Le Revers de L'Infini - Tome 2 : L'Eveil

Chapitre 44 : Ceux qui sourient trop souvent

3079 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 17/11/2025 20:52

[ N'oubliez pas de regarder si vous n'avez pas manqué le chapitre 43 avant de commencer, je publie systématiquement par deux ;) ]




La bibliothèque derrière elle, Aya traverse la cour d’un pas lent. Le soleil de fin de matinée projette une lumière claire, presque blanche, qui fait scintiller les pavés. L’air est tiède, animé de quelques voix d’élèves en pause, mais tout lui paraît lointain. Son livre serré contre elle, elle avance sans vraiment regarder où elle met les pieds. Son esprit tourne encore, trop vite pour suivre le calme autour.


Un peu plus loin, installé sur un muret baigné de lumière, Yu fait défiler l’écran de son téléphone d’un pouce distrait. Il ne relève pas la tête, mais un mince sourire effleure ses lèvres, le genre de sourire qu’on a quand on sait déjà qui approche.

{T’es toujours en train de chercher… Mais tu ferais mieux de pas trop trouver, Aya Shikama...}

À ses pieds, l’ombre tremble une fraction de seconde, comme un reflet mal réglé. Puis tout redevient parfaitement normal. Le soleil tape sur ses épaules. Le téléphone continue de défiler.


Alors, sans prévenir…


L’air change.

Un vertige court sous les pieds d’Aya. L’espace se tord, comme frappé d’une chaleur brusque. Et en un éclair, la cour baignée de soleil disparaît.

La lumière se brise. Shibuya. Les immeubles éventrés. Le ciel noir, les flammes qui lèchent les façades. Les cris, si nets qu’ils transpercent. La poussière brûlante sur sa peau.

— NON !!

Elle ferme les yeux si fort que ses paupières lui font mal. Son souffle se bloque. Elle se recroqueville presque, répétant comme une prière :

— C’est pas vrai… c’est pas vrai… c’est pas vrai...

Puis : un claquement sec dans l’air.

Les bruits s’effacent. La chaleur tombe. Le soleil revient, doux, haut dans le ciel. Le gravier de la cour, la tiédeur du vent, les oiseaux, tout à sa place.


— Ça va, Aya ?

La voix de Yu tranche dans le silence, légère, parfaitement posée. Il agite la main comme s’il venait juste de la remarquer.


Elle entrouvre les yeux, encore essoufflée. Son cœur cogne contre son livre. Elle scrute la cour, intacte, immobile.

— Ça va… je crois…

Elle tourne sur elle-même, à la recherche d’un mouvement qu’elle aurait manqué.

— Tu as vu quelqu’un passer ?


Yu penche la tête, comme surpris de la question.

— T’as l’air d’avoir vu un truc chelou...

Il jette un coup d’œil autour de lui, d’un geste trop bref pour être vraiment attentif.

— J’ai aperçu Panda, mais il faisait que passer...

Un mensonge glissé comme un souffle, sans la moindre aspérité.


— Ça va toi ? Tu es là depuis longtemps ? Demande Aya


Yu regarde son téléphone puis le range d’un geste souple.

— Depuis ma sortie de cours… donc… dix minutes, je dirais.

Puis il relève les yeux, sourire tranquille.

— Mais ouais, moi ça va… j’ai pas d’hallucinations...


Aya le scrute un instant. Ses mots tombent trop juste. Trop confiants.

— Comment tu sais que j’en ai eu une ?


Yu éclate d’un petit rire, naturel en apparence.

— À ta tête… On dirait que t’as vu un fantôme ou un mochi tueur. Tu verrais ta tête…

Puis il enchaîne, glissant vers autre chose.

— Tu faisais quoi aujourd’hui ?


Aya hésite une seconde.

— J’ai étudié à la bibliothèque. Et toi ?


— J’avais un cours de soutien avec Megumi. Il parle autant que son cousin… mais bon, il explique bien.

Il s’étire, baigné par la lumière.

— Par contre, il a une de ces tronche de déterré… On dirait qu’il sort d’une semaine sans sommeil.


Aya hausse les sourcils.

— Une tronche de déterré ? Je trouve pas… Il est plutôt mignon. Et très gentil.

Un sourire lui échappe.


Yu lève les mains, comme pour se défendre.

— J’ai pas dit qu’il est moche, hein. Juste… épuisé. Vise les poches sous ses yeux, sérieusement...

(J’ai été efficace. Elle est bien perturbée…)


— Il doit avoir des insomnies. J’irais prendre de ses nouvelles. Vous avez vu quoi au final ?


Yu soupire.

