Le Revers de L'Infini - Tome 2 : L'Eveil

Chapitre 28 : Énergies

4289 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 01/11/2025 20:50

Le réfectoire baigne dans une lumière douce du matin. Aya mange tranquillement, son plateau bien aligné devant elle. Elle semble plus posée qu'à l'accoutumée, comme si le calme de la veille l’avait suivie jusque dans la journée.

 

Yu arrive, plateau en main, sourire grand comme le ciel. Il s’installe juste en face d’elle avec une aisance tranquille.

 

— Bonjour, Aya...

 

Il jette un rapide coup d’œil à son téléphone avant de le ranger d’un geste fluide.

 

Aya relève les yeux vers lui, surprise mais ravie.

 

— Bonjour, tu vas bien ? Je me suis inquiétée, comme je t’ai pas vu hier…

 

Yu détourne les yeux un court instant, son sourire s’atténue sans disparaître.

 

— Désolé de pas avoir donné signe. J’avais besoin d’un peu de… silence, je crois.

 

Il repose les yeux sur elle, plus sincère, presque grave.

 

— C’est gentil que tu t’en sois souciée. Vraiment.

 

— Et toi, comment tu vas ? Tu as fait quoi de ta journée ?

 

Aya hoche doucement la tête, un sourire timide sur les lèvres.

 

— Oh, je comprends. C’est compliqué parfois qu’il y ait toujours quelqu’un à côté…

 

Elle prend une bouchée avant d’ajouter, avec une lueur de fierté tranquille :

 

— Rien de spécial, je me suis entraînée avec Souta.

 

Yu sourit, un brin taquin.

 

— T’as survécu à un entraînement avec Souta ? Respect.

 

Il la regarde plus attentivement.

 

— T’as changé, j’ai l’impression… C’était si costaud que ça ?

 

— J’ai changé ? Comment ça ?

 

Elle cligne des yeux, surprise.

 

— T’as pas caché ton visage derrière ton livre ce matin.

 

Aya rit doucement.

 

— Y’a des fois où je lis pas…

 

Yu hausse les épaules.

 

— C’est pas un reproche. Juste un constat.

 

Il la fixe un peu plus longuement, plus sérieux :

 

— On dirait que t’essaies moins d’être invisible. C’est bien.

 

— Je m’habitue à être ici, je crois…

 

Elle mange une bouchée avant d’ajouter, à demi-voix :

 

— Et je commence à avoir un peu moins peur… mais vraiment un peu.

 

À ce moment-là, Souta entre dans le réfectoire. Détendu, presque léger. Il capte Yu du coin de l’œil, sans insistance, avant de s’approcher de leur table et de poser son plateau. Il s’assoit près d’eux, sans tension apparente.

 

— Salut…

 

Il marque une pause, puis baisse légèrement la voix pour Aya.

 

{Pour hier... je suis désolé. C’était trop. J’ai voulu bien faire, et j’ai juste… mal dosé mes propos et l’intensité de l’exercice…}

 

Aya sourit doucement en le regardant.

 

— Oh… bonjour…

 

Puis, plus touchée qu’elle ne l’avoue :

 

— Merci… c’est gentil. J’ai mal réagi moi aussi. Mais je suis sûre que ça va m’aider.

 

Il prend une bouchée, essayant de jouer la normalité.

 

— Tu vas mieux ce matin ?

 

 

Elle hoche la tête, sincère :

 

— Oui, ça va mieux.

 

Souta hoche la tête à son tour.

 

— C’est bien si t’as repris le dessus.

 

Son regard glisse vers la table.

 

— Mais vraiment… j’aurais peut-être dû y aller plus doucement. C’était pas anodin, ce que je t’ai demandé.

 

Aya regarde Souta.

 

— C’était pas anodin… mais ça m’a appris, je crois.

 

Elle sourit à nouveau.

 

Un souffle plus posé.

 

— T’as tenu. C’est pas rien.

 

Puis il se tourne vers Yu, presque détaché.

 

— Et toi, Yu, bien dormi ?

 

Yu hausse légèrement les épaules, avec un petit sourire.

 

— Ouais… j’ai connu pire.

 

Il regarde Souta avec calme, son ton léger mais chargé de sous-entendu.

 

— Ça fait plaisir de voir les visages se détendre un peu au p’tit-déj.

