Le Revers de L'Infini - Tome 2 : L'Eveil
Chapitre 16 : Entre les mots, les silences
1438 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 20/10/2025 21:11
[Je publie 2 chapitres un jour sur deux, avant de démarrer... Avez-vous lu le chapitre 15 ?]
Le lendemain.
Un calme feutré s’est abattu sur le couloir du bâtiment nord. Les fenêtres laissent filtrer une lumière pâle, presque bleue, qui découpe les ombres au sol. Aya est assise contre le mur, les genoux repliés, un livre ouvert sur les cuisses. Ses doigts glissent sur les pages avec lenteur, comme si chaque mot devait être apprivoisé. Le murmure lointain des cours de sport monte par intermittence, étouffé.
Elle tourne une page, perdue dans sa lecture, quand des pas résonnent derrière elle. Des pas mesurés, reconnaissables entre mille. Elle relève la tête, hésite à bouger. Les pas ralentissent.
Souta passe, mains dans les poches, l’air absorbé. Il la dépasse de quelques mètres avant de s’arrêter, puis revient sur ses pas. Aya baisse aussitôt les yeux sur son livre, feignant de lire.
— Salut. Ça va ? Dit-il calmement
Sa voix résonne doucement, sans chaleur excessive, mais sans froideur non plus.
Aya sursaute, un peu prise de court et lève les yeux.
— Ho... Bonjour.
Souta la regarde puis lâche sans agressivité ni réel reproche.
— J’ai vu que tu avais laissé mon numéro dans le livre.
Son sourire hésite, teinté de gêne. Une légère couleur monte à ses joues.
— Heu… oui… C’est juste que... j’ai l’impression que si je t’appelais, ça ne te ravirait pas. Alors… à quoi bon.
Souta la regarde, immobile, le dos légèrement appuyé contre le mur.
— Hm… Si je te l’ai laissé, c’est que j’accepte d’être joint. Mais... comme tu veux.
Il hausse doucement les épaules, un geste presque indifférent.
Aya referme son livre, se redresse lentement, essuie machinalement la poussière de sa jupe.
Ses yeux croisent les siens. Quelque chose s’y accroche : un reproche à peine formulé.
— Tu vois ? Tu t’en fiches que je l’aie ou pas. Parfois, tu es gentil. Et puis, d’autres fois... froid, distant.
Elle marque un silence, cherche ses mots.
— Alors... ne change pas tes habitudes pour moi. C’est sûrement mieux.
Elle le fixe encore une seconde, puis tourne les talons. Ses pas claquent doucement sur le carrelage.
Souta soupire, son ton calme mais sans détachement :
— Tu interprètes. C’est dommage...
Aya s’immobilise. Sans se retourner, elle demande :
— Ça veut dire quoi, ça ?
Ses doigts se crispent autour de son livre.
Souta inspire profondément avant de répondre, la voix posée.
— Je t’apprécie… Mais je suis pas sociable.
Il avance de quelques pas, comme pour s’éloigner de ce qu’il vient d’avouer.
Aya se tourne lentement, ses yeux agrandis par la surprise.
— Tu m’apprécies ?… Ou bien… c’est Cindy qui t’intimide ?
Il s’arrête, se retourne à moitié sans se retourner.
— J’ai bien plus peur de mon don que du tien…
Aya le fixe, plus sérieuse.
— Tu as peur qu’ils ne t’obéissent pas ?...
Elle fait un pas vers lui, prudente.
Souta baisse légèrement la tête.
— Un d’eux est dangereux. Très dangereux.
Puis il se tourne vers.
— Je suis pas encore assez fort...
— Mais tu vas le devenir, répond-elle doucement. Tu maîtrises déjà tous les autres... Rends-toi compte.
Elle lui offre un sourire encourageant. La lumière glisse sur son visage, douce et sincère.
— Je pense que Gojo a appuyé mon passage en classe 1 pour m’encourager…
Aya hoche la tête, plus vive.
— Tu vois ? Il croit en toi. Tu es le plus fort des élèves. Et ça… tu ne le dois pas à ton nom, mais à ton travail...
Un bref silence. Souta détourne le regard.
— Le clan Zenin a peur de moi, murmure-t-il, presque pensif.
Aya s’approche encore, plus près maintenant.
— Mais ici, personne n’a peur de toi. On voit toi. Pas celui qu’ils veulent faire de toi...
