Le Revers de L'Infini - Tome 2 : L'Eveil

Le bureau de Yaga est baigné d’une lumière basse. L’ombre des stores strie les murs comme une cage invisible. La nuit s’est posée, lourde, silencieuse. Sur le bureau, des rapports empilés. Leurs coins cornés témoignent d’une lecture nerveuse.

Yaga, assis, la mine grave, relit un énième feuillet. Face à lui, debout près de la fenêtre entrouverte, Gojo garde les bras croisés. Lunettes en main, regard tourné vers l’obscurité.

— Alors, Gojo… Qu’est-ce que t’as vu en Corée du Sud ? demande Yaga sans lever les yeux.

Gojo ne répond pas tout de suite. Il referme la fenêtre et pivote lentement, l’air assombri.

— Une marionnette, un genre de leurre, un double parfaitement imité. Même aura, même territoire. Mais creuse… vide.

Il avance d’un pas, ses lunettes glissent entre ses doigts.

— Elle m’a tendu un miroir, pas une lame.

Nanami, debout près de la bibliothèque, penche légèrement la tête.

— Donc elle t’a mené en bateau.

Gojo hausse un sourcil, presque blasé.

— Je l’ai senti assez tôt. Ce n’est pas ça le vrai problème.

Il marque une pause, le regard se durcit.

— C’est ce qui s’est passé à Tokyo au même moment…

Megumi est là aussi, assis dans un coin, les doigts entrelacés devant lui, l’expression grave.

— Yu, dit-il lentement. Il a sursauté. Pas comme un réflexe normal. Son énergie… s’est tordue. Une onde interne. Comme si quelque chose l’avait frappé de l’intérieur.

Yaga lève enfin les yeux.

— Tu veux dire qu’il a ressenti la destruction du clone ?

— Pas seulement, répond Megumi, le ton bas. Il a été atteint. Vraiment. Comme si une part de lui… était là-bas.

Le silence tombe. Épais. Presque pesant.

Gojo s’avance et pose un dossier sur la table, épais, rempli à craquer.

— J’ai creusé pendant le vol retour. Yu Min-Jae a bien existé. Élève à Séoul, seconde année. Prometteur. Disparu il y a un mois pendant une mission. Jamais retrouvé.

Il tapote le dossier du bout des doigts.

— Et le Yu qu’on a ici… a les bons papiers. Les bons réflexes. Mais pas les bons yeux.

Nanami feuillette rapidement le document.

— Dossier de transfert. Yeux verts. Aucune anomalie. Aucun signalement.

Il lève les yeux, le regard plus fermé.

— Et pourtant aujourd’hui, ils brillent. Un reflet doré, presque phosphorescent, quand son énergie monte.

Gojo acquiesce lentement.

— Un détail qu’il partage avec Raku’en.

Yaga se redresse légèrement dans son siège.

— Tu penses à une possession ?

— Non, dit Gojo sans hésiter. Pas une possession. Quelque chose de plus subtil. Peut-être même… consenti.

Megumi garde le silence un instant, puis murmure :

— Souta se méfie. Et quand mon cousin se méfie, c’est rarement pour rien. Il voit des choses qu’on n’entend pas.

Yaga croise les bras, les yeux à demi clos.

— Et cette Raku’en… Elle n’est pas comme les autres. Son énergie est fusionnelle. Elle pulse comme une extension de Yu.

Nanami intervient, d’un ton plus technique.

— Et elle a déployé un territoire complet. Un fléau démon peut faire ça ?

Gojo baisse les yeux un instant, puis redresse la tête, grave.

— Ce n’est pas un fléau ordinaire. Ni un simple démon. Elle porte un masque brisé. Son territoire s’appelle Néant d’Ébène. Elle pense, manipule, observe... Et à mon avis elle ne l'a pas étendu totalement... Je le sens.

Il marque une pause plus lourde.

— Selon certaines sources… elle serait la fille de Sukuna. Née d’un pacte ancien. Une créature née de la haine… et du chaos.

Yaga pousse un soupir, long, pesant.

— Et on ne sait même pas ce qu’elle veut.

— Justement, dit Nanami. Elle n’a pas essayé de t’éliminer, Gojo. Elle t’a laissé repartir. C’est presque plus inquiétant.

Un sourire amer s’étire brièvement sur les lèvres de Gojo.

— Exact. Elle fuit. Pas par peur… mais parce qu’elle prépare. Et si Yu est son refuge… ou son vaisseau…

Il fait face aux trois hommes.

— Alors chaque mission qu’on lui donne, chaque déplacement, chaque minute passée seul… est un risque.

Il marque un silence, puis reprend, plus froidement.

— Je veux qu’il soit surveillé. Systématiquement. Jamais seul avec Aya.

Megumi croise les jambes, le regard acéré.

— Ou alors… on inverse. On fait croire qu’on baisse la garde. Qu’on l’observe plus. Et on le pousse à se montrer.

Gojo lève un sourcil.

— Et s’il ne sait pas lui-même ?

Un nouveau silence s’installe.

Yaga ferme doucement le dossier devant lui.

— Alors on prépare les deux cas de figure.

Le bureau reste silencieux, seul le bruit discret de la pendule marque la tension suspendue dans l’air.