Le Revers de L'Infini - Tome 3 : Labyrinthe

Chapitre 11 : Jeu Absurde

3944 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 11/12/2025 19:18

Le monde se recolle autour d’eux dans un fracas sourd. Pas un atterrissage : une chute brutale, une expulsion, comme si le domaine lui-même les avait recrachés après les avoir mastiqués.

La première chose qui revient, c’est la chaleur. La seconde, c’est l’odeur : fer, cendre, poussière de béton brûlé. La troisième… c’est le silence. Un silence qui ressemblait trop à celui qu’ils connaissaient. Le silence de Shibuya, après la fin du monde.

 

Maki ouvre les yeux la première. Sa main trouve instinctivement la garde de son arme. Rin halète, roulée sur le côté, le souffle court. Sho pousse un long grognement en se redressant.

 

Il crache un juron, encore à moitié à genoux :

— Putain… j’en ai ras-le-bol des atterrissages surprises !

Il se redresse, dépoussière sa veste d’un geste nerveux, et regarde autour.

 

Les immeubles sont éventrés comme des carcasses. Des lampadaires tordus pointent vers le ciel tels des doigts cassés. Des pans de murs flottent encore dans l’air avant de retomber lourdement, comme si la gravité hésitait.

 

— C’est glauque comme endroit…, souffle-t-il, fouet déjà déployé.

 

Rin scrute la rue, ses ronces frémissant à l’extrémité de sa lance.

— On dirait Shibuya… mais en pire. Genre… encore plus mort.

 

Maki avance de deux pas, contrôlée, droite comme une lame.

— Une reconstitution. Un écho. Mais avec du vrai dedans. Trop vrai.

 

Sho fronce les sourcils :

— On est encore dans votre délire d’illusions collectives, là ?

 

Rin s’approche, sa respiration lourde, comme si elle attendait une attaque d’un instant à l’autre.

— On sait même pas si c’est un piège ou une sortie…

 

Maki hoche la tête sans quitter les ombres du regard.

— On bouge pas sans repérage. Ce lieu est piégé de souvenirs. Les siens… et les nôtres. Et peut-être de fléaux réels.

 

Sho roule des épaules, nerveux.

— Super. Gardons l’œil ouvert, alors…

 

Ils avancent prudemment. Leurs pas font craquer les bris de verre, mais le son ne se répercute pas. La rue avale les bruits, comme si elle refusait d’admettre qu’ils existent.

Puis… une silhouette traverse l’horizon. Rapide. Distordue. Humanoïde.

 

Maki s’arrête net, l’arme prête.

— Vous avez vu ça ?

 

Sho grogne :

— Ouais. Et j’ai pas aimé sa gueule…

 

Un souffle traverse la rue. Pas un vent. Une pression, comme un soupir froid le long de leur colonne vertébrale. Puis une voix glisse, masculine. À peine un murmure.

« Venez… Par ici… »

 

Sho serre les dents.

— Dans tes rêves, la folle…

 

Rin fronce les sourcils.

— C’est qui ?

 

Une seconde voix s’ajoute.

Plus claire.

Plus douce.

Féminine.

Connue.

 

« Rin… Sho… Maki… Je suis là… Par ici.

Vite… Gojo est blessé… »

 

Ils se figent.

 

Rin ouvre la bouche, mais aucun son n’en sort.

Sho pâlit légèrement.

— C’était… Aya ?

 

La voix revient. Encore plus proche. Plus nette. Comme si elle murmurait juste derrière leur oreille.

 

« Je suis avec Gojo et Yuta… On a trouvé une sortie… Mais Gojo est blessé… venez vite… »

 

Sho se tourne instinctivement vers la source, perdu.

— On doit les aider…

 

Maki lève une main, tranchante.

— Stop. C’est pas net. Gojo, blessé ou pas, n’aurait jamais laissé sa garde tomber au point qu’elle puisse nous parler à distance comme ça.

 

Rin secoue la tête, les yeux serrés.

— Et elle ne donne pas d’indication claire. Pas d’endroit précis. Aya, elle aurait dit « Est station Shibuya, côté sud », un truc direct. C’est pas elle. En plus… Gojo elle l’appelle Satoru… Pas Gojo…

 

Sho hésite.

