— Tu penses à une entité intérieure ? Une possession ? Un pacte ? Quelque chose comme... Kenjaku ?

 

Gojo secoue doucement la tête.

— Trop tôt pour affirmer quoi que ce soit. Mais quand un fléau fuit, ce n’est jamais sans raison. Et certainement pas devant un gamin de seize ans, en seconde année…

 

Nanami hoche la tête, la mâchoire tendue.

— C’était sa première mission, non ?

 

— Oui, confirme Gojo simplement.

 

Le cuir du fauteuil de Yaga grince lorsqu’il s’y adosse davantage.

— Et tu l’as observé après ?

— Dans la voiture, répond Gojo. Il y avait Souta, Aya, lui et moi. Ieiri conduisait.

Souta ne l’a pas lâché des yeux. Ce n’était pas hostile… mais attentif. Très attentif.

 

Nanami relève le menton.

— Et Yu ?

 

Gojo se redresse un peu, ses mots tombent avec précision.

— Il l’a vu. Il a joué la comédie, baissé les yeux, changé de ton. Mais il a senti qu’on le regardait. Et il s’est adapté. Sans paniquer.

Un léger silence. Gojo repose ses lunettes sur le bureau, les verres tournés vers le plafond.

— C’est ça, le plus inquiétant.

 

Yaga tapote le bord du rapport du bout de son doigt.

— Souta peut nous servir d’indicateur ?

 

— Pas frontalement, rétorque Gojo. Il ne faut surtout pas l’impliquer. Mais son instinct est bon. On le laisse observer. Naturellement.

 

Nanami approuve d’un signe bref.

— Et Aya ? Elle est déjà émotionnellement liée à lui. C’est visible.

 

— Justement, dit Gojo. Si Yu est au centre de quelque chose… elle est la pièce qu’il ne faut pas perdre de vue.

Il laisse planer un silence avant d’ajouter, plus bas :

— Raku’en est en chasse. Et Yu Min-Jae est toujours avec elle.

 

Yaga referme lentement le dossier devant lui, d’un geste mesuré.

— Coïncidence ?

 

Gojo ne répond pas tout de suite. Le silence s’étire jusqu’à devenir une réponse en soi.

— Je n’y crois pas vraiment, finit-il par dire.

 

Nanami arque un sourcil.

— Il y a autre chose ?

 

Gojo sort alors un autre dossier d’une chemise usée. Le papier sent encore l’encre récente. Il le fait glisser sur la table, jusqu’à effleurer les doigts de Yaga.

— Le dossier officiel transmis par Séoul : brun, yeux verts.

Il lève lentement les yeux vers eux.

— Aujourd’hui, il a les yeux dorés. Presque phosphorescents sous certaines lumières. Je lui ai posé la question. Il n’a pas vraiment répondu. Comme si c’était normal. Mais aucune trace de mutation dans son historique médical.

 

Yaga plisse les yeux, penché sur le dossier.

— Donc soit il ment… soit le dossier est falsifié.

 

Gojo replace ses lunettes sur son nez d’un geste calme.

— Dans les deux cas, c’est pas bon signe.

Il referme lentement le dossier, le bruit du carton résonnant dans le bureau comme une ponctuation sèche.

— J’ai envoyé des demandes à deux anciens collègues à Séoul. Officiellement, ce garçon avait été blessé en mission il y a quelques mois et il a été transféré parce que son père a changé de poste. Mais si jamais on l’a poussé vers Tokyo pour éviter qu’il soit surveillé là-bas… alors c’est ici qu’il faut faire attention.

 

Nanami inspire longuement, son souffle siffle à peine.

— Alors on surveille. Discrètement. Et on protège ceux autour… S’il cache quelque chose…

 

— On le saura, coupe Gojo.

Il se redresse, glissant ses mains dans ses poches. Sa voix s’allège, retrouve un ton presque décontracté, mais ses yeux, eux, restent durs.

— Mais en attendant… c’est un élève.

Il marque une dernière pause.

— Et tant qu’il agit comme tel… on le traite comme tel. Même si on garde les yeux ouverts.

Un instant, le silence reprend. Puis Gojo ricane brièvement, un son sec, sans humour.

Il se détourne vers la fenêtre, sa main crispée sur le rebord.

— Vous savez ce qui m’agace le plus ?

Il marque une courte pause.

— Ce n’est pas qu’il m’échappe. C’est que je n’ai rien vu venir. Rien. Pas le piège, pas la distorsion, pas la faille dans le flux.

Il serre la mâchoire, le regard rivé à la vitre.

— Et ça... ça me ronge. Parce que tout ce que je ne vois pas, quelqu’un d’autre le voit à ma place.

Il se redresse lentement, repousse la fatigue d’un geste de la main. Son sourire revient, plus doux, presque ironique.

— Et ça, je ne le supporte pas. Pas encore.

Il se détourne de la fenêtre, remet ses lunettes, et l’éclat léger revient dans sa voix, comme s’il tirait le rideau sur sa propre colère.

— Bon. Surveillez les signaux vous aussi…

Il s’avance vers la porte.

— Je veux comprendre. Tout. Même ce que je n’ai pas vu.


Les deux autres hommes le regardent sortir, son pas régulier s’éloignant dans le couloir. La lampe vacille, puis se stabilise. La nuit, dehors, reste entière.

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