Le Revers de L'Infini - Tome 3 : Labyrinthe

Chapitre 5 : Le vide qui appelle

2007 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 05/12/2025 20:00

Le vent se coupe. Pas progressivement, d’un coup, comme tranché net par une lame invisible.

Nuë bat encore des ailes, mais son vol se met à ralentir, comme si l’air lui-même devenait… épais, lourd, visqueux.


Megumi sent quelque chose se coller à sa peau. Pas une température.

Une présence.

Il tente d’inspirer, mais l’air lui entre dans la gorge comme du goudron tiède.

— …Quelque chose cloche.


Nuë descend légèrement, cherchant de l’espace libre. Le jeune exorciste lève les yeux… puis baisse le regard. Et là, en contrebas… Trois silhouettes. Perdues dans une clairière saturée de brume.

Maki, Rin, Sho.

Leurs silhouettes floues, déformées comme vues à travers un verre d’eau sale.


— Ils sont… là ? murmure Megumi, incrédule. Il fronce les sourcils. Quelque chose ne va pas.


Ils lèvent les bras vers lui.

Ils crient.

Mais leurs voix lui parviennent tordues, comme noyées dans un liquide invisible.

Pas un son clair.

Pas un mot net.


Juste une vague de détresse, étranglée, incompréhensible.

— Maki ? Rin ? Sho ? Vous… vous m’entendez ?


Rien. Juste des silhouettes fantomatiques qui s’agitent en bas… et l’air, autour de lui, qui se referme.


Un silence étrange monte. Un silence qui n’a rien d’un simple manque de bruit. C’est un silence vivant, gonflé d’une attente. Comme si quelqu’un… retenait sa respiration… juste derrière lui.


Nuë s’immobilise. Figée. Clouée en plein ciel. Megumi ne bouge plus. Son cœur cogne contre sa cage thoracique.

— …


Une voix glisse alors dans son dos. Chantante. Moqueuse. Trop joyeuse pour ne pas être toxique.

— Wooooow… quel sérieux, Fushiguro. Même vu d’ici, t’as la tête de quelqu’un qui a oublié comment sourire.


Megumi ferme les yeux. Il n’a même pas besoin de se retourner. Il sait.

Non… Pas ici. Pas maintenant.

La présence se densifie, une ombre se matérialise derrière lui, non, sur Nuë. Comme si elle était montée à bord sans que personne ne la voie. La chouette géante, pourtant une créature forgée dans l’énergie et la volonté, reste figée. Le monde entier est figé.


Megumi tourne lentement la tête et la silhouette apparaît. Assise en tailleur. Un coude appuyé nonchalamment sur le dos de son shikigami. Un sourire trop large, trop propre, trop… mignon. Une mèche rebelle tombe devant son œil clair, oscillant au rythme d’un petit balancement enfantin. Il reconnaît ce sourire immédiatement. Son estomac se tord.


— Tadaaaa ! Tu me reconnais ? Je sais que tu me reconnais. La mèche, le petit rire flippant… Et ma passion éternelle pour les âmes bien fracturées…

Il incline la tête, un air presque timide, presque.


Megumi reste immobile, mais son souffle devient court.

— …Mahito.


Un rire cristallin secoue la silhouette.

— Ou peut-être pas ! Ou peut-être un peu. Ou peut-être que c’est moi qui joue à être lui… Qui sait ?


La peau du monde semble vibrer. Un mur lointain pulse comme un organe vivant.


Megumi ne répond pas. Sa mâchoire se contracte jusqu’à blanchir. L’autre s’approche, glissant plutôt que marchant, les mains jointes derrière le dos comme un professeur amusé.

— Allez, Megumi… T’as jamais rêvé d’un tête-à-tête avec ton trauma préféré ? Bon… Je suis pas le numéro 1, mais avoue… c’est sympa non ??? Il soupire avec nonchallance. J’aurais bien voulu t’en donner un autre mais… Il est occupé à jouer avec ton professeur.


Megumi forme un mudra.

Par réflexe.

Par instinct.

Il appelle l’ombre.

Mais l’ombre ne répond pas.

Elle se dérobe sous lui.

Se dissout.

Comme si une main invisible tirait un drap noir, lentement, inexorablement.