— Ouais, t’as raison… et elle aurait envoyé sa projection…

 

Maki craque les doigts, un sourire dénué de chaleur au coin des lèvres.

— Elle teste. Ce qu’on sait. Ce qu’on espère. Nos points d’attache. Nos failles.

 

Rin souffle, serrant sa lance contre elle :

— Elle veut qu’on court. Qu’on fonce. Qu’on se disperse.

 

Sho grogne, mais cette fois, pas de bravade dans sa voix :

— Alors on court pas.

 

Maki hoche la tête.

— On avance. Ensemble. Et si c’était vraiment Aya…

Elle marque une pause, ses yeux s’assombrissant.

— …elle nous trouverait elle-même.

 

Un silence. Puis une décision muette passe entre eux. Ils tournent le dos à la ruelle effondrée. La voix s’éteint comme une flamme qu’on suffoque. Mais le doute, lui, reste, long fil noir accroché à leur gorge.

Les ruines de Shibuya s’étirent dans une lumière pâle, étouffée, comme vue à travers une eau stagnante. Les façades d’immeubles se gondolent, se replient sur elles-mêmes, oubliant leur forme comme un rêve qui se dissout. Le sol se fissure, grince, respire presque sous leurs pas prudents.

 

Sho ferme la marche, son fouet enroulé autour de son avant-bras, chaque muscle tendu. Son regard fouille chaque interstice, chaque ombre trop immobile.

— Elle veut nous rendre fous… Montre-toi, saleté..., grogne-t-il entre ses dents.

 

Rin, à l’avant, s’essuie le front d’un revers de manche. La sueur ne devrait pas exister dans une illusion, et pourtant, elle la sent. Réelle. Lourde. Elle scrute la rue, jette un regard à gauche, puis à droite.

— On tourne en rond. Ce bâtiment-là… je l’ai déjà vu deux fois. Je reconnais les fissures.

 

Maki s’arrête, son arme glissée contre sa hanche. Elle observe les structures tordues qui frémissent par instants, comme si quelqu’un inspirait au-dessus d’eux.

— Ce n’est pas un labyrinthe…, dit-elle calmement. C’est pire. C’est une illusion vivante. Quelque chose réécrit l’espace à chaque pas.

 

Sho gronde.

— Elle s’amuse bien avec nous. Ça se voit.

 

Un grincement fend l’air, un son trop long, trop humide, comme un verre qu’on raye avec un os. Puis la voix surgit. Douce. Féminine. Et tranchante comme du verre trempé.

 

« Vous êtes loin de votre roi… Mais vous avancez bien pour des pièces égarées… »

 

Un rire suit, léger, moqueur, comme une main glacée glissée dans leur nuque.

 

Sho cligne des yeux.

— Elle parle de Gojo Sensei, là ?

 

La voix serpente entre les murs, glisse le long des vitres comme un souffle.

« La cavalière… le fou du fouet… et la petite tour brisée. Quel trio adorable. »

 

Sho serre sa mâchoire au point de faire craquer ses dents.

— Tu vas voir ce qu’il te fait, le fou…

 

Rin réplique d’une voix forte, plus pour elle-même que pour provoquer :

— Et toi, t’es juste planquée derrière ton échiquier ! Ramène-toi si t’as des tripes !

« J’y viendrai… » murmure Raku, presque amusée. « Mais chaque chose en son temps.

Les sacrifices sont presque en place. »

 

Une bourrasque noire glisse le long du sol, remonte leurs chevilles comme un serpent curieux. Puis tout retombe. Le silence les avale. Un silence pesant, qui semble vouloir écraser leur cage thoracique.

 

Maki se crispe, imperceptiblement, mais Sho le remarque. Elle analyse encore, toujours.

— Elle jauge notre réaction. Elle teste nos failles. Mais elle évite le contact direct. Ça veut dire qu’on la gêne.

 

Rin observe ses paumes, où une fine pellicule d’électricité statique danse.

— Parfait. On continue d’avancer. Personne ne sera sacrifié.

 

— Exactement ! renchérit Sho. On reste ensemble !

 

Rin acquiesce, les yeux enflammés.

