Le Revers de L'Infini - Tome 2 : L'Eveil

Chapitre 40 : Silences

4179 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 13/11/2025 21:02

[Comme d'habitude, n'oubliez pas que les chapitres sont publiés par deux... Vérifiez si vous n'avez pas manqué le 39 ;) ]




Nuit – Aya envoie son message


La lumière bleutée du téléphone découpe un petit halo dans la pénombre de la chambre. Aya est allongée sur le côté, enveloppée dans ses couvertures, encore secouée par les derniers évènements. Le silence du dortoir est lourd, feutré, comme après une tempête qui refuse de tout à fait retomber.

Ses doigts tremblent un peu, fatigue, nerfs encore tendus, elle n’en sait rien.

Elle tape lentement, efface deux fois, puis :


📩 À Souta :

Salut. Je me suis dit que tu aimerais savoir que Yu a évoqué ton shikigami.

Je ne sais pas comment il a su.

Bonne nuit.


Elle hésite une seconde, le pouce suspendu, puis appuie sur “envoyer”. Le vrrrr discret du téléphone brise le silence.

Aya repose l’appareil sur la table de chevet, presque trop doucement, comme si un geste brusque pouvait réveiller les mauvaises visions. Elle serre son livre contre elle (réflexe devenu refuge) et laisse ses paupières se fermer. Sa respiration tremble un peu avant de se stabiliser.




Aube – Réveil de Souta


La chambre de Souta est encore grise, à peine éclairée par une lumière diffuse qui filtre timidement entre les rideaux. L’air sent le papier, le thé froid et la laine humide, des traces laissées par ses habitudes.

Le téléphone clignote doucement.


Il ouvre un œil, avec la lenteur de quelqu’un qui n’a pas tout à fait dormi.

Il saisit son appareil. L’écran illumine son visage encore marqué par la fatigue.


📩 de Aya – 23:47

Salut. Je me suis dit que tu aimerais savoir que Yu a évoqué ton shikigami.

Je ne sais pas comment il a su.

Bonne nuit.


Souta reste immobile plusieurs secondes. Pas un tressaillement, pas un sursaut. Juste… une immobilité trop nette, comme une eau parfaitement calme. Ses yeux, eux, deviennent plus précis. Pointus. Une lame qui s’affûte dans le silence.

— …Il l’a vu ?


La phrase tombe, presque inaudible. Il pose le téléphone, s’étire lentement comme pour chasser quelque chose de plus lourd que le sommeil. Il se dirige vers la fenêtre, les mains dans les poches. Reste là un moment, immobile, à fixer l’extérieur sans vraiment le regarder.


Puis il revient au lit. Rouvre le téléphone, et cette fois, les doigts tapent lentement, mesurés.


📩 À Aya :

Salut.

Merci. T’as bien fait de me le dire.

Je vais faire attention.

Toi aussi, reste un peu sur tes gardes, d’accord ?


Il hésite. Une hésitation presque humaine.

Puis :


Et… j’espère que tu vas bien.

Il envoie. Éteint le téléphone. Et le silence retombe.




Réfectoire


Le réfectoire est presque vide à cette heure. Quelques voix discrètes, le bruit régulier d’une cafetière, des plateaux qu’on déplace à moitié endormis. Une lumière douce, jaune, s’étire sur les tables vides.

Yu est déjà installé. Lunettes dans les cheveux, posture relâchée, l’air paisible. Il fait défiler son téléphone du bout du pouce, le regard tranquille, trop tranquille.


Quand Souta entre, le contraste est immédiat : démarche lente, contrôlée, mains dans les poches. Il prend un plateau de manière méthodique, presque silencieuse. Son regard croise celui de Yu l’espace d’un battement, rien de plus.

Yu lui adresse un sourire large, tape du bout des doigts sur la table pour attirer son attention :


— Yo, Zenhin. Toujours un des premiers debout. Tu dors un peu, parfois ?

 

Souta ne répond pas immédiatement. Il s’installe à une table voisine, sans s’asseoir avec lui. Pose son plateau, prend une gorgée, le regard fixé sur son bol.

 

— Quand j’y suis forcé.

 

Yu repose son téléphone. Croise les bras, s’appuie sur la table avec nonchalance.

