Le Revers de L'Infini - Tome 3 : Labyrinthe

Chapitre 8 : Parasites

2922 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 07/12/2025 21:09

[ Note ]


 Avant de commencer, vérifiez que vous avez lu le chapitre précédent. On n’avance pas dans un domaine instable en sautant des étapes. Et je n’ai pas envie de fabriquer un autre panda pour rattraper vos erreurs. — Yaga




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Dans la clairière déformée où Rin, Sho et Maki viennent d’arriver, l’air vibre comme une corde prête à rompre. Le monde tangue imperceptiblement, un balancement malade, irrégulier. Les arbres oscillent sans vent. Les feuilles restent suspendues en plein mouvement, comme figées dans une respiration avortée. Quelque chose, quelque part, est en train de se briser.


Rin lève brusquement la tête, ses yeux se plissent, un frisson lui traverse l’échine.

Vous l’avez senti ?

Sa voix tressaille malgré elle.

— C’est comme si un truc énorme s’était effondré. Pas ici… ailleurs.


Sho fait un pas en arrière, ses doigts se crispent sur la poignée de son fouet. Un malaise sourd le traverse, une note discordante qui résonne dans sa cage thoracique.

— Ouais… j’aime vraiment pas ça.


Maki, elle, ne bouge presque pas. Debout, droite comme une lance, elle scrute l’horizon.

Chaque muscle est tendu. Ses yeux passent rapidement d’une ombre à l’autre, analysant, évaluant, anticipant.

Le voile bouge, dit-elle enfin, grave. Et cette foutue forêt se déforme encore. Je pense qu’un verrou a sauté ailleurs. Quelqu’un a forcé quelque chose. Ou quelqu’un est tombé.


Sho avale sa salive. Rin serre son arme plus fort, une tension glaciale lui serre la nuque. Un craquement sinistre secoue soudain le sol, un son d’écorce qui se déchire, de racines qui implosent. Entre les arbres, une lumière blanche-grise grésille, brutale, comme un fil électrique qu’on arrache d’un mur. Elle déchire la fausse canopée avant de disparaître.


Sho avance d’un pas pour se mettre devant Rin, par réflexe protecteur.

C’est quoi, encore, ce bordel ?

Il cherche une menace, n’importe laquelle, juste pour comprendre ce qui les frôle.


Maki plisse les yeux. Sa voix tombe, calme… mais déterminée.

— Hypothèse : Gojo a forcé une sortie quelque part. Et si un morceau d’illusion lâche, c’est peut-être notre seule ouverture.


Sho se tourne vers elle, un éclat d’espoir nerveux dans le regard.

— Tu veux dire qu’on a… une chance ?


Maki ne sourit pas. Elle avance. Une lame vivante.

On y va.

Elle serre la garde de son arme.

— Si elle nous observe, tant mieux. Qu’elle nous regarde bien.

Elle marque une pause, un souffle, une étincelle dans le regard.

On ne plie pas. Jamais.


Sho la suit immédiatement. Rin inspire, resserre sa prise sur sa lance… et avance à leur hauteur.


Sho serre son fouet, les phalanges blanchies par la pression.

Elle va le regretter.


Rin serre sa lance, chaque muscle tendu comme une corde prête à casser.

— On sera sans pitié, on va pas pardonner… Pas après Megumi.

Son souffle tremble, mais sa voix est d’acier.

Pas après Souta.


Ils avancent ensemble vers le flash. La forêt craque, se distord, respire contre eux.

À chaque pas, l’air se densifie, s’alourdit, comme si la réalité elle-même tentait de les repousser. Puis, d’un claquement sec, tout disparaît. Plus d’arbres. Plus de sol. Plus rien. Juste un vide blanc, aveuglant, infini.


Rin recule d’un pas, le souffle court.

Sho pivote, fouet prêt, les nerfs à vif.

Merde…


Une voix se déploie, douce, presque chaleureuse… mais saturée de venin :

« Vous êtes presque sortis… Mais vous avez oublié quelque chose. »

La vibration traverse leurs côtes comme un rappel brutal.


Soudain, une silhouette se condense devant Sho. Un corps familier. Trop familier.

Nanami.

Ou du moins… une copie. Son costume déchiré, son torse ouvert, la trace de la lame encore visible. Ses yeux, vides.

« Tu ne les protègeras pas, Sho. Tu n’es qu’un gamin avec un fouet et trop de colère. »


Sho se fige. Son souffle se brise.

Nanami sensei… ?

Impossible.

— Non… NON ! Je peux les protéger ! Je peux!

