Mites et légendes : Provençal le Gaulois

Chapitre 2 : Les gobelins des latrines et le dragon végétarien

1242 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 23/11/2025 17:13

L’auberge du Sanglier Rôti, nichée au creux d’un vallon humide, était connue pour deux choses : ses ragoûts trop salés et ses toilettes trop profondes. Les voyageurs s’y arrêtaient par nécessité plus que par envie, et les habitués avaient développé une technique particulière pour ne pas s’y attarder : manger vite, boire peu, et éviter les lieux d’aisance après la tombée de la nuit.

Ce fut pourtant là, dans ce décor de bois grinçant et de torchis mal jointé, que Provençal le Gaulois aurait accompli l’un de ses plus grands exploits.

Du moins, c’est ce que racontait la serveuse, une femme au regard vif et à la voix rauque, qui jurait avoir vu des créatures surgir des latrines un soir de pleine lune. Des gobelins, selon elle. Petits, verts, puants, et armés de cuillers en bois. Ils auraient escaladé les murs en poussant des cris aigus, renversé les tonneaux de bière, et tenté d’enlever le cuisinier, un homme pourtant réputé pour son haleine capable de faire fuir les rats.

La panique s’était répandue dans l’auberge comme une traînée de poudre. Les clients s’étaient réfugiés sous les tables, les serveurs avaient fui par les fenêtres, et le propriétaire s’était enfermé dans le cellier avec sa meilleure bouteille de prune.

C’est alors qu’un homme serait apparu. Un chevalier, selon les dires. Grand, blond, l’air un peu perdu, mais tenant fermement une louche dans une main et un tabouret dans l’autre. Il aurait sauté sur le comptoir, crié quelque chose d’incompréhensible avant de foncer droit sur les gobelins. Certains disent que c’était un chant de guerre, d’autres une recette de soupe.

La bataille aurait duré moins de cinq minutes. Les gobelins, surpris par tant de détermination et de maladresse, auraient fui par le même conduit d’où ils étaient venus, laissant derrière eux une odeur de soufre et un pot de chambre renversé.

Le chevalier, lui, aurait simplement reposé la louche, demandé un saucisson, et quitté l’auberge sans demander son reste.

Depuis ce jour, les habitants du village voisin parlaient de Provençal le Gaulois comme d’un héros. Un homme capable de vaincre les forces du mal avec des ustensiles de cuisine et une absence totale de stratégie. Les enfants chantaient ses louanges, les anciens racontaient ses exploits au coin du feu, et même les gobelins — selon une rumeur persistante — évitaient désormais les latrines de l’auberge.

Calogrenant se leva à son tour et félicita Karadoc pour tant de fidélité à l’histoire et autant de prose. Il signifia à l’assemblée qu’il avait également une histoire à raconter. Arthur connaissant les talents innés de narrateur de Calogrenant, il décida de s’affaisser sur son trône et le laisser s’exprimer, tout en se curant les ongles.

— Je vais vous raconter une histoire vraie. Enfin, vraie dans le sens où elle s’est passée quelque part, peut-être, ou alors dans ma tête, ce qui revient au même, vu que j’y étais. C’est une histoire de feu, de feuilles, et de saucisses. Mais surtout, c’est l’histoire de Provençal le Gaulois, le seul chevalier que j’ai vu vaincre un dragon sans le moindre coup d’épée. Et sans viande, aussi.

Tout a commencé dans la vallée de la Brume Épaisse, ou de la Plume Écrasée, je confonds toujours. C’est un endroit où les arbres poussent à l’envers et où les cailloux font du bruit quand on les regarde trop longtemps. On y allait pour une mission, je crois. Ou pour une dégustation. En tout cas, on y était.

Le dragon, lui, vivait dans une grotte. Une vraie grotte, avec des stalactites, des stalagmites, et une odeur de soupe aux choux. Il était grand, vert, et triste. Pas triste comme Bohort quand on lui parle de violence, mais triste comme un pigeon qui a perdu son sens de l’orientation. Il ne crachait pas de feu, non. Il soufflait des nuages de vapeur tiède, comme une marmite qui hésite à bouillir.

On l’appelait le Dragon Végétarien. Pas parce qu’il mangeait des légumes, mais parce qu’il refusait de manger des chevaliers. Il disait que ça lui donnait des crampes d’estomac. Il préférait les navets, les lentilles, et les poèmes. Oui, des poèmes. Il en collectionnait. Il en avait même encadré un dans sa grotte, écrit sur une feuille de salade.

Quand on est arrivés, Karadoc a proposé de le faire griller. Pas le poème, le dragon. Mais Provençal a dit non. Il a dit qu’il fallait parler au dragon, le comprendre, le séduire. Enfin, je crois qu’il a dit « séduire », ou alors « séduire le céleri », je ne suis plus sûr.

Provençal s’est avancé, sans peur, sans armure, avec juste une botte de persil dans la main. Il a parlé au dragon pendant des heures. Moi, j’ai compris qu’il parlait de philosophie, ou de potager. Peut-être des deux. Le dragon l’écoutait, les yeux brillants, comme un enfant devant un feu d’artifice en papier mâché.

Puis, sans prévenir, le dragon a pleuré. Des larmes de bouillon clair. Il a dit qu’il n’avait jamais rencontré quelqu’un qui comprenait son régime alimentaire. Il a offert à Provençal une couronne de brocolis et l’a déclaré « Chevalier des Plantes et des Flammes ».

On est repartis sans combattre. Karadoc était déçu, mais il a trouvé un champ de pommes de terre sur le chemin du retour, alors ça allait. Moi, j’ai écrit un poème sur le dragon, mais je l’ai perdu dans une marmite.

Depuis ce jour, le Dragon Végétarien ne fait plus peur à personne. Il donne des conseils de jardinage aux voyageurs et récite des vers aux enfants. Et Provençal ? Eh bien, il est devenu une légende. Une légende verte, tiède, et un peu confuse. Comme moi.

— Ah, donc vous êtes deux à l’avoir vu ! Mais qui est-ce, bon sang ?

— Ben je ne sais pas, moi, je ne me souviens plus ! Les brocolis, c’est pas de la viande, ça ne m’intéresse pas. C’est mieux les pommes de terre.

Arthur manqua de tomber du trône. Plus on avançait dans les anecdotes, plus le mystérieux Provençal le Gaulois prenait vie, sans que l’on sache s’il existait vraiment. Perceval revint sur ces entrefaites. Il remettait en place son plastron, visiblement satisfait par ses méfaits.

— Il faudra creuser les douves plus profondément. On parle de quoi ?

— De brocolis ! s’esclaffa Bohort. J’ai également entendu les hauts faits de cet intrépide voyageur. Voici ce qui m’est revenu du vendeur de fleurs du village de Verte-Colline. Vous voyez, le charmant petit bourg au sud d’ici ?

— Dans les marais ?

— Il faut les traverser pour accéder à ce havre de paix. Mais soit, nous nous égarons. Voici ce que j’ai compris…


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