Le Revers de L'Infini - Tome 2 : L'Eveil
[ Avant de commencer, n'hésitez pas à vérifier que vous n'avez pas sauté le chapitre 41 :) ]
La clairière repose sous une lumière laiteuse de fin de journée, parfaitement lisse, comme un décor attendant son acte. Rien ici n’a encore bougé, mais l’air porte une attente, un frémissement qui ressemble à une menace retenue.
Aya respire un peu trop vite, mais elle tient debout. Elle presse son livre contre elle, comme si le carton pouvait suffire à contenir la peur qui remonte déjà. Son regard glisse vers l’endroit où le cercle d’invocation va se former, une bouffée d’appréhension lui serrant la gorge. Elle ferme doucement les yeux.
— C’est bon pour moi, murmure-t-elle, même si sa voix tremble un peu.
À quelques pas d’elle, sa projection se détache comme une ombre consciente. Elle quitte la proximité d’Aya, se positionne plus en avant, droite, tendue comme un fil. Son contour vibre d’une aura fine, maîtrisée, presque insolente de calme comparée à celle qui l’a créée.
Megumi avance jusqu’au centre de l’herbe encore froissée. Ses chaussures écrasent les brins couchés par la présence précédente. Il ferme les yeux, laisse ses épaules s’abaisser très légèrement. Il faorme son mudra.
— Par l’épéé de Yutsuka j’invoque le général celeste impie, Mahoraga !
Sous ses pieds, le sol se voile d’ombre, comme si quelque chose en dessous relevait la tête.
À bonne distance, Gojo reste planté, bras croisés, silhouette blanche découpée sur le bord de la clairière. Un léger sourire flotte au coin de ses lèvres, la caricature parfaite de sa désinvolture habituelle. Mais derrière les verres teintés, son regard accroche chaque mouvement avec une précision presque trop nette. Une crispation infime lui remonte la nuque, un vieux réflexe qu’il croyait oublié. Ça ne dure qu’une seconde, imperceptible pour quiconque ne le connaît pas. Pourtant, lui sait très bien ce que son corps vient de lui rappeler : Mahoraga n’est jamais un simple exercice.
La terre se fend dans un grondement sourd, qui ne vient pas du son mais de la pression. Une bourrasque d’air froid, étrangère, les frôle. Mahoraga apparaît.
Le Général Céleste se dresse, colosse bardé de métal et de malédiction, sa roue gravée tournant lentement derrière lui dans un frottement d’acier. Sa présence écrase l’espace. Il ne rugit pas, ne bouge presque pas, mais le silence autour de lui est lourd comme un verdict. Ses yeux pâles, vides et pourtant dirigés, se tournent vers la projection. Il la jauge. Il reste immobile. Il attend.
La projection d’Aya avance. Un pas. Deux. Ses mouvements sont lisses, assurés, loin de la crispation de son originale. Elle incline légèrement la tête, geste de respect ou de défi, difficile à dire. Puis elle tend la main vers l’immense shikigami, paume ouverte.
Mahoraga répond. Presque rien. Un très léger mouvement de la tête, à peine un degré. Mais l’air se refroidit autour d’eux, comme si le monde venait de reconnaître quelque chose.
Megumi fixe la scène, les yeux légèrement écarquillés, la bouche entrouverte comme s’il allait parler puis se ravisait.
— …Il l’a reconnue.
À côté, Gojo penche très légèrement la tête, l’amusement chassé un instant par une curiosité vive.
— Merveilleux, murmure Gojo, plus bas.
Le temps semble se suspendre, jusqu’à ce que Mahoraga relève la tête d’un coup sec. Ses yeux blancs quittent la projection, glissent, et accrochent ceux de Gojo.
Un gémissement métallique parcourt son armure tandis qu’il se redresse, chaque plaque vibrant à l’unisson. Son bras se tord, et une lame d’énergie noire se forme, dense, brute, comme forgée de nuit pure.