Nuë chancelle. Ses ailes se dissolvent en éclats d’encre. Megumi tombe. Le vide n’est pas un vide. C’est une matière. Une mer noire qui ondule comme une bête respirant sous lui.

Il tente à nouveau de former un mudra.

Encore.

Encore.

Rien.

Pas de shikigami.

Pas d’ombre.

Pas de prise.


Seulement cette voix douce, enfantine, qui glisse à son oreille comme un doigt glacé.

— Oh, Megumi… Il faut accepter l’évidence : tu ne peux rien invoquer ici. C'est un espace mental.


Un autre claquement de doigts.

Le décor ondule.

La mer noire monte.

Le ciel descend.

Tout se referme.


La silhouette se penche, ses jambes flottant dans le vide comme si elle ne subissait pas la gravité.

— Tu n’as plus de sol. Plus d’ombre. Plus de refuge.


Elle sourit. Un sourire déformé par une joie presque sincère.

— Tu n’as que moi… Tu sens ? Ce n’est pas le néant. C’est moi.

La voix danse, serpentine, vivante. Elle glisse autour de Megumi comme un fil de soie imbibé de toxine.

— Un petit clin d’œil psychique signé Raku. Édition spéciale Mahito. Rien que pour toi.

La silhouette fixe Megumi puis bascule la tête sur le côté, hilare. Elle joint les mains, imite une posture de moine extatique.

« Je t’ordonne, vil fléau, retourne dans les ténèbres d’où tu viens ! » Tu t’entends ?

Tu crois que ça fait quelque chose ? T’as déjà essayé de purifier un miroir ? C’est fun !

Essaye… allez !


Megumi ne bouge pas. Pas un pli de son visage ne trahit la peur. Juste une tension froide, une ligne d’acier dans sa colonne.

— Tu veux juste me faire perdre du temps.


Le sourire de Mahito, ou de ce qu’il représente, s’étire jusqu’à la folie.

— Perdre du temps ? Ohhh non. Je veux que tu décroches. Que tu glisses. Que tu craques. Que tu REALISES que tout ce que t’as bâti tient avec du chewing-gum et des illusions d’orphelin.


Il claque des doigts. Le monde se scinde. Autour de Megumi, les silhouettes apparaissent :

Rin.

Sho.

Aya.

Maki.

Yuta.

Panda.

Nanami.

Tous. Même Yuji.

Vivants. Puis fissurés. Puis disloqués. Leurs visages se craquellent comme de la porcelaine sèche. Leurs yeux implorent. Leurs bouches s’ouvrent en silence, avant que des hurlements déformés ne jaillissent. Des corps tombent en cendres. Des mains qui tentaient de le saisir se désagrègent devant lui.


Megumi tombe à genoux. Pas de sol. Pas de repère. Juste une surface glacée, invisible, qui se dérobe à chaque respiration.


Mahito soupire d’aise.

— Ahhh. Là. Ce regard-là. Tu vois ? C’est ça que je voulais. Le petit moment où le masque fissure. Le petit « oh merde » dans tes yeux. Ça me nourrit, Megumi. Et ton désespoir m’a tellement manqué…

Il tourne autour de lui comme un prédateur curieux, mains croisées derrière le dos, avec une douceur presque professorale.

— T’as quitté papa Gojo trop tôt. Vraiment trop tôt. Il t’avait pas fini. Regarde-toi : seul, perdu, coincé sur une chouette en carton…


Megumi serre les poings. Ses ongles s’enfoncent dans sa peau, le sang perle.


— …t’es pas fait pour voler, Megumi. Toi, t’es né pour tomber.

Une nouvelle gifle psychique. Gojo apparaît devant lui, à genoux, blessure béante, regard vide. Exactement la même scène. Exactement la même seconde.


Megumi sursaute. Pas de peur. De rage. L’image explose en tessons de verre noir.


— Maintenant qu’il est mort à cause de toi… Ben… il reste quoi ?

Mahito s’accroupit, pose les coudes sur ses genoux comme un gamin prêt à écouter une histoire.

— Hé. T’inquiète. Tu vas pas rester seul longtemps.

Il se penche, voix suave, presque douce.

— Tu vas aller rejoindre ton petit cousin…


Megumi relève la tête d’un coup. Son regard est sombre. Profond. Exact. L’ombre réelle de sa volonté s’y reflète.


