Kaboum : Le réveil des Karmadors

Chapitre 18 : L'Avènement des Karmadors

7355 mots, Catégorie: B

Dernière mise à jour 28/10/2025 13:44

 Les balises, autrefois dressées comme une barrière protectrice autour de l'Académie, se brisèrent toutes en même temps dans un fracas assourdissant. Leur lumière figée éclata en une pluie d'étincelles bleutées, qui se dissipa aussitôt dans l'air comme de la poussière d'étoiles mourantes. C'était comme si l'univers lui-même avait relâché un souffle qu'il retenait depuis trop longtemps. Mais ce souffle, loin d'apporter la paix, répandit un froid glacial dans la poitrine d'Esther et de Martin.

Leurs regards se croisèrent, emplis d'effroi : sans les balises, Sollonella et même le Grand Conseil, jusqu'ici figés hors du temps, pouvaient à nouveau agir. Et eux, simples apprentis Karmadors, venaient peut-être de condamner tout l'établissement.

Un silence pesant s'abattit sur la salle, à peine troublé par le grésillement des lampes au plafond, vacillant comme pour refléter le chaos invisible qui s'étendait à l'extérieur. Esther voulut parler, mais sa gorge se serra et sa voix resta prisonnière. Anne Marie fixait le sol, les poings fermés avec une force tremblante. Gina, les lèvres pâles, murmurait entre ses dents une prière hachée qu'aucun des autres ne comprenait.

Alors, une question claqua comme un coup de fouet :

— Où est Greg ?

La voix avait résonné, fragile et incrédule, et fit se figer chaque respiration. Tous levèrent la tête, scrutant la salle dévastée, leurs yeux affolés courant d'un recoin à l'autre. Le nom de Greg semblait vibrer entre les murs, mais personne n'osa répondre. Esther, le cœur tambourinant dans ses tempes, cherchait son ami avec une frénésie désespérée, comme si son absence ne pouvait être qu'une illusion.

Puis, un bruit sourd retentit derrière un grand meuble renversé. Une forme s'agita brusquement.

Tous sursautèrent. Martin, blême, se plaça instinctivement devant sa sœur. Gina porta une main tremblante à sa bouche, étouffant un cri, tandis qu'Anne Marie, le souffle court, fit un pas hésitant en avant.

La tension monta d'un cran, suspendue comme une lame au-dessus d'eux. Chacun espéra, pria que ce soit Greg qui surgisse de là.

Mais ce ne fut pas lui.

Derrière le meuble, une silhouette émergea, maladroite, convulsive, comme si elle sortait d'un cauchemar. Son corps trapu se redressa avec lenteur, ses membres tressaillant d'une énergie animale. Le pelage rêche et tacheté qui recouvrait sa peau luisait d'un reflet sinistre sous la lumière instable. Ses yeux ambrés, encore flous, s'ouvrirent et cherchèrent à se réhabituer à l'éclat artificiel de la salle. Ses crocs, visibles même bouche close, lui donnaient ce rictus monstrueux qui ressemblait à un sourire figé.

Fiouze.

Il reprenait conscience.

Esther et Martin échangèrent un regard terrifié, leurs lèvres tremblant sans qu'aucun mot ne parvienne à s'échapper. Greg n'était plus là.

Et devant eux, à la place, se tenait ce cauchemar revenu d'entre les ombres.

Fiouze leva la tête, ses oreilles dressées, son souffle haletant. Il semblait chercher à comprendre où il était, pourquoi tous le fixaient avec une telle horreur. Mais dans ses pupilles vacillantes, il y avait déjà cette étincelle animale, ce reflet de cruauté instinctive, qui rappelait à chacun d'eux qu'il n'était ni homme ni bête... mais quelque chose d'encore plus dangereux.


La pièce vibrait d'un silence lourd, presque oppressant. Les néons clignotaient faiblement, projetant des ombres instables sur les murs tapissés de gadgets étranges. Esther et Martin, cloués sur place, sentaient la peur les enserrer comme une chape de plomb. Devant eux, Fiouze, encore secoué par son réveil brutal, se redressait lentement, ses yeux jaunes brillant dans la pénombre. Ses crocs luisirent dans un sourire carnassier.

Esther recula d'un pas, incapable de détourner le regard. Sa gorge était sèche, et chaque respiration sonnait comme une lame qui lui entaillait la poitrine. Martin, lui, ne parvenait qu'à trembler, figé, le souffle court.

— Restez derrière moi ! lança Gina d'une voix rauque, posant un pied ferme devant eux. Ses muscles se bandèrent comme de l'acier sous tension. Son regard noir ne quittait pas Fiouze.

Anne Marie, déjà sur la défensive, se plaça instinctivement à côté de Martin. Ses yeux flamboyaient d'une chaleur protectrice, prête à embraser l'air d'une coulée de lave s'il le fallait. Elle tourna la tête un bref instant vers lui.

— Si jamais il bouge, je le réduis en cendres.

Fiouze ricana, une sorte de gloussement guttural qui résonna dans la pièce comme un écho d'enfer.

— Fiouze va vous devorer ! Sa voix grave vibrait dans leurs os.

Il fit un pas en avant. Ses griffes raclèrent le métal du sol, stridents. La peur noua la gorge d'Esther et Martin. Le temps sembla suspendu.

