Le Revers de L'Infini - Tome 2 : L'Eveil

Chapitre 47 : Faux semblants

2391 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 21/11/2025 20:18

Souta s’installe dans son coin habituel, à la table la plus isolée du réfectoire. Toujours la même place, toujours la même posture. Son plateau est posé avec une précision presque militaire, ses épaules baissées, son visage parfaitement neutre. Tout en lui dit : contrôlé. Tout en lui dit : inchangé. Mais son regard, lui, est plus dur que d’ordinaire. Plus vigilant.


Yu est déjà là, slalomant entre les tables avec une aisance décontractée. À peine aperçoit-il Aya qu’il accourt vers elle, son plateau à la main, sourire large accroché comme un masque trop brillant.

— Yo ! Alors, c’était bien avec Gojo ?


Souta capte l’échange du coin de l’œil, sans bouger. Le simple mouvement de ses pupilles suffit à montrer qu’il écoute tout.

Aya se redresse lentement, posture calmement calculée, sourire doux mais prudent.

— Oui… son livre est intéressant. J’ai été le déposer dans ma chambre.

Elle relève les yeux vers Yu, son expression lisse comme de l’eau reposée.

— Et toi, tu as fait quoi ?


Yu rit, faisant glisser machinalement son pouce sur l’écran de son téléphone comme si le geste faisait partie de son corps.

— J’ai joué. Pour changer.


Aya incline un peu la tête, presque amusée.

— Tu dois être fort, en jouant autant.


— Hm… ça va ouais…

Son sourire est large. Trop large. Souta l’observe sans ciller, l’air absent en surface, mais chaque micro-mouvement est capté.

Yu finit par le remarquer.

— Hey, Zenin ! Tu fais bande à part aujourd’hui ?


Souta lève les yeux une demi-seconde, hausse les épaules, puis regarde son plateau comme si la conversation ne le concernait pas.


— Ah… Ambiance… Lâche Yu avec un petit rire nerveux.


Aya jette un regard discret vers Souta, pour jouer leur rôle. Son expression se ferme juste assez.

{Laisse-le là où il est...}

Elle baisse les yeux, volontairement.


Yu la regarde, une lueur curieuse passant dans ses pupilles.

{Il est... pas intéressant ?}


Aya relève brièvement les yeux.

{Il me juge tout le temps... C’est fatigant à force.}

Sa voix reste neutre, mais ses doigts se serrent un peu plus sur son verre.


Rin déboule entre les tables, l’air jovial, ses cheveux attachés à la va-vite. Elle s’installe sans demander, posant son sac comme si son énergie seule prenait la moitié de la place.

— Salut ! Ça va, les copains ?


Aya lui adresse un vrai sourire, presque de soulagement.

— Salut Rin… ça va. Et toi ?


— Ça va…

Rin s’étire, exagérant le geste, ses os craquant légèrement.

— Quoi de neuf ?


— Des cours, et encore des cours…

Aya rit doucement.


— Hé ouais… On a même pas le temps de se parler entre deux…

Rin soupire, la tête déjà retombée sur son bras.

— Ça me manque grave !


Yu mange sans bruit, mais ses yeux glissent sur chaque échange, silencieux et attentifs malgré son apparente décontraction.

— Moi aussi !


Aya lui lance un sourire léger.

— T’as fait des missions, toi ?


— Naaaan… Et je m’ennuiiiie…

Rin laisse tomber son front sur la table comme si elle venait d’apprendre la fin du monde.

— Gojo nous punit ou quoi ?


Aya rit, attendrie.

— Ou alors on est trop efficaces, et y a plus de fléaux !


Rin rit aussi, plus fort.

— On est super prometteurs dans cette promo !

Elle lui fait un clin d’œil, puis se redresse brusquement, yeux brillants.

— Oh ! Tu sais quoi ?


Aya sourit, intriguée.

— Non, quoi ?


Rin gonfle le torse, prend une expression grave et solennelle.

— Megumi Fushiguro en personne est venu fraterniser à ma table l’autre jour ! Enfin sa date mais… Je crois pas te l’avoir dit !

Elle mime un halo autour d’elle.

— Mais ! Incroyable… Comme quoi on peut venir de chez Zenin et être un peu sociable...

Son regard file un instant vers Souta, très bref, avant de revenir vers Aya.


Aya répond naturellement :

— Oui ! Megumi est vraiment gentil.


Rin se penche vers elle, baisse un peu la voix.

{Il fait pas confiance à… }

Elle désigne Yu d’un petit geste du menton.


Aya cligne des yeux, surprise.

{Ah bon ? Bizarre… il m’a rien dit.}

Elle garde un sourire tranquille en direction de Yu.


Yu rend le sourire, trop calme, puis replonge dans son jeu.


Rin hoche lentement la tête.

{En même temps… Je suis assez… méfiante depuis votre retour de mission à l’hôpital...}


Aya fronce légèrement les sourcils.

{Pourquoi ?}


{Jsais pas… L’histoire avec ses yeux… Ce classe S qui fuit devant lui… J’ai jamais trouvé ça net…}


Aya répond avec son sourire apaisé.