Mahito sourit jusqu’aux oreilles.

— Famille un jour… traumatisée toujours.


Megumi parle enfin. Sa voix est grave, contrôlée, glacée.

— Tu n’es qu’une imitation. Un déguisement. Un bruit.

Il se redresse, lentement, malgré le sol qui se dérobe.

— Tu peux copier un visage. Un rire. Même une douleur…

Il avance d’un pas. La mer noire se plisse sous ses chaussures. L’espace grince.

— …mais jamais une âme.


Mahito approche son visage du sien, leurs nez presque collés. Son regard est luisant, déformé par l’excitation.

— Ohhh, Megumi… Si tu pleurais juste un bon coup… je pourrais même te tenir la main.


Un bref silence.


Puis il éclate d’un rire tordu, guttural, barbelé.

— Façon de parler, hein. J’ai pas besoin de main pour te broyer.


Le décor vibre. L’espace craque comme un os. Quelque chose arrive. Quelque chose de pire.

Une vibration suffit à rompre l’équilibre. À première vue, rien. Mais dans les profondeurs de ce domaine mental, la moindre secousse devient un séisme.

L’air se déforme. Le sol ondule comme une membrane vivante.

Une griffe d’un shikigami transperce l’espace, un flash blanc, une promesse de résistance, puis fond aussitôt, liquéfiée, avalée, effacée comme une erreur.


Megumi ouvre grand les yeux. Son souffle devient plus fort. Plus profond. Plus ancré.

J’ai pas fini. Sa voix n’est plus un murmure. C’est une ligne de vie. Pas ici. Pas comme ça. Pas encore.


Mahito, ou ce qu’il incarne, penche la tête, presque attendri.

— Ah… voilà. Le petit sursaut. La flamme. La dernière étincelle avant de s’éteindre.


Il s’approche. Trop vite. Trop près. Ses doigts se posent sur le front de Megumi. Deux doigts glacés, précis, posés exactement à l’endroit où Raku a imprimé sa marque sur Souta.

Touché.

Sa voix tombe comme un couperet.

— Tu es à moi.


Le sceau pulse — BOUM — une lumière noire, comme un cœur parasite. La marque se grave, brûle, ronge l’âme à vif. Le sol se déchire sous Megumi. Dans un craquement étouffé, la réalité l’engloutit. Il n’a même pas le temps de tomber. Il est avalé. Arraché au monde. Effacé.


—-


Au-dessus de cette scène, la peau de l’illusion se craquèle. Le décor se détache… Et la silhouette de Mahito se décompose comme une marionnette brûlée. Le simulacre fait place au véritable maître du jeu.

Raku émerge.

Raku adolescente.

Raku enfant.

Raku déesse du néant et du cauchemar.


Son rire résonne, clair, cristallin. Un rire innocent. Terrifiant.

— Encore une victoire pour moi… Gojo Satoru.


Elle caresse du bout des doigts l’air où Megumi a disparu, comme si elle effleurait un trophée invisible. Ses yeux scintillent, d’un éclat tendre. Presque affectueux.

— C’était facile. Il ne lui fallait qu’un peu de… pression.

Elle incline la tête, sourire carnassier.

— Maintenant…

Sa voix chute d’un ton. Plus glaciale. Plus intime.

— …il ne me reste plus qu’à trouver ma petite lumière. Aya.


Elle disparaît d’un coup, avalée par sa propre ombre. Et le domaine gémit. Un souffle invisible frappe l’air. Pas un vent. Pas une onde. Pas un choc.

Un vide.

Brutal.

Instantané.

Comme un battement de cœur qui rate sa mesure.



Partout dans le domaine :


L’espace vacille. Les murs respirent de travers. Les couloirs frémissent comme des nerfs exposés. Une onde sourde, plus une sensation qu’un bruit, traverse tout.

 

Quelqu’un vient de tomber...


Pas mort.

Pas blessé.

Pris.

Arraché.

Volé.

Tous le ressentent.

Même séparés.

Même perdus dans leurs illusions.

Même piégés dans leurs couloirs personnels.

Une secousse silencieuse.

Un fil qui casse dans l’ombre.

Un nom traverse chaque esprit, sans se dire : Megumi.


 


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