Soudain, dans un sursaut d'instinct, Martin inspira profondément. Sa poitrine se gonfla, ses yeux s'écarquillèrent. Un souffle colossal jaillit de lui, mais ce n'était pas un simple vent : une bourrasque saturée d'électricité explosa dans la salle.

La foudre jaillit en cascades aveuglantes, zigzaguant du plafond aux murs, avant de s'abattre en un fracas assourdissant sur Fiouze. La créature hurla, secouée de spasmes incontrôlables, ses poils hérissés sous la décharge. Le choc fut si violent qu'il fut projeté en arrière, son corps convulsant, avant de retomber lourdement, inanimé, sur le sol métallique.

Le silence retomba brusquement, seulement brisé par la respiration haletante de Martin. Son souffle brûlant saccadait l'air. Il regarda ses mains, tremblant, incapable de comprendre ce qu'il venait de libérer.

Esther, encore blême, reprit assez de contenance pour lancer d'une voix fragile mais teintée d'humour :

— On dirait bien qu'il n'y a pas seulement Greg qui a des problèmes avec ses pouvoirs...

Un léger rire nerveux échappa à Anne Marie, alors que Gina se contenta de souffler fort par le nez, comme pour masquer un sourire.

Gina finit par reprendre le contrôle de la situation, d'un ton ferme et sans appel :

— Assez perdu de temps. Si on le laisse comme ça, il nous retombera dessus dès qu'il ouvrira les yeux. On l'attache. Maintenant.

Sans attendre, elle attrapa le corps massif de Fiouze avec une aisance impressionnante, le hissa sur la grande table d'opération au centre de la pièce. Le métal grinça sous le poids de la créature. Esther observa la scène, encore paralysée par un mélange de crainte et de fascination.

Les gadgets accrochés aux murs semblèrent soudain bien utiles. Gina fit glisser une série de lourds barreaux de fer télescopiques fixés aux rebords de la table. D'un geste précis et assuré, elle verrouilla les attaches, une à une, jusqu'à ce que Fiouze soit maintenu solidement, incapable de remuer même un doigt. Les cliquetis métalliques résonnaient comme des chaînes d'un autre temps.

— Voilà. dit-elle en resserrant la dernière fixation avec un grondement. S'il se réveille, il ne pourra plus nous sauter à la gorge.

Esther échangea un regard avec Martin, dont les mains tremblaient encore. Elle posa doucement sa main sur son bras.

— C'était... incroyable. murmura-t-elle.

— Ou terrifiant, rectifia Anne Marie, toujours aux aguets. Elle ajouta plus bas : Mais tu nous as sauvés.

Un silence lourd s'installa à nouveau. Tous savaient que Fiouze n'en resterait pas là. Mais, pour l'instant, ils avaient gagné un répit.


Soudain, Esther sortit sa Goutte, le petit appareil bleuté qui scintillait entre ses doigts.

— J'ai modifié ses réglages, expliqua-t-elle rapidement. Cette technologie peut faire plus que servir de communication... J'ai trouvé un protocole qui permet d'effacer un souvenir précis, de l'arracher de la mémoire comme on déchirerait une page d'un livre.

Martin fronça les sourcils, hésitant.

— Tu veux dire... qu'on pourrait lui faire oublier... qui nous sommes ?

— Exactement, répondit Esther. Il gardera peut-être le sentiment d'avoir perdu un combat, mais sans se rappeler contre qui. Plus de soupçons. Pas de danger pour nos identités.

Un silence lourd tomba, tous fixant Fiouze qui remuait déjà contre ses attaches de fer. Gina souffla, les bras croisés.

— S'il se réveille en sachant, il nous vendra au premier venu. Je vote pour ton idée, Esther. Fais-le.

Anne Marie hocha lentement la tête.

— C'est risqué, mais c'est notre meilleure option.

Martin soupira et ajouta, un brin sarcastique :

— Génial... première fois que je grille un gars avec la foudre, et maintenant on doit aussi jouer aux chirurgiens de la mémoire.

Au moment où Esther s'apprêtait à activer sa Goutte, la porte grinça violemment. Simon et Sébastien surgirent, le visage crispé par la peur et la course.

— Arrêtez tout ! cria Simon.

Tous se retournèrent, l'adrénaline montant encore d'un cran.

— Qu'est-ce qui se passe ? demanda Gina, déjà sur la défensive.

Sébastien, le souffle court, déclara d'une voix tremblante :

— Le Grand Conseil... ils ont disparu.

Un silence de plomb s'abattit.

— Quoi ? s'exclama Esther. Tu plaisantes...

Simon secoua la tête avec insistance.

— Non, je vous jure... Nous avons fouillé la Salle du Conseil. Les sièges sont vides. Pas de trace. Pas une empreinte. Comme s'ils n'avaient jamais été là.

— Et ce n'est pas tout, ajouta Sébastien d'une voix basse. Certains élèves aussi. Plusieurs dortoirs ont été retrouvés déserts.

Martin écarquilla les yeux, le cœur battant de plus belle.

— Attendez... vous êtes en train de dire que... qu'on est seuls ?

— Il reste quelques-uns, admit Simon. Pétronille, Dixie... et une poignée d'apprentis. Mais les piliers de l'Académie ? Évaporés.

Gina serra les poings, son regard dur lancé vers le plafond.

— Alors c'est bien plus grave qu'on ne le pensait.

Anne Marie resserra son emprise sur le bras de Martin.

