Mites et légendes : Provençal le Gaulois

Chapitre 11 : Tout s'explique enfin, ou presque

1565 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 07/12/2025 16:06

Arthur, affalé sur son siège dans la salle de la Table ronde, fixait le plateau circulaire comme un homme qui sait qu'il va regretter ce qu'il allait entendre, comme à chaque réunion. Autour, les chevaliers s'agitaient déjà. Léodagan tapotait la table du bout des doigts, l'air d'un bourreau en manque de victimes. Bohort ajustait sa cape avec délicatesse. Karadoc mâchait un morceau de jambon, parce que réfléchir à jeun, c'est dangereux. Perceval comptait les carreaux du sol en marmonnant :

— Ça fait trente-deux si on compte ceux qui sont cassés... mais si on compte ceux qui sont pas là, ça fait combien ?

Arthur soupira.

— Bon... Silence. On a un problème. Enfin... on a un Provençal.

Léodagan leva les yeux au ciel.

— Encore un illuminé qui veut s'asseoir à la Table ? On va finir par mettre des strapontins.

— Non, celui-là... il a des partisans, dit Arthur en consultant un parchemin. Des histoires circulent et vous les avez entendues. Des gobelins, un dragon végétarien, un menhir qui vole...

— Et un pigeon borgne, ajouta Bohort, la voix vibrante. Ô signe céleste, messire !

— Non mais arrêtez vos conneries, siffla Léodagan. Un pigeon borgne, c'est pas un signe, c'est un accident.

Karadoc leva la main, sérieux.

— Moi, je dis qu'on l'accepte direct. Un gars qui sauve une auberge avec une louche, c'est fiable. Et il aime le fromage. C'est un critère.

Arthur se pinça l'arête du nez.

— On va l'écouter. Juste l'écouter. Après, on décide.

La porte s'ouvrit dans un grincement théâtral. Provençal entra. Lentement. Comme un héros, mais en moins convaincant. Sa cape empestait la chèvre, son armure cabossée sonnait à chaque pas et, sur sa tête, une passoire trônait comme une couronne improvisée. Derrière lui, Perceval souriait, fier comme un coq.

— Voilà mon frère !

Arthur leva les mains.

— Bon... Provençal, c'est ça ? Approchez. Expliquez-nous... vos exploits.

Provençal bomba le torse, ce qui fit tomber une cuillère de son plastron. Il la ramassa avec dignité.

— Sire... Je suis un stratège. Un visionnaire. Un homme d'action.

— Et de vaisselle, ricana Léodagan.

Provençal ignora. Il posa les mains sur la Table, comme un général prêt à exposer son plan.

— Première opération : neutralisation des gobelins.

Arthur leva un sourcil.

— Avec une louche ?

— Exactement. Arme polyvalente. Ça sert à frapper, à parer, et à servir la soupe après la victoire. Unagi.

Karadoc hocha la tête, admiratif.

— Pas con.

— J'ai crié une formule stratégique : « Pour les seize-mille-cent-trente pierres et les huit-mille-trois-cents-soixante-dix manquantes ! »

Arthur se frotta le visage.

— Et ça veut dire quoi ?

— Ça veut dire... qu'il faut viser grand. Toujours. Et c'est le nombre de pierres qu'il y a dans Camelot, selon mon frère.

Perceval leva la main.

— C'est pas faux.

Provençal continua, imperturbable.

— Deuxième opération : diplomatie avec le dragon végétarien.

Bohort porta la main à son cœur.

— Ô miracle de la tempérance !

— Je lui ai parlé. Je lui ai offert du persil. Résultat : pas de combat, pas de sang. Juste des poèmes et une couronne de brocolis.

Léodagan éclata de rire.

— Non mais on va pas filer un siège à un type qui négocie avec des légumes !

— C'était stratégique, répliqua Provençal. Moins de morts, plus de fibres.

Karadoc approuva.

— Et plus de gratins !

Arthur inspira profondément.

— Et le menhir ?

Provençal sourit, mystérieux.

— Test de gravité. Je voulais vérifier si la pierre... pouvait voler.

— Et elle a volé ?

— Comme un pigeon qui a pris des cours de danse.

Bohort ferma les yeux, extatique.

— Ô beauté pure !

Léodagan tapa du poing sur la Table.

— Non mais c'est quoi ce cirque ? On est en train de recruter un poète ou un catapulteur de cailloux ?

— Un stratège, corrigea Provençal. Chaque geste avait un sens. Même le pigeon borgne.

Arthur leva les mains.

— Ah non... Pas le pigeon. Pas encore.

— Si, Sire. Le pigeon était un signe. Il m'a guidé vers la vérité. Et vers le fromage.

Karadoc sourit.

— J'aime ce gars.

Arthur se redressa, le regard lourd.

— Bon... Expliquez-moi cette prophétie. « Perceforest, là où tout commence et tout finit. » Parce que là, moi, je pige rien.

Provençal bomba le torse.

— C'est simple, Sire. Perceforest, c'est pas un endroit. C'est un passage.

— Un passage ?

— Oui. Entre notre monde... et le monde d'en haut.

Léodagan éclata de rire.

— Non mais on va pas filer un siège à un type qui cause avec des nuages !

Provençal ignora.