 

— T’as l’air calme. C’est bon signe. J’ai entendu dire que t’avais eu des... entraînements musclés récemment ?

 

Son ton est neutre. Pas vraiment moqueur. Pas amical non plus.

 

— C’est vrai ce qu’on raconte ? Que t’es le type à éviter absolument quand t’as pas pris ton café ?

 

Souta ne sourit pas. Ne le regarde même pas.

 

— On raconte trop. Et surtout n’importe quoi.


Il lève à peine les yeux, son ton sec, mais égal.

 

— Si t’as besoin de rumeurs pour socialiser, tu peux aller parler à Jin-Ho.

 

Yu grimace, rit doucement.


— Ah non, lui, il m’enflamme... au sens propre.

 

Il secoue la tête pour lui-même, sans chercher l’approbation, puis poursuit d’un ton plus tranquille.


— T’inquiète, j’essaie pas de creuser quoi que ce soit. Je suis juste curieux de savoir à quoi ressemble une journée normale ici… pour un seconde année qui est pas moi.

 

Souta hausse un sourcil. Prend une bouchée sans se presser.


— Tu la vis, cette journée. C’est ça, une journée normale.

 

Le silence s’installe entre eux. Pas hostile. Mais net.

 

Yu ne relance pas. Il garde son air lisse, calme, parfaitement poli. Aucun faux pas. Aucun mot de trop. Juste ce qu’il faut pour exister dans la conversation.


Et de l’autre côté, Souta mange en silence. Sans lui accorder plus d’attention que nécessaire.

 

La salle du réfectoire commence à s’animer doucement, les élèves arrivent par petits groupes, mais la table de Yu reste calme. Jusqu’à ce qu’Aya s’approche, plateau en main, sourire doux accroché aux lèvres.


— Salut, dit-elle simplement, en s’asseyant à côté de lui. Bien dormi ?

 

Son regard glisse vers Souta, qui lève brièvement les yeux de son bol.


— Salut, répond-il, de son ton neutre habituel.

 

— Salut, réplique-t-elle, en lui rendant un sourire discret.

 

Yu relève les yeux de son téléphone, qu’il glisse dans sa poche dans un geste fluide.

 

— Salut… Ouais, j’ai dormi comme un bébé. J’ai rêvé d’un combat contre des mochis géants. Épique, franchement.

 

Il lui adresse un clin d’œil complice.

 

— Et toi ? Pas de… vision cette nuit ?

 

Un silence léger s’installe. Souta pioche dans son bol, sans s’arrêter.


— Bien dormi ? demande-t-il calmement, le regard toujours dans son assiette.

 

— Oui… merci, souffle Aya avec douceur.

 

Puis elle rit doucement en entendant Yu.

 

— Des mochis géants ? C’est pire qu’un livre, ça...

 

Yu éclate de rire.

 

— Des mochis armés de baguettes, Aya. Une vraie guerre de desserts. Sérieux. Il y en avait un qui s’appelait Mochi Potter. Avec cape et lunettes. J’étais leur seul espoir.

 

Elle rit à nouveau, plus franchement cette fois, et secoue la tête.

 

— Tu fais des rêves bizarres, toi.

 

Puis, son visage redevient plus calme.


— Non… pas de nouvelles visions. Heureusement. C’était horrible…

 

Souta, silencieux jusque-là, relève à peine les yeux vers Aya, puis vers le livre posé près d’elle. Son ton reste calme, égal.

 

— T’as pu dormir malgré ça. C’est bon signe.


Aya hoche doucement la tête.

 

— Étrangement, je dors toujours bien. Et jamais de rêves. Ça aide sûrement à garder le silence dans la tête...


— Les rêves, dit alors Souta, posant ses baguettes avec soin, viennent souvent quand on essaie d’oublier des choses...


Il la regarde un instant, sans appuyer, puis tourne ses yeux vers Yu.

 

— Ou quand quelque chose frappe à la porte, sans qu’on veuille l’ouvrir.

 

Aya hausse les épaules.

 

— Il faut croire que j’ai rien à oublier… ou pas assez pour que ça me hante, visiblement.

 

Elle pique une bouchée, puis rit à nouveau, en regardant Yu :

 

— Mochi Potter… J’imagine un mochi avec des lunettes maintenant. C’est malin.