— Qu'est-ce qui nous attend ? 

Esther, encore la Goutte à la main, inspira profondément. Son regard passait de Fiouze attaché sur la table à ses camarades, puis à la porte où Simon et Sébastien se tenaient, toujours livides.

— Alors on n'a plus de temps à perdre, dit-elle d'une voix ferme. Donnez-moi une minute. 


La salle s'était plongée dans un silence étrange, presque pesant, après qu'Esther eut quitté la pièce. Son pas décidé s'éteignit derrière la porte de fer, et aussitôt, un murmure de désapprobation monta chez les autres. Certains se jetaient des regards inquiets, d'autres murmuraient qu'il était insensé de la laisser seule avec la créature. Mais Esther avait un plan, et aucun d'eux n'osa la suivre.

Sur la table, Fiouze gisait encore, entravé par des liens d'acier runique qui lui ceignaient les bras et la poitrine. Sa respiration rauque trahissait un corps qui reprenait peu à peu conscience. Ses muscles se contractaient sous son épais pelage, et un grondement sourd monta de sa gorge avant même que ses yeux jaunes ne s'ouvrent.

— Il se réveille... souffla l'un, qui recula d'instinct.

Tous, sauf Gina, reculèrent vers les recoins de la salle. Ils n'avaient pas leurs tenues de Karmadors, et se savaient vulnérables. Alors, comme des ombres paniquées, ils se dissimulèrent derrière les piliers ou le mobilier, laissant l'espace dégagé, exposant la silhouette immobile de Gina, qui seule resta droite au milieu de la salle.

Fiouze ouvrit brusquement les yeux. Deux fentes incandescentes qui balayèrent la pièce d'un éclat animal. Son souffle devint haletant. Puis, d'un coup sec, il tira sur ses chaînes. Le métal vibra, grinça, mais tint bon.

— Où est-ce qu'il est ?! rugit-il d'une voix gutturale, à la troisième personne, comme s'il parlait de lui-même. Où est-ce que Fiouze est tombé ?!

Il se débattit avec une rage croissante, cognant ses poignets entravés contre la table, faisant résonner des claquements secs. La bave perlait à la commissure de sa gueule, ses dents acérées découvertes dans un rictus féroce.

— Fiouze ne restera pas prisonnier ! libérez Fiouze, ou Fiouze vous déchire tous !

Il continuait d'agiter ses chaînes, chaque secousse envoyant des éclats de métal sur le sol. Son grognement résonnait comme un tonnerre dans la pièce close.

Soudain, une ombre se dessina devant lui. Gina venait d'avancer d'un pas, ses bottes frappant la dalle.

— Assez.

Sa voix, ferme et glaciale, claqua dans l'air.

Fiouze tourna brusquement la tête. Ses yeux se fixèrent sur elle. Un silence lourd s'installa. Ses pupilles se rétrécirent, la reconnaissant aussitôt.

Il éclata d'un rire rauque, presque inhumain, qui fit vibrer sa cage thoracique.

— Toi... toi... Sale traîtresse !

Il tira encore sur ses chaînes, se redressant légèrement malgré les entraves. Son museau tremblait de rage.

— Fiouze reconnaît cette voix. Riu avait raison de ne jamais croire en toi. Riu disait que tu trahirais, que tu—

Mais il n'eut pas le temps de finir. Gina, d'un mouvement sec, leva son poing fermé à quelques centimètres de son museau. Ses yeux lançaient des éclairs de détermination.

— Une seule insulte de plus... et c'est ta mâchoire que je brise, Fiouze.

La créature resta figée, le souffle court, le grondement toujours au fond de sa gorge. Ses yeux jaunes ne quittaient pas ceux de Gina, mais pour la première fois depuis son réveil, il hésita. Le silence dans la salle s'épaissit, presque insoutenable.

Les autres, tapis dans l'ombre, retenaient leur respiration.

Le duel de regards entre Gina et Fiouze dura de longues secondes, chaque instant tendu comme une corde prête à rompre.

Fiouze, enfin, lâcha un grondement bas, plus contenu, mais empli d'une haine intacte.

— Riu... avait raison.

Il ferma les yeux un instant, puis les rouvrit avec une lenteur calculée. Ses crocs se découvrirent dans un sourire sinistre.

— Mais Fiouze n'oublie jamais.

Les deux s'affrontaient sans bouger, prisonniers de ce duel muet où l'acier des regards valait toutes les armes. Le temps semblait suspendu, chaque seconde s'étirant comme une corde prête à rompre.

Puis, un bruit léger résonna. Des pas, lents, mesurés.

Tous les regards se tournèrent vers l'entrée. Une silhouette s'avançait. Drapée d'un long manteau gris, capuche rabattue sur le visage, masque argenté reflétant la pâle lumière de la salle. Chaque pas résonnait, implacable, comme le glas d'une sentence.

Fiouze cligna des yeux, son rire s'éteignant peu à peu. Une angoisse sourde, inexplicable, naissait en lui.

La silhouette s'arrêta devant la table. Elle leva la tête, révélant sur le manteau, brodé de lettres fines et lumineuses, un mot :

STR

Un silence solennel s'abattit. Même les respirations semblaient s'être tues.

Esther, désormais dissimulée derrière son identité de Karmador, observait Fiouze avec une froideur nouvelle. Sa voix, déformée par le masque, jaillit, calme mais tranchante comme une lame :

— Assez. 