Gojo remonte légèrement ses lunettes du bout des doigts, geste lent, presque nonchalant. Son sourire discret ne se défait pas, mais une nuance plus tranchante passe dans sa posture.
— Ah. Voilà. Je me demandais quand tu allais te souvenir de moi...
Aya sent le changement avant même qu’il n’explose. Sa peau se hérisse, son souffle se bloque. Elle projette instinctivement son double devant Gojo, comme une barrière vivante, mais la tension monte trop vite.
— NON, MAHORAGA !
Le sol éclate sous l’impulsion. Mahoraga bondit, toute sa masse projetée vers l’avant, lame levée. Son mouvement est un hurlement silencieux, une charge de pur instinct meurtrier, dirigée droit sur Gojo.
Mais Gojo claque des doigts pour renforcer l’infini autour de lui.
L’air se fige. Le vent meurt. Même les feuilles cessent de bouger. La lame s’arrête à un souffle du visage de Gojo, vibrante, suspendue en plein élan.
Gojo, impassible, comme si la scène se déroulait à travers une vitre.
— Impressionnant, commente-t-il. Tu fais encore des entrées dramatiques.
Un grincement étrange monte de la roue de Mahoraga. Son corps, pourtant figé par l’Infini, trouve un angle, un décalage. Il pivote à peine, détourne son bras, et frappe… de biais. Lame en arc. Il contourne l’Infini, cherche le point aveugle.
Trop rapide.
— T’es plus malin que t’en as l’air, hein !
Le choc fait imploser l’air autour d’eux. Une onde brutale traverse la clairière ; Gojo est arraché de sa position, projeté comme un projectile vivant. Son corps percute un tronc immense dans un craquement sourd, l’écorce explosant en éclats. Il disparaît un instant dans un nuage de poussière et de morceaux de bois.
Aya fait disparaître sa projection dans un réflexe de panique, les yeux écarquillés.
Megumi, lui, ne bouge pas d’un centimètre. Ses bras sont prêts, sa posture tendue, mais il ne lance rien. Il observe, mesure, attend le moment exact où intervenir serait nécessaire ou fatal.
Gojo émerge des débris en repoussant un morceau de tronc de son épaule. Il reste un genou à terre un instant, reprend son souffle, puis se redresse, un rictus accroché aux lèvres. Il lève un pouce, comme pour rassurer un public invisible.
— Okay... Il est… susceptible, ton shikigami.
Face à lui, Mahoraga reste campé, masse d’acier et de malédiction vibrante. Un grondement sans son semble remonter de sa structure, prêt à repartir.
— Mahoraga Stop ! ordonne Megumi.
Le mot claque dans l’air avec l’autorité d’un pacte. Le shikigami se fige net. Sa roue tourne encore une fois, puis ralentit. Toute la masse se dissout ensuite en particules sombres, comme de la poussière aspirée vers un autre plan. En une respiration, il n’en reste plus rien que l’empreinte lourde qu’il laisse dans les nerfs.
Gojo se redresse complètement, roule une épaule qui craque franchement, comme si les os protestaient. Il époussette sa manche avec un soin exagéré.
— Note mentale : l’invoquer avec un casque, la prochaine fois.
Il passe la main sur son manteau, retire quelques feuilles et poussières.
— Bon. Au moins, on a une réponse claire. Il l’a reconnue… Et moi, je vais devoir revoir ma stratégie de “présence rassurante”.
Aya avance d’un pas, le cœur battant encore trop fort. Ses yeux détaillent rapidement Gojo, comme pour s’assurer qu’il est vraiment debout, entier.
— Tu vas bien ?
Gojo lui adresse un clin d’œil tranquille, comme si l’arbre n’avait jamais existé.
— J’ai connu pire. Le sort inversé fait des miracles. Et puis, c’est pas un shikigami qui va m’envoyer à l’infirmerie.
Il laisse filer un sourire en coin.
— Lui, par contre… va falloir lui apprendre la politesse, Megumi.