{Il est super, son pouvoir.}


{Super louche, oui…}

Rin plisse les yeux.


À ce moment-là, Megumi entre dans le réfectoire. Ses pas sont réguliers, sa posture droite. Rien d’agité dans ses gestes, mais une tension sourde traverse son aura.

Il salue d’un signe bref Aya, Rin et Yu, puis va rejoindre Souta.

{Souta… Il faudrait que je te parle un peu plus tard.}


— Ok. Répond sobrement Souta.

Leurs regards s’entrechoquent une seconde, silencieux mais lourds de sous-entendus.


Aya sourit à Megumi.


— Hey ! Ça va, Fushiguro ? Crie presque Rin


— Oui. Et toi Enobara ? Répond Megumi d'un ton neutre.


Rin répond par un pouce levé, enthousiaste.


Yu relève les yeux, observe les deux cousins avec une attention calculée.

(Deux shikigamis puissants… Il m’en faudrait au moins un…)

Il sourit à nouveau, large, puis retourne à son écran.


Souta et Megumi échangent un regard parfaitement synchrone : même haussement de sourcil, même respiration retenue.


Aya, elle, mange calmement, son visage paisible. Trop paisible. Comme si le réfectoire entier n’était qu’une scène de théâtre où elle répète un rôle.


Et puis…


Gojo entre. Comme toujours. Comme un projecteur qu’on déclenche en plein milieu d’un repas d’élèves.

Plateau en main, démarche décontractée, sourire éclatant fixé aux lèvres comme une signature. Il se laisse tomber sur la chaise près d’Aya avec l’aisance d’un homme qui ne doute jamais de sa place.

— Aaaah ! Quelle journée !

Il s’étire, bruyamment.

— Bon app’ !


Aya sourit.

— Merci… à toi aussi.


Yu incline la tête.

— Merci, Sensei.


Gojo passe son regard d’elle à Souta. Le sourire devient narquois.

{Vous avez déjà rompu ?}


Aya devient rouge instantanément, surprise et agacée à la fois. Elle fronce légèrement les sourcils pour rester dans son rôle.

{Arrête de dire n’importe quoi…}


Gojo hausse les épaules, satisfait, puis tourne son attention vers Yu.

— Miiiin-Jaaaeee, mon petit geek préféré ! Ça te dirait une nouvelle mission, bientôt ? Genre trèèèès bientôt !


Yu rit nerveusement.

— Vous voulez ma mort, Sensei ?


(Et Gojo esquisse un sourire intérieur : Oui.)

— Mais non. Prends confiance en toi ! Je t’ai dit que je veux que tu deviennes mon préféré ! Fais un effort, enfin !

Il regarde Aya, et lui donne un petit coup de coude, faussement indifférent :

— Encourage-le, toi !


Aya pose les yeux sur Yu.

— Oui, Yu.

Elle sourit doucement.

— Je t’accompagne si tu veux… comme la dernière fois.


Yu marque un léger arrêt, surpris. Puis il sourit.

— T’as pas peur de rejouer les duos foireux, toi…

Puis, vers Gojo :

— Mais ok. Si t’es là, j’y vais.


Aya garde son sourire figé.

— Pourquoi j’aurais peur...

(Je me mets dans quelle galère, là…)


Gojo sourit, crispé.

— Ah, tu veux l’accompagner ? Charmant.


Une pause.

Puis il soupire dramatiquement.

— Très bien. Mais si vous revenez cabossés, c’est vous qui gérez les dégâts émotionnels.

Il pointe du doigt et menace Yu d’un ton trop léger.

— Tu veilles sur elle, ou je te réincarne en balai...


Aya laisse échapper un petit rire nerveux.

(C’est une menace, ça ?)


Yu ricane à moitié, puis son regard glisse brièvement vers Souta, une étincelle calculée dans les yeux. Il prend un ton léger, presque innocent, mais une tension sous-jacente fait vibrer chaque syllabe.

— Vous savez, Sensei…

Ton presque rieur, trop rieur pour être honnête.

— Si Aya vient, pourquoi pas lui aussi ? Souta. Il est plus fort que moi. Plus… rare aussi, non ?


Le mot rare claque comme une provocation polie.


Souta relève lentement les yeux, captant la pique avec un calme tendu. Ses doigts se crispent imperceptiblement sur son plateau. Son regard s’abaisse ensuite, mais son aura se resserre autour de lui comme un fil prêt à vibrer.


Aya réagit avant même d’y penser. Son dos se redresse. Son livre se serre contre elle d’un coup brusque. Son regard glisse vers Yu, soudain plus tranchant, plus froid. Une tension nerveuse traverse sa mâchoire.

La phrase tombe, nette, sèche, sans détour :

S’il vient… je viens pas.

Les mots claquent comme une porte qui se referme. Même le bruit du réfectoire semble se couper une seconde.


Gojo cligne des yeux, surpris. Son sourire se fige une fraction de seconde, comme s’il évaluait aussitôt ce qu’il vient d’entendre. Puis son masque détendu revient aussitôt, trop vite, trop propre.