Fiouze plissa ses yeux fauves lorsqu'il vit l'étrange silhouette émerger de l'ombre. Le manteau gris, la capuche tirée bas, le masque argent qui réfléchissait la lumière et surtout ces trois lettres brodées dans le tissu : STR.

Un grondement rauque monta de sa gorge. Sa mâchoire se crispa, laissant apparaître ses crocs irréguliers.

— STR... STR ose se montrer ici... STR croit pouvoir effrayer Fiouze avec un masque d'argent ?

Ses paroles claquèrent comme des morsures, mais sa voix vibrait d'une nuance à peine perceptible : celle de la méfiance. Ses pupilles jaunes glissèrent nerveusement vers Gina, puis revinrent aussitôt sur STR.

— Fiouze n'a peur de personne... pas même des ombres de l'Académie. Mais STR devrait savoir... Fiouze a faim. Fiouze dévore tout ce qui l'empêche de respirer.

Gina, tendue, gardait un silence de fer. STR, impassible, fit un pas vers lui. La voix qui s'éleva sous le masque n'avait rien d'hésitant, c'était une lame froide qui tranchait l'air :

— Pourquoi avoir détruit les balises, Fiouze ? Pourquoi rôder si près de l'Académie des Karmadors ?

Les crocs de l'hyène se découvrirent dans un sourire mauvais, mais son rire se brisa trop vite pour sonner véritablement solide.

— Fiouze... Fiouze ne doit rien à STR. Balises font mal... balises font tourner la tête, comme mille piqûres dans le crâne. Fiouze déteste ces murs qui chantent faux. Alors Fiouze casse, Fiouze fait taire le bourdonnement.

Il cracha au sol, mais ses yeux brillaient d'un éclat trouble. STR, implacable, ne cilla pas.

— Et ton maître ? Shalq. Où est-il ?

Cette fois, la voix de Fiouze se brisa. Sa gorge gronda, mais c'était un grondement amer, presque douloureux :

— Shalq... Shalq a laissé Fiouze seul. Fiouze ne voulait pas perdre maître... mais Fiouze a faim, toujours faim. Alors Fiouze chasse. Toujours chasse.

Son rire se mua en un aboiement nerveux, plus proche d'un cri désespéré que d'une véritable moquerie. Ses épaules voûtées trahissaient une faille béante qu'aucune insulte ne parvenait plus à masquer. Pourtant, dans son regard luisait encore ce défi maladif, comme une braise refusant de mourir.

Dans la salle silencieuse, Fiouze reposait sur la table, la respiration lourde, ses muscles encore crispés par la confrontation. STR s'approcha de lui, son regard impénétrable oscillant entre une certaine compassion et une dureté glaciale. Sans un mot, elle posa sa main gantée sur le mécanisme de la table. Un déclic métallique résonna, et une série de filaments d'énergie s'illuminèrent sous le corps de Fiouze. Une vibration sourde emplit la pièce tandis que ses membres se raidirent brusquement. Ses yeux s'écarquillèrent d'effroi, mais aucun son ne franchit ses lèvres : la paralysie venait de se refermer sur lui comme une prison invisible.

STR baissa la tête un instant, comme si elle s'excusait en silence, mais sa voix, lorsqu'elle parla, resta ferme, presque glaciale :

— Pardonne-moi, Fiouze. Mais je ne peux pas risquer que tu te retournes contre nous... pas maintenant.

Martin, Anne Marie, Simon et Sébastien, qui s'étaient cachés plus tôt, sortirent prudemment de leur refuge. STR fit signe de les suivre et ensemble, ils gagnèrent le corridor attenant. Leurs pas résonnaient dans l'espace vide, et chacun semblait peser sous le poids d'une inquiétude croissante.

Une fois regroupés, STR tira de sa ceinture sa Goutte d'un bleu sombre qui pulsa doucement entre ses doigts. Elle la fit léviter devant elle, et la sphère projeta de fines ondes translucides qui parcoururent les murs, comme si elles cherchaient quelque chose au-delà des limites visibles. Tous retinrent leur souffle. Mais quelques instants plus tard, l'artefact se rétracta, inerte. STR serra la mâchoire.

— Rien. Pas la moindre trace du Grand Conseil, ni des apprentis disparus... comme si tout avait été effacé.

Un silence pesant s'installa, brisé soudain par une voix douce, presque chantante :

— Peut-être que vous cherchez au mauvais endroit.

Tous se retournèrent d'un même mouvement. Dixie venait d'apparaître au bout du corridor, son allure irréelle accentuée par la lueur changeante qui dansait autour d'elle. Ses yeux pétillaient d'une étrangeté qui oscillait entre malice et gravité.

— Dixie ? souffla Martin, surpris.

Elle inclina légèrement la tête, puis s'avança, ses pas résonnant comme s'ils glissaient sur une autre dimension.

— Je sais où ils sont, dit-elle simplement.

Sébastien fronça les sourcils.

— Comment peux-tu être si sûre ?

Pixie sourit mystérieusement et tendit sa main vers STR.

— Donne-moi ta main. Je ne peux pas l'expliquer avec des mots. Tu dois le voir.

STR hésita, ses yeux froids se plissant de méfiance. Puis, après un bref échange de regards avec Martin et Anne Marie, elle posa lentement sa paume dans celle de Pixie.

