Mites et légendes : Provençal le Gaulois
Chapitre 8 : Les épreuves de Provençal
1438 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 23/11/2025 17:29
La grande salle résonnait du bruit des bottes. Arthur, affalé sur son siège, fixait la porte avec l’air d’un homme qui sait qu’il va regretter ce qu’il va entendre : les trois enquêteurs étaient de retour. Léodagan, déjà prêt à râler, tapotait la table du bout des doigts. Perceval, lui, comptait les carreaux du sol en marmonnant.
— Ça fait vingt-sept si on compte ceux qui sont cassés… mais si on compte ceux qui sont pas là, ça fait combien ?
Arthur soupira.
— Bon… Ils arrivent. Préparez-vous à la catastrophe.
La porte s’ouvrit. Bohort entra le premier, couvert de boue, la cape trempée, une passoire cabossée sous le bras et un regard exalté. Derrière lui, Karadoc traînait un sac énorme qui sentait le fromage à dix mètres. Enfin, Père Blaise franchit le seuil, livide, les yeux cernés, tenant une cape qui empestait la chèvre.
Arthur leva les mains.
— Non mais… Qu’est-ce que c’est que ce cirque ? Vous revenez d’une quête ou d’un concours de clowns ?
— J’vous l’avais dit, Sire. Envoyer ces trois-là, c’est comme confier une messe à des sangliers, dit Léodagan.
— Sire… Nous avons des révélations. Des indices capitaux. Des preuves qui vont changer le destin du royaume ! s’esclaffa Bohort.
Arthur le fixa.
— Et la passoire ? C’est une preuve aussi ?
— C’est… la couronne du héros.
Léodagan éclata de rire.
— La couronne du héros ? Mais vous êtes malade ! On dirait un ustensile pour égoutter les navets !
Arthur leva un sourcil vers Karadoc.
— Et vous ? Vous avez trouvé quoi ? À part… l’odeur.
Karadoc posa son sac avec un bruit sourd.
— Du fromage. Beaucoup de fromage. Et des infos. Mais surtout du fromage.
— Les infos, Karadoc. Pas le fromage.
Karadoc inspira profondément, comme s’il allait réciter une épopée.
— Alors voilà. Provençal, il a sauvé l’auberge des gobelins. Avec une louche et un tabouret. Et il a crié un truc bizarre : « Pour les seize-mille-cent-trente pierres et les huit-mille-trois-cents-soixante-dix manquantes ! » Moi, j’ai retenu parce que ça sonnait bien. Après, il a bouffé un morceau de fromage et il est parti vers le sud. Ou vers la lumière. Ou vers la serveuse, mais elle boitait, alors je crois pas.
Arthur se pinça l’arête du nez.
— Et vous êtes sûr que c’était pas une recette de soupe tant qu’on y est ?
— Non, c’était des chiffres. Plein de chiffres. Moi, j’ai pensé à un gros bâtiment. Ou à un stock de patates.
Léodagan ricana.
— Ou à son QI. Mais en négatif.
Arthur se tourna vers Bohort.
— Et vous ? À part vous rouler dans la boue, vous avez fait quoi ?
Bohort se redressa, la voix vibrante.
— Sire… J’ai vu LE menhir. Le menhir sacré. Celui que Provençal a lancé comme un astre. J’ai touché la pierre. J’ai trouvé une inscription : « Provençal était là. Et il avait faim. » Et… j’ai récupéré ceci.
Il brandit la passoire comme un Graal. Léodagan éclata de rire.
— Non mais regardez-moi ça ! On dirait qu’il a pillé la cuisine !
— C’est un symbole ! Un casque improvisé, preuve de son génie ! Et… j’ai failli être lancé comme un projectile. Ces gens sont des barbares, Sire. Des barbares !
Arthur soupira.
— Et la prophétie ? Vous m’avez parlé d’une prophétie dans votre message.
Bohort sortit une feuille séchée, griffonnée en latin.
— « Perceforest ubi omnia coeperunt et ubi desinent. » Là où tout commence et tout finit. Et le fleuriste… un homme distingué, Sire… m’a dit que Provençal a un frère. Un frère qui siège déjà à la Table.
Arthur se figea. Léodagan fronça les sourcils.
— Attendez… Vous êtes en train de dire que… ?
Arthur se tourna vers le scribe, qui semblait avoir vu l’Apocalypse.
— Et vous, Père Blaise ? Vous avez l’air… traumatisé.
Père Blaise posa la cape qui empestait le fromage.