 

Yu rit de bon cœur, un rire clair, spontané, qui résonne un peu plus fort que prévu. Il toussote légèrement en reposant ses baguettes.


— J’te jure, j’vais le dessiner ce soir. Une cicatrice en pâte de haricot rouge… une cape en feuille de nori… Ce sera une légende dans le monde des desserts !

 

Il se tourne vers elle, et cette fois, son sourire est un peu plus doux. Plus sincère.

 

— T’as un joli rire, Aya. Garde-le, surtout.


Un silence, presque imperceptible.

 

Souta baisse légèrement les yeux sur son plateau. Il ne dit rien tout de suite. Mais un léger frémissement traverse ses lèvres. Un sourire. Rare. Discret. Presque involontaire.

 

— …Il a pas tort, souffle-t-il, sans la regarder.


Aya rit plus franchement cette fois, le rire spontané, léger. Elle secoue doucement la tête en regardant Yu avec amusement.


— Avec toi dans les parages, il risque pas de s’en aller, dit-elle en souriant.


Son regard glisse vers Souta, et elle ajoute plus doucement :

 

— Merci...

 

Souta ne répond pas tout de suite, mais un léger frémissement étire le coin de ses lèvres.

 

Yu, lui, étouffe un rire dans son bol de riz, l’air faussement outré.

 

— Wow… Souta qui dit un truc gentil. J’aurais dû filmer. C’est plus rare qu’un mochi sans sucre…

 

Il jette un clin d’œil à Aya.


— Garde bien ça dans ton livre. C’est une relique maintenant.

 

Souta soupire, sans le regarder.

 

— T’es bruyant, le matin.

 

Mais son ton n’a rien de dur, et pendant qu’il boit une gorgée de thé, un sourire discret se dessine furtivement sur ses lèvres.

 

— Ne me remercie pas, Aya. C’est juste… la réalité.

 

Yu, attentif, les observe à tour de rôle. Son sourire se fait plus fin, presque attendri, mais il ne dit rien. Pas tout de suite.

 

Aya, elle, sent le rouge lui monter légèrement aux joues. Gênée, elle saisit son verre d’eau et le porte à ses lèvres, s’y cache un instant.


— Heu… d’accord…


Yu se penche vers elle, chuchote avec un ton faussement conspirateur, mais suffisamment fort pour être entendu par Souta.

 

{Avoue… c’est un peu mignon quand il fait ça.}


Souta ne tourne même pas la tête, mais ses yeux s’abaissent d’un air las.

 

— Tu continues, et j’envoie Fenrir hurler à la mort devant les dortoirs. Tous. Les. Matins.

 

Yu lève aussitôt les mains, mimant la terreur.

 

— Ok ok ! J’me tais ! Pas touche à mon sommeil sacré !

 

Aya repose doucement son verre, amusée.


— Et Cindy viendra faire du tambour devant ta porte...


Elle rit doucement, une lueur malicieuse au fond des yeux.

 

Yu feint un frisson.

 

— Wow… j’ai senti un courant d’air là. C’était Cindy qui me juge ?

 

Il se penche vers Aya, jouant l’inquiétude comme un mauvais acteur.

 

— Tu crois qu’elle est en train d’écrire ma sentence dans ton bouquin ? Genre… “Tambour à 6h, pile.” ?

 

Souta, sans changer d’expression, lance d’un ton sec mais amusé :

 

— Si c’est ça, je me lève pour regarder. J’veux voir ta tête au réveil.

 

Yu éclate d’un rire étouffé, se tenant les côtes.

 

— Vous êtes terribles. Même mes cauchemars sont moins cruels !

 

Aya tourne brièvement la tête vers Souta, surprise par sa répartie. Il croise les bras, l’air faussement détaché, mais son regard est plus vivant qu’à l’ordinaire.

 

— Quoi ? J’ai le droit d’avoir mes divertissements. Et te voir courir en pyjama à cause de Cindy, ça vaut toutes les séries du monde.

 

Yu ouvre de grands yeux, joue la victime dramatique.

 

— Hé ! C’est pas une série, c’est un drame ! Avec des émotions fortes et un tambourin vengeur !

 

Souta soupire.


— …Encore plus bruyant que toi au petit-déj. Impressionnant.