Aussitôt, un frisson parcourut l'air. Les couloirs disparurent. Devant leurs yeux surgit une vision d'une intensité presque insoutenable.

Ils se retrouvèrent projetés au-dessus d'une forteresse titanesque, perdue dans une obscurité perpétuelle. Les murailles noires semblaient respirer, comme vivantes, parcourues de runes écarlates qui pulsaient au rythme d'un cœur monstrueux. Mais ce n'était pas le silence qui régnait : des fêtes lugubres battaient leur plein à l'intérieur. Des silhouettes difformes dansaient autour de flammes bleues, des cracheurs de feu illuminaient la nuit de leurs gerbes ardentes, et des violonistes squelettiques tiraient de leurs instruments des mélodies grinçantes, à la fois envoûtantes et glaçantes.

La vision les entraîna plus loin, glissant au travers des remparts pour pénétrer dans la salle du trône. Une ombre gigantesque dominait le lieu. On ne distinguait pas son visage, mais la silhouette imposante du Krashmal Suprême était là, assise, drapée d'une obscurité mouvante. Son rire, grondant et lointain, résonnait comme un écho dans leurs esprits.

Puis, brusquement, la vision les emporta dans les profondeurs de la forteresse. Les murs se resserrèrent en un dédale oppressant, jusqu'à ce qu'ils arrivent devant une série de cachots. Là, derrière les barreaux, ils aperçurent Greg, le visage marqué par la fatigue mais toujours debout, ses yeux défiant l'obscurité. Autour de lui, plusieurs apprentis Karmadors gisaient, prisonniers et désespérés. Dans une cellule voisine, les membres du Grand Conseil étaient enchaînés, leurs pouvoirs écrasés par des chaînes d'un métal noir qui semblait aspirer leur énergie vitale.

Avant que l'image ne disparaisse, une dernière vision surgit : l'ombre colossale d'un dragon enchaîné dans les profondeurs, son regard incandescent tourné vers eux, comme s'il avait senti leur intrusion.

La vision éclata d'un coup, et STR, haletante, retira brutalement sa main de celle de Dixie. Son cœur battait à tout rompre, son visage pourtant d'habitude impassible marqué par la stupeur.

— Oh non... murmura-t-elle. Greg... et les autres... Ils sont prisonniers chez les Krashmals.

Un silence glacial tomba sur le groupe. Chacun avait vu, chacun avait ressenti l'horreur et la puissance tapie derrière ces murs sombres. Et tous savaient que désormais, il n'y aurait plus de retour possible.

 Dixie avait encore les yeux voilés par le trouble de sa vision. Son souffle court contrastait avec l'écho silencieux de l'instant. Tous la fixaient avec inquiétude, attendant ses mots.

Martin, fronçant les sourcils, rompit le silence :

— Si on ne fait rien, ils vont détruire l'Académie ?

Esther secoua faiblement la tête, ses ailes frémissant :

— Pas si on ne fait rien, Martin... mais si on attend. Ils ne vont pas tarder. Le temps joue contre nous.

Anne Marie, les bras croisés, d'une voix ferme mais légèrement tremblante :

— Alors on n'a pas le choix. On doit agir avant eux.

Sébastien leva une main, comme pour contenir l'élan soudain de ses camarades :

— Agir... oui. Mais comment ? Vous oubliez que ce n'est pas une bande de maraudeurs. C'est la forteresse des Krashmals. Y aller de front, c'est signer notre arrêt de mort.

Simon, nerveux, triturait ses doigts sans oser regarder les autres :

— Et puis... on parle d'une armée entière. Même si on se regroupe, même avec nos pouvoirs, on n'est pas de taille.

Martin répliqua aussitôt, sa voix vibrante de colère et de peur mêlées :

— Peut-être... mais rester plantés là à regarder, c'est pire encore. Si on n'essaie pas, c'est l'Académie qui tombe. Et si elle tombe... on tombe tous.

Un silence lourd s'installa. STR, jusque-là immobile dans la pénombre, laissa échapper un souffle rauque, presque métallique sous son masque.

STR, grave et lente :

— Dixie a vu juste. La menace est proche. Mais une attaque frontale serait une folie. Si nous espérons réussir, il faudra ruser... frapper de l'intérieur.

Dixie, la voix tremblante mais assurée, se redressa légèrement :

— Je peut... aider. Je n'a jamais expliqué tout mon pouvoir. Je peut entrer dans un corps. Pas seulement projeter son esprit... mais s'y glisser. Sentir les pensées, bouger les bras, forcer la voix. Je peut guider un ennemi... ou détourner ses gestes. Mais je ne peut pas rester longtemps. Si la volonté est trop forte... Dixie se perd.

Tous la fixèrent, frappés d'incrédulité.

Anne Marie, plissant les yeux :

— Tu veux dire... que tu pourrais contrôler un Krashmal ?

Dixie hocha lentement la tête :

— Oui. Mais pas posséder. Je ne vole pas l'âme. Dixie se mélange, comme une étincelle qui consume une mèche. Mais plus la mèche résiste, plus je brûle vite.

Simon, paniqué :

— Te perdre... tu veux dire rester coincée ? Piégée à jamais ?

Dixie, baissant les yeux :

— Exactement.