Souta, lui, ne bouge pas. Mais dans ses yeux, quelque chose se resserre. Une ombre. Une douleur qu’il étouffe avant qu’elle ne remonte. Il baisse légèrement la tête, reprenant son apparente neutralité, mais sa respiration se fait plus courte.


Yu sourit encore. Mais l’éclat n’est plus le même. Il y a une brève satisfaction glacée dans son regard, un reflet fugitif qu’il cache aussitôt derrière une grimace innocente.

— Je voulais juste rendre les choses plus intéressantes…

Sa voix sonne trop légère. Trop pressée de se justifier.


Souta inspire par le nez, lentement, puis lâche d’une voix sèche :

— Pas la peine de proposer mon nom si c’est pour provoquer...

Il ne regarde personne. Pas même Aya. Son ton est maîtrisé. Trop maîtrisé.


Gojo, lui, tape dans ses mains pour casser l’atmosphère, exagérant un ton jovial :

— Okaaaayyy, calmons-nous les artistes...

Puis, reprenant son sourire :

— Aya vient, comme prévu. Yu aussi. Et toi, Yu…

Sa voix tombe, juste un peu plus lourde.

— On reparlera de ton sens de l’initiative… plus tard.


Aya acquiesce.

— Ça me va.


Gojo repose son bol, se lève d’un mouvement vif.

— Bon. Surprise !

Il pointe du doigt Yu, puis Aya.

— Mission. Toi, moi… et Aya. Départ dans cinq minutes.

Clin d’œil à Aya.

— T’as pas ton sac ? Tant pis. Tu improviseras. Comme d’habitude.


Yu s’étouffe presque.

— CINQ minutes ?! Vous rigolez ??


Gojo s’éloigne déjà.

— Jamais sur les départs surprise ! Allez zou dans la cour ! Bougez-vous, c’est pas un pique-nique.


Souta lève les yeux vers Aya : le regard est bref, mais exprime plus que des mots. Prudence.


Megumi ajoute calmement :

— Soyez prudents...


Rin soupire en croisant les bras.

— Et comme d’hab, je suis pas conviée…


Aya, encore un peu sonnée, regarde rapidement Souta, puis se lève.

Elle répond à Rin :

— La prochaine fois, peut-être…


Rin lui lance un clin d’œil, léger, insouciant :

— Tu en fais davantage que tout le monde, de toute façon… Mais profite.


Mais dans la seconde qui suit, quelque chose se froisse dans Aya.

Son sourire vacille à peine, une fissure fine, presque invisible. Elle reste plantée là une demi-seconde de trop, le plateau encore en main, figée entre l’envie de répondre et celle de s’éloigner.

{…Tu dis ça comme si j’étais privilégiée. Ou… différente.}


La phrase de Rin a résonné bizarrement. Pas moqueuse. Pas blessante. Mais trop… appuyée. Ou trop facile. Comme si elle lui collait une étiquette sans lui demander son avis.

Aya baisse les yeux, le cœur serré comme si on venait de tirer un fil sensible.

{Je fais rien de spécial… Je fais juste… de mon mieux. Pourquoi elle dit ça comme si… j’étais pas comme eux ?}


Elle ne répond pas. Ne sourit plus vraiment. Elle se contente de tourner les talons, le plateau en main, ses pas soudain plus rapides. Elle traverse le réfectoire comme quelqu’un qui cherche une porte de sortie pour reprendre de l’air.


Rin la regarde partir, sans percevoir tout à fait l’ombre qu’elle vient de laisser derrière elle.


Yu la suit quelques secondes plus tard, traînant les pieds.

— À plus tout le monde !

 


Dehors...


Le vent est léger, presque tiède. La cour baigne dans une lumière de début d’après-midi

Aya attend, immobile. Les mains croisées sur son livre contre sa poitrine. Le cœur battant encore trop vite.


Gojo est déjà là, adossé à un poteau comme une affiche collée à un mur, lunettes sur le nez, mine tranquille.

Il regarde le ciel, puis murmure pour lui-même :

{Deux élèves, zéro motivation. J’ai connu des fléaux plus rapides que ça…}


Aya reste à ses côtés, silencieuse, concentrée sur son souffle.


Yu finit par arriver en traînant les pieds, l’air exaspéré d’être scolarisé dans cette école.


Gojo le regarde, un sourcil levé.

— Tiens tiens… Voilà mon courageux soldat… qui semble déjà regretter son inscription à l’école.


Yu soupire.

— J’viens pour survivre… pas pour briller.

Il se poste près d’Aya, mais garde une distance prudente.


Gojo tourne la tête vers elle, théâtral :

— Toi, toujours ponctuelle... J’vais finir par croire que je suis ton préféré, Aya.

Puis, d’un ton plus bas :

— Tu t’es assurée que personne vous suivait ? Genre... un Zenin un peu grognon qui déteste les missions groupées ?


Aya arque un sourcil puis vérifie d’un regard rapide derrière elle.

— C’est bon...


Gojo lève deux doigts.

— Bon...

Il claque les doigts. Le décor change...

 

 


 


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