Le Revers de L'Infini - Tome 3 : Labyrinthe

Chapitre 7 : Failles

2397 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 07/12/2025 21:00

[Gojo & Sukuna]

 

Le sol fume encore, ravagé par l’affrontement. L’air tremble, saturé de résidus maudits. Gojo met un genou à terre, non pas vaincu par la force, mais par la seule chose qui pouvait briser le plus fort du monde : La peur de perdre ceux qu’il aime. Une traînée de sang glissant le long de sa tempe.  Son aura s’effrite comme du verre sous tension.

 


Sukuna s’avance, chaque pas résonnant comme un verdict. Un sourire acéré barre son visage.

— Le plus fort du monde qui recule… pitoyable. Tu fais honte à ton titre.


Gojo essuie le sang du revers de la main, un éclat de défi accroché au fond des yeux.

— Reculer n’est pas fuir. C’est éviter de crever pour rien. J’ai encore des élèves qui comptent sur moi. Mourir maintenant… ce serait juste du gâchis.


Un grondement roule dans la gorge de Sukuna, ses tatouages brillant d’une lueur affamée.

— Tu saignes, tu vacilles, et tu parles encore. Qu’espères-tu combler avec ces mots ? La faille que j’ai ouverte en toi ?


Gojo se redresse lentement, le souffle court mais la voix intacte.

— Les mots ne comblent rien. Mais ils rappellent une chose : une faille peut servir de porte. Et je choisis encore quand je la ferme.


L’aura de Sukuna s’embrase, oppressante, prête à frapper.

— Tu crois pouvoir te relever d’un affrontement avec moi ? Tu devrais ramper, supplier que je t’achève vite.


Un rire bref, presque doux, échappe à Gojo, malgré la douleur.

— Supplier…? Non. Tu confonds force et besoin de spectacle. Garde ta scène, roi des cadavres.

Il relève légèrement la tête, l’Infini palpant autour de lui comme une bulle prête à éclater.

— Mais retiens bien ça : le rideau n’est pas encore tiré.


Une lumière déchire soudain l’air. L’espace se replie, l’Infini se ferme en un battement. Et Gojo disparaît.


Sukuna reste seul, la main encore crispée, le souffle râpeux de frustration.

— Fuis, alors. Je te retrouverai. Et je ne pardonne jamais une humiliation.


 

----

 

Du côté de Aya et Yuta, les couloirs sont vides. Pas déserts, non : effacés.

Comme si quelqu’un avait arraché l’âme du lieu, laissant derrière lui un décor creux, étiré, malade. Les murs tordus dressent leurs angles difformes vers un ciel sans étoile, un ciel qui n’est même plus du ciel : juste une toile noire, lisse, sans profondeur.

L’air tremble encore du choc de tout à l’heure. Du vide laissé par Megumi. Du gouffre qu’ils ont tous senti s’ouvrir sous leurs pieds.


Yuta s’est figé au milieu de la rue distordue. Sa main serre la garde de son katana au point d’en faire grincer le cuir. Ses yeux balayent l’horizon, méthodiques, précis, affamés de signaux. Mais rien ne répond. Aucune forme. Aucun mouvement.


À côté de lui, Aya marche plus lentement. Ou plutôt : elle avance parce qu’elle doit avancer, mais chaque pas semble être pris dans un sable mental, lourd, collant. Elle sent encore ce choc froid au creux de sa poitrine, cette absence qui n’a pas de son, pas de cri, mais qui dévore l’intérieur comme un trou noir.


— Megumi… souffle-t-elle malgré elle.

La douleur revient. Sourde. Traîtresse.


Et puis…

 

BOUM.


Un coup sec.

Pas une explosion.

Une implosion.


L’air derrière eux s’arrache, projeté en sens inverse. Comme si quelque chose aspirait la réalité puis la rejetait d’un seul coup. Le sol gronde. Les murs se plient, se vrillent. La lumière elle-même se déforme, tordue en spirales aveugles.


Yuta vacille.

— Merde !

Il tend le bras sans réfléchir pour retenir Aya. Son poing s’accroche à son poignet au moment même où elle bascule en arrière. Elle manque de tomber, s’écrase contre lui, tremblante.

— Attention ! souffle-t-il, haletant.


Aya agrippe son manteau, le souffle coupé.

— Qu’est-ce qui se passe ?!

Elle a l’impression que le monde se retourne sur lui-même, que le sol respire comme une bête blessée.


La réponse arrive avant même que Yuta ne puisse ouvrir la bouche.

Pas un mot.

Pas une voix.

Une présence.

Le genre qui tue la lumière qui fait taire l’air. Qui donne l’impression que même la gravité hésite à rester.


Aya frissonne d’un coup, prise d’un vertige glacé.

— Elle… murmure-t-elle.

Ses yeux s’écarquillent.

— …Elle est là ?


Yuta serre plus fort sa main. Son bras s’avance légèrement devant elle, protecteur, prêt à trancher n’importe quoi. Son regard se durcit jusqu’à presque devenir celui de Rika.