Martin s'approcha, le regard mêlé d'inquiétude et d'admiration :

— C'est dangereux... mais ça pourrait marcher. Tu pourrais prendre le contrôle d'un garde... ou d'un Krashmal... et nous ouvrir un passage.

Sébastien, secouant la tête, presque furieux :

— C'est de la folie ! On parle de jouer avec son esprit. Si ça tourne mal, Dixie ne reviendra pas.

Anne Marie le fixa froidement, coupant ses protestations :

— Et si elle ne le fait pas ? Alors quoi ? On reste ici à attendre que l'Académie s'écroule ?

La tension monta d'un cran, mais STR leva une main. L'air sembla se figer, lourd et oppressant, et chacun se tut.

STR, d'une voix inflexible qui résonna comme un verdict :

— Dixie a raison. Son pouvoir est la clé. Mais pas pour un garde. Pas pour un Krashmal. Trop risqué, trop incertain...

Dixie frissonna, mais ses yeux brillèrent d'une étrange lueur de défi.

— Je n'ai pas peur. Si je peut servir... Jessaiera.

Un silence brutal, étouffant, s'imposa. Puis Anne Marie murmura, d'une voix sombre :

— Alors... tout se jouera à travers Fiouze. 



Fiouze se tordait sur la table, ses chaînes grinçaient sous ses mouvements frénétiques. Ses yeux jaunes fixaient les murs comme un animal pris au piège, et sa respiration rauque résonnait dans la pièce close.

« Fiouze n'aime pas ça... Fiouze veut partir... » grogna-t-il, les crocs serrés.

Soudain, une silhouette surgit dans un éclair coloré. Une étrange figure masquée, vêtue d'un costume aux teintes criardes – mélange improbable de violet, vert et orange – s'avança d'un pas léger. Le masque luisant cachait ses traits, mais le sourire espiègle se devinait dans sa voix.

« Tadaaa ! Le grand Dixie est arrivé ! » déclara-t-elle en écartant les bras, comme une artiste de cirque saluant son public.

Fiouze plissa les yeux et montra les dents.

« Qui ose... ? Fiouze ne connaît pas... mais Fiouze pourrait croquer. »

Dixie se pencha, les mains sur les hanches, puis tapota le museau du Krashmal du bout de son doigt ganté.

« Croquer ? Oh non, non, non. C'est moi qui vais entrer en toi ! » lança-t-elle d'un ton dramatique avant d'éclater de rire.

Fiouze se débattit encore plus, les chaînes claquèrent contre la table.

« Fiouze dit non ! Fiouze dit loin ! »

« Bouge pas, gros poilu. Ça va chatouiller ! » continua Dixie en tournoyant sur elle-même comme une ballerine maladroite. Puis, d'une voix faussement solennelle :

« Mesdames, messieurs, préparez-vous pour le numéro le plus spectaculaire de la soirée... Dixie la Grande et l'Adorable Fusion ! »

« Fiouze refuse ! Fiouze dévore si... »

« Chut ! Tu vas aimer. Enfin... peut-être. »

Dixie ouvrit soudain ses paumes. Une lueur jaillit, éclatante, et un tourbillon d'énergie se forma entre elle et Fiouze. L'air vibra, sifflant comme un orage contenu.

Fiouze hurla, ses poils se hérissèrent et des étincelles crépitèrent autour de son corps.

« Fiouze brûle ! Fiouze disparaît ! »

Dixie éclata d'un rire strident, presque théâtral.

« Tu ne disparais pas, mon gros nounours. Tu évolues ! Abracadabra, Dixie t'aspire ! »

Soudain, Dixie se désintégra d'un coup. Son corps explosa en une nuée de particules, une tornade miroitante, grondante comme un essaim de guêpes. Les fragments de son être dansaient dans l'air, formant des spirales, des arabesques inquiétantes, avant de converger lentement vers la gueule grande ouverte de Fiouze.

Il tenta de crier, mais son cri se perdit, avalé par la nuée.

— Avale-moi, Fiouzou... chanta la voix de Dixie, éclatée en mille échos. Avale-moi, et je te ferai chanter comme une marionnette !

La tornade se rua dans sa bouche, forçant son chemin dans sa gorge, s'enfonçant avec une brutalité glaçante. Fiouze s'étouffa, les yeux révulsés, ses hurlements se muant en gargouillis. Ses mains tremblaient, son corps convulsait, secoué par la force qui l'envahissait.

Dixie, déjà en lui, continuait de rire, mais ce rire n'avait plus de direction : il vibrait de partout, à l'intérieur, comme si ses entrailles ricanaient.

— Ah, ça y est ! Oh Fiouzou, que c'est douillet ici ! Ton estomac fait de jolis échos... boum boum, boum boum... ton petit cœur tape vite, tu as peur, hein ?

Fiouze, secoué, chancela. Ses yeux roulaient comme deux billes, et de sa bouche entrouverte s'échappaient encore des volutes de fumée scintillante : les restes de Dixie, qui narguaient même en s'effilochant.

— Allons, mon gros, reprit la voix de Dixie, résonnant désormais de l'intérieur de son crâne, allons danser tous les deux... jusqu'à ce que tu n'aies plus de souffle !

Un dernier rire tonitruant secoua la pièce, un rire sans origine, ni dedans ni dehors, un rire de clown détraqué, à la fois grotesque et terrifiant.

— Oh, mais quelle force ! rugit Pixie à travers sa bouche, sa voix se mêlant à celle de Fiouze. Dixie adore ce corps ! Fort comme un taureau, bruyant comme une fanfare !

