Le Revers de L'Infini - Tome 2 : L'Eveil

Chapitre 25 : L’ombre et le souffle

1446 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 30/10/2025 20:31

Le dojo est silencieux, baigné d’une lumière tamisée par les stores. Les pas de Souta résonnent à peine sur le parquet lustré alors qu’il entre le premier, les mains dans les poches, le regard fixé droit devant. Il s’arrête au centre de la pièce, puis se retourne lentement.

 

Aya le rejoint, essoufflée d’avoir dû le suivre au pas de course. Elle s’avance, droite malgré les battements un peu nerveux de son cœur.

 

— Je t’écoute...

 

Souta ne détourne pas les yeux. Il garde son calme habituel, cette maîtrise à peine teintée d’une gravité inédite.

 

— On va faire simple. On ne cherche pas à gagner ou perdre. On cherche à comprendre.

 

Il se baisse, touche le sol du bout des doigts. Une ombre fluide glisse hors de lui, se tord, se façonne… jusqu’à former un tigre d’ombre, large, silencieux, aux mouvements feutrés. L’animal reste tapi, son regard fauve rivé sur l’espace.

 

— Il ne bougera pas… sauf si on l’y pousse.

Fais venir Cindy. Je veux voir ce qu’elle fait quand elle ressent quelque chose… d’inconnu.

 

Souta recule de quelques pas, bras croisés.

 

— Ce n’est pas un test pour elle. C’est un test pour toi.

 

Aya reste immobile, troublée.

 

— Je peux… mais elle sait ce que je sais. Elle t’a entendu. Elle ne fera rien.

 

Elle ferme les yeux et murmure intérieurement, appelant Cindy à se tenir prête. Une présence surgit dans le creux de sa poitrine, un frisson au bord de sa conscience.

 

Souta hoche à peine la tête.

 

— Très bien. Alors on fait autrement. Laisse-la en retrait. Ce que je veux, c’est que tu l’empêches de réagir.

 

Il désigne le tigre d’un regard appuyé.

 

— Ce n’est pas un exercice de style. Ce tigre ne t’attaquera pas... sauf si tu montres que tu veux fuir. Si tu recules, il avance.

C’est lui qui te rappellera que t’es encore en train de douter.

 

Le tigre lève la tête, ses oreilles se dressent, ses yeux brillent d’une lueur carnassière. Un prédateur d’ombre, au pas calculé.

 

À quelques mètres derrière, cachés dans l’ombre d’un couloir, Gojo et Megumi observent en silence.

 

— {Intéressant…} chuchote Gojo, mochi en main.

{Il est plus pédagogue que toi à son âge. Tu devrais prendre des notes.}

 

Megumi, bras croisés, soupire.

 

— {J’ai pas besoin de monologues pour faire bouger les gens. Et t’exagères, on a qu’un an de différence.}

 

Dans le dojo, Aya serre son livre contre elle, déjà crispée.

 

— Heu… d’accord.

 

Le tigre avance, lentement, menaçant. Elle recule d’un pas. Puis d’un autre. La peur monte, envahit ses membres comme une vague glacée. Elle sent Cindy bouillonner, prête à bondir. L’instinct de protection l’électrise.

 

Le tigre grogne. Un grondement grave, presque sourd, qui roule sur le parquet.

 

— Ne recule pas, dit Souta, sa voix basse, ferme.

Tu recules… il attaque. Tu veux pas qu’il bouge ? Alors stabilise-toi.

Et retiens-la. Si Cindy surgit, ça veut dire que tu n’as pas encore confiance. Ni en elle. Ni en toi.

 

Aya ferme les yeux. Inspire. Elle tremble. Elle serre son livre comme un talisman. Le tigre n’est plus qu’à deux mètres.

 

— Aya, souffle Souta, en s’approchant.

Ce n’est pas ton pouvoir que tu testes là. C’est toi. Ta volonté. Ta présence.

 

Elle n’ose plus bouger. Cindy est aux aguets, frémissante dans sa conscience. Mais elle ne sort pas.

 

Le tigre tourne lentement autour d’elle, l’œil vif. Il grogne de nouveau, prêt à bondir si un seul muscle trahit la panique.

 

Gojo observe, un sourire au bord des lèvres.

 

— {Elle tremble… mais elle tient. Si elle claque le tigre, j’lui paie un Bubble Tea à vie.}

 

Megumi ne lâche pas la scène du regard.

