Le Revers de L'Infini - Tome 3 : Labyrinthe
[Note]
On ne perd pas les habitudes ! Ce chapitre est le second publié aujourd'hui. Ne manquez pas le précédent ;)
Un grognement étouffé éclate dans le silence, comme un animal étranglé qui pousserait son dernier râle. Le sol se fissure. Trois fléaux jaillissent, masses de chair suintante, bavant des filets d’énergie maudite qui brûlent le sol à chaque goutte.
Maki pivote déjà son naginata entre ses doigts, un sourire sec étirant sa lèvre.
— Ceux-là, c’est pour moi.
Aya s’arrête net derrière elle. Ses doigts s’enfoncent dans la fourrure de sa peluche. Sa respiration s’accroche.
Un claquement.
Un bond.
Maki explose la distance en un clignement : Une lame, un arc de cercle, un souffle.
Trois coups. Trois cadavres. Ils s’évaporent avant même que leurs cris n’aient fini d’exister.
Sho siffle entre ses dents, main sur son fouet.
— Tu peux nous en laisser un ou deux, parfois. Histoire qu’on s’amuse aussi.
Les résidus d’énergie glissent dans l’air, avalés par le décor comme des insectes happés par une toile.
Yuta les suit un instant du regard, calme, grave.
— Elle augmente la pression. On dirait… une reproduction de Shibuya… celui de fin 2018… En tout cas ça y ressemble…
Son regard se tourne vers Sho, sérieux.
— Elle sait qu’on approche.
Sho déglutit en observant les murs, trop familiers. Trop déformés.
— Attendez… Vous voulez dire… Shibuya, Shibuya ?
Il avale sa salive.
— Celui que vous avez vécu… ?
Yuta baisse légèrement les yeux. Il ne répond pas. Parce que la réponse est évidente.
Devant, Gojo avance sans rien dire. Ses lunettes ne cachent rien de la dureté de son regard.
Il effleure un mur du bout des doigts. La matière tremble comme une peau vivante.
{Je reconnais ça. Les déchirures. Les courbes. Elle recrée l’enfer… scène après scène.}
Aya avance à petits pas, figée par l’horreur familière. La projection glisse tout près d’elle, réactive, nerveuse.
Les rues se tordent. Les virages changent de place. Les perspectives se brisent. Jusqu’à ce qu’ils atteignent un couloir éventré. Au bout, un portail noir pulpeux, respirant. Une ouverture organique. Comme un cœur malade qui palpite à l’air libre.
Megumi s’avance, les yeux fendus d’un éclat sombre. Un frisson court dans ses doigts.
— C’est là, dit-il.
Sa voix est basse. Tranchante.
— Ce n’est pas qu’une porte. C’est un passage mental. Elle le retient derrière ça.
Gojo serre le poing, un air de colère sourde au fond du regard.
— On le ramène.
Il avance d’un pas. Son aura tremble.
— Fin de partie.
Sho lance un regard vers Rin, inquiet, malgré son sourire habituel. Puis vers Aya, qu’il surveille comme une ombre prête à s’effondrer. Rin lui répond par un signe du menton, déjà préparée à frapper.
Gojo se tourne vers Aya.
— Tu pousses avec moi ?
Aya relève les yeux. Son souffle tremble, mais sa voix tient.
— D’accord…
Gojo incline légèrement la tête, un sérieux rare dans son regard.
— C’est nous deux qu’elle vise. Ça suffira à déclencher l’ouverture.
Aya inspire. Hoche la tête. Sa projection glisse à ses côtés, plus dense, plus nerveuse qu’avant, ses contours vibrant comme un animal prêt à bondir. Gojo pose une main contre la surface noire du portail. Aya l’imite. La matière froide pulse contre leurs paumes, comme un battement étranger.
Gojo murmure :
— À trois. Un… deux… trois.
Ils poussent.
Le portail hurle. Pas un son, un craquement d’espace, une plainte du monde lui-même. La chair d’ombre se déchire. Un souffle glacé jaillit, les engloutit, tirant la lumière en arrière. Une ouverture béante s’arrache au cœur du mur.
Rin invoque sa lance épineuse sans attendre ; les ronces crépitent, frémissant comme des serpents prêts à mordre.
Maki ajuste son naginata contre son épaule, un sourire froid aux lèvres.