Il lève son fouet, mais sa main tremble tant qu’il peine à le maintenir. Son cœur cogne, cogne, cogne, comme une bombe prête à éclater.


À côté, une autre voix glisse dans l’air, douce comme une lame froide.

Maki se tourne.

Sa sœur.


Le visage de Mai. Les cheveux en désordre. Le teint livide.

« C’est toujours toi qui t’en sors, Maki. Toujours. Tu as volé chaque seconde qu’on m’a refusée. Je te déteste. »


La main de Maki vacille sur la garde de son arme. Ses doigts se crispent. Le naginata devient flou, irréel, comme s’il fondait entre ses phalanges. Elle ne cligne même plus des yeux.


Rin, elle, se retrouve face à… elle-même. Un miroir fissuré flotte devant elle. La version de l’autre côté est morte. Le regard éteint, creusé, vidé.

« Tu crois avancer, frapper, crier ? Tu retiens tout. Tu te caches dans le bruit. T’es juste paumée. »


Sa tête résonne. Sa gorge se serre. Elle pense fort comme une incantation.

Ce n’est pas réel.

Ce n’est pas réel.

CE N’EST PAS RÉEL.


Elle serre sa lance jusqu’à s’en faire mal. Et soudain, l’illusion explose. Le vide blanc se déchire comme une page brûlée. Le sol revient. La forêt aussi. Comme si rien n’avait existé. Mais leurs visages ont changé. Leurs respirations sont saccadées. Quelque chose… quelqu’un… les a sondés, écorchés de l’intérieur. Et s’est retiré.

Pour l’instant.


Rin est la première à reprendre son souffle.

Elle sait où frapper cette connasse.

Elle essuie son front.

— Et elle attend qu’on craque.


Maki ravale sa douleur, renforce sa prise sur son arme.

— Alors on ne craquera pas.


Sho secoue la tête, comme pour chasser les derniers échos de l’illusion qui lui collent encore au crâne.

Putain. C’était pas réel… Il passe une main sur son visage. Ses doigts tremblent malgré lui.


Maki observe ses propres paumes, les tournant, les refermant, comme si elle s’attendait à y trouver des traces de sang… ou de cendres. Son expression reste dure, mais un minuscule tressaillement sous son œil la trahit.

Elle fouille nos têtes maintenant.

Sa voix est basse, tendue comme un fil d’acier.

— C’est plus un combat physique. C’est une intrusion psychique. Elle ouvre nos souvenirs, nos failles… et elle a les clés.


Rin inspire profondément. Puis elle se frappe les joues, deux claques sèches, volontairement brutales.

J’vais lui éclater la gueule. Sa voix tremble d’un mélange de colère et d’effroi qu’elle refuse d’admettre.

Elle tourne vers les autres, le souffle encore haché.

Vous allez bien quand même ?


Sho ricane nerveusement, un son qui sonne presque faux.

— Ouais… Ouais.

Il déglutit.

— Mais j’vais faire des cauchemars pendant une semaine. Ou deux.

Son regard se pose sur Rin, inquiet.

— Et toi ?


Rin bombe un peu le torse, mais ses doigts restent crispés sur la hampe de sa lance.

— Ça va. Je crois.

Elle souffle.

— Enfin… je tiens debout. C’est déjà ça.


Maki, elle, reprend la marche. Son pas est sec, contrôlé, calculé. Elle ne leur tourne pas le dos, mais elle n’affiche aucune hésitation.

Elle s’imagine qu’on va s’effondrer, lâche-t-elle sans se retourner. Qu’on est aussi fragiles que ses foutues illusions.

Elle pivote légèrement la tête, un sourire dur étirant la commissure de ses lèvres.

Mais nos crânes sont mieux blindés que ça.

Elle ajuste son naginata.

— Et si elle veut jouer mental… on va lui montrer ce que ça fait de frapper contre une tête dure.


Sho esquisse enfin un sourire réel.

— Ouais. On est pas des pantins, nous.


Rin serre sa lance, l’énergie remontant dans ses bras.

— On avance.

Un éclat déterminé passe dans ses yeux.

— Et à la prochaine illusion, c’est elle qui va avoir peur.


Ils reprennent leur route, alignés, les silhouettes serrées, plus soudées qu’avant. Quelque chose en eux s’est fissuré. Mais quelque chose d’autre, plus dangereux, plus solide, vient de se forger.


Un bruissement fend soudain le silence. Un son humide, fragile. Puis un sanglot. D’enfant. Un murmure glisse entre les arbres, trop doux pour être rassurant.

« …Maman ? …J’ai froid… »


Sho se fige, son fouet se tend comme un serpent prêt à frapper.