Les chaînes de fer éclatèrent une à une dans un fracas métallique. La table trembla sous l'impact et céda, renversée par la puissance conjuguée. Fiouze, pantelant, se redressa dans un mélange de frisson et d'exaltation, ses bras encore illuminés par l'énergie de Dixie.

Son propre regard reflétait maintenant deux âmes : celle, paniquée, de Fiouze, et celle, narquoise et excentrique, de Dixie qui brillait derrière ses pupilles.

— Et maintenant, mesdames et messieurs, lança Dixie à travers sa bouche en roulant les r, la bête et le clown ne font plus qu'un ! Quel spectacle !



Dans la grande salle circulaire, les apprentis Karmadors restants étaient rassemblés. Les visages tendus, les corps légèrement voûtés, comme si chacun portait le poids de ce qui venait d'arriver. STR, debout au centre, imposait son calme ferme. Son manteau sombre projetait une ombre longue sur le sol, et ses yeux se promenaient de l'un à l'autre avec une sévérité tranquille.

À ses côtés, une présence se fit remarquer davantage que les autres : Fiouze. Mais ce n'était plus le même regard, plus la même respiration. Ses pupilles luisaient d'une lueur étrange, comme traversées de particules argentées, et sa voix avait cessé de se faire entendre. Silencieux, il observait, impassible, comme détaché de tout. Certains apprentis se décalèrent discrètement, mettant une distance prudente entre eux et lui.

Un bruissement d'inquiétude parcourut le groupe, mais tous se turent aussitôt.

Puis, dans l'air, une vibration étrange se répandit. Comme une onde. Fiouze, immobile, avait entrouvert la main, et une lueur se mit à s'élever de sa paume. Personne n'osa rompre le mutisme. Les apprentis, d'abord reculés, se penchèrent à nouveau vers la lumière, hypnotisés malgré leur peur.

Une image s'éleva alors : un hologramme translucide, flottant au-dessus d'eux. C'était une immense bâtisse, à la fois château et forteresse, aux tours massives et aux murailles recouvertes d'ombres mouvantes. Des vitraux noirs scintillaient de lueurs rougeâtres, et tout l'édifice semblait respirer, comme si ses murs battaient au rythme d'un cœur obscur.

Un murmure parcourut les apprentis.

— Par les astres... souffla Pétronille. Qu'est-ce que... c'est ?

STR croisa les mains dans son dos.

— Ce que vous voyez n'est pas une illusion. C'est une vision. La demeure d'un homme... et désormais, la forteresse d'une alliance plus noire que jamais. Vous le connaissez sous le nom de Lethifière. 

Un frisson parcourut l'assemblée. Le nom seul semblait éveiller une crainte diffuse, comme un spectre que l'on préférait oublier.

— Lethifière ?... répéta Gina, la mâchoire serrée. Jamais entendu parler de lui. Meme quand jetais moi et les Sentinelles, dans le camp de Riu. 

STR désigna l'hologramme. La forteresse, situee a Saint-Élie-de-Caxton, se mit à tourner lentement, révélant une salle centrale illuminée d'un rouge macabre. Au-dessus, une silhouette difforme, titanesque, se dessinait le trone du Krashmal Supreme. 

— Là... siège le Krashmal Suprême. Celui qu'ils nomment Beurk.

À ce nom, plusieurs apprentis échangèrent des regards effrayés. Pétronille serra son manteau contre elle, comme pour se protéger.

— Il ne se déplace pas sans une armée d'invités et de serviteurs. La demeure de Lethifière est devenue le bastion qui abrite ses réceptions... ses complots... ses exécutions. STR s'avança d'un pas, son ombre s'élargissant sur le sol. Et c'est contre cela que nous devons nous préparer, afin de liberer Greg et les autres Karmadors.

Un silence pesant s'installa. Fiouze — ou plutôt, ce qu'il était devenu — referma sa main. L'hologramme s'éteignit, aspiré dans le néant. Les apprentis respirèrent plus fort, comme s'ils sortaient d'un cauchemar.


Chacun semblait lutter intérieurement avec l'ombre du château de Lethifière et la silhouette monstrueuse de Beurk. Puis, ce fut Fulgure qui rompit la torpeur.

Il fit un pas en avant, le menton haut, ses yeux durs et sa voix tranchante :

— Et vous, vous trouvez ça normal ? On nous cache des choses, on nous manipule, et on devrait se jeter tête baissée dans la gueule des Krashmals ? STR n'a pas été clair. Pas une fois. Elle nous utilise comme des pions. Comme... comme elle a déjà utilisé Greg et ces balises !

Un murmure d'approbation se leva dans le groupe. Certains baissèrent les yeux, d'autres hochèrent doucement la tête. Les mots de Fulgure, imprégnés de fierté blessée, perçaient les doutes tapis dans le cœur des apprentis.

Pétronille s'avança timidement, ses mains tremblantes serrées contre elle. Sa voix, douce mais ferme, tenta de calmer le flot empoisonné :

— Fulgure... ne dis pas ça. STR ne nous manipule pas, elle nous guide. On a besoin d'un repère, et elle... elle est ce repère. Si on commence à se méfier de tout, on est déjà perdus.

Mais Fulgure ricana froidement.