— Et au premier truc qui bouge, je l’éclate.

 

Sho tente un sourire, crispé mais sincère.

— J’assure tes arrières. Toujours.

 

C’est là que tout bascule. Sans prévenir. Le monde s’arrête. L’atmosphère se resserre en un écrin oppressant, trop petit pour contenir la réalité. Les éclats de verre suspendus dans la rue… cessent de tomber. Les feuilles figées dans les arbres vibrent à l’arrêt, comme frappées en plein souffle. Plus un éclat sonore. Plus un mouvement. Plus une vibration dans l’air.

 

La ville retient son dernier souffle.

 

Et les trois exorcistes comprennent, dans un frisson glacé, qu’ils ne sont plus seuls.


Sho cligne des yeux, le cœur tambourinant dans sa poitrine. Il y a… autre chose. Un silence qui ne ressemble pas au silence : un refus du monde de continuer à exister.

— Vous sentez ça ?


Maki recule d’un pas, son arme relevée, tout son corps visant déjà un ennemi invisible.

— C’est trop calme… trop… verrouillé.


Rin approche sa main du mur. Le béton palpite sous sa paume. Pas un tremblement. Un battement. Comme une peau vivante. Comme si la ville avait un cœur… et qu’il venait de s’arrêter.

— Ce n’est pas la ville, souffle-t-elle. C’est un domaine. On vient d’être piégés depuis un moment, sans s’en rendre compte.


Sho grince des dents.

— Depuis qu’on a franchi ce foutu portail. Rien n’est réel. Tout ça… c’est sa salle de jeux.


Une voix d’enfant retentit alors. Moqueuse. Carillonnante. Avec une joie trop grande pour être innocente.

— Bingo, grande sœur ! Bienvenue à la maison !


Les trois se retournent instantanément.


Un enfant est assis à l’envers sur un panneau suspendu, comme si la gravité avait décidé d’être polie avec lui seul. Sa tête pend légèrement sur le côté. Ses yeux sont deux trous noirs. Et son sourire… trop large, trop figé.


Sho se tend, lève le fouet.

— Descends de là…


— Personne ici n’est ta sœur, ajoute Maki, voix tranchante comme une lame.


L’enfant éclate d’un rire aigu.

— Moi, c’est Shigo ! Et aujourd’hui, on joue à « Détruis ton équipe ou tu meurs ! » Elle m’a dit que vous étiez marrants, alors je vais pas vous décevoir. Notre Reine adore quand ça criaille fort…


Maki resserre sa prise. Rin avale difficilement sa salive. Sho laisse claquer son fouet dans l’air. Le coup part, vif, maîtrisé.


Mais juste avant d’atteindre Shigo, le fouet s’inverse brutalement, comme tiré par une main invisible. Sho est arraché de ses appuis et projeté en arrière avec une violence sèche.

— A-AAAGH !!!

Il roule au sol, tousse, grimace, se redresse tant bien que mal.

— Aouch… fils de… ! Fais chier…


Shigo applaudit comme si on venait de faire un tour de magie.

— Règle du jeu ! ricane-t-il. Ici, vos armes se retournent contre vous ! C’est rigolo, non ? Alors… voyons ce qu’il reste quand on vous enlève vos joujoux.


L’ombre du sol se déchire d’un coup. Des cercles noirs s’ouvrent sous leurs pieds, comme des bouches affamées. Et lentement… terriblement… quelque chose en émerge.

 

Eux.


Ou du moins,

des versions d’eux.

Déformées.

Blessées.

Les traits étirés par la haine brute.

Des hurlements déchirant leur gorge inexistante.


Sho blêmit.

— Non… non non non… c’est pas vrai…


Sa copie avance, les yeux injectés d’un rouge fiévreux. Son fouet est hérissé d’épines, comme une bête préhistorique prête à lacérer.


Rin se fige. Son souffle s’arrête. Son reflet la fixe avec un mépris si pur qu’il en est presque physique.

— Putain… c’est quoi ce cirque ?!


Shigo saute du panneau et atterrit à l’envers sur un lampadaire penché, parfaitement stable.

— C’est un terrain de jeu psychique ! éclate-t-il, ravi. Et moi, j’suis l’arbitre ! Tant que vous doutez de vous… vous saignez.