 

Il lance un regard furtif, complice, à Aya. Léger, presque imperceptible.

 

Elle les observe tous les deux, amusée.


— Vous allez faire quoi cet après-midi ?

 

Yu hausse les épaules, l’air faussement rêveur.


— J’sais pas trop… méditer sous une cascade, nourrir les pigeons maudits du toit… La routine, quoi !


Souta reprend plus sérieusement :

 

— On a un entraînement avec les jumeaux. Nanami veut tester un nouveau schéma de formation.

 

Yu souffle en souriant :

 

— Et moi, j’vais surtout tester ma capacité à pas finir carbonisé par Jin ou congelé par Jun. Donc ouais, bel après-midi en perspective…

 

Souta lève les yeux vers Aya.


— Et toi ?

 

Elle réfléchit un instant, puis regarde Yu.

 

— Tu pourrais pas faire évoluer ton pouvoir ? Genre… endormir les gens ? Ça permettrait de le tester... enfin, je dis ça...


Yu éclate d’un rire plus sincère, se tenant le menton d’un air pensif.

 

— Endormir les gens ? Franchement, j’aimerais trop. Juste pour pouvoir endormir Gojo sensei...

 

Il mime un chuchotement conspirateur.

 

— Avec son aura chelou, ses lunettes, ses blagues nulles… parfois, j’te jure, il ressemble à un fléau en vacances.

 

Il soupire dramatiquement.

 

— Mais bon, vu son niveau, je risque plus de m’endormir moi-même si j’essaie...

 

Aya rit doucement.

 

— Il est très fort, oui... Mais moi j’adore l’entendre, même quand il dit des bêtises.

 

Un sourire s’invite sur ses lèvres.


— Finalement, on est de la même famille... d’un peu loin.

 

Souta, à sa grande surprise, hoche légèrement la tête.

 

— Pour une fois, je suis d’accord avec toi, Yu...

 

Aya tourne la tête vers lui, un peu prise de court.

 

— Ho… Mais… vous l’aimez pas ?...

 

Un silence bref s’installe.

 

— Attends… toi et monsieur Gojo ? De la même famille ?!

 

Yu lève les sourcils, faussement choqué, un sourire étirant déjà ses lèvres alors qu’il fixe Aya comme s’il venait de découvrir une conspiration.


— Je comprends mieux les trucs bizarres maintenant. C’est génétique, en fait !

 

Son rire s’adoucit. Il penche la tête, sincère cette fois.

 

— Mais j’te rassure… t’as hérité de la partie supportable.

 

Souta repose calmement ses baguettes, hausse un sourcil avant de croiser les bras.

 

— Ce n’est pas ça. On le respecte. Il est fort. Trop fort, même.

 

Il marque une pause, pensif, les yeux fixés sur le fond de son bol.


— Mais il est épuisant… imprévisible… et toujours à te balancer une vérité gênante entre deux blagues.

 

Son regard glisse lentement vers Aya, un brin plus grave.

 

— Il t’apprend des choses, c’est sûr. Mais il t’oblige aussi à te regarder en face. Et ça… c’est pas toujours facile.

 

Aya cligne des yeux, prise entre deux sentiments.

 

— Oui... on est cousin éloigné, ou un truc comme ça...


Elle jette un coup d’œil vers Souta.

 

— Oui, il fait ça… mais c’est pour nous aider. Et ça fonctionne.


Elle les observe tous les deux, un brin déçue.

 

— Je vous trouve pas vraiment reconnaissants… C’est grâce à lui qu’on est ici…

 

Souta pose ses coudes sur la table, son ton calme.

 

— C’est pas de l’ingratitude. C’est juste… que c’est pas un dieu.

 

Il tourne la tête vers elle, les yeux un peu plus doux.

 

— Je respecte ce qu’il fait. Mais j’ai pas à l’admirer pour autant...

 

Yu hausse les épaules en souriant, le regard toujours rivé à son bol.

 

— Moi j’suis reconnaissant. Il m’a donné une chance… mais faut avouer que parfois, il fait exprès d’être insupportable...


Il prend un air grave, théâtral.

 

— Peut-être que c’est sa vraie malédiction...


Il lance un petit clin d’œil complice à Aya. Elle le regarde sans tout comprendre.