Megumi les rejoint, les pas lourds d’une réflexion silencieuse. Son expression s’est fermée, les traits plus durs.
— Il t’a reconnu. Et il a attaqué quand même.
Il échange un regard avec Aya (une fraction de seconde) puis reporte son attention sur Gojo.
— Il réagit pas qu’à l’énergie. C’est comme s’il… se souvenait. Et si ce truc est vraiment lié à moi… j’ai pas aimé ce que j’ai vu dans ses yeux.
Gojo croise les bras à son tour, son air léger teinté d’une gravité plus discrète.
— Ces shikigami-là… ils sont pas stupides. Ils sentent les rapports de force. Et lui, il a capté que je pouvais le contenir s’il dérapait.
Il lance un regard en coin à Megumi, un sourire presque fatigué.
— Et entre nous, faut pas lui en vouloir. Moi aussi, j’me méfierais de moi à sa place.
Aya, toujours tendue, garde les yeux fixés sur lui.
— Tu lui as fait quoi, pour qu’il t’en veuille comme ça ?
Gojo hausse légèrement les épaules, comme si la question glissait sur lui.
— Honnêtement ? Rien. Je lui ai juste souri. Mais ma tête lui revient pas.
Un léger amusement revient.
— Ces esprits-là, surtout ceux de ce calibre… ils réagissent pas à ce qu’on dit. Ils réagissent à ce qu’on est.
Son regard va de Megumi à Aya, plus sérieux.
— Il a senti mon énergie, mon niveau. Et il a compris que je pouvais le freiner. Instinctif. J’ai un visage qui déclenche des attaques surprises. Charmant, non ?
Aya fronce un peu les sourcils, le livre toujours serré contre elle.
— Alors… pourquoi avoir accepté ? C’était dangereux. Et… il ne t’avait pas vu. C’est ta voix qu’il a reconnue.
Megumi acquiesce légèrement, reprenant le fil.
— Il a senti une limite. Gojo dégage une pression énorme. Trop, même pour un esprit de ce niveau. Il a attaqué parce qu’il pouvait pas la franchir. Pas par haine.
Il s’incline très légèrement, un respect discret dans le geste.
— Merci d’avoir encaissé, Satoru.
Gojo incline la tête, comme s’il acceptait un compliment et un reproche dans le même paquet.
— Fallait tester ses limites. Et j’suis là pour encaisser.
Son ton se fait plus doux quand il regarde Aya.
— Et ouais, c’est ma voix qu’il a reconnue. Les vieux fléaux… me portent rarement dans leur cœur.
Il laisse filer un soupir, puis échange un regard avec Megumi, mi-sérieux, mi-résigné.
— J’vais être honnête… J’ai eu de la chance que ce soit Mahoraga et pas Kagenryū qui m’ait foncé dessus.
Son regard accroche celui d’Aya, une lueur presque amusée au fond des yeux.
— Un seul shikigami incontrôlable, ça va. Deux ? Même moi, j’ai mes limites.
Il écarte les bras dans un geste de comédien.
— Enfin. C’était fun.
La clairière est encore lourde du passage de Mahoraga. L’air semble plus visqueux, chargé de ce qui vient de se produire. Les feuilles remuent à peine, comme fatiguées.
Aya baisse un instant la tête, puis relève les yeux vers eux, la culpabilité visible dans sa voix.
— Je suis désolée... Si ma projection avait réussi à le contenir, ça ne serait pas arrivé...
Megumi secoue doucement la tête, posture détendue mais regard sérieux.
— C’est pas ta faute, Aya. T’as rien fait de mal.
Il laisse un souffle traîner dans l’air, presque un aveu :
— C’est juste que ce shikigami… il ne répond à personne. Pas encore.
Aya repense à la scène, à cette inclinaison minuscule.
— Il a pourtant incliné très légèrement la tête vers elle...
Gojo, toujours bras croisés, suit la conversation avec un intérêt amusé. Un léger sifflement lui échappe.