 

Puis, le fixant plus longuement :

 

— Toi aussi, t’as l’air d’avoir survécu à ta nuit…

 

Yu croise les bras, regard plus posé.

 

— J’me demande juste ce que tu cherches à affronter, exactement...

 

Souta hausse un sourcil, son ton neutre mais sans masque.

 

— Pourquoi tu dis ça, Yu ?

 

Il le fixe un bref instant, sans animosité mais clairement en alerte.

 

— T’as vu quoi exactement pour sortir ça ?

 

Yu rit doucement, un brin gêné.

 

— Moi je dis. Juste… t’as l’air plus confiant, c’est tout...

 

Souta regarde Aya, puis Yu, hausse les épaules et boit son jus.

 

Aya lève les yeux vers Yu, intriguée.

 

— Tu vois son énergie à lui aussi ?

 

Yu marque un petit temps.

 

— Disons que… certaines énergies laissent plus de traces que d’autres...

 

— Il y a plusieurs types d’énergie ? demande Aya, curieuse.

 

Souta le fixe d’un sourcil levé.

 

— Et la mienne, elle laisse quel genre de trace ?

 

Yu hausse les épaules, pensif.

 

— C’est pas une science exacte… mais ouais, chaque énergie a un “goût” différent. Une sorte de signature.

 

Il regarde Souta avec un sourire presque joueur :

 

— La tienne… elle est précise. Tranchante. Comme un fil tendu à la limite de rompre. Stable, mais faut pas tirer trop fort.

 

Puis il se tourne vers Aya, plus doux.

 

— La tienne est lumineuse. Elle vibre plus fort qu’avant. Instable… mais vivante. Ça bouge beaucoup, comme si ça cherchait encore sa forme.

 

Aya regarde autour d’elle, fascinée.

 

— Oh… vivante...

 

Souta fronce à peine les sourcils.

 

— Faudra que tu m’expliques un jour comment tu mets des mots aussi chelous sur un truc aussi instinctif.

 

Il le fixe un peu plus.

 

— Ou alors… t’as appris à le sentir autrement que nous.

 

— Et ça veut dire quoi, “instable” ? Ça fait un peu peur… Demande Aya.

 

Yu répond doucement.

 

— Instable, ça veut dire changeant. Pas encore fixé. Mais c’est pas un défaut… c’est souvent comme ça, juste avant de devenir plus fort.

 

Souta croise les bras, le ton plus neutre.

 

— Ou ça veut dire… que ça peut partir dans n’importe quelle direction.

 

Il jette un œil en coin à Yu.

 

— Faut juste espérer que ce soit la bonne...

 

— Oh… moi je veux aller dans la bonne direction, hein. Rit Aya doucement, un peu gênée.

 

Yu plisse les yeux, léger sourire en coin.

 

— Alors t’as déjà une longueur d’avance. Ceux qui doutent jamais… c’est ceux qui finissent par se perdre pour de bon.

 

Souta laisse échapper un petit souffle amusé.

 

— Tant que t’oublies pas de regarder autour de toi en chemin, ça ira.

 

Aya rougit légèrement.

 

— Je suis rassurée… Je suis très loin d’avoir l’assurance de me moquer des conséquences…

 

Yu penche la tête, regard calme.

 

— Peut-être… mais tu les affrontes quand même. C’est pas rien. Beaucoup restent figés.

 

Souta pose son regard sur elle, voix plus basse.

 

— C’est pas l’assurance qui compte. C’est la constance. Et t’en manques pas, à ce que je vois...

 

Aya sourit doucement.

 

— J’espère que vous dites vrai...

 

Elle se tourne vers Yu.

 

— Et toi Yu… tu es capable de voir ta propre énergie ?

 

Yu baisse brièvement les yeux, pensif.

 

— Je la perçois… comme un courant sous la peau. Changeant, parfois trop fort, parfois absent.

 

Il la regarde de nouveau.

 

— Mais la comprendre ? C’est une autre affaire. C’est comme se regarder dans un miroir qui tremble...

 

— Et ça te dit quoi alors ? Même si c’est flou, tu as une tendance non ?

 

Elle sourit doucement.

 

— Vu ce que tu es capable de faire, ton énergie doit être très forte !

 

Yu hausse légèrement les épaules, un demi-sourire au coin des lèvres.

 

— Disons… qu’elle est difficile à cerner. Parfois fluide, parfois trop présente. Elle me ressemble, j’imagine.

