Le Revers de L'Infini - Tome 2 : L'Eveil
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Le soleil perce mollement au-dessus des bâtiments de l’école, effleurant la cour d’un éclat tiède. Les feuilles encore vernies de rosée bruissent à peine ; une brise passe, traîne une odeur de craie et de terre humide. Aya sort prendre l’air, les épaules encore un peu lourdes. Un livre sous le bras, elle inspire profondément et traverse la cour à pas lents. Le gravier grince fin sous ses semelles. Elle repère un muret tranquille près des arbres et s’y installe, cherchant une forme de silence que ni les murs ni les mots ne savent vraiment offrir.
Elle ouvre son livre, laisse la tranche craquer doucement, s’y plonge, ou du moins fait semblant. Une page, deux… son regard glisse, revient, trébuche toujours au même endroit, là où la veille n’a pas fini de retomber.
— Hééé~ Aya !
La voix la tire de ses pensées comme une pierre fait des cercles dans l’eau. Elle lève les yeux juste à temps pour voir Yu trottiner vers elle, un snack dans une main, son téléphone dans l’autre, l’air aussi tranquille que s’il sortait d’un pique-nique. Un rayon accroche le plastique du paquet, le fait cligner comme une écaille.
— J’viens de croiser Souta dans le couloir, annonce-t-il joyeusement en s’installant à côté d’elle sans attendre l’invitation. Il avait une tête genre "je viens de dire un truc que je vais regretter jusqu’à ma mort".
Aya esquisse un sourire. Elle referme doucement son livre, sans le quitter complètement : le volume reste posé sur ses genoux comme une garde.
— Salut, Yu. Il est effectivement parti comme une flèche… On discutait, et d’un coup, il s’est envolé.
— Il m’a frôlé sans me voir, poursuit Yu, faussement indigné. J’ai cru qu’il allait passer dans une autre dimension tellement il marchait vite. J’te jure, il avait ce regard de gars qui se dit "si je reste une seconde de plus, je vais ressentir un truc".
Aya rit doucement ; le son s’accroche un instant aux branches au-dessus d’eux.
— Tu vas bien ? Demande Yu
— Je survis, comme toujours.
Il croque dans son snack, miettes discrètes au coin de la lèvre, puis la fixe avec un air plus joueur.
— Dis-moi, t’as prononcé un mot qui fait bugger les introvertis, ou c’est lui qui s’est planté tout seul ?
— J’ai juste dit merci, murmure-t-elle, amusée.
Yu écarquille les yeux, théâtral, paume contre la poitrine comme un acteur qui prend une balle.
— Quoi ? Juste "merci" ? C’est bon. Il est foutu.
Il rit doucement, puis penche la tête, complice, le téléphone tournoyant entre ses doigts.
— Une énigme émotionnelle, t’en as pas reçu une au moins ?
Aya hausse un sourcil, la commissure encore levée.
— Une quoi ?
— Tu sais, ces trucs flous qu’ils te balancent avec une voix grave, genre "tu es plus forte que tu ne crois", puis ils disparaissent dans la brume comme si t’allais comprendre dans dix ans.
Aya secoue la tête, amusée ; une mèche retombe, elle la repousse du bout de l’ongle.
— Non, rien de tout ça. C’est pas son genre.
— T’as raison, concède Yu. Lui, c’est plutôt "je vais murmurer un truc dans mes chaussures et partir avant qu’on me voit respirer".
Ils rient tous les deux. L’espace d’un instant, la tension s’efface comme une buée qu’on essuie.
— Et toi, demande-t-elle enfin. Comment tu vas, Yu ?
Il cligne des yeux, feint l’étonnement, une main sur le cœur comme au salut.
— Oh ! On parle de moi maintenant ? T’es sérieuse ?
Il reprend plus simplement, plus sincèrement, le regard qui se pose vraiment.
— Franchement, ça va. Je sais pas trop ce que je fous ici parfois, mais… j’me débrouille.
Il joue un instant avec son téléphone, l’écran s’éteint, il le retourne face contre la pierre, puis lève les yeux.
— Je fais semblant d’avoir tout pigé en cours, je bouffe trop vite au réfectoire… et je tombe sur des gens cool. Donc ouais, ça va.
Aya l’observe un instant, un pli discret entre les sourcils, comme si elle tentait d’ajuster la netteté sur ses mots.
— Comment ça, "tu sais pas ce que tu fais ici" ?
Il se fige légèrement, esquisse un sourire plus timide, épaules qui descendent d’un cran.
— J’suis ici parce que j’ai été transféré. J’ai un don, un dossier, tout ce qu’il faut… mais j’ai pas trop la gueule d’un exorciste. Pas comme vous. Toi, Souta… même Sho, avec son fouet dramatique.
Il rit un peu, mais ses yeux restent honnêtes, ouverts.
— Moi, je suis le mec qui arrive après. Celui qui comprend à moitié et prie pour pas faire exploser le décor.
Aya le fixe, sérieuse, le muret frais dans son dos.
— Yu… t’es exactement à ta place ici.