— J’étais seul, en vrai. J’ai du retard dans le programme japonais. Il m’aide à rattraper, en alternance avec Nanami sensei.

Il affiche un sourire tranquille.

— Le type a dix-huit ans et il fait déjà du mentorat… Pas étonnant qu’il soit crevé.


Soudain, une voix familière les interrompt :

— Hey vous deux ! Pas en train de sécher, j’espère ?

Gojo arrive depuis l’ombre fraîche du bâtiment, lunettes levées dans ses cheveux, un sourire nonchalant.


Aya lui rend un sourire sincère.

— Bonjour Satoru… Non pas du tout. On discute.


Yu hausse la tête, grand sourire.

— Bonjour sensei !

(Évidemment… il est toujours là quand il faut pas…)


Aya pose la question, discrète mais chargée de sens :

— Tu m’avais parlé d’un livre à me prêter… Tu l’as toujours ?


Gojo se stoppe une micro seconde et lui adresse un clin d’œil complice qui passe sous le radar de tout témoin inattentif.

— Le fameux livre ? Bien sûr que je l’ai. Tu crois que je rigole avec les classiques ?

Un regard bref, grave, glissé dans la lumière du matin.

— Passe à mon bureau. Je te le garde au chaud.


Aya hoche la tête.

— Merci. Tu me diras quand je peux venir...


Il penche la tête sur le côté, regarde Yu puis revient vers Aya :

— Fais attention à lui, Aya. Il a l’air sage, mais il a une tête à faire des bêtises quand personne regarde...

Puis, faussement autoritaire vers Yu :

— Et toi, tu devrais sourire plus souvent quand tu me vois. Tu savais que t’avais une tête à devenir mon élève préféré ?

Il laisse filer un petit rire en coin.

— Allez, je vous laisse débattre. J’ai des copies à faire semblant de corriger.

Il s’éloigne en sifflotant, les mains dans les poches.


Yu le regarde disparaître puis se tourne vers Aya.

— Un livre ? Gojo, sérieux ? Tu parles d’un manga, j’espère...

Un sourire joue sur sa bouche. Ses yeux, eux, cherchent autre chose.

— Il est plein de surprises, ce prof...


Aya rit, d’un rire un peu trop léger.

— Un livre où on parle de lui… tu te doutes.

Elle resserre un peu son livre à elle. Un geste de protection.


— Franchement, si Gojo est dans un livre, c’est sûrement dans la section fantasy surréaliste.

Puis il ajoute :

— Tu comptes vraiment le lire ?


— Mais non… c’est un livre qui parle des plus beaux combats contre les fléaux. Et lui, il en a fait plusieurs.


Yu tapote du pied contre une pierre.

— Ouais… il aime bien qu’on raconte ses exploits.

Un silence. Puis :

— Et toi, t’aimes bien les histoires de super-héros ?


— Satoru n’en est pas un, enfin...


— Mouais… t’as raison. Il parle trop pour un vrai héros.


Aya l’observe et change de sujet, un fil de méfiance naissant malgré elle.

— Tu as fait quoi avec Megumi alors ?


Yu secoue la tête.

— Il m’a corrigé sur deux-trois trucs…

Il sourit.

— Bizarre cette famille. On dirait qu’ils font de l’économie de mots…


Le téléphone d’Aya vibre.


⍌ Message de Gojo

Hey !

Si t’as rien dans 5 min, passe me voir. J’ai fini les copies. Et j’ai des mochis.


Elle le lit puis referme l’écran et reprend naturellement :

— Megumi est plus bavard que Souta, quand même.


Yu rit.

— Alors là… t’es la première à dire que Megumi est bavard. Succès secret débloqué.

Il ajoute, plus doux :

— T’as l’air de les faire parler, toi.


Aya incline la tête.

— Merci… J’essaie de pas faire ce qu’on m'a fait. J'aime parler à tout le monde.

Elle regarde l’heure.

— Oh… Satoru doit m’attendre.

Elle se relève, attrape son livre.

— On se voit après ?


Yu esquisse un sourire tranquille.

— Ouais… t’inquiète, je bouge pas.

Un instant, son regard se perd ailleurs, comme traversé par un écho qu’Aya ne peut pas entendre.

— À plus tard, Aya.


Elle répond d’un sourire doux et s’éloigne. Le soleil éclaire son dos alors qu’elle traverse la cour. Chaque pas semble chasser un peu la tension qu’elle portait.


Arrivée devant le bureau de Gojo, elle inspire longuement, pose la main sur la porte.

Et frappe.