Le décor tremble. Les doubles avancent d’un pas, puis d’un autre. Leurs yeux vides reflètent toute leur peur, toute leur rage, toute leur culpabilité, mais distordues, tournées contre eux.


Sho serre les dents.

— Faites-le taire ! hurle-t-il, incapable de supporter cette voix qui n’est pas la sienne mais qui pense comme lui.

Son double ricane, fouet tournoyant autour de lui comme un serpent de métal.

 

Les trois reflets se mettent à courir. D’un seul mouvement. Comme un seul monstre à trois têtes.

 

Sho, déjà en posture défensive, recule mais son double est plus rapide. Il lui saute dessus, fouet fouettant l’air comme une lame vivante.

— Putain !

 

Sho lève les bras pour se protéger.

Le choc arrive. Mais… pas celui qu’il attend.

Le fouet de son double s’arrête à un millimètre de son visage, tremble… puis se retourne violemment contre son propriétaire. La créature hurle, lacérée par sa propre arme.

 

Sho reste paralysé.

— Quoi… ? Comment… ?

 

Shigo rit, perché sur un lampadaire qui se tord sous lui comme un serpent.

— T’as oublié la règle, mon grand ! Vos armes se retournent contre vous. Mais ça marche dans les deux sens ! Plus vous doutez… plus EUX, ils se brisent.

 

Sho serre les dents.

Doute.

Colère.

Peu importe.

 

Il choisit la rage pure.

— ALORS DÉGAGE DE LÀ, IMPOSTEUR !!

Son double explose dans un geyser d’ombres.

 

Rin, elle, est en plein duel.

Son reflet imite chacun de ses gestes… mais en pire.

Plus brusque.

Plus haineux.

Plus rapide.

 

— Tu vas me copier encore longtemps ?! crache Rin.

 

Le reflet ricane, tordu.

« Tu n’existes pas sans moi. Tu fais semblant d’être forte. Tu veux juste qu’on t’aime. »

 

La lance de Rin dévie, son souffle s’étrangle.

— Ferme-la !!

 

L’autre frappe.

Rin bloque de justesse.

Un choc brutal lui traverse le bras.

 

Shigo applaudit.

— Oooh, elle tremble ! C’est mignon ! Quand elle doute, elle s’écroule…

 

Rin a les yeux qui brillent de rage et de honte mêlées. Elle inspire. Longuement. Comme si elle avalait la douleur. Puis elle répond, d’une voix grave, plus basse que tout à l’heure :

— C’est vrai. Oui. J’ai peur. Et alors ? J’ai SURVÉCU avec cette peur. Toi… t’es juste une image.

 

Elle frappe.

Un coup droit.

Simple.

Net.

Chargé d’une résolution pure.

 

Son double se fissure. Puis s’effondre en morceaux, comme une statue mal cuite.

 

 Maki, de son côté, ne bouge pas. Elle observe son propre reflet, immobile, debout à quelques mètres.

Pas un cri.

Pas un geste.

Un miroir vivant… mais brisé.

 

Le reflet parle, enfin.

« Tu n’as rien. Pas de techniques. Pas de dons. Pas d’héritage. Tu es vide. Tu n’es qu’un outil. »

 

Maki avance d’un pas. Puis d’un deuxième.

 

La voix continue :

« Tu te fais passer pour forte mais tu sais très bien que si tu avais été un peu différente, un peu plus… spéciale… ta sœur serait encore »

 

Maki approche rapidement puis attrape le double et l’étrangle de ses mains sans un mot.

 

Mais… Les doubles réapparaissent. Pas avec fracas. En silence. Comme s’ils sortaient d’un rêve malade.


Maki serre sa lance… son mouvement ralentit. Elle hésite. Son propre double la fixe. Il ne menace pas. Il ne charge pas. Il… l’attend. Le regard de l’ombre n’a plus rien de monstrueux.

C’est le regard d’une enfant oubliée, une Maki trop petite pour tenir une arme, trop seule pour tenir debout. Un regard qui dit : Pourquoi tu m’as laissée ?


Maki serre les dents.

— Il joue sur nos failles...

Sa voix tremble à peine, mais elle tremble.