 

Il détourne brièvement le regard.

 

— Mais toi ? Tu arrives à différencier la tienne, de celle que Cindy projette ?

 

Aya baisse les yeux, gênée.

 

— Je les vois pas… j’en vois aucune. Je ressens quand il y a de l’énergie… forte ou pas. Mais c’est tout.

 

Souta intervient :

 

— Ressentir, c’est la base. Le reste, ça vient avec l’expérience.

 

Yu ajoute, calme :

 

— Mieux vaut ça que trop de certitudes. Ceux-là finissent par tomber...

 

Souta lève un sourcil.

 

— Si tu parle de Gojo, il est à part. Il sent quand l’énergie déraille. Même une hésitation, il la capte...

 

Son regard se perd, pensif.

 

— Une fois, il est arrivé pile au moment où j’ai flanché. Comme s’il l’avait ressenti à l’autre bout du rideau...

 

Yu se frotte la nuque, un peu gêné.

 

— Ce type fait flipper parfois…

 

— Il est le meilleur. Dit Aya en souriant.

Ça me rassure qu’il soit là avec nous.

 

Yu acquiesce doucement.

 

— Ouais… t’as raison.

 

Il regarde brièvement Souta, puis Aya à nouveau.

 

— Tant qu’il est là, on peut se permettre de respirer un peu.

 

Souta croise les bras.

 

— Justement. C’est quand on respire trop qu’il nous fait remarquer qu’on a baissé la garde.

 

Il fixe Yu brièvement.

 

— Faut rester lucide. Même sous sa protection...

 

— Évidemment. Mais grâce à lui, on a le temps de progresser. Il nous donne cette chance. Dit Aya.

 

Souta hoche la tête.

 

— Il donne du temps… à nous d’en faire quelque chose.

 

Yu conclut, plus bas.

 

— Et d’être prêts quand il ne sera plus là.

 

Souta lève un sourcil mais ne dit rien.

 

Aya fronce les sourcils.

 

— J’oublie pas. Mais où est-il maintenant ? On parle de Gojo… Il faut lui faire confiance pour toujours revenir.

 

Elle les regarde.

 

— Et tu parles des autres… c’est justement ça qui n’est pas impossible. Il est entouré. Et aimé.

 

Souta baisse brièvement les yeux.

 

— T’as pas tort. Il s’accroche à ceux qu’il protège autant qu’ils s’accrochent à lui.

 

Yu pose les coudes sur la table.

 

— Ce genre de lien… ça donne de la force.

 

Il ajoute, plus bas :

 

— Mais ça fait aussi un bon levier, pour ceux qui savent s’en servir.

 

Souta le fixe une demi-seconde, méfiant, puis détourne les yeux.

 

— Et voilà. Ça recommence…

 

Aya le regarde, douce.

 

— C’est étrange de penser comme ça…

 

Elle sourit.

 

— Mais c’est bien d’essayer de connaître nos points faibles. Dit Yu.

 

— Mais là, c’en est pas un. C’est tout le contraire d’une faiblesse.

 

Yu relève lentement les yeux, un peu surpris.

 

— …T’es bizarre, toi.

 

Il sourit doucement, admiratif.

 

— Voir un lien comme une force, même en pleine guerre… faut oser.

 

Souta croise les bras, regard plus appuyé.

 

— Elle a pas tort. Tu passes ton temps à chercher les failles… mais t’oublies que certaines choses résistent juste parce qu’on se tient à plusieurs.

 

Yu soupire, secoue la tête.

 

— Peut-être. Mais ça empêche pas que c’est ce que visent les fléaux en premier.

 

Souta répond, plus posé.

 

— C’est pour ça qu’on devient plus fort. Pour protéger ceux à qui on tient...

 

Il regarde brièvement Aya, puis son plateau.

 

Aya fixe Yu.

 

— Tu m’as parlé d’une mission qui s’était mal passée… Tu veux nous raconter ce qu’il s’est passé ?

 

Yu s’interrompt. Son regard se perd un instant.

 

— C’était près de Gwangju, chez moi, en Corée. Une vieille zone industrielle qu’on croyait purgée. Mais c’était faux.

 

— Le fléau… il avait muté. J’ai encaissé. Mal. On m’a sorti de rotation après ça.

 

Il baisse les yeux.