— Reste derrière moi. Maintenant.

Le couloir retient son souffle.

 

Une déchirure sèche fend l’air. Pas une ouverture. Une cicatrice. La lumière implose vers un point précis… puis quelqu’un en tombe.


Gojo Satoru.


Il chute de quelques centimètres, suffisamment pour sentir qu’il n’a plus de sol sous lui pendant une fraction de seconde, puis s’écrase à genoux sur l’asphalte déformé.


Aya étouffe un cri.

Yuta se fige.


Ses vêtements sont déchirés sur les flancs, brûlés à certains endroits. Sa peau est zébrée de traits rouge sombre, comme si l’énergie maudite avait tenté de le lacérer de l’intérieur.

Et son aura…

Elle tremble.

Elle ne tourbillonne plus, ne danse plus autour de lui. Elle crépite par bribes, des éclats bleus trop courts, trop faibles. Des sursauts. Comme une flamme qui refuse de mourir mais qui n’a plus rien à brûler.


Gojo ne les regarde même pas. Il reste là, immobile, les mains posées au sol, les doigts encore crispés comme s’il venait de retenir quelque chose, ou quelqu’un, de toutes ses forces.

Un souffle lui échappe, brisé. Pas un gémissement. Pas un cri. Juste… un morceau de lui qui lâche.


— …J’ai merdé.

Sa voix est rauque, fendue. On dirait qu’elle a été grattée par du verre.

Puis il répète, plus bas, plus vide :

— Encore…


Son regard n’est pas sur eux. Il n’est nulle part. Perdu dans un point invisible, au-delà de la rue, au-delà du domaine. Ses pupilles, habituellement coupantes, lumineuses, sont ternies.

Comme s’il regardait une scène qui n’existe plus, mais qui continue de le dévorer. Il reste à genoux, le dos courbé, la main plaquée contre le sol brûlant d’énergie. Son souffle est haché. Son aura, déchirée par vagues, crache des éclats d’énergie instables.

 


Aya avance d’un pas, tremblante.

— Satoru…? Tu… tu es blessé ? Tu…


Yuta lui attrape discrètement le bras, lui murmure sans la quitter des yeux :

— Attends.


Gojo ne bouge pas. Il ne cligne même pas. Il respire. Mais chaque respiration semble un effort trop lourd pour un homme comme lui. Et dans ce silence écrasé, une vérité s’impose : Quelque chose a brisé Gojo Satoru. Pas son corps. Son esprit.

Il lève enfin les yeux. Lentement. Comme si chaque centimètre lui coûtait une année de vie. Son regard croise celui de Yuta. Puis glisse vers Aya. Il n’y a plus aucune barrière dans ses pupilles. On y lit tout : la lucidité du survivant, l’épuisement du maître, et surtout… une colère froide, sourde, prête à mordre.


Elle nous l’a pris.

Un souffle.

Et Megumi… aussi.


Il vacille. Sa main, ensanglantée, tremblante, s’écrase contre son genou dans un bruit mat.

La seule chose qui l’empêche de tomber.

Je vais la tuer, murmure-t-il. La phrase glisse comme une promesse, pas comme une menace.

Je vais tous les ramener. Mais… pas comme ça.


Le silence tombe. Une pulsation lourde traverse le quartier, comme si l’air lui-même voulait s’écarter.


Gojo redresse la tête. Peu à peu. Sa nuque craque. Son regard se durcit, redevient tranchant.

Aidez-moi à me relever.


Aya fait un pas en arrière, presque par réflexe. Pas pour s’éloigner : pour lui laisser l’espace d’exister à nouveau. Elle serre son loup, si fort que ses doigts blanchissent.


Yuta s’avance aussitôt, prêt à le soutenir.

Satoru… qu’est-ce qui s’est passé ?


Gojo ne répond pas. Pas tout de suite. Il prend appui sur l’épaule de Yuta, l’autre main sur le sol, et se redresse comme on remonte d’un gouffre. Chaque geste est douloureux. Visible. Humain. Une fois debout, bancal, mais debout, Yuta reprend :

Tu réponds pas. Ça va ?


Aya le fixe, tremblante, la gorge nouée. Elle attend. Espère.


Gojo baisse légèrement la tête vers elle. Quand il parle, sa voix n’a plus rien de l’insouciance habituelle. Elle est posée. Usée. Vraie.

Je suis désolé, Aya.

Un souffle.

Je devais le protéger…

Il ferme les yeux une seconde. Une ombre passe dans ses cils.

Elle sait exactement où frapper. Et elle ne te lâchera pas.


Yuta serre la garde de son sabre.

Mais qu’est-ce qu’elle t’a fait ? Comment t’es sorti ?


Aya, d’une voix brisée :

On va les retrouver. Et les ramener… on va…


Gojo inspire. Longuement. On dirait qu’il s’arrache un morceau de vérité en même temps.

Elle a rejoué la scène.

Un silence lourd.