— Les menhirs sont des antennes. La lumière verte, c'est un signal. Et le pigeon borgne... c'est le messager.

Arthur se frotta le visage.

— Et le fromage ?

Provençal leva un doigt, solennel.

— Le fromage, c'est la clef. Parce que la vie, c'est la fermentation. Et la fermentation, c'est l'énergie.

Karadoc hocha la tête, admiratif.

— Pas con.

Bohort porta la main à son cœur.

— Ô miracle lacté ! Une vérité cosmique jaillie du lait des étoiles !

Léodagan hurla.

— Mais c'est quoi ce foutoir ?! On recrute des chevaliers ou des fromagers intergalactiques ?!

Merlin s'avança, exalté.

— Je le savais ! Les menhirs sont des relais ! La lumière verte, c'est une balise ! On est en contact avec des entités supérieures !

— MERLIN, taisez-vous ! Ou je vous enferme dans un tonneau avec la poule aristotélicienne, le fromage qui pue et on vous balance dans la rivière !

Un silence pesant s'installa. Arthur inspira profondément.

— Bon... On va décider. Provençal, vous restez là. Les autres... débattez.

Léodagan bondit comme un sanglier vexé.

— Moi, je commence : CONTRE. Ce type est un danger public. Il parle aux pigeons, il négocie avec des légumes, et il fout des chèvres dans des catapultes. On va finir par lancer le Graal dans une mare en se disant que c'est un vieux bocal à anchois.

Bohort leva la main, la voix vibrante.

— POUR ! Ce chevalier incarne la pureté de l'âme, la noblesse du cœur, la tempérance des mœurs !

— La tempérance ? Il a failli tuer une chèvre !

— Mais il ne l'a pas tuée, répliqua Bohort. Il l'a... baptisée dans l'eau.

— Dans une mare ! hurla Léodagan.

— C'est pas faux, ajouta Perceval, pensif.

Arthur leva les mains.

— Bon, on avance. Karadoc ?

Karadoc haussa les épaules.

— Moi, je dis POUR. Un gars qui sauve une auberge avec une louche, c'est fiable. Et il aime le fromage. C'est un critère.

— Mais c'est pas un critère ! siffla Arthur.

— Si. Parce que le Graal, c'est peut-être du fromage. On sait pas.

Arthur se frotta les tempes.

— Merlin ?

Merlin sourit, mystérieux.

— POUR. Il est lié à la prophétie. Le pigeon borgne, la lumière verte, la mare enchantée... Tout converge.

— Tout converge vers la folie, ouais, marmonna Léodagan.

Lancelot, jusque-là silencieux, prit la parole, la voix glaciale.

— CONTRE. Ce type n'a aucune discipline. Il confond stratégie et potager. On ne peut pas confier le Graal à un homme qui croit que la guerre se gagne avec du persil.

— Mais le persil, c'est bon pour la digestion, objecta Karadoc.

— Taisez-vous, Karadoc, gronda Lancelot.

Calogrenant leva un doigt, rêveur.

— Moi, je dis... CONTRE. Ses récits sont incohérents. Ou alors... prophétiques. Ou alors... incohérents. Je confonds toujours.

Dagonet, hilare, ajouta :

— CONTRE. Il va nous faire tuer. Ou rire. Ou les deux.

Arthur inspira profondément.

— Bon... On a trois pour, quatre contre.

Perceval leva la main.

— Moi, je vote POUR. Parce que Provençal, c'est comme moi. Et moi, je suis déjà là. Donc c'est logique.

— Non mais c'est pas comme ça que ça marche ! hurla Arthur.

— Si. Parce que si on est deux, on est pas tout seul.

Silence. Bohort porta la main à son cœur.

— Ô vérité nue, jaillie des tréfonds de l'âme !

— Taisez-vous, Bohort...

Merlin s'avança, l'air inspiré.

— Sire... Si vous hésitez, je peux lancer un sort de clairvoyance.

— NON ! Pas de magie ! Pas aujourd'hui !

— Mais enfin, Sire... Une lumière céleste pourrait...

— Merlin, ce n'était pas une menace, mais une promesse !

Arthur se laissa tomber contre le dossier, épuisé.

— Bon... On va trancher. Ce type est absurde. Mais il est cohérent dans son absurdité. Et vu la bande de bras cassés que j'ai déjà... il est presque qualifié.

Provençal bomba le torse.

— Merci, Sire.

Arthur leva un doigt.

— Mais à une condition : pas de contact avec les lumières vertes sans mon accord.

Provençal sourit.

La salle explosa en brouhaha. Bohort déclama des vers, Léodagan jurait, Karadoc réclamait du saucisson, Perceval proposait de jouer à « Danse Slouby » avec son frère, et Merlin... Merlin préparait déjà un sort pour "améliorer la cohésion du groupe". Arthur, épuisé, se laissa tomber contre le dossier.

— Par le ciel... On va jamais trouver le Graal. Mais au moins... on aura des histoires.

Arthur leva les yeux vers la voûte, comme un homme qui sait que le pire reste à venir.

— Préparez-vous... Demain, on part en quête. Et si la prophétie dit vrai... on va devoir chercher le Graal... ou un bocal à anchois... dans les étoiles.


Laisser un commentaire ?