 

— J’ai pas quitté la Corée tout de suite. Mais j’ai pas retouché à une mission depuis. Enfin… sauf la nôtre, récemment.

 

— Et mon pouvoir s’est renforcé. J’étais étonné...

 

Souta l’écoute en silence.

 

Aya fronce un peu les sourcils.

 

— Tu as été blessé ?

 

Yu hoche doucement la tête.

 

— Ouais. Assez pour qu’on me laisse hors mission.

 

— Tu te souviens des blessures ?

 

— Quelques-unes. Des côtes. Une jambe. Je crois. C’est flou.

 

— Et tes profs ? Tes amis ?

 

— Il y avait une équipe. Mais on a été séparés.

 

Il fixe un point vide.

 

— Je me suis réveillé en infirmerie. En sale état. Je me souviens de rien. Juste que… quelque chose clochait.

 

— On m’a dit que c’était un fléau de classe S.

 

Aya sourit doucement.

 

— Tu as eu de la chance… et maintenant tu peux les éradiquer d’un geste. C’est une belle revanche.

 

Yu sourit en coin en sortant son portable tranquillement.

 

— C’est vrai. Maintenant c’est presque trop facile.

 

Souta reste silencieux. Il sort discrètement son téléphone, envoie un message à Aya.

 

> [Hier j’ai failli perdre le contrôle. Megumi voulait que je le fasse sortir. Kagenryū. Il m’a presque tué. Gojo est intervenu. Je voulais que tu saches que… maintenant je comprends ce que t’as ressenti au dojo. Avoir peur mais tenir. C’est ça, être fort. Pas envie d'en parler devant Yu.]

 

Aya lit, rougit légèrement. Elle répond en silence.

 

> [Ça me rassure que tu ailles bien du coup. D’accord pour Yu. Je te fais confiance. Mais tu m’expliqueras…]

 

Souta repose son téléphone.

 

Yu, absorbé, joue sur le sien.

 

— Tu joues à quoi ? demande Aya.

 

— “Shadow Clash”. Un vieux jeu. Addictif.

 

Il lui montre. Elle rit.

 

— Ho, je veux bien essayer !

 

Souta les observe, mi-amusé mi-prudent.

 

— Méfie-toi, il va finir par te recruter dans sa guilde...

 

Aya rate sa partie et lui redonne son téléphone, un peu gênée.

 

— Mince… Je viens de casser ton score…

 

Yu rit.

 

— Pas grave t’inquiète. Je suis pas excellant non plus.

 

Il se lève.

 

— Je vais prendre l’air. À plus tard les copains !

 

Souta le suit des yeux. Il sort son téléphone, envoie un message à Megumi.

 

Aya le regarde.

 

— Alors ? Pourquoi tu veux pas dire devant lui ?

 

Souta hésite.

 

— C’est pas contre lui… mais ce que j’ai fait avec Megumi, c’est pas le genre de trucs que tu balances à table.

 

Il baisse la voix.

 

— Je te raconterai. Mais… pas ici. Trop d’oreilles.

 

Aya regarde autour.

 

— D’accord. Alors tu veux aller où ?

 

Souta hoche la tête.

 

{Dehors ? Il y a un coin calme près des cerisiers.}

 

Aya acquiesce. Ils débarrassent et quittent le réfectoire ensemble.

 

Dehors le vent effleure doucement les cerisiers. Leurs branches dansent paresseusement dans l’air, éclat vert contre le bois sombre du patio.

Souta s'assoit, dos calé contre le pilier, le regard perdu dans le feuillage mouvant. Il croise les bras, pensif. Aya arrive en silence et s’assoit près de lui. Elle ne parle pas tout de suite. Elle attend.

 

Souta finit par rompre le calme, la voix basse, un peu rauque.

 

— C’était… violent. Même pour un entraînement.

 

Il ne la regarde pas encore.

 

— Megumi voulait que je l’invoque. Que je le confronte. Il disait qu’il fallait que je sois prêt… au cas où...

 

Aya l’écoute, calme, les mains posées sur son livre.

 

— Et... comment ça s’est passé ?

 

Souta baisse les yeux vers sa paume ouverte, comme s’il y cherchait une réponse.

 

— Kagenryū est pas comme les autres shikigami. Il écoute rien, il ressent. Et là… il a senti que j’avais peur. Même si je disais rien, même si j’essayais de rester calme...