Shibuya. Shinjuku. Sukuna. Mon erreur. Jusqu’au bout.


Aya blêmit.

Yuta se fige.


Le regard de Gojo se durcit davantage, une dureté glaciale qui rappelle le Gojo du front, pas le professeur.

Elle se nourrit de nos blessures. Et elle vient d’en rouvrir une que je croyais morte. Ce cauchemar que je pensais avoir laissé suffisement derrière.

Il relève la tête.

Droite.

Fière.

Malgré le sang sur ses tempes, malgré les tremblements.

Sukuna n’est pas une illusion.

Un battement.

Il est vraiment là.


Aya se couvre la bouche, un souffle étranglé.


Yuta pâlit. Son aura frémit, prête à surgir.


Gojo est debout.

Fissuré.

Mais debout.

Son regard s’ancre dans le leur :

— Je suis là.

Gojo se redresse encore un peu, ses épaules tremblent sous l’effort.

— Et elle veut qu’on craque. Un par un.

Il tourne la tête vers Yuta, et cette fois son ton devient sec. Pas blessant. Juste… urgent.

— On n’a plus le luxe d’attendre. Faut retrouver les autres. Maintenant. Avant qu’on soit les prochains à tomber.

 

Yuta hoche lentement la tête. Jaw serrée.

Aya, elle, baisse les yeux… puis relève lentement le menton. Elle tremble. Mais tient.

— Il faut pas la laisser gagner… On va la battre.

Un souffle.

— On avance depuis tout à l’heure… On cherche à sortir… mais… Il n’y a aucune issue…

 

Gojo claque la langue, agacé, pas contre eux. Contre lui-même. Contre elle.

— C’est une illusion.

Il ferme les yeux. S’accroupit. Deux doigts touchent le sol puis le mur. Un frisson bleu court dans le béton fissuré.

— Y’a toujours une faille.

Un choc silencieux. Une pulsation maudite.

 

Gojo ouvre les yeux. Ils brillent d’un éclat plus froid que tout ce qu’Aya a vu chez lui.

— Trouvé.

Il se redresse.

— Yuta, couvre l’arrière. Aya, reste collée à moi.

 

D’accord, murmure Aya, se rapprochant instinctivement.

Yuta s’ajuste derrière eux, katana déjà levé, ses muscles contractés.

 

Un craquement fend l’air. Une fine ligne argentée déchire la réalité devant eux, comme un fil qu’on tire trop fort sur du tissu.

 

Gojo esquisse un sourire en coin :

— On ne la laisse pas choisir notre route ni notre trajectoire.

Il avance d’un pas.

La faille frémit.

Hésite.

Résiste.

 

Aya recule d’un demi-pas, sa voix tremble :

— C’est un piège…

 

Gojo tend une main, puis la plaque dans l’air. Une onde circulaire pulse autour de sa paume.

— Elle verrouille…

 

Yuta observe la faille qui se tord sur elle-même, comme un œil qui refuse de s’ouvrir.

— C’est instable. Elle manipule encore l’espace.

 

Aya serre sa peluche. Son souffle se coupe. Puis elle inspire, profond, douloureux, mais décidé.

— Tu veux que j’envoie ma projection pour aider ?

 

Gojo ne la regarde pas, il est en bataille contre l’air lui-même, mais il hoche la tête.

— Vas-y. Moi j’attaque sous un autre angle.

Il fait craquer ses doigts, puis frappe la faille du plat de la main.

— Voile inversé. Réécriture partielle. Déchirement spatial…

 

Aya ferme les yeux. Sa projection glisse en avant, effleurant la faille comme une ombre vivante. Une pulsation traverse le couloir. Le sol vibre.

 

Ça réagit… murmure Yuta.

 

Et soudain…

KRSHHHHHH

La faille s’ouvre d’un coup sec, comme un œil qui se dilate sous la lumière.

 

Gojo souffle, un sourire sommaire.

— Parfait. Tu as amplifié mon sort. J’suis pas au top, mais ça… ça passe.

Il se tourne vers eux. Les regarde. Vraiment.

— On passe. Tout de suite. Avant qu’elle referme.

Son regard accroche celui d’Aya. Il y met tout ce qu’il peut encore tenir droit.

— Et n’oublie pas ce que t’as dit : on sort ensemble. Pas autrement.

 

Aya attrape la main de Yuta. Elle serre fort. Très fort.

— Tous ensemble…

 

Gojo hoche la tête, un sourire aussi bref qu’un souffle.

— Ouais. Tous ensemble.

 

Il franchit la faille. Le monde autour d’eux devient un tourbillon noir et violet. Une mer d’énergie en furie.

Tenez bon ! crie Gojo. C’est pas fini… mais c’est plus très loin.

 

Aya serre son loup contre elle, bouclier fragile mais indestructible. Sa projection flotte en avant, prête à absorber toute ombre.

Yuta les pousse, les protège, sabre levé. Et ils plongent ensemble dans la lumière déchirée.

 

 

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