Bureau de Gojo Satoru :


La voix de Gojo résonne derrière la porte, amortie par le bois, plus calme que d’habitude. Il y a encore ce grain joueur dans son ton, mais comme tenu en laisse.

— Entre, Aya.


Elle pousse la porte avec douceur. Le bureau l’accueille dans une lumière feutrée, filtrée par les stores tirés à moitié. Des piles de documents encadrent le bureau comme des remparts de papier ; une odeur de thé tiède flotte encore dans l’air.

Aya referme derrière elle. Son livre pressé contre sa poitrine tremble légèrement avec son souffle. Ses épaules semblent trop hautes, trop tendues.

— J’ai encore eu une hallucination... C’est la troisième fois.


Gojo soupire brièvement, pas de lassitude, plutôt un réflexe. Il désigne le fauteuil en face de lui du bout des doigts.

— Assieds-toi. J’t’ai gardé une place d’honneur. Et j’ai pas encore fait exploser le bureau, donc c’est un bon jour.

Le sourire qu’il tente manque d’éclat. Il se passe une main derrière la nuque, étire ses épaules comme si elles avaient porté trop de poids depuis le matin. En refermant un dossier ouvert devant lui, un léger froissement de feuilles ponctue le silence. Lorsqu’il relève les yeux, ses lunettes reflètent brièvement la lumière, puis son regard accroche celui d’Aya, plus incisif.

— Hmm... C’était quoi cette fois ?


Aya s’assoit, mais elle garde une rigidité dans la posture, comme si la chaise n’était pas tout à fait réelle.

— C’est pas le quoi qui m’inquiète… C’est qui était là avec moi.


Le ton de Gojo se pose, comme s’il refermait mentalement une porte derrière lui. Il passe du professeur décontracté à quelque chose de plus attentif.

— Quelqu’un d’autre a été témoin ?… Ou tu veux dire que quelqu’un a vu ce que t’as vu ?

Ses doigts se mettent à tambouriner le bureau, un rythme lent, irrégulier. Un tic presque invisible, mais révélateur d’une tension qu’il refuse d’avouer.


Aya inspire légèrement.

— Yu. Il était toujours près de moi quand c’est arrivé… sauf la première fois, avec toi. Et lui… il voit jamais rien.

Elle hésite, puis le regarde droit dans les yeux.

— Et tout à l’heure, il a deviné que j’avais vu une hallucination, avant même que je lui en parle...

Elle baisse encore la voix, comme si même les murs pouvaient trahir ce qu’elle dit.

— {il y a quelques jours.. j’ai vu un truc bizarre dans ses yeux}


Gojo s’immobilise, net. L’ombre de sa posture change. Il se redresse, pose les coudes sur le bureau avec une lenteur volontaire. L’attention est totale.

— Il était là à chaque fois… sauf avec moi. Et il savait avant que tu dises.

(La première fois aussi il était là mais toi tu l'as pas vu passer…)


Un silence passe, étiré, dense. Puis, d’une voix basse :

— Qu’est-ce que t’as vu dans ses yeux, Aya ? Même si ça paraît insignifiant...


— Une lueur. Jaune, dorée. C’est passé dans ses yeux, vite… Quand j’ai demandé, il a fait comme si de rien n’était.

Elle déglutit, l’inquiétude reflétée dans son regard.

— Ça veut dire quoi ?


Gojo reste silencieux une seconde de plus que nécessaire. Puis il inspire doucement, comme pour enrouler ses pensées dans du coton.

— Ça peut être un reste de technique… ou un automatisme. Mais ça veut dire qu’il contrôle pas tout. Ou qu’il veut pas qu’on sache ce qu’il contrôle...

Il incline légèrement la tête vers elle, sans détour.

— T’en fais pas, Aya. Continue d’être toi. Moi, je garde les yeux ouverts.


Elle laisse échapper un souffle presque imperceptible, mais mille tensions quittent ses épaules.

— Donc… ça veut rien dire de grave ? Je… j’ai pas besoin de me méfier de lui ?


Gojo hésite. Une véritable hésitation. Pas souvent visible chez lui. Puis il offre un sourire qui essaie d’être léger, mais son regard, lui, ne vacille pas.

— Disons… que si t’étais un fléau, t’aurais le don de t’approcher sans qu’on s’en méfie.

Il lève les mains, fuite humoristique maîtrisée, coin de sourire en renfort.

— Je te dis pas de t’éloigner. Juste : garde les yeux ouverts. Toujours. Même quand ça a l’air facile...

Le ton descend, plus intime, plus franc.

— Et si quelque chose cloche… tu me dis. Pas de filtre. Pas de doute. D’accord ? Et tu peux aussi parler à Souta ou Megumi tu sais.