Il lève une main, l’air de dire : "ouais ouais", un sourire qui désamorce.
— Si c’est à cause de Souta qui t’ignore, t’inquiète. Ce gars ignore à peu près tout ce qui respire. Dit-elle avec un léger sourire
— Oh mais je suis pas vexé tu sais. Répond-il en haussant les épaules.
— Tu as refait des missions ? Pour tester ton don ?
Il hoche la tête, essuie une miette du pouce.
— Deux. Des petits trucs. Des fléaux de grade deux. J’ai compris un peu mieux comment mon énergie marche. C’est encore flou, mais… j’avance.
Il la fixe alors, plus sérieux ; le vent ralentit, comme pour laisser passer.
— Pourquoi tu me demandes ça, comme ça ? Y’a un truc ?
— Tu semblais douter de toi. C’est bien que tu puisses tester. Ça t’aidera à te sentir plus à ta place.
Yu sourit doucement, puis murmure presque, la voix qui tombe d’un demi-ton :
— J’me dis parfois que si t’étais pas là, j’me serais déjà effacé dans le décor.
Il la regarde, sincère.
— Merci, Aya.
Il se redresse légèrement, les genoux décroisés.
— Et puis… je reste pour vous. Toi. Sho. Rin. Même Souta, dans son genre d’ombre cool.
Aya sourit à son tour ; ses épaules se relâchent à peine.
— Je suis contente que tu sois là. Si jamais je peux faire quoi que ce soit, tu me le dis, d’accord ?
— T’es déjà en train de le faire.
Ils restent un moment en silence, assis côte à côte. Dans les feuilles, un merle saute, griffe l’écorce. Aya baisse les yeux vers ses mains, le bord du livre où affleurent des fibres.
— Tu joues encore ? Demande Aya curieuse.
Yu reprend et brandit son téléphone, faussement coupable, coin d’œil amusé.
— Toujours. C’est mon système de survie pour les cours trop chiants.
Il secoue le téléphone devant lui.
— Mais j’ai mis pause pour toi. Et crois-moi, ça veut dire que t’es importante.
Aya rougit légèrement ; sa voix est un demi-sourire.
— Ho… merci.
Elle hésite, mordille à peine l’intérieur de sa joue, puis demande doucement :
— Et ton père ? Tu as des nouvelles ?
Le sourire de Yu devient plus doux, arrondit le regard.
— Un peu. Il m’envoie des messages. Courts. Genre "ça va ?", "fais gaffe aux fléaux", "mange bien".
Il hausse les épaules, sans amertume.
— C’est sa manière à lui. J’aimerais bien qu’il soit là, parfois. Mais bon…
— Il pense à toi, j’en suis sûre.
Elle lui sourit, simple, puis reprend :
— Et tes missions ? C’était avec qui ?
Yu se redresse un peu, l’air plus joueur revient comme un masque léger mais franc.
— Nanami. Et les jumeaux. Jin-Ho m’a crié dessus trois fois, donc j’imagine que c’était un succès.
Il rit doucement.
— C’était dans un vieux parking souterrain. Deux fléaux. Pas très malins, mais bien planqués. Moi, j’étais l’appât. Jun a glacé le sol, et Nanami a fait le reste.
Aya écarquille les yeux ; ses doigts serrent un peu la couverture.
— Tu n’as pas utilisé ton don ?
— Si. Nanami m’a demandé. Mais à peine j’ai commencé à canaliser… les fléaux ont reculé.
Il marque un silence, cherche le mot juste.
— Et là, même Jin-Ho s’est tu. Nanami a dit : "ça suffit", et m’a fait reculer. Donc non. J’ai rien lancé. Juste fait peur… à tout le monde.
Il tente de plaisanter, les lèvres coinçant un sourire :
— Peut-être que j’suis fléau-compatible, va savoir...
Aya sourit doucement en entendant Yu parler de ses missions. Mais son expression change légèrement, oscille entre amusement et une pointe de déception pour lui.
— C’est dommage qu’ils t’aient arrêté, dit-elle, le ton doux mais ferme. Si tu t’entraînes pas, tu progresseras jamais vraiment. Ton don est impressionnant, c’est normal que ça les impressionne... mais justement. Tu dois l’apprivoiser.
Elle réfléchit une seconde, suit un nuage du regard, puis lève les yeux.
— Tu devrais demander à Gojo de faire une mission avec lui. Lui, il te laisserait l’utiliser jusqu’au bout.
Yu cligne des yeux, surpris ; on dirait qu’il vient de manquer une marche.
— Tout le monde parle d’entraînement, mais dès que j’essaie… bam, on me freine, lâche-t-il en jouant distraitement avec le bord de sa manche. Gojo-sensei, hein ?… Il me regarderait avec son air de "je sais tout sur toi" avant même que j’ouvre la bouche.
Il rit, mais baisse un peu la voix, une faille minuscule sous l’humour.
— Peut-être que lui, au moins, il aurait pas peur de ce qu’il verrait...
Il la regarde, un peu plus sérieux qu’à l’ordinaire.