Sho, lui, vacille. Ses jambes flanchent… puis, soudain, un rire nerveux lui échappe.

— Sérieux ? J’ai vraiment cette dégaine quand je suis en plein doute ?

Son reflet lui renvoie un sourire tordu, un écho de ses pires moments.


Rin détourne les yeux. Son double est là, ses ronces effilochées, la peau parsemée de fissures, comme une statue en train de se fendre.

— T’es qu’un gosse qui joue avec des allumettes, crache-t-elle au petit Shigo qui les observe depuis son perchoir. On est là pour cramer ton bac à sable !


Shigo soupire, presque attendri.

— Oooh… presque comme elle. La grande sœur perdue…


Rin blanchit un instant.

Sho serre le poing.

Maki se raidit.


Shigo sourit. Large. Tordu.

— Vous êtes de si beaux jouets cassés…


Sho rouvre les yeux, fixe son reflet. Il respire. Longuement. Puis il sourit. Pour de vrai, cette fois.

— Rien de tout ça n’est vrai ! Et j’en ai marre qu’on me serve mes états d’âme à la carte !


— Ignorez-les ! tranche Maki. Ils nous blessent parce qu’on leur donne de l’existence ! Si on les regarde… ils gagnent !


Rin serre sa lance, son regard devient tranchant.

— Parfait. On vise le vrai gosse. C’est lui le cœur du domaine !


— À trois, lance Maki.


— Un, répond Rin.


Sho ricane, geste théâtral :

— Mec, tes parents ont foiré ton éducation ! Deux !


Shigo écarquille les yeux, soudain inquiet.

— Attendez ! Vous…


— TROIS ! hurle Maki.

Ils foncent.


Shigo recule, surpris, presque paniqué. Il lève les bras.

— Non, non, non ! Vous avez trouvé la règle secrète ! Mais chaque pas vers moi… c’est une peur de plus ! Vous allez vous briser !


Le ciel devient miroir. Les murs aussi. Chaque surface reflète leurs visages déformés, leurs doutes, leurs cicatrices émotionnelles. Une présence plus vaste s’y glisse. Un murmure velouté.

Raku.


« Voyons jusqu’où iront les pièces que j’ai laissées libres sur l’échiquier… »


La voix est belle.

Envahissante.

Terriblement douce.


Sho hurle pour la recouvrir :

— VIENS ! On t’attend, la Reine de pacotille !


Le décor explose.


Les doubles se fissurent, fondent, se dissolvent comme des statues de sucre sous la pluie. Les miroirs éclatent. La spirale noire s’étire devant eux, vibrante, prête à céder.


Shigo recule près à partir en courant. Cette fois, il tremble vraiment.

— Quoi… ? Vous devriez avoir peur… Vous devriez être à terre !


Rin avance, sa lance levée mais son regard infiniment calme.

— J’ai peur, oui. Mais je la tiens en laisse. Contrairement à toi…


— C’est toi qui devrais courir te cacher ! balance Sho, le fouet crachant des étincelles.


Maki ne perd pas une seconde. Elle arme sa lance. Son geste est pur. Implacable. Parfait. Elle lance. L’arme traverse les illusions. Déchire l’espace comme un éclair. Et cloue Shigo au sol, épinglé comme un insecte sur une planche de collection.


Une explosion d’énergie jaillit.

— Fin de partie, gamin, murmure Maki en resserrant sa prise.


Sho, toujours haletant :

— Joli lancé…


— Merci, glisse-t-elle avec un clin d’œil.


Shigo hurle, son corps se distord, se met à fondre en spirale, comme happé par un tourbillon invisible.


Et soudain…

Une fissure apparaît dans l’air.

Une vraie.

Pas une illusion.

Un passage.

L’espace se déchire.

La lumière fuit vers le fond du gouffre.


Rin recule d’un pas.

— On l’a forcée… Une sortie… ?


Sho déglutit.

— Ou une entrée…


Maki avance déjà, yeux plissés.

— Peu importe ce que c’est. Ça mène plus loin dans son domaine. On descend.


Elle se tourne vers eux. Un sourire dur. Mais sincère.

— On retrouve les autres. Et on arrache les cousins de ses griffes.