— J’ai traversé Brumeval. La brume, les cavaliers, les mégères aux fenêtres… Et un homme étrange, Amen. Il m’a conduit à une pierre gravée, à une mare où les grenouilles débattent de politique, et à un cercle de pierres qui brillait. J’ai noté des glyphes. Et… j’ai trouvé ça dans mon sac.
Il sortit la cape. Arthur recula dans son siège.
— Ça sent la chèvre, votre truc.
— C’est… la cape de Provençal. Je crois… qu’il était là. Ou qu’il n’a jamais quitté ces bois.
Et… il y avait une lumière verte. Et un pigeon borgne. Et… j’ai perdu deux jours. Je ne sais pas comment.
Arthur se frotta le visage, tandis que Bohort sursauta à l’évocation du pigeon.
— Bon… On a une passoire, une cape qui pue, un fromage prophétique, et des chiffres débiles. Et vous voulez que je croie que tout ça mène à… ?
Perceval leva la main.
— Moi, je sais. C’est moi.
Silence. Tous se tournèrent vers lui.
— Quoi ?
— Ben ouais. Provençal, Perceval… C’est pareil, non ? Et les chiffres, je les connais. C’est pour les pierres. J’en ai compté plein, moi.
Arthur se laissa tomber contre le dossier.
— Non… Non, c’est pas possible… Ou alors… ?
Arthur se frotta le visage, l’air d’un homme qui regrette d’avoir posé la question.
— Donc… si je résume : un concours de lancer de menhirs, une passoire, une prophétie en latin, un fromage prophétique, et des chiffres débiles… Et vous en concluez que Provençal… c’est Perceval ?
— Ben oui, Sire. Ça colle. Le fromage, la bêtise, les chiffres qui veulent rien dire… C’est lui tout craché.
Perceval leva la main, fier comme un coq.
— Moi, je confirme. C’est moi. Enfin… je crois. Parce que Provençal, ça ressemble à Perceval. Et moi, j’ai déjà lancé des trucs. Pas des menhirs, mais des cailloux. Et une poule, une fois. Mais elle était d’accord.
Arthur ferma les yeux.
— Non… Non, c’est pas possible… Ou alors… ? Bon. On va trancher. On va le tester.
— Avec de la bouffe ? Genre un concours de saucisson ? Parce que là, je suis chaud.
— Non, Karadoc. Pas un concours de saucisson. On va lui faire passer des épreuves. Des épreuves… absurdes. Puisque tout ça est absurde.
— Ah, ça, je peux aider. J’ai des idées, lança Léodagan, en se penchant vers le Roi. Première épreuve : il se bat contre un miroir. Si le miroir gagne, c’est qu’il est trop con pour être un héros.
Arthur leva un sourcil.
— Et comment un miroir gagne ?
— Ben… si Perceval abandonne avant le miroir.
Arthur soupira.
— Bon… Épreuve 1 : combat contre un miroir. Ça me va.
Artur se tourne vers Bohort.
— Vous, vous avez des idées ?
— Oui, Sire ! Une joute verbale ! Une épreuve d’esprit ! Qu’il affronte… une poulette ! Un duel de prose contre une volaille ! Si ses mots surpassent ses caquètements, alors il est digne !
Léodagan éclata de rire.
— Non mais vous êtes malade ! Une poule, ça parle pas !
— Justement ! Si Perceval perd contre une poule, c’est qu’il n’a aucune chance de trouver le Graal !
Arthur leva les mains.
— Très bien. Épreuve 2 : duel de prose contre une poulette.
Il se tourne alors vers Karadoc.
Et vous, Karadoc ? Une idée ?
— Ouais… Il doit garder un fromage prophétique pendant dix minutes sans le bouffer. Parce que moi, je pourrais pas. Et si lui, il peut… c’est qu’il est spécial.
Arthur hocha la tête.
— Épreuve 3 : garder un fromage sans le manger. Bon. Préparez le miroir, la poule, et le fromage, dit-il en se levant. On commence demain.
Perceval souriait comme un enfant à qui on promet un gâteau.
— Trop bien ! J’adore les épreuves ! Juste… c’est quoi un duel de prose ? C’est avec des gestes qu’on fait sans bouger ?
— Non ! C’est avec des mots ! Des phrases ! De la beauté !
— Ah… Moi, je connais des phrases. Genre : « Quand il pleut, c’est mouillé. » Ça compte ?
Arthur se laissa tomber sur son siège.
— Demain… Demain, on règle ça. Et si c’est lui… on a notre héros.
Le silence avait gagné la salle.
— Et si c’est pas lui… je me pends.