Megumi avance d’un pas, forme un mudra, son loup de jade surgissant de l’ombre, poils hérissés, grognement grave.
Yuta effleure la bague de Rika du bout des doigts, l’air se distord subtilement autour de lui.
Sho arme son fouet, l’énergie maudite dansant le long du métal comme de l’électricité vivante.
Gojo passe le premier. Un éclat bleuté fend l’obscurité.
— On y va.
Aya resserre sa peluche contre elle. Sa projection prend la tête, translucide mais déterminée.
Et ensemble, ils franchissent la déchirure.
Ils entrent.
Dans ce qui n’est plus un monde.
L’air change aussitôt qu’ils franchissent la brèche. Il devient plus lourd, épais comme une vapeur qui colle à la peau. Le sol sous leurs pieds n’est ni solide ni liquide : une matière vitrifiée, craquelée, comme du verre chauffé à blanc puis brisé trop vite.
Rin fronce les sourcils, sa lance serrée entre les doigts.
— J’ai déjà vu des zones maudites… mais là, c’est autre chose. C’est… vivant.
Aya fait un pas, glisse, un spasme de panique traverse son regard, mais elle se rattrape, haletante.
— J’aime pas être ici…
Megumi se rapproche d’Aya, discret. Il lui tend la main.
— Si tu veux… accroche-toi.
Aya hésite une seconde, puis glisse sa main vient s’ancrer à son bras. Sa projection flotte à leurs côtés, frôlant le loup de jade dans un contact presque protecteur : deux entités qui se reconnaissant.
Yuta scanne les environs, son aura calmement étendue autour d’eux.
— Ce n’est pas juste un piège. C’est une mémoire… une réalité reconstruite. Celle qui lui appartient. Ou peut-être la nôtre.
Gojo avance lentement. Ses épaules sont droites, mais son regard s’assombrit.
— Elle ne l’a pas juste enfermé. Elle l’a piégé dans notre pire souvenir.
Personne ne respire. Le sol se déforme. L’air se fissure. Et devant eux, comme surgie d’un cauchemar mal recousu, une rue se matérialise.
Asservie.
Déformée.
Torturée.
Un panneau branlant oscille, lettres arrachées par un vent inexistant.
Shibuya.
Aya s’arrête net.
—Pourquoi… ici ?
Megumi se fige. Son souffle se coupe. Ses yeux, d’habitude durs, tremblent.
— Non… non. Pas encore. Pas ça…
Aya se tourne vers lui, la voix plus douce qu’elle ne l’a jamais eue.
— Ce n’est pas réel, Megumi. Respire. Elle veut te troubler.
Megumi ferme les yeux une seconde. Le loup de jade grogne pour lui, comme pour absorber sa panique.
Maki serre plus fort son naginata, la mâchoire verrouillée.
— Elle l’a enfermé dans Shibuya. Le vrai. Notre version. L’endroit où Gojo est tombé. Où tout a basculé.
Un silence.
Presque sacré.
Gojo s’arrête. Ses épaules se durcissent.
— Elle nous fait revivre l’enfer. Mais à sa sauce. Elle s’en sert pour l’écraser.
Un hurlement retentit soudain, au loin.
Sec. Humain.
Déchirant.
Aya sursaute, le son la traverse comme une lame.
Rin plante un pied en avant, déterminée, les yeux agrandis d’un mélange de peur et de rage.
— C’est lui. C’est Zenin. Il est vivant.
Gojo inspire profondément, son aura montant comme une marée.
— Alors on fonce.
Il tourne la tête vers eux, un éclat féroce dans le regard.
— Elle croit qu’on va subir l’histoire ? Qu’on va revivre notre défaite ?
Un sourire froid lui étire la lèvre.
— Elle se trompe.
Il fait un pas dans Shibuya.
Son ombre s’étire, tranchante, prête à découper la réalité.
— On va la réécrire.
Aya envoie sa projection en avant, fine comme un fil de lumière, glissant entre les débris de réalité. Elle reste, elle, cramponnée au bras de Megumi, le souffle trop court, l’aura serrée autour d’elle comme une armure fragile.
Mais l’instant bascule.
Un frisson colossal déchire l’air. Pas un vent.
Une vibration de l’espace lui-même.
KRSHHHHH !