Aya hoche doucement la tête.

— D’accord... mais… ça me stresse, de devoir me méfier.

Elle regarde le sol.

— Souta… il est souvent distant. Et quand on parle, il finit toujours par partir avant que je puisse répondre…

Puis elle relève les yeux, sincère :

— Megumi, lui oui… il est gentil.


Gojo laisse filer un sourire amusé, qui adoucit la pièce.

— Aaah Souta… Tu sais, ce genre de distance soudaine, les silences lourds, les départs précipités... c’est pas toujours de la fuite. Parfois c’est juste...

Un clin d’œil, fluide, efficace.

— ...de la timidité hautement inflammable.

Il se rassoit contre le dossier, bras croisés avec une nonchalance de façade.

— Je dis ça, je dis rien. Mais s’il commence à parler à son loup en murmurant ton prénom, faudra qu’on ait une vraie conversation tous les deux...


Aya rougit, sa prise sur son livre se resserre instinctivement.

— Il est gentil avec moi, souvent… ça suffit bien…

Elle détourne légèrement la tête.

— Et arrête… ne dis pas n’importe quoi…


Gojo écarte les mains, grand innocent.

— Eh oh, j’ai rien dit moi. Juste une observation scientifique… basée sur beaucoup trop d’années à lire entre les lignes !

Son sourcil s’arque avec un talent certain.

— Et puis t’as rougi en deux secondes. C’est toi qui t’enfonces toute seule, Aya... Je dis ça, je dis rien…


Elle souffle, mi-gênée, mi-amusée.

— Mais arrête…

Sa voix baisse.

— En plus… à cause de Souta, je doute de tout le monde maintenant. J’ai l’impression de devenir parano.


Gojo se redresse lentement, adoucissant tout son visage.

— T’es pas parano, Aya. Tu fais ce qu’on devrait tous faire : rester lucide.

Il croise les doigts devant lui, les mains posées sur le bureau.

— La paranoïa, c’est croire que tout le monde est contre toi. Ce que tu fais, c’est te demander à qui tu peux vraiment faire confiance. Et c’est pas pareil.

Le sérieux s’ancre en lui comme une ombre portée.

— Souta… j’ai appris à l’apprivoiser en presque 3 ans. Et je sais comment il fonctionne. Il fait ce qu’il peut pour te protéger. Il dit pas toujours les choses comme il faut… mais il t’écarte pas par indifférence. Il veut juste éviter que tu sois prise dans des choses qui le dépassent encore lui-même...


Aya baisse les yeux.

— Mais du coup, je doute de tout le monde... J’ai même demandé à Megumi hier si je pouvais lui faire confiance...

Elle grimace, coupable.

— J’aime pas être méfiante.


Gojo incline la tête, un sourire doux lui traversant les yeux plus que la bouche.

— Se méfier, c’est pas un défaut. C’est comme garder un parapluie dans ton sac. Tu veux pas qu’il pleuve… mais si ça arrive, t’es pas trempée.

Il sourit légèrement.

— Et t’inquiète pas trop. Le jour où tu deviendras vraiment parano, tu viendras pas m’en parler. T’auras déjà décidé que j’étais un imposteur.


Aya le regarde, faussement agacée et soupire.

— Toujours des grands discours…

Elle se lève, serrant son livre comme un point d’ancrage.

— Merci, Satoru… Je vais essayer de me débrouiller avec tout ça.

Elle esquisse un signe discret, puis quitte le bureau. La porte se referme doucement, ramenant le silence.


Gojo reste immobile un moment, le regard posé sur le bois encore vibrant de son passage.

Son sourire s’efface. Une fine ride de concentration lui barre le front.

{Et surtout… fais gaffe à ceux qui sourient trop souvent...}

 

La porte se referme derrière Aya. Gojo ne bouge pas tout de suite. Il soupire, se passe une main dans les cheveux, puis rouvre le dossier posé devant lui. Quelques feuilles se détachent, vieilles, griffées d’annotations illisibles. Il lit en silence, les sourcils qui se froncent lentement au fur et à mesure. Un mot accroche son regard :

 

> « Assimilation ».

Un autre, plus bas :

« Corps hôte instable. »

 

Le papier craque entre ses doigts. Il referme le dossier d’un claquement sec.

 

— Fais chier !

 

Il attrape sa veste, la passe d’un geste rapide, et quitte la pièce d’un pas vif. Il tape nerveusement un SMS sur son téléphone en disparaissant dans le couloir.



Mais qu'est-ce qui met Gojo dans cet état d'urgence... ?


Rendez-vous mercredi entre 20h et 22h pour la suite...

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