C’est encore un piège… Une illusion…

Mais sa voix déraille légèrement. Ce timbre-là, ce tremblement, ça lui transperce la poitrine.


Rin pose un pied en avant, ses ronces frémissant autour de son bras.

Non. Là… je sens l’énergie maudite.

Elle inspire, crispée.

— C’est vivant. Ce n’est pas une illusion. Pas cette fois.


Maki lève le bras en travers d’eux. Un geste bref, autoritaire, sans un mot de trop.

Fléau. Haut rang.

Son regard se plisse.

— Mais elle le bride. Elle se retient.

Un avertissement. Une promesse.

Entre deux troncs se découpe une silhouette en robe blanche. Petite. Minuscule. Les pieds nus sur l’herbe gelée. Le dos tourné vers eux. Elle tremble. Des épaules jusqu’à la pointe des doigts.

Je veux rentrer à la maison…

Sa voix est brisée. Meurtrie. Inhumaine par sa fragilité même.

Elle pivote lentement.

Et son visage… non. Son masque. Les yeux sont deux puits d’encre liquide. Le sourire, démesurément large, lacère ses joues. Puis son cou craque, se déboîte. Un angle impossible.


Sho recule d’un pas, le souffle coupé.

C’est un film d’horreur, ce truc !


La créature répond.

Pas par des mots.

Par un spasme.

Ses bras s’allongent, les os craquent comme des branches sèches.

Son torse se fissure.

Puis s’ouvre.

Le corps explose en un amas de chair grouillante, de membres disloqués, de bouches qui n’en sont pas. Une bouche verticale se découpe au centre, garnie de dents en spirale.

Le sanglot d’enfant devient un hurlement.

Aigu.

Glacial.

Qui déchire la forêt distordue.


Autour d’eux, le sol se fissure.

Des bras pâles surgissent de la terre, cherchant des chevilles.

Dans la brume, des visages figés apparaissent.

Des yeux vides.

Des bouches cousues.

Ils murmurent en boucle :

« …Froid…

…Maman…

…Reste avec nous… »


Maki inspire profondément. Le sang maudit fait vibrer son arme.

Restez concentrés. Si elle l’a envoyé, c’est qu’on approche du cœur du domaine.

Elle pointe la créature mutante de son naginata.

— Et ça… c’est juste la porte d’entrée.


La forêt retient son souffle.


Formation ! ordonne Maki, la voix tranchante comme une lame.


Le groupe réagit instantanément.

Sho bondit sur la droite, son fouet claquant comme un éclair.

Rin pivote vers l’arrière, sa lance dressée, ronces vibrantes d’énergie.


Elle imite l’innocence pour qu’on baisse notre garde.

Rin déglutit.

C’est un leurre vivant !


Le fléau gronde. Un mille-feuille de voix d’enfants se met à hurler, pleurer, rire, se superposer.


« Rin… Pourquoi tu m’as laissée ? »

« Sho… Tu devais revenir… »

« Maki… Ils t’ont abandonnée. Encore… »


Les mots rampent sous la peau. Ils se glissent dans leurs oreilles. Dans leurs pensées. Dans les cicatrices qu’ils croyaient fermées.

Fermez vos esprits ! hurle Maki.

Elle frappe le sol du talon. Une onde de choc jaillit, fendant la brume comme une gueule béante.


Le fléau hurle, sa peau se distord. Des dizaines d’yeux s’ouvrent sur son crâne. Rouges. Larmoyants. Humains. Presque suppliants.

« Vous voyez encore clair…? Vous n’êtes pas comme les autres… Intéressant… »

Le sol explose sous ses pieds. La créature bondit, trop vite pour la logique, trop tordue pour être suivie du regard.


Sho ! Ton fouet ! crie Maki.


Reçu !

Il claque l’arme. Le fil d’énergie s’enroule autour du monstre, crissant contre sa chair. Il tire, les muscles tremblants.

Reste. Là.


Rin jaillit sur la gauche, portée par sa propre rage.

J’en ai MARRE des gosses flippants !

Sa lance traverse un bras désarticulé. Le membre tombe au sol dans une pluie de dents et de doigts. Le hurlement qui suit déchire la forêt.


Maki fonce, son naginata prête à frapper. Elle glisse sous la masse du fléau, pivote, et…

Mauvais choix de déguisement ma grande !

Sa lame s’enfonce profondément dans le torse. Un geyser noir jaillit, brûlant l’air autour d’eux.


Le fléau chancelle mais déjà sa chair remue, se reforme.


Elle se régénère ! prévient Rin.