— Moi je le trouve rigolo. Et gentil...

 

Souta ne commente pas tout de suite. Il fixe son assiette un instant, puis hausse doucement les épaules.

 

— Il est gentil, ouais... mais aussi dangereux quand il le décide. Il peut pulvériser n’importe qui en claquant des doigts...

 

Il tourne brièvement les yeux vers Aya, son ton calme.

 

— Faut juste pas oublier à qui on a affaire...

 

Yu fait tourner lentement sa cuillère dans son bol vide, l’air détaché.

 

— Mais bon… il t’écoute, toi, Aya. T’as la carte “immunité spéciale”, non ?

 

Un sourire moqueur mais sans malice traverse son visage.

 

— C’est peut-être un aspect caché de ton super pouvoir...


Aya fronce un peu les sourcils.


— Mais… pourquoi vous vous méfiez de lui ? Il n’a jamais fait de mal à un élève… si ?


Souta sent son téléphone vibrer. Il le sort discrètement et lit le message de Megumi.


 

📩 Message de Megumi


Yu Min-Jae vous observait pendant ton entraînement avec Aya.

Il sait pour Kagenryū.

On pense qu’il a un lien direct avec Raku'en.

Notre atout est grillé.

Continue de jouer le jeu, mais sois sur tes gardes.

Et surtout : ne le laisse jamais seul avec Aya.


Souta ne bouge pas pendant trois secondes. Trois secondes où la tension de son corps devient presque invisible… sauf pour qui sait regarder. Puis il verrouille l’écran et le glisse dans sa poche. Ses doigts s'attardent une fraction de seconde dessus, comme s’il refermait une porte.

Lorsqu’il lève les yeux… Son regard n’est plus le même. Plus froid. Plus précis. Plus tranchant. Seulement, Aya ne le remarque pas.

Yu, lui… si.


Il relève la tête vers Aya, le visage parfaitement neutre.

— C’est pas une question de ce qu’il a fait, Aya. C’est ce qu’il pourrait faire...

Le ton calme, mais chaque syllabe pèse. Inconsciemment, Aya se redresse un peu. Il prend son thé, le porte à ses lèvres.

— Le danger, c’est pas toujours visible tout de suite. Parfois… il agit en souriant.

Son regard glisse très brièvement vers Yu. Un éclat imperceptible. Un avertissement muet.

Puis il revient vers Aya, adouci.

— Reste prudente. Toujours. C’est tout ce que je te demande...


Yu écoute tout ça avec un sourire tranquille. Mais derrière ses yeux, une tension s’allume comme une braise.


Aya incline légèrement la tête, un pli d’inquiétude sur le front.

— Heu… ça va, Yu ?

Sa voix est douce, mais son regard se fait plus concentré, scrutant quelque chose qu’elle n’a pas tout de suite identifié…

Elle l’a senti, pourtant : un infime tressaillement dans ses yeux, comme un reflet d’or qui n’aurait jamais dû s’y trouver.


Yu sursaute à peine, un mouvement si discret qu’il pourrait passer pour naturel. Puis il chasse le moment d’un rire léger, secouant la main comme pour dissiper une brume invisible.

— Hein ? Oui, ouais, t’inquiète. J’étais juste… dans la lune...

Il tapote ses tempes du bout de l’index, geste parfaitement calibré, presque trop fluide pour être spontané.

— J’ai rêvé d’un mochi géant qui me poursuivait avec une baguette ! Ça laisse des traces, tu vois !

Il rit doucement, mais ses yeux… Ils glissent ailleurs. Évitent soigneusement ceux de Souta.

Sous la table, ses doigts s’agitent un instant, nerveusement, une tension trop contrôlée pour être innocent.


Aya fronce légèrement les sourcils, plus attentive qu’elle n’en a l’air.

— Non mais… tes yeux… ils ont fait un truc étrange.

Elle le regarde sans ciller, penche un peu la tête comme si elle recalait mentalement l’image fugitive qu’elle a perçue. Elle a ce don étrange pour remarquer les détails que les autres ignorent.


Yu cligne des yeux, pris de court. Une fraction de seconde (vraiment infime) son masque se fissure. Puis le sourire revient, immédiat, bien trop bien placé.

