Le Revers de L'Infini - Tome 2 : L'Eveil

Chapitre 39 : Surveillance étroite

1171 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 13/11/2025 20:44

La nuit a glissé sur l’école comme un voile. Dans le bureau de Yaga, la lampe de travail découpe un cercle d’ambre sur le bois, projette des ombres droites sur les murs et laisse dans la pénombre les étagères chargées de dossiers. L’odeur sèche du papier et de l’encre flotte, tenace, presque apaisante.


Yaga garde les mains jointes devant lui, posé, immobile, le buste légèrement penché comme pour mieux écouter.

— Alors, Satoru ? Tu l’as testé…


Dans l’embrasure, Gojo enlève ses lunettes du bout des doigts. Le geste est lent, maîtrisé ; le visage, plus fermé qu’à l’accoutumée. Il entre, et chaque pas semble peser davantage que le précédent.

— Je l’emmène dans un ancien temple à purification scellée. Simple. Contrôlé.

Il s’avance jusqu’au cône de lumière, l’irise de reflets sur le verre, puis s’arrête, la voix plus basse.

— Les fléaux le sentent avant même qu’il libère son énergie. Et ils se taisent.


Nanami, debout de côté, fronce à peine les sourcils, bras croisés, regard en biais.

— Par crainte ?


— Pas de la peur non, répond Gojo sans hésiter. De la soumission.

Le silence se resserre. On entend presque le tic-tac d’une horloge qui n’existe pas. Gojo incline la tête.

— Quand il se concentre… ils s’inclinent. J’ai vu un vieux résiduel faire presque une révérence.


Dans l’ombre, Megumi relève les yeux, le visage tiré par une fatigue contenue.

— Comme si Raku était là ? Ou une entité qui lui ressemble ?


— Elle n’est pas là, physiquement, dit Gojo. Mais l’empreinte, elle, circule.

Son index se dresse, tranche l’air. Le ton durcit.

— Et puis il y a ce moment, tout à l’heure, dans la cour. Aya a encore eu une hallucination, brève mais nette. Elle hurle. Je regarde Yu. Dans ses yeux : une lueur dorée. Contrôlée. Pas un dérapage. Pas une fuite.

Il marque une battue. La lampe cligne dans la vitre.

— Il ne panique pas. Il savoure. Une seconde. Puis il se referme.


Yaga croise plus fort ses doigts, le regard s’assombrit.

— Tu confirmes donc ce qu’on craignait.


Gojo secoue légèrement la tête, le menton bas.

— Pas encore. Mais j’y suis presque.

Son regard glisse de Nanami à Megumi, s’y accroche.

— Yu Min-Jae ne réagit pas comme un élève perdu. Il suit un plan. Il joue un rôle. Et je déteste les mystères, surtout ceux qui me regardent avec un sourire courtois

Un frisson parcourt la pièce, léger comme un courant d’air sous la porte. Gojo achève, la voix sans emphase :

— Et si Raku n’est pas dehors. Elle est peut-être bien ici. Avec un badge, un uniforme… et un sourire.


Nanami garde ce calme glaciaire qui sert d’armure.

— Si elle est infiltrée à ce point, nous ne pouvons pas provoquer une confrontation directe.


Megumi se penche un peu, les yeux baissés, l’ombre de ses cils tremblant sur la joue.

— Yu reste avec Aya. Trop proche. Et Aya ne soupçonne rien. Elle lui fait confiance. Elle semble vraiment l'aimer.


Gojo acquiesce, bref.

— Voilà pourquoi on ne la brusque pas. Si elle se sent démasquée, elle frappera. Et on n’est pas prêts pour ça.


Yaga réfléchit un temps qui paraît plus long que la phrase, puis tranche, le regard durci par la décision.

— Alors on surveille. Étroitement. Sans alerter. Elle ne doit rien voir venir.

Il se tourne vers Gojo.

— Toi, première ligne. Tu continues ton rôle : enseignant détaché, désinvolte. Qu’elle croie avoir la main sur toi.


Gojo étire un mince sourire qui n’atteint pas les yeux.

— Parfait. Je deviens son prof préféré… et le plus insupportable à suivre.

Il s’interrompt, une hésitation qui ne lui ressemble pas.

— Mais elle a vu plus que prévu...


Le sourcil de Yaga se hausse, le ton se fait tranchant.

— Quoi d’autre ?


Gojo marche lentement, les mains dans les poches, les pensées frottant au bois du parquet.

— Elle a vu Kagenryū. Yu a espionné le dernier entrainement de Souta et Aya. J'ai grillé sa présence. Il était planqué comme un ninja.

Il se tourne vers Megumi.

— Elle a compris que le shikigami ne répond pas encore complètement. Qu’il tremble.


Nanami incline la tête, grave.

— Elle sait donc sur quoi nous comptons. Et que nous n’avons pas le contrôle.


— Elle a vu notre carte maîtresse, reprend Gojo. Elle sait qu’elle vacille. L’effet de surprise est mort.

Il passe une main dans ses cheveux, la laisse retomber, un soupir presque inaudible.


Yaga reprend, la voix plus sombre, posant chaque mot comme un pion.

— Et si Souta progresse ? S’il parvient à le maîtriser ?


— Alors il reste une chance, répond Gojo, plus posé. Depuis l’intervention d’Aya, Kagenryū commence à lui répondre. Il ne l’attaque plus.


Un silence qui pèse. La lampe bourdonne.


— Ce n’est pas encore un lien, ajoute-t-il. C’est un pacte. Fragile. Vivant.


Megumi croise les bras, le regard perdu dans un point fixe.

— Si elle comprend que ce lien vient d’Aya… elle essayera de le briser.


— Ou de le retourner, renchérit Nanami, sec.


La mâchoire de Gojo se serre une seconde, puis se relâche.

— Elle a trop vu. Mais elle ne sait pas tout. Tant qu’on reste calmes… elle continue son rôle : l’élève sage.

Il balaye la pièce du regard, s’assure de l’alignement des volontés.

— Alors on la laisse croire qu’elle mène la danse.


Nanami pose la paume sur la table, les veines finement saillantes, le regard fixe.

— Et si elle recommence ? Une autre hallucination, comme ce soir ?


Megumi relève la tête, la voix froide comme une lame.

— On agit. Mais pas contre elle.

Son regard va de Yaga à Gojo.

— On extrait Aya. On la met à l’abri. Le reste, on improvisera.


Yaga acquiesce lentement.

— Priorité absolue : Aya. Et garder Souta stable en cas de rupture.


— Ça nous pend au nez…, murmure Gojo, plus pour lui que pour les autres.

Puis il se redresse, la froideur revient, nette. Les lunettes retrouvent leur place, cliquet sec des branches.

Il s’arrête sur le seuil, la main sur la poignée.

— Je retourne sur le terrain. Si Raku veut jouer à la parfaite élève… je serai le parfait enseignant.

Un dernier regard, bref, dans la zone d’ombre entre lampe et fenêtre.

— Qu’elle le sache ou non…

Il pivote, laisse la phrase trouver sa fin dans son dos.

— …à la fin, c’est elle qui baissera les yeux. Je n’ai pas l’intention de perdre.


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