 

Il marque une pause. Sa voix se tend à peine.

 

— Il m’a foncé dessus. Sans hésiter. Si Megumi avait pas été là, ou si j’avais été une seconde plus lent… je serais pas là pour te raconter.

 

Il rit, sans joie.

 

— Deux minutes. J’ai tenu deux foutues minutes avant de flancher. Et même ça, c’est un miracle.

Il m’a vu, Aya. Vraiment vu. Et c’est pas joli à regarder…

 

Un souffle plus profond.

 

— Et Gojo est arrivé. Il a figé Kagenryū d’un claquement d’énergie, comme si c’était un chiot trop bruyant.

 

Ses yeux se ferment un instant.

 

— Et après… il m’a regardé. Comme il regarde personne. Pas avec son sourire ou ses blagues. Avec ses vrais yeux...

 

Il baisse la tête, silencieux.

 

Aya pose doucement une main sur son bras.

 

— C’est normal d’avoir peur… c’est le début pour apprendre à ne plus avoir peur. Ou du moins… avoir moins peur…

 

Elle sourit, presque gênée.

 

— Enfin… c’est moi qui dis ça...

 

Souta tourne légèrement la tête vers elle.

 

— Tu sais… Gojo a eu peur. Pas de Kagenryū. Il a eu peur pour moi. Parce que j’aurais pu y rester… Et que s'il n'avait pas été là à temps… s’il avait pas senti mon aura vaciller… 

 

Il hausse les épaules et regarde devant lui, plus las que fataliste.

 

— Il a pas crié. Il m’a juste dit que si je continuais à refuser ce que j’étais… ce truc finirait par choisir à ma place.

 

Ses yeux se posent enfin sur elle, francs.

 

— Et ce jour-là, personne rattraperait les morceaux. Ni lui. Ni Megumi.

 

Il croise les bras, un peu fermé.

 

— Voilà pourquoi j’ai pas parlé devant Yu. Ça, c’est pas un truc que je veux étaler. C’est pas un trophée… c’est un rappel.

 

Il la fixe un instant.

 

— Mais je voulais que toi tu saches. Parce que toi aussi, t’as une part de toi qui a peur. Et tu continues d’avancer quand même.

 

Aya retire doucement sa main.

 

— Tu vas y arriver, j’en suis certaine…

 

Elle parle plus lentement.

 

— Cette peur que tu ressens, c’est pas la peur de Kagenryū… je vois ça plus comme une peur de pas y arriver.

 

Elle sourit.

 

— Tu es fort, Souta. Si quelqu’un peut y arriver, c’est toi.

 

Souta secoue la tête, lentement.

 

— Ce n’est pas Kagenryū le problème. C’est moi qui lui tends la main en tremblant… en espérant qu’il m’épargne...

 

Il serre les poings, sans agressivité.

 

— Et quand j’ai peur, il s’en nourrit. Il écoute. Il attend juste que je flanche pour attaquer...

 

Il la regarde, plus sobrement.

 

— Ce que t’as dit… c’est pas rien. Mais j’ai pas besoin qu’on me dise que je suis fort. J’ai besoin de le croire. Et ça… j’y suis pas encore.

 

Il soupire, puis ajoute, plus bas.

 

— Mais t’es là. Et... ton calme, ta façon de croire aux autres…

 

Il murmure presque.

 

{C’est peut-être plus efficace que n’importe quelle barrière.}

 

Aya le regarde dans le silence, puis lui répond doucement :

 

— Alors crois-le. Tu as été capable de tout jusqu’à présent...

 

— Tu es celui qui m’aide avec mes peurs. Tu peux t’aider toi-même. Sois-en sûr...

 

Souta esquisse un léger sourire bref, mais sincère.

 

— J’ai toujours su gérer mes propres peurs. Celles des autres aussi, parfois.

 

Il la fixe.

 

— Mais la tienne, et la mienne, elles se ressemblent plus que je pensais. On fuit pas… on encaisse. Et c’est presque pire.

 

Un souffle plus long.

 

— Alors ouais... j’vais essayer d’écouter ce que je te dis d’habitude. Pour une fois...

 

Aya relève les yeux vers les toits.

 

— Tu veux essayer de le réinvoquer ?

 

Elle hésite.

 

— J’ai peur que ce soit la seule solution pour toi...

Satoru est peut-être là...

 

Souta la regarde.