— Mes yeux ? Mince… j’espère que je me transforme pas en chat sans le savoir…

Il passe une main derrière sa nuque, un geste trop typique, trop “humain” pour ne pas sembler étudié.

— Tu regardes trop de films d’horreur, Aya. T’inquiète, je suis toujours moi !

Il sourit. Le genre de sourire qui rassure, qui apaise, qui ne laisse aucune prise.

Pourtant, son pouce frotte le coin de son œil. Rapidement. Instinct de contrôle.


Souta ne dit rien, mais il observe, intense, immobile. Ses pupilles suivent chaque micro-réaction, comme s’il lisait une équation. Il décroise lentement les bras, presque imperceptiblement.

Tout en gardant un visage neutre, il glisse son téléphone sous la table et tape.



📩 Message de Souta à Megumi


Regard fixe. Pupille dorée. Court éclat quand Aya a parlé. Il a couvert. Je continue d’observer.


Ses doigts sont rapides, précis. Aucune hésitation. Il verrouille l’écran d’une pression silencieuse. Puis relève les yeux vers Yu, un sourire léger peint sur son visage. Poli. Parfaitement maîtrisé. Un sourire qui ne montre pas les dents, mais qui en laisse deviner le tranchant.

— Alors, Yu. Toujours partant pour ton entraînement cette semaine ? Le ton est neutre. Mais sous la neutralité… une invitation. Ou une mise à l’épreuve.


Yu relève la tête avec un air surpris, presque innocent. Mais dans son regard, une lueur passe, fugace, électrique. Il regarde rapidement son téléphone.

Il la chasse aussitôt, attrape son plateau et rit.

— Aaaah ! Nanami va me coller contre un mur avec son regard s’il voit que je traîne encore !

Il se lève dans un mouvement fluide, presque trop léger, comme s’il flottait au-dessus du sol.

Il sourit à Aya : un sourire doux, facile, chaleureux.

— On en reparle après, hein ? Faut que je survive à son aura de dépressif en costume, d’abord !

Puis il tourne brièvement les yeux vers Souta. Un regard d’une seconde. Un fragment de seconde. Invisible pour Aya. Un regard qui n’a rien d’un sourire. Ni d’une peur. Ni d’une provocation.

Un regard qui dit : Je t’ai vu me voir.

Puis, masque remis, clin d’œil joueur.

— T’as intérêt à venir aussi, hein. Il paraît que l’assiduité, c’est sexy !

Et il s’éclipse. Comme si de rien n’était. Comme s’il ne venait pas d’inscrire une guerre silencieuse sous la surface.


Aya le suit du regard, perplexe. Elle a l’impression d’avoir manqué quelque chose, un courant sous-jacent, un échange silencieux auquel elle n’a pas eu accès.

Elle finit par tourner la tête vers Souta, cherchant un repère.

— Il est marrant… mais il est bizarre, des fois.


Souta reste immobile une seconde de trop. Puis il souffle, son regard toujours fixé sur la porte où Yu a disparu.

— Aya… t’as un bon cœur. Et parfois, c’est ce qui peut te faire le plus de mal...

Il attrape calmement son plateau, se lève avec lenteur. Son ombre s’étire sur la table. Plus longue. Plus lourde. Son ton baisse d’un cran.

— Promets-moi juste de rester prudente. Même avec ceux qui te font rire...

Il détourne légèrement les yeux, comme pour masquer ce qu’il ressent. Ou ce qu’il craint.

— L’instinct, c’est pas de la paranoïa. C’est de la survie...

Un dernier regard, sérieux, chargé, bien plus qu’à l’habitude.

— Je voudrais pas qu’il t’arrive quelque chose...

Puis il tourne les talons. Silhouette droite, déterminée. Il ne se retourne pas.


Aya reste immobile, à moitié affalée sur sa chaise, le cœur un peu serré.

— Et il part… comme d’habitude...


Elle serre son livre, les paroles lui tournant dans la tête.

(Même de Yu ? Même de Gojo ? Même de tout le monde ?)


Elle secoue la tête, avant de quitter le réfectoire à son tour. Dans son silence, une pensée obstinée la ronge :

{Je dois me méfier de tout le monde ?...}

 



Rendez-vous samedi entre 20h et 22h pour la suite ...

Mais que va faire Aya ?...


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