Souta la regarde. Il semble vouloir la croire, sans y parvenir tout à fait.
— J’en suis pas si sûr...
— Pourquoi ?... Si je te le dis.
Il esquisse un sourire, timide, fatigué.
— J’ai pas l’impression que je mets les gens à l’aise. Mais, peu importe.
Aya secoue la tête.
— C’est parce que tu parles peu... Et tu nous regardes comme si on n’existait pas ou comme si tu nous jugeais.
Elle rougit aussitôt, consciente de sa franchise.
— Parler... On m’a pas appris. Observer, oui. Dit-il simplement.
Aya baisse les yeux pour échapper à son regard.
— Pourtant, tu me parles à moi…
Souta semble surpris par cette remarque. Il détourne à nouveau les yeux, souffle un peu.
— T’es l’exception. Pas l’habitude.
Aya relève la tête. Ses joues sont plus rouges encore, mais son sourire, cette fois, ne tremble plus.
— Alors... parle-moi, quand ça va pas.
Un silence flotte entre eux. Puis elle reprend, plus bas :
— Et... c’est quoi le problème avec Yu ? Tu ne l’aimes pas beaucoup, on dirait...
Souta croise les bras, son regard se durcit.
— J’ai rien contre lui… pas vraiment.
Il réfléchit un instant.
— Mais y’a un truc qui sonne faux. Comme s’il choisissait chaque mot. Chaque geste.
— Tu le surveilles ?
— Pas parce que je l’aime pas. Parce qu’il cache quelque chose.
— Il cache quelque chose ?
Aya fronce les sourcils.
— Quoi ?
— Je sais pas encore. Mais un fléau de classe S qui disparaît juste en le regardant ? C’est pas normal.
Il la fixe, grave.
— Et lui, il reste calme. Trop calme. Comme si c’était prévu.
Aya reste muette. Son regard vacille, troublé.
— Tu te méfies… et tu ne me dis rien ? Je suis souvent avec lui... Je dois me méfier, moi aussi ?
Souta secoue la tête.
— Je voulais pas t’inquiéter pour rien. Pas sans preuve.
Sa voix s’adoucit, plus basse.
— Je te dis juste d’ouvrir l’œil. Pas de t’éloigner. Juste... sois prudente.
Aya serre son livre contre elle.
— D’accord...
Le regard de Souta se fait plus doux.
— S’il y a quoi que ce soit… je serai là.
Il fouille dans sa poche, sort le petit post-it où est inscrit son numéro et le lui tend.
Aya le regarde, surprise, avant de tendre la main.
— Merci...
Elle sort un stylo de son sac, s’approche de lui avec hésitation. Ses doigts tremblent légèrement lorsqu’elle saisit sa main. Elle y écrit son propre numéro, d’une écriture fine et nerveuse.
— Voilà… au cas où.
Ses joues s’enflamment aussitôt. Elle range précipitamment le stylo et le post-it.
Souta referme lentement la main sur les chiffres, comme pour les ancrer dans sa paume.
— Merci... Aya.
Elle détourne les yeux, le cœur battant trop vite.
— Comme ça… on sait se trouver.
Trop gênée, elle se retourne brusquement, serre son livre contre elle.
— On se voit plus tard…
Et elle s’éloigne d’un pas rapide dans le couloir.
Souta la suit du regard sans rien dire. Ses épaules restent droites, mais son regard s’adoucit.
Il baisse enfin les yeux vers sa main.
— …Ouais. À plus.
Les chiffres, à demi effacés par la chaleur de sa paume, semblent luire un instant à la lumière.
Il les observe longuement, puis range ses mains dans ses poches, son pas plus lent, plus lourd.
De l’autre côté du mur, Aya s’arrête, souffle un grand coup, le cœur encore battant.
— Non mais n’importe quoi moi…
Elle sort le post-it et entre le numéro dans son téléphone, les doigts tremblants.
Un sourire, malgré elle, lui échappe.
Pendant ce temps, Souta avance sans se presser. Il jette de nouveau un dernier regard à sa main avant de détourner les yeux.
Sa voix s’échappe à mi-ton, plus pour lui-même que pour le couloir vide :
— T’étais pas obligée de faire ça…
Mais son pas, sans qu’il s’en rende compte, devient moins rigide, plus vivant. Comme si, pour la première fois de sa vie, quelque chose (ou quelqu’un) venait de fissurer son armure.
Prochaine publication : mercredi entre 20h et 22h.