 

— {Elle le retient. Et Cindy aussi. Elle est plus solide qu’elle ne le croit.}

 

Aya murmure :

 

— Oui, j’ai peur… mais regarde-le…

 

Sa voix tremble, mais ses jambes ne bougent plus. Le livre est toujours là, contre sa poitrine. Souta la regarde fixement.

 

— T’essaies… et tu tiens. C’est déjà énorme.

 

Le tigre ralentit. Il jauge, tourne autour d’elle sans attaquer.

 

— Tu vois ? Il sent ta peur. Mais il sent aussi que tu ne fuis plus.

C’est tout ce qu’il attendait.

 

Un mince sourire étire les lèvres de Souta.

 

— On ne combat pas la peur en la niant. On la combat en restant là malgré elle.

 

Il siffle doucement, un murmure grave, comme un appel intérieur.

 

Le tigre s’arrête net. Puis tourne la tête vers Souta. Il s’avance lentement vers lui, les ombres ondulant autour de ses pattes. D’un geste fluide, Souta effleure son dos. L’animal se dissout aussitôt, comme happé par le sol.

 

— Il t’a respectée.

 

Il se tourne vers Aya, le ton plus doux.

 

— T’as tenu bon. Et elle aussi.

C’est ça, votre vraie force. Pas la puissance… le contrôle.

 

Aya respire enfin. Ses épaules se relâchent un peu.

 

— Ça va…

 

Mais à ce moment-là, des applaudissements lents claquent dans le silence. Elle sursaute. Son livre tombe au sol.

 

Gojo s’avance, tout sourire.

 

— Et voilà ! Je m’absente deux jours, et tu t’improvises sensei, Zenin ?

C’est beau, je suis ému.

 

Megumi le suit, plus discret.

 

— T’as de bonnes méthodes, Souta. Frontal, mais efficace. Elle a tenu.

 

Gojo fait mine de bouder.

 

— Et vous m’avez même pas invité à jouer avec le tigre. J’suis vexé.

 

Il regarde Aya, plus sérieux.

 

— Toi, Aya… chapeau. T’as tenu tête à une bête d’ombre avec rien d’autre que ton souffle et ta volonté. T’as rien explosé, mais t’as montré l’essentiel.

 

Aya ramasse son livre, rougit.

 

— Je… vous étiez là ?

 

— Depuis un petit moment, ouais, dit Gojo avec un clin d’œil.

 

Elle regarde Souta, puis Gojo.

 

— Merci...

 

Mais elle ajoute, plus bas, en fixant ses pieds :

 

— Vous avez toujours cru que je prendrais la fuite. Mais je l’ai jamais fait.

Même pas à notre première rencontre.

 

Gojo s’approche, plus doucement cette fois.

 

— Je t’ai jamais vue fuir, Aya. Pas même ce jour-là dans le métro.

 

Son regard se fait plus sérieux.

 

— Mais est-ce que c’est vraiment la peur… ou le fait d’être figée, qui te bloque ?

 

Aya le fixe, hésitante.

 

— Elle me paralyse parfois… comme avec Raku.

Je suis pas courageuse comme vous. C’est Cindy qui l’est.

 

Souta intervient, bras croisés.

 

— Cindy est toi. Pour la troisième fois.

Je vais arrêter de dire son nom. Ce sera Aya Bis, maintenant.

 

Gojo éclate d’un petit rire.

 

— Pas bête, Zenin.

 

Mais Aya recule légèrement, secoue la tête.

 

— Arrêtez ! Je suis pas un jouet ou une poupée modulable !

 

Et sans prévenir, elle quitte la pièce en courant, serrant son livre contre elle.

 

Gojo la suit du regard, son sourire s’efface.

 

— Touchée. Pas coulée… mais touchée.

 

Souta reste silencieux.

 

— J’ai cru bien faire...

 

Gojo hoche doucement la tête.

 

— Je sais. Mais même les bonnes intentions peuvent gifler quand elles arrivent trop vite.

 

Il se tourne vers lui.

 

— Aya, c’est pas un exercice. C’est un cœur. Un vrai.

 

Souta baisse brièvement les yeux.

 

— Je la vois se débattre… J’essaie juste de l’empêcher de couler.

 

Gojo sourit doucement, puis s’éloigne dans le couloir.

 

— Alors tends-lui la main. Pas l’épreuve.

 

Il lève une main en l’air.

 

— Si je suis pas revenu dans dix minutes, c’est qu’elle m’a transformé en mochi.

 

Et il disparaît, comme toujours, les mains dans les poches.


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