— Toi, toujours prête à suivre comme une brebis. Tu ne vois pas que c'est de la chair à canon qu'elle veut faire de nous ? Quand tout sera fini, il ne restera que des ombres de ce que nous étions.

Les mots s'insinuaient, aigus, et certains apprentis détournaient le regard de STR. L'atmosphère se chargeait de suspicion.

C'est alors que Martin, resté silencieux jusque-là, fit un pas en avant. Son visage était contracté par une colère contenue depuis longtemps.

— Assez, Fulgure.

Tous se retournèrent vers lui, surpris. Sa voix, d'ordinaire légère ou maladroite, vibrait d'une intensité nouvelle.

Martin continua, son souffle lourd mais décidé :

— Tu crois que je n'ai pas entendu tes moqueries ? Tes surnoms débiles ? Cyclone, le garçon maladroit, le clown de l'Académie. Toute ta bande a passé des semaines à me rabaisser, à me rappeler que j'étais un poids. Tu as aimé me voir lutter, échouer, m'écraser sous vos rires.

Un silence frappant s'installa. Fulgure serra les poings, mais ne répliqua pas.

Martin fit un autre pas, plus proche, ses yeux flamboyants.

— Mais les choses ont changé. Et pas seulement pour moi. Parce que je ne suis plus celui qui baisse les yeux quand on l'humilie. Je suis un Karmador. Et un Karmador, ça ne se cache pas derrière son orgueil pour diviser ses frères et sœurs. Ça se bat pour protéger. Pour sauver. Et c'est ce que je vais faire.

Il se retourna vers le groupe entier, sa voix montant comme une clameur :

— Vous voulez savoir si on est manipulés ? Alors regardez autour de vous. Nos amis ne sont pas là. Ils sont prisonniers. Et si on ne bouge pas, si on laisse la peur nous dévorer, ils mourront seuls, loin de nous. Moi, j'ai décidé. Je me battrai. Pas pour STR. En hommage pour les gens qui m'ont méprisé comme pour ceux qui m'ont cru. Et si vous pensez encore que je suis qu'un Cyclone ridicule...

Sa voix se brisa un instant, puis reprit avec une force décuplée :

— Alors regardez-moi.

Martin leva ses bras vers le ciel, et soudain, l'air vibra. Un grondement sourd emplit la salle, comme si la météo entière s'était invitée dans leurs murs. Les cheveux des apprentis se dressèrent sous une brusque montée d'électricité.

Un vent puissant tourbillonna autour de lui, soulevant poussière et étoffes, jusqu'à former une véritable tornade qui le cerna de ses bras colossaux d'air. Des éclairs bleutés dansaient entre ses doigts, rebondissant sur sa peau. Puis, une lumière éclatante jaillit, l'auréolant comme un astre en naissance.

Sous les yeux écarquillés de tous, sa silhouette se métamorphosa. Ses vêtements se déchirèrent dans le tumulte, remplacés par une tenue souple et sombre, aux reflets orange incandescent et noir profond. Une capuche se déploya dans un claquement sec, et un masque argenté, éclatant comme un miroir de lune, recouvrit son visage. Dans son dos, une longue cape se mit à flotter, gonflée par la force du vent qu'il générait.

La tornade s'éleva encore, puis se dissipa d'un souffle colossal qui fit chanceler les apprentis. Quand le calme revint, Martin se tenait debout, transformé, majestueux, l'éclat de son aura dissipant les doutes.

Un silence religieux suivit. Même Fulgure resta bouche close, les poings relâchés, le regard rivé sur cette figure nouvelle qui n'avait plus rien du garçon maladroit qu'il avait autrefois humilié.

Alors, lentement, presque à contrecœur, Fulgure inclina la tête. Et les autres, un à un, suivirent, courbant la nuque devant Martin. Non plus devant STR, mais devant l'évidence : un Karmador venait de naître sous leurs yeux.

Un murmure, d'abord fragile comme une étincelle, commença à parcourir les rangs : « Est-ce vraiment lui ?... Martin ?... »

Et c'est alors que le jeune homme fit un pas en avant, le sol vibrant sous ses pieds comme si la terre elle-même l'accompagnait. Sa voix s'éleva, grave, vibrante, riche d'une résonance qui paraissait dépasser les murs, comme si elle roulait dans le ciel au-dessus de l'Académie :

— Je suis Geyser.

Le nom résonna, puissant, se déployant comme une onde de choc dans l'air. Geyser, ce n'était pas seulement un titre : c'était une affirmation, une promesse, une force de la nature prête à jaillir, imprévisible et indomptable. La lumière qui l'entourait reprit brièvement, comme pour sceller cette proclamation.


Dans cet instant suspendu, une vérité s'imposa à tous : Martin Bordeleau n'était plus un apprenti maladroit. Il était Geyser, un Karmador, et peut-être l'un de ceux dont on se souviendrait longtemps.


STR se tenait légèrement en retrait, observant. Ses yeux, sombres mais brillants de vie intérieure, balayèrent un à un les visages de ceux qu'elle appelait désormais ses compagnons de route. L'air vibrait encore des rémanences de la transformation de Martin — Geyser — lorsque l'inattendu se produisit : un à un, les autres apprentis Karmadors commencèrent à se métamorphoser.

 Anne Marie fut la première à se métamorphoser. Autour d'elle, l'air s'embrasa comme si la terre s'ouvrait sous ses pas. Sