Mites et légendes : Provençal le Gaulois

Chapitre 3 : Le concours de lancer de menhirs

1089 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 23/11/2025 17:18

Je ne suis pas certain que ce soit une histoire fiable, mais elle m’a été racontée avec tant de conviction par le fleuriste de Verte-Colline que je n’ai pas osé douter. Il portait un tablier brodé de pensées et de marguerites, et son regard brillait comme celui d’un homme qui a vu des choses qu’il ne devrait pas avoir vues.

Cela se serait passé un matin de printemps, lorsque les cerisiers étaient en fleur et que les menhirs, pour une raison qui m’échappe encore, étaient en solde. Le village organisait un concours. Pas un concours de poésie, ni de jardinage, hélas, mais un concours de lancer de menhirs. Oui, de menhirs. Ces énormes pierres dressées que l’on trouve dans les champs, comme des géants endormis ou des erreurs de géographie.

Le but était simple : soulever un menhir, le lancer le plus loin possible, et ne pas écraser de poules. Le règlement précisait bien ce dernier point, car l’année précédente, une poule avait été projetée dans un puits, et depuis, elle refusait de pondre ailleurs que dans des bottes.

Le fleuriste m’a parlé d’un homme étrange, venu de nulle part, vêtu d’une tunique trop courte et d’un casque qui semblait avoir été fabriqué avec une passoire. Il ne s’était pas inscrit au concours. Il était simplement là, debout, l’air confus, comme s’il cherchait une boulangerie dans un champ de pierres.

Les villageois l’avaient surnommé Provençal. Provençal le Gaulois. Il ne parlait pas beaucoup, mais il souriait souvent, surtout quand on lui offrait des olives. Il avait cette manière de regarder les menhirs comme s’ils étaient des meubles mal rangés.

Quand vint son tour, car on lui avait donné un tour, malgré son absence d’inscription, il s’approcha du plus gros menhir. Un monstre de pierre, haut comme deux Léodagan et large comme trois Karadoc. Les autres concurrents avaient renoncé à le toucher, préférant des pierres plus modestes, plus maniables, moins susceptibles de provoquer des hernies.

Provençal posa ses mains sur le menhir. Il le caressa, comme on caresse un animal nerveux. Puis, sans élan, sans cri, sans même froncer les sourcils, il le souleva. Le menhir s’éleva dans les airs, lentement, comme s’il hésitait à partir. Puis il vola. Oui, vola. Pas comme une pierre qu’on jette, mais comme un pigeon qui a pris des cours de ballet.

Il atterrit à l’autre bout du champ, dans un tas de foin, sans casser une seule brindille. Les poules, cette fois, applaudirent.

Le silence fut total. Puis, un vieil homme s’écria que c’était un miracle. Un autre parla de magie ancienne. Le fleuriste, lui, m’a dit qu’il avait vu dans ce geste la beauté pure, la force tranquille, et un léger soupçon de folie.

Depuis ce jour, le menhir est resté là, dans le foin. On l’a baptisé « Pierre de Provençal ». Les enfants y jouent, les anciens y méditent, et les poules y pondent avec enthousiasme.

Quant à Provençal, il aurait simplement demandé s’il y avait du fromage, puis il serait reparti, en direction du nord, ou du sud, ou peut-être en rond.

Le lendemain du concours, Verte-Colline s’était réveillée dans un état d’euphorie rare. Les cloches avaient sonné sans raison, les enfants avaient décoré les chèvres avec des rubans, et le boulanger avait offert des brioches en forme de menhir à tous les passants. Le village n’avait pas connu pareille agitation depuis la fois où un nuage avait pris la forme d’un canard et que tout le monde y avait vu un présage.

Le menhir, toujours posé dans son tas de foin, était devenu un lieu de pèlerinage. On venait de loin pour le toucher, le mesurer, le photographier avec des pigeons. Certains disaient qu’il guérissait les verrues, d’autres qu’il améliorait la pousse des cheveux. Le fleuriste, lui, affirmait qu’il avait vu ses pivoines s’épanouir plus vite depuis qu’il avait placé un pot près de la pierre.

Quant à Provençal, il était introuvable. On disait qu’il avait quitté le village à l’aube, en suivant un papillon. D’autres affirmaient qu’il s’était endormi dans un tonneau et qu’il avait été expédié par erreur vers le nord. Le plus étrange, c’est que personne ne semblait vraiment le connaître. Il n’avait laissé ni nom, ni adresse, ni trace, si ce n’est une empreinte de pied dans la boue et une odeur persistante de fromage de chèvre.

Le conseil du village s’était réuni pour décider de la marche à suivre. Fallait-il organiser un nouveau concours ? Fallait-il ériger une statue ? Fallait-il interdire les menhirs ? Les débats avaient duré des heures, entrecoupés de pauses pour le thé et de discussions sur les bienfaits du thym.

Finalement, on avait décidé de faire simple : une plaque fut posée près du menhir, gravée avec les mots « À Provençal, qui lança plus loin que l’espoir ». Le fleuriste m’a confié qu’il avait pleuré en la lisant. Il m’a aussi dit qu’il avait commencé à écrire des poèmes en l’honneur du chevalier, mais qu’il n’osait pas les publier, de peur qu’on les prenne pour des recettes.

Depuis, chaque année, Verte-Colline organise une fête en l’honneur de Provençal. On y mange des galettes en forme de menhir, on chante des chansons qui ne riment pas, et on raconte l’histoire du concours à ceux qui ne l’ont pas vécue. Elle change à chaque fois, bien sûr. Parfois, le menhir vole. Parfois, il parle. Une fois, on m’a même dit qu’il avait dansé.

Mais moi, je me souviens surtout du regard du fleuriste. Ce mélange de tendresse, de mystère, et de pétales. Et je me dis que, parfois, les légendes naissent là où on ne les attend pas. Dans un champ, au milieu des pierres, portées par un homme qui ne sait pas qu’il est un héros.

— Tant qu’on y est, Dagonet… Une anecdote sur ce Provençal ?

Dagonet se pencha vers la table et sourit.

— Bien entendu !


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