Le Revers de L'Infini - Tome 3 : Labyrinthe

Chapitre 9 : Reflets Fêlés

2926 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/12/2025 20:31

[Autre plan psychique, autre Shibuya]



Souta halète, les mains sur ses genoux, le souffle arraché comme s’il avait couru des heures. La ruelle autour de lui n’est qu’une caricature de Shibuya : trop étroite, trop longue, trop silencieuse. Les immeubles se plient légèrement, respirent, se contorsionnent comme des corps endormis sous des draps.

Le ciel au-dessus est noir… mais pas nocturne. Un noir de craie. Un noir « peint », sans profondeur.

Chaque respiration arrache un goût ferrugineux à l’air. Il tente de tendre la main. Son ombre suit d’abord… puis se fige. Se contracte. Comme si quelque chose lui tenait les chevilles.


Allez… !


Il force un mudra. Encore. Mais ses shikigami restent coincés dans la brume noire qui les avale à moitié. Leurs silhouettes remuent, lentes, engourdies, comme ralenties par une pression invisible.

— Tch… Elle m’a collé un verrou…


Sa voix se perd aussitôt, absorbée par les murs déformés.


Alors une voix tombe.

Douce.

Musicale.

Insupportablement familière.

— Tu t’épuises pour rien…


Il se redresse brusquement. Son cœur rate un battement.


Elle apparaît à gauche. Au début une silhouette floue… Puis des traits se dessinent, millimètre par millimètre : Aya.

Ou plutôt une version d’elle trop parfaite, un reflet. Trop lisse. Trop douce. Un sourire de porcelaine. Un regard aimant qui sonne creux. Elle joint les mains devant elle, pivotant autour de lui comme une danseuse d’ombre.

— C’est toujours aussi mignon quand tu te braques… murmure-t-elle.

Mais tu vas fatiguer. Et quand tu le feras… je serai là…


Le sol tremble à chacun de ses pas. Comme si la ruelle elle-même avait peur d’elle. Au loin, des cris de civils éclatent, se tordent, puis retournent au silence comme s’ils n’avaient jamais existé.


Souta serre les dents, garde les yeux fixés sur un point vide.

— J’ai pas besoin de toi… J’ai besoin d’eux…


Elle s’accroupit lentement devant lui, penche la tête comme une mère attendrie devant un enfant brisé.

— Mais ils ne viendront pas, souffle-t-elle dans un murmure presque chanté. Tu es tellement froid… tellement distant… Que personne n’a même remarqué ton absence.


Il fronce les sourcils. Une fissure dans son calme. Une ouverture.


Elle sourit davantage.

— Même elle… continue la fausse Aya. Tu lui as envoyé un message. Elle a souri, oui… puis elle a continué sa vie. Tu peux disparaître. Et le monde continuera de tourner.

Elle l’effleure du bout des doigts, juste à la tempe.


La douleur explose. Le sceau noir sur son front s’illumine, pulse comme un cœur étranger collé à son crâne. Souta s’effondre à genoux, les doigts agrippant le sol comme s’il voulait s’y accrocher pour ne pas être aspiré dans l’obscurité qui monte.


Une vision le déchire brutalement :

Gojo. Encore.

À terre.

Transpercé.

Le torse ouvert comme une page qu’on déchire.

Vivant encore.

Puis… plus rien.


Souta pousse un cri étranglé. La ruelle elle-même semble se tordre autour de lui, avide de sa détresse. Il reste à genoux. Son souffle se coupe net. Le monde pulse autour de lui au rythme du sceau noir — bam… bam… bam — un battement étranger qui recouvre le sien, qui cherche à se substituer à lui.


La fausse Aya, radieuse dans sa cruauté, s’accroupit devant lui, penche la tête avec douceur.

— Tu vois, Souta… Tout ce qui t’arrive est inévitable. C’est ta place. À genoux, dans l’ombre. À attendre que quelqu’un te remarque.

Elle approche une main de sa joue. La chaleur qu’elle dégage est fausse, trop parfaite, comme un feu peint.

— Et quand ils t’oublieront vraiment… tu n’auras plus que moi.


Souta serre les dents. Son cœur cogne contre les parois du sceau, un animal piégé qui refuse de mourir.

— Tais-toi… souffle-t-il.


Elle incline la tête, amusée.

— Oh ? Une protestation ? Encore ? Tu veux te relever ? Tu veux lutter ? Contre moi ?

Elle rit, brillant comme du verre qui se brise.

— Tu n’en as pas les moyens.