Le sol gémit, gronde, se cambre.
Aya vacille, manque de tomber.
— Qu’est-ce que c’était… ?
Une première fissure trace un éclair sous leurs pieds. Puis une autre. Puis cinquante. Des lignes d’énergie maudite rampent, serpentent, explosent comme si Shibuya se réveillait sous eux.
Gojo pivote, bras tendu vers Aya, son aura jaillissant malgré lui.
— Reculez ! C’est un cloisonnement ! Elle veut nous séparer !
Sho bondit devant Rin, fouet déjà levé, prêt à mordre le premier ennemi.
— Essaie toujours, vieille peau !
Aya recule en tirant Megumi avec elle, le cœur en déroute, mais c’est trop tard. Sa main lâche.
Le sol se soulève. Les murs arrivent. Des parois noires comme de l’encre nocturne surgissent d’un seul coup, jaillissant du verre fissuré. Elles s’étirent comme des lames liquides, se tordent, montent, enferment, découpent l’espace.
Elles respirent.
Elles battent.
Elles vivent.
— NON !
Gojo écrase l’air d’un revers d’énergie, mais le mur se referme avant même que l’impact n’arrive.
Un basculement.
Une chute.
La gravité se déforme, les couleurs s’effacent, les sons deviennent des échos étouffés.
Le monde se retourne comme une page trop vite tournée.
Et en un clignement d’œil, il n’y a plus de groupe.
Juste des fragments de réalité isolés.
Trois lieux.
Trois dimensions.
Trois leçons imposées.
Gojo & Megumi.
Un duo impossible à briser… en apparence…
Aya & Yuta.
La clef et le bouclier.
La proie et le protecteur.
Ou peut-être l’inverse.
Rin, Sho & Maki.
Trois tempéraments explosifs.
Trois armes prêtes à mordre.
Trois cœurs qui refusent la panique.
La structure est cassée.
Le plan aussi.
L’unité vole en éclats.
Mais ils ne sont pas perdus.
Pas encore.
Parce que chacun d’eux, dans « sa cage »… sent encore la trace des autres. Comme une respiration lointaine. Comme un fil invisible qui refuse de rompre mais qui se discipe petit à petit.
Le jeu vient seulement de commencer.
Très loin au-dessus d’eux, là où aucune architecture ne devrait exister, une voûte démesurée se déploie comme un ciel inversé. Les lois de la gravité s’y délitent. Le plafond est un sol. Le sol est un gouffre. L’espace n’a plus de sens.
Et au bord de ce plafond impossible, assise sur une colonne brisée suspendue dans le vide, Raku observe. Ses jambes balancent dans le vide comme celles d'une enfant assise sur un muret. Ses yeux, eux, ne sont pas humains.
Saturés d'or. Profonds comme un puits sans fond. Réfléchissant chaque mouvement des exorcistes dans son domaine comme autant d’étincelles prêtes à s’éteindre.
Autour d’elle, la nuit respire.
Des dizaines d’yeux flottent, suspendus dans l’air comme des lanternes vivantes. Certains suivent les groupes séparés. D’autres scrutent Aya. D’autres encore, uniquement deux, restent fixés sur Souta, ailleurs, pris dans sa spirale.
Le murmure de ces yeux n’est qu’un frémissement. Un froissement de réalité.
Raku penche la tête, comme fascinée par ses propres jouets.
— Voilààà… soupire-t-elle dans un souffle chantant. Les pièces bougent enfin.
Elle lève la main. Un œil plus gros s’ouvre dans sa paume, immense, reptilien, vibrant.
— Gojo entre dans la zone… Megumi lutte avec ses ombres…
Son sourire s'étire davantage, cassant presque son visage.
— Yuta et Aya… oh, ça, ça va être délicieux.
Elle rit doucement. Un rire qui tombe en gouttes et se dissout dans le vide.
Puis, un murmure, aigu, clair, glacial :
— Que le jeu commence.
Les yeux autour d’elle clignent en même temps, comme un seul battement monstrueux.
Et le domaine se resserre, se tord et se referme sur ses proies.
Raku baisse les paupières, sourire tranquille.
— Vous n’avez aucune idée… de la profondeur de ce rêve. Parce-que… ça n’en est plus vraiment un…
La suite du cauchemar mercredi soir entre 19h et 22h...