On la finit ! crache Sho, resserrant l’entrave au point où ses doigts blanchissent.


Maki tire une dague de sa ceinture, la lance sans regarder.

Sho ! Transperce le avec nous !


Il la rattrape au vol.

Bondit.

Hurle.

CRÈVE !

Il plante.

Rin suit, faisant exploser des épines autour de son coup.

Maki frappe encore, et encore, et encore.


Le fléau convulse. Les voix d’enfants se mélangent en un dernier cri déformé :

« Je veux… je veux… rentrer… »

Puis il éclate. Une nuée noire jaillit, se dissipe en cendres qui fredonnent encore dans l’air.


Le silence retombe.

Lourd.

Cassé.


Sho se réceptionne en glissant sur un genou, haletant.

Il était coriace…


Rin tombe à genoux aussi, essoufflée, le cœur battant dans sa gorge.

Je crois que c’était le pire jusqu’ici…


Maki essuie sa lame contre son pantalon, impassible en apparence, mais sa respiration trahit l’effort.

Bien joué.

Elle rengaine, puis ajoute, plus dure :

Mais on reste pas ici. Elle va en renvoyer un autre. On bouge. Maintenant.


Rin se relève d’un bond, un sourire tendu au coin des lèvres.

Reçu, cheffe !


Sho, encore un peu pâle, glisse la dague dans sa ceinture.

Je te la rends plus tard. Merci Maki.

Il referme la marche, fouet prêt, tous les sens en alerte.


La forêt semble retenir son souffle. Et pour la première fois depuis longtemps… les trois sentent qu’ils se rapprochent du cœur.

 

Mais soudain… Le sol vibre d’abord comme une respiration douloureuse. Puis il tremble pour de bon, un soubresaut profond, animal, qui roule sous leurs semelles.


— …Encore ? grogne Maki.


Sous leurs pieds, une ligne blanche apparaît. Fine. Tremblante. Puis elle se met à courir, zébrant la terre, serpentant comme si quelque chose grattait le dessous du monde pour sortir.


— Hé, attendez… commence Sho.


Trop tard.

La fissure s’ouvre d’un coup, un flash violent les frappe. Un cri se perd dans la lumière. Le sol s’arrache, se dérobe, et une force les aspire vers le bas, vers le vide, vers rien. Ils n’ont pas le temps de tendre une main. Ni de respirer. Ni même de penser. Tout bascule. Ils sont projetés violemment contre un sol rugueux, comme recraches par la réalité elle-même.


Rin roule sur plusieurs mètres, sa lance ricochant sur des rails tordus.

Sho heurte un mur fendu, le souffle coupé.

Maki se réceptionne en glissant, genou au sol, dents serrées.


— …Aaaargh… putain… tout va bien ?! siffle Sho, cherchant déjà son fouet des yeux.


Personne ne répond tout de suite. Parce qu’ils reconnaissent. Tous les trois. Instantanément.

La chaleur lourde.

Les gravats fumants.

Les cris au loin, des cris sans voix humaine.

Les bâtiments éventrés.

Les lignes de métro arrachées, surgissant comme des os brisés du sol.


Rin se relève lentement, le regard écarquillé.

— C’est pas vrai… Pas ici… pas encore…


Maki serre la garde de son arme. Ses yeux deviennent deux lames.

Raku a copié Shibuya.

Pas le leurre qu’elle nous a montré avant.

Le vrai.

Le leurre parfait de leur enfer.


Elle avance d’un pas. La lumière tremble comme un souvenir brisé.


Sho déglutit, la gorge sèche.

— C’est… c’est Shibuya. Mais… pas celui de maintenant. Un Shibuya qui… n’a jamais existé comme ça. Encore le votre ? Comme à notre arrivée ?


Rin tourne en cercle, cherchant des points familiers :

— C’est… mélangé. Déformé. Comme si quelqu’un avait reconstruit l’endroit juste à partir de cauchemars.


Le vent brûlant transporte une odeur métallique. Le sol pulse comme une cicatrice mal refermée.


Maki murmure, grave :

— On est dans la tête de Raku. Ou dans ce qu’elle retient de la nôtre.


Sho serre son fouet.

— Alors… On survit. Et on avance.


Maki acquiesce. Un air sombre traverse son visage.

— Et on retrouve les autres. Avant qu’elle nous montre le pire.


Ils se mettent en marche. Le monde autour d’eux craque. Et Shibuya, le vrai, le faux, le rêvé, gronde comme une bête réveillée...




La suite mardi soir entre 20h et 22h...

Le cauchemar continue...

 

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