 

— Si je le réinvoque maintenant… ce sera pas pour l’apprivoiser. Ce sera pour le contenir. Et j’suis pas sûr d’avoir la force de le faire deux fois dans la même semaine.

 

Il suit le regard d’Aya vers le ciel, l’ombre d’un sourire amer aux lèvres.

 

— Gojo, hein… Il débarque toujours quand on pense être seuls. Comme s’il lisait dans l’air.

 

Il murmure presque :

 

— …Mais ouais. S’il est là, ce serait peut-être le moment. Avant que ce soit trop tard... Il faudrait pas que le temps joue contre moi... contre nous...

 

Aya inspire, puis appelle doucement :

 

— Satoru ?... Tu es là ?

 

Un long silence suit son appel. Le vent bruisse dans les branches, emportant quelques feuilles.

 

Souta tend l’oreille.

 

— Il viendra pas juste parce qu’on l’appelle. Il aime bien faire son entrée.

 

Comme pour lui donner raison, un souffle d’air compressé fend le silence. Une silhouette floue apparaît sur une branche de cerisier. Gojo, lunettes abaissées, équilibre parfait, sourire en coin.

 

— Vous parliez de moi ?

 

Il saute souplement, atterrit près d’eux, mains dans les poches.

 

— Je vous écoute. Qui veut faire une bêtise en premier ?

 

Aya sourit.

 

— Bonjour Satoru.

 

Elle jette un regard à Souta.

 

— Je me demandais si tu étais dans les parages… pour que Souta refasse un essai avec son monstre.

 

Gojo lève un sourcil, moqueur.

 

— “Son monstre” ? J’espère qu’il t’a pas entendu. Il est un peu susceptible sur les étiquettes...

 

Il se tourne vers Souta, plus sérieux.

 

— Tu veux retenter ? OK. Mais cette fois, on fait ça proprement. Pas de panique, pas de test à moitié camouflé.

 

Puis, plus doux, à Aya :

 

— Et toi, t’as le droit de dire non si tu sens que ça déborde. Même moi, parfois, j’suis pas fan de ce qu’il dégage...

 

Aya regarde Gojo, puis Souta.

 

— D’accord… je dirai si ça va pas. Si je suis pas pétrifiée...

 

Elle rit doucement.

 

Souta, déterminé, croise les bras.

 

— J’ai pas envie de fuir encore. Pas devant lui… pas devant vous.

 

Il jette un regard à Aya, puis à Gojo.

 

— J’ai tenu deux minutes la dernière fois. J’veux les doubler. Ou exploser en essayant.

 

Il s’éloigne de quelques pas, puis s’arrête, dos tourné.

 

— Si je tombe… rattrapez-moi. Mais sinon… laissez-moi aller jusqu’au bout...

 

Gojo soupire.

 

— Bon… j’suis pas censé improviser des sorties scolaires avec un shikigami psychopathe, mais disons que c’est pour l’éducation spirituelle, hein ?

 

Il claque des doigts. Un portail s’ouvre lentement, dévoilant une clairière cerclée de sceaux brillants.

 

— Terrain sécurisé. Pas de spectateurs. Pas d’interruptions. Si vous avez peur du noir, c’est le moment de le dire…

 

Il regarde Aya, un sourire en coin.

 

— Et si tu cries, je prends ça comme un "code rouge", d’accord ?

 

Puis à Souta, les lunettes glissées sur le nez :

 

— Et toi, Zenin… montre-lui ce que ça veut dire, “tenir debout quand t’as l’ombre sur le dos.”

 

Aya serre son livre, puis hoche la tête. Gojo lui lance un clin d’œil sincère.

 

— T’inquiète ça va le faire.

 

Puis, plus grave :

 

— À toi de jouer, Zenin.

 

Souta avance lentement, le visage fermé. Il regarde Aya, puis le portail. Silencieusement, il franchit le seuil.

 

Gojo glisse à l’oreille d’Aya avant qu’elle ne le suive :

 

— Et rappelle-toi… c’est quand ça tremble que le cœur apprend à tenir droit...

 

Aya serre un peu plus fort son livre, inspire doucement… et entre à son tour.

 

Gojo passe le portail en dernier, mains dans les poches, prêt et souriant comme un gamin qui va dans un parc d’attraction.

 

— Rideau levé. Showtime les enfants !





La suite lundi entre 20h et 22h...

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