 


Un à un, ils franchissent la faille. Derrière eux, les derniers éclats du domaine de Shigo s’effondrent comme un château de cartes brûlé. La sensation est immédiate. La chaleur chute, presque brutalement, comme si quelqu’un avait aspiré la vie de l’air. La lumière vire au bleu glacial, baignant l’espace d’une lueur funèbre.


Un immense couloir se dessine devant eux. Vaste. Voûté. Comme un sanctuaire oublié sous des strates de cauchemar. Le sol luit d’un vernis sombre. Les murs semblent respirer lentement.


Sho plisse les yeux.

— On est où, là… ?

Sa voix résonne trop longtemps, comme si l’air refusait de la laisser mourir.


Rin inspire, prudente.

— Je sais pas. Mais… j’aime pas ce silence. C’est un silence qui écoute.


Maki avance de deux pas, son arme abaissée mais prête. Puis elle s’arrête net.

— Regardez les murs…


Sho et Rin s'approchent. Les inscriptions sont fines, gravées à même la pierre. Des centaines. Des milliers. Des noms. Des dates. Parfois des prières inachevées.

— Des exorcistes… murmure Rin. Tous… morts ?


Maki déglutit. Elle passe la main sur une gravure. Le froid lui mord les doigts.

— Pas seulement morts. Disparus. Condamnés. Effacés… depuis deux ans…


Sho fronce les sourcils.

— Elle essaye de te déstabiliser, tu crois ? Te viser, toi, Maki ? Ou tous les trois ?


Mais Maki ne l’écoute plus. Ses yeux viennent de tomber sur un nom.

Kugisaki Nobara.

Son souffle se brise. Elle baisse un peu plus la tête…puis un deuxième nom la percute.

Nanami Kento.

Et un troisième.

Gojo Satoru.


Son cœur fait un bond dans sa poitrine. Un frisson violent lui traverse l’échine.

— Je sais pas… souffle-t-elle. Je…


Sho pose doucement une main sur son bras.

— Ne lis pas. Ne lui donne pas ce plaisir-là. Elle veut t’atteindre.


— Ils sont vivants, Maki, murmure Rin. Reste ici. Avec nous. Reste ancrée.


Un frémissement passe dans les murs. Un souffle, presque un soupir. Puis une voix. Raku. Dérangeante de douceur.


« Les souvenirs… les regrets… Tout finit ici. Bienvenue dans l’antichambre du Néant. »


Sa voix tourne autour d’eux comme un serpent satisfait.

« Avec un peu de chance… Vous trouverez peut-être une de vos pièces manquantes.

Ou d’autres que vous avez déjà perdues. »


Un rire clair.

Fragile.

Cruel.


Puis le silence retombe d’un bloc.

Le couloir respire encore.


Maki cligne des yeux, se redresse comme après une chute intérieure.

— Ça veut dire quoi, ça encore… ? Qu’est-ce qu’elle veut dire par "pièce manquante" ?


— Qu’elle se fout de nous, grogne Sho. De toi. De tout le monde. Ignore-la.


Rin tourne la tête. Le passage derrière eux… a disparu. Avalé.

— C’est refermé. On n’a pas d’autre choix que d’avancer.

Elle passe devant, plus ferme que jamais.


Sho lui emboîte le pas, fouet prêt à claquer.

— Super, encore un truc rassurant… On avance dans un tombeau vivant.


Maki les suit, marmonnant avec une ironie lasse :

— Une heure, il disait, Gojo… Une seule heure… Toujours aussi idiot, ce prof.


Un silence.

Sho sourit malgré lui.

— Ouais. Mais un idiot qui nous manque, pas vrai ?


Rin ferme les poings, son regard brûlant.

— J’espère qu’elle a pas tué Souta. Ni Megumi. Sinon… j’te jure…


Sho baisse les yeux, sa voix s’adoucit.

— Il faut retrouver tout le monde. Vite.


Ils avancent. Et cette fois, plus de pièces sur un échiquier. Plus de miroirs. Plus de doubles. Juste la vérité. La vérité brute et déformée de ce que Raku a construit au cœur même du Néant. Et quelque part au bout de ce couloir… quelque chose les attend.


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