Souta tremble. Ses doigts s’écartent, cherchent son ombre… Qui pulse faiblement. Presque endormie, mais vivante malgré tout.

— Je… ne suis pas… seul…


La fausse Aya soupire, lasse.

— Si. C’est ça que tu refuses de comprendre. Tu as toujours été seul. Et tu le seras encore. Tu sais Souta… Tu es un mostre… Ton clan t’a enfermé et mis à l’écart pendant 4 ans parce-que tu es une erreur de la nature…  Et les Zenin avaient raison tu sais…

Mais ses paroles glissent soudain. Elles se heurtent à quelque chose.


Souta redresse un peu la tête. Son souffle se stabilise, très légèrement. Comme si une présence lointaine venait d’effleurer son esprit. Une chaleur. Un fil ténu.

 

Aya.

La vraie.

Vivante.

Terrifiée mais debout.

À sa recherche.


Cette sensation n’est pas un souvenir : c’est un écho instantané, né de la brèche qu’elle vient d’ouvrir en approchant la faille avec sa projection. Le sceau vacille d’un battement.

— Non… Non non non, murmure Raku dans la bouche de l’illusion.

Elle recule d’un pas, surprise.

— Elle est trop proche. Elle interfère.


Souta relève lentement la tête. Ses yeux brillent d’une lumière sombre, fragile… mais réelle.

Je t’ai dit… que j’étais pas seul.

Un souffle grondant traverse sa propre ombre. Pas assez pour invoquer. Mais assez pour fissurer l’espace juste devant lui, un craquement sec.


Raku grince des dents. Ce n’est plus la fausse Aya : son visage se distord, ses pupilles deviennent d’or sombre.

— Tu n’es PAS censé résister. Pas encore.

Elle s’approche violemment, la main levée.

— Rendors-toi.

Elle frappe son front. Le sceau explose de lumière noire. Souta crie. Toute la ruelle s’effondre sous lui.

 


—-

 


[ Prison psychique du néant]



Ailleurs… Dans un espace où même le concept de « sol » n’a plus vraiment de sens. Megumi ouvre les yeux. Sa respiration râpe contre sa gorge. Il tente de se redresser, mais le sol sous lui se dérobe légèrement, une matière spongieuse, élastique, humide, comme de la chair qui respire. Chaque pression de ses mains enfonce ses doigts d’un centimètre avant de les relâcher dans un ploc mou et gluant.


L’obscurité n’est pas un manque de lumière. Elle semble plutôt être un liquide épais dans lequel il baigne. Le sceau sur son front pulse. Très lentement. Mais assez pour qu’à chaque battement, un picotement glacé descende le long de sa colonne. Il inspire, sa voix rauque, brisée.


— Ce n’est qu’un cauchemar…


Le rire qui résonne n’a pas d’origine. Il glisse. Ondule. Se rapproche sans jamais être là.

Mahito. Ou un souvenir de lui. Ou Raku jouant dans son cadavre mental.

— Non, Megumi… souffle la voix, douce comme un chant d’enfant.

C’est bien plus que ça.


Il tente de se lever. Son genou s’enfonce dans la masse organique du sol, qui pulse sous lui comme un cœur géant. Une lumière faible se met à couler du plafond… avant qu’il réalise qu’il n’y a pas de plafond. Juste un vide qui s’illumine. Le décor se referme d’un claquement sourd. Une salle de classe apparaît autour de lui.


Les murs sont trop propres. Les fenêtres donnent sur… rien. Un blanc parfait. Et à un bureau, assis bien droit, un enfant.

Lui.

Megumi, version primaire, uniforme trop grand, cheveux sages, les yeux vides comme deux trous dans la réalité.


Mahito marche entre les rangées, traînant les doigts sur les tables comme un professeur bienveillant.

— J’ai déjà ouvert la porte, explique-t-il, avec la douceur d’un parent qui parle d’une bêtise.

Ce qu’on fait ici maintenant… c’est meubler. Pendant que tu te vides.


La gorge de Megumi se serre.

— Je vais sortir.


Mahito éclate de rire, un rire de cristal qui se brise, puis lui lance un regard presque attendri.

— Tu crois qu’un sceau, ça enferme seulement le corps ?

Il claque des doigts.


La salle se met à fondre. Les chaises coulent au sol comme de la cire brûlante. Les fenêtres éclatent sans bruit. Et une pluie tombe, mais pas sur lui. Sur l’enfant, qui reste immobile, l’eau ruisselant sur ses cheveux en silence.

Le sol murmure sous les pieds de Megumi, répète des fragments de phrases qu’il ne parvient pas à comprendre, comme si la terre elle-même tentait de l’aspirer.


Mahito flotte autour de lui, bras croisés derrière la tête, comme s’il se balançait dans un hamac invisible.

— Tant que ce sceau bat sur ton front, je peux tout faire. Tout. Et toi… tu ressens tout. Même l’impossible.

Il atterrit soudain juste devant lui, courbé pour être à sa hauteur. Leurs visages ne sont séparés que de quelques centimètres. Les yeux de Mahito brillent d’une compassion tordue, presque sincère.

— Tu sais ce que je préfère ? murmure-t-il. C’est que Gojo ne peut rien faire pour toi ici.

Il sourit plus largement, et ses dents changent à vue d’œil, trop nombreuses, trop longues.

— Tu voulais sauver ton cousin…? Te voilà à partager sa tombe.

Il tapote tendrement la tête de Megumi, exactement là où le sceau pulse.

— Et maintenant… c’est ton tour de disparaître.

 

Le décor se fissure autour de Megumi, comme si la réalité mentale elle-même ne supportait plus la présence de Mahito. Les murs coulent comme de la peinture trop diluée. Les pupitres fondent en flaques visqueuses. L’enfant-Megumi disparaît dans un souffle de fumée.

La pluie cesse. Puis…

Un bruit de pas. Des pas légers. Reconnaissables.


Megumi se fige.

Non.

Non.

Pas elle.


Mais la silhouette apparaît déjà, sortie d’un voile de lumière pâle. Tsumiki.

Pas celle qu’il a retrouvée. Pas celle qu’il a perdue. Une version douce, calme, celle d’avant tout. Avant la malédiction. Avant la chute. Elle lui sourit, ce sourire qui lui manque plus que tout.

— Megumi… Tu m’as retrouvé.

Sa voix est claire. Pure. Trop pure, dans un endroit pareil.


Megumi recule d’un pas, les poings serrés.

— N’approche pas.


Tsumiki penche la tête, tristement.

— Tu dis ça… à moi ?

Elle avance d’un pas.


Le sol sous ses pieds ne réagit pas.

Il ne pulse pas.

Il ne gronde pas.

Il accepte sa présence, comme si elle en était maîtresse.


Megumi serre les dents.

— Tu n’es pas réelle. Elle t’utilise.

Les yeux de Tsumiki s’emplissent de larmes.

— Tu me rejettes encore…?


L’air se glace.


Il tente de fermer les yeux, de respirer, mais la voix de Mahito revient, glissée dans son oreille comme un serpent.

— Tu vois…? Tu souffres déjà. Et je n’ai presque rien fait.


La salle se disloque. Elle s’étire. Devient une rue.

Shibuya.


Pas la vraie. Pas celle du monde extérieur. Une version émotionnelle, saturée de cauchemar.

Les lumières clignotent sans rythme, les écrans géants montrent des visages déformés.

Le sol est recouvert de fissures, brûlé par un combat qui n’a jamais existé… ou qui a existé trop souvent.


Tsumiki apparaît à quelques mètres de lui. Ses vêtements sont déchirés. Elle boitille.

— Tu n’es pas venu me chercher, Megumi…


Il ravale sa salive. Sa voix tremble malgré lui.

— Ce n’est pas… ce n’est pas arrivé comme ça.


— Si, murmure-t-elle. Tu m’as abandonnée avant même de savoir que je tombais.


Derrière elle, des cris d’agonie résonnent.

Les silhouettes des civils se tordent.

Certaines portent son visage.

D’autres celui de ses camarades.

Tout se mélange, se superpose, crée un Shibuya impossible et pourtant familier.


Megumi fait un pas vers elle, malgré lui.

— Arrête… Ce n’est pas toi.


Tsumiki lève les yeux. Ses pupilles, un instant, deviennent entièrement noires.

— Tu aurais pu me sauver.


Le sceau sur son front pulse. Une douleur aiguë lui traverse le crâne, l’oblige à mettre un genou au sol.

Mahito apparaît derrière Tsumiki, mains posées sur ses épaules comme un parrain bienveillant.

— Elle n'est pas réelle… mais la culpabilité, elle, l’est.


Tsumiki pose une main glacée sur la joue de Megumi, qui tremble.

— Tu m’as laissé mourir. Tu m’as laissé tomber. Tu recommenceras.


Megumi serre les yeux, sa respiration devient chaotique. Ses ombres se dispersent, incapables de se stabiliser.

— J’ai essayé… je n’ai jamais cessé d’essayer…


— Mensonge, souffle Tsumiki, ses doigts se resserrant. Tu n’essayes que quand il est déjà trop tard.


Elle le pousse. Il tombe au sol, comme un enfant. Un craquement résonne dans son esprit, net, violent.


Mahito éclate d’un rire clair. Un rire trop aigu, trop pur, presque enfantin dans sa cruauté.

Ses traits se fissurent un instant, et la véritable essence de Raku palpite sous la peau, comme un reflet de verre animé.

— Ah, Fushiguro… tu es en train de t’ouvrir comme un fruit trop mûr.

Il appuie son doigt sur la tempe de Megumi, qui tressaille malgré lui.

— J’adore ça. Tu n’imagines même pas à quel point.


Il tourne autour de lui en flottant, ses pieds ne touchent plus le sol. Son ombre, elle, s’étire jusqu’à englober celle de Megumi, la dévore presque.

— Tu vois… certains exorcistes résistent. D’autres crient.

Il penche la tête, comme fasciné.

— Mais toi, tu fais les deux à la fois. C’est délicieux.


Megumi serre les poings, les ongles plantés dans le sol visqueux. Il cherche un souffle, un point d’ancrage, mais la scène recommence à se tordre autour de lui : Shibuya implose, Tsumiki se désagrège en cendres, puis renaît aussitôt, éternelle et fragile.


Raku-Mahito claque des doigts.

— Regarde-la encore.

Il tente d’empêcher Megumi de relever les yeux en posant une main sur sa tête.

— Tu veux fuir, mais tu n’y arrives pas.

Il sourit, dévoilant une rangée de dents trop nombreuses.

— Ça veut dire que je suis déjà en train de gagner.


Megumi tremble. Le sceau pulse plus fort, comme un cœur étranger greffé contre son crâne. Raku pose son menton sur son épaule, enfantin, presque complice.

— Tu peux appeler qui tu veux. Gojo. Yuta. Maki. Même ta petite Aya.

Un rire glisse.

— Mais personne n’entre ici. C’est mon terrain de jeu. Et tu es mon jouet.

Il se redresse, recule d’un pas, les bras écartés.

— Allez, Megumi.

Son sourire devient presque tendre.

— Brise-toi.

Sa voix descend d'un ton, douce, presque chuchotée :

— Je ferai en sorte que ça fasse très mal…

Puis plus rien du tout.

 

L’ombre du domaine se resserre. Les rues de Shibuya se replient comme une mâchoire. Les immeubles se courbent, prêts à s’effondrer sur lui, l’espace tremble comme un organisme prêt à le dévorer.

Raku observe, sourire fin aux lèvres.


Megumi, à genoux, ouvre lentement les yeux. Il respire fort. Très fort. Pas de panique. Pas de supplication.

— …Pas question… de tomber là.

Il joint les doigts. Un mudra. Instinctif. Précis. Même si l’ombre sous lui vacille, même si le sceau pulse et brûle sa peau, il le tente quand même.

Shikigami… répond

Une douleur blanche lui explose dans le crâne. Le sceau pulse. Une fois. Deux fois. Ses mains tremblent mais il ne les baisse pas.


Raku incline la tête, amusée.

— Tu insistes toujours… C’est mignon. Tu étais plus soumis que ça en 2018...


Megumi grogne. Sa silhouette chancelle, mais l’énergie maudite se rassemble malgré tout autour de lui. Le sol se fissure. Une forme obscure tente de naître dans son ombre…

Un fragment. Une griffe. Un embryon de shikigami, fragile mais furieux.

Réponds… à moi…

Le sceau se met à briller d’un noir violent. Un choc sec le frappe derrière les yeux.


STOP

La voix de Mahito claque comme un verdict.


Tout ce que Megumi avait réussi à invoquer se pulvérise, dissipé en poussière noire. Il serre les dents. Sa vision se trouble. Mais même en tombant vers l’avant, il garde le mudra formé.

Comme un dernier acte de défi.

— Je… sortirai d’ici… Même… si je dois… t’arracher…


Ses mots meurent dans sa gorge. Le monde tourne. Le sceau pulse une dernière fois, écrase sa conscience comme une vague glacée.

Il s’effondre.

Pas brisé.

Pas vaincu.

Juste… arraché au réel.


Mahito s’accroupit à côté de son corps inerte, un sourire d’enfant cruel sur les lèvres.

— Endors-toi, Megumi. Tu sais te battre… Mais pas encore assez pour moi.


Il claque des doigts. Shibuya s’efface autour d’eux comme de la cendre balayée par le vent. Le sceau pulse douloureusement... Megumi perd connaissance dans un hurlement déchirant.

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