— Exact ! Et ça, c’est encore plus intrigant... Va falloir creuser. Tu dois avoir un truc avec les Zenin, c’est pas possible !
Son sourire s’élargit, presque trop vif pour le moment.
Aya cligne des yeux, se tourne vers Megumi.
— Je comprends pas... quoi.
Megumi garde le regard accroché au sien, égal.
— Il faudra le refaire. Avec plus de précautions.
Son regard glisse vers Gojo, une lueur à mi-chemin entre reproche affectueux et complicité.
Aya inspire plus calmement, et un petit sourire timide finit par se dessiner.
— Et... bravo à toi. Tu n’as pas reculé.
Gojo éclate d’un rire bref, secouant la tête.
— Allez, fin de la récré. Retour express, version premium !
Il les dévisage tour à tour, tout à coup très sérieux dans sa comédie.
— Et si quelqu’un demande pourquoi j’ai failli me faire ouvrir comme une huître, on dira que c’était un stage pédagogique...
Megumi lève un sourcil, un sourire discret lui mordant le coin des lèvres. Il jette un rapide regard vers Aya, un éclat complice partagé dans le silence.
Aya répond sans détour, sa voix plus sûre qu’à l’arrivée.
— Personne ne saura ce qui a eu lieu ici. Donc pas besoin d’excuses.
Gojo la regarde de côté, un sourire amusé au bord des lèvres.
— Tu seras parfaite pour les rapports de mission, toi.
Il hausse les épaules dans un soupir exagéré, où filtre pourtant un vrai soulagement.
— Yaga a pas besoin de tout savoir… sauf si c’est déjà trop tard...
Son regard se perd un instant vers le ciel, comme s’il s’attendait à voir surgir une silhouette sévère derrière un nuage.
— Tant que Nanami fait pas un rapport minute par minute, on est bons.
Aya balaye encore la clairière du regard, comme si elle avait du mal à croire que tout ça venait vraiment de se produire.
— On retourne à l’école ?
Gojo hoche la tête, retrouvant d’un coup son enthousiasme coutumier.
— Absolument !
Il claque des doigts.
[En une fraction de seconde, la clairière disparaît. Ils réapparaissent dans la cour de l’école.]
Le changement est si brutal que l’air semble claquer. Le ciel familier, les bâtiments, les fenêtres éclairées, l’odeur de béton et de végétation apprivoisée prennent la place de la forêt. Les bruits lointains de l’école, étouffés par l’heure, reviennent timidement.
Megumi pivote un peu les épaules, comme pour chasser la tension, et laisse échapper un soupir discret.
— Quelle soirée...
Aya, un peu vacillante, regarde autour d’elle comme si elle s’attendait à voir encore la roue de Mahoraga au coin d’un toit.
— Je vais jamais m’y faire...
Elle tourne la tête vers Gojo, un petit sourire tremblant au coin des lèvres.
— Bonne nuit, Satoru.
Puis elle regarde Megumi, les yeux sincères.
— Megumi... merci. Pour tout.
Elle incline légèrement la tête, comme un salut silencieux.
— Bonne nuit à vous deux.
Son livre toujours serré contre elle, elle s’éloigne vers l’entrée du bâtiment, ses pas retrouvant peu à peu un rythme calme.
Gojo lui fait un signe de la main, léger mais chaleureux.
— Bonne nuit, Aya !
Le silence retombe un peu sur la cour. Gojo se tourne vers Megumi, et le masque léger s’efface sur son visage, remplacé par quelque chose de plus grave.
— Tu veux parler ?
Megumi reste un instant immobile, les yeux fixés sur un point indistinct dans l’obscurité de l’allée.
— De quoi ?
Gojo penche un peu la tête, sa voix se fait plus douce, sans trace de moquerie.
— De tes cauchemars.
Megumi inspire lentement, les mains regagnent ses poches. Ses épaules s’abaissent à peine.
— Pour ce que ça va changer... Mais ok.
Gojo attrape Megumi par l'épaule et le guide vers son bureau sans cérémonie.
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