— Tu crois que je devrais lui demander ? Genre… moi ? Avec LE Gojo Satoru. En mission. Et j’en ressors vivant ?
— Oui, répond Aya sans hésiter. Tu devrais lui demander.
Elle relève le menton, regarde le ciel comme si elle y plantait une adresse.
— Satoru ? Tu es là ?
— Aya ! panique Yu, mi-amusé, mi-inquiet. Tu peux pas l’invoquer comme un Pokémon légendaire, il va vraiment apparaître ! T’es folle !?
— Il va pas te manger, plaisante-t-elle en scrutant les toits. Satoru ?
Un silence élastique. Le vent s’aplatit une seconde.
Puis une voix paresseuse et moqueuse descend du ciel :
— Oh, vous parliez de moi ? Quelle adorable coïncidence~
Yu se fige. Il lève lentement les yeux, comme s’il venait d’ouvrir un grimoire interdit.
— Non… non non non. Il était vraiment là ?!
Gojo est accroupi sur le rebord du toit, lunettes en place, sourire éclatant, silhouette nette dans le contre-jour.
— Min-Jae, donc tu veux une mission avec moi ? C’est mignon. Tu montes ton petit fan-club, en plus. Demande officielle reçue.
Il lève une main, faussement solennel, comme s’il prêtait serment à sa propre blague.
— On en reparlera… si tu tiens plus de cinq minutes sans perdre un fléau ou une chaussure.
— …Je vais mourir. Stylé, mais je vais mourir, marmonne Yu, abattu.
— Bonjour Satoru, glisse Aya, le regard pétillant. Voilà, tu vois, Yu. Tu vas avoir ta mission.
Gojo saute souplement du toit et atterrit les mains dans les poches, comme si c’était l’affaire la plus banale au monde. Le gravier n’ose même pas craquer.
— Toujours un plaisir d’être invoqué par ma petite cousine préférée, déclare-t-il avec un clin d’œil.
Il se tourne vers Yu, l’air léger mais attentif, l’œil qui pèse sans forcer.
— Tu fais le fier, mais à force de fuir ton pouvoir, c’est lui qui va finir par te rattraper. Alors autant qu’on teste ça ensemble. Cadre contrôlé, promesse de Gojo.
Il jette un regard complice à Aya.
— Tu viens en observatrice ? Ou tu préfères rester avec du popcorn sur un banc ?
— Je veux bien venir, oui, répond-elle en souriant.
— Parfait. Observatrice officielle.
Yu soupire, roule des yeux vers le ciel comme on cherche un secours.
— Génial… le stress avec témoins.
— Allez, suis-moi, Min-Jae, lance Gojo en s’éloignant. Cette fois, tu l’utilises vraiment, ton don.
Yu jette un regard en coin à Aya, mi-sarcastique, mi-reconnaissant, les épaules déjà un peu plus hautes.
— Si je disparais, dis à Sho que je veux pas de funérailles tristes...
— Tu vas pas exploser, le rassure-t-elle en souriant. Enfin… j’espère.
— Tu dis ça maintenant, mais attends de voir l’étendue du carnage...
Il la regarde à nouveau, brièvement, et son sourire se fait moins bravache.
— Mais bon… si t’es là, j’peux survivre à un peu de pression.
Il lève les yeux vers Gojo.
— …Un peu, hein. Pas la version "cauchemar éveillé".
— J’ai entendu ça, Min-Jae, lance Gojo sans se retourner.
— Tu vois ? Il a l’ouïe maudite aussi, souffle Yu.
— En même temps… t’as pas vraiment chuchoté, réplique Aya en riant.
— Trahison, annonce-t-il, faussement outré. Franche et directe. Je t’croyais de mon côté, Aya...
Il se penche légèrement vers elle, plus bas, un sourire qui tord l’aveu :
— Mais bon… tu ris, donc j’ai déjà gagné un peu, non ?
— Vous me suivez ou vous commencez une romance au ralenti ? s’exclame Gojo devant eux. Parce que moi, j’me bats. J’regarde pas un drama.
— Romance ?! répète Aya en rosissant. Mais non, enfin !
— On va où ?! tente-t-elle de changer de sujet, visiblement gênée.
Gojo s’arrête à l’entrée de la cour, se tourne vers eux avec son sourire tranquille qui sent la catastrophe bien encadrée.
— Surprise ! Bon. Prêts ou pas… on y va ?
Yu recule d’un pas, méfiant, serrant son téléphone comme une amulette.
— Attends… c’est pas le genre de mission où tu fais "pshht" et on se retrouve à l’autre bout du Japon sans prévenir ?
— Exactement, répond Gojo avec joie en levant deux doigts.
Et sans laisser le temps de protester davantage, il les touche tous les deux.
Un flash : blanc, propre, sans chaleur.
Et plus rien ne bouge, sinon l’air qui revient, lentement, comme une peau qu’on remet en place.
Rendez-vous mardi entre 20h et 22h pour la suite...
Mais qu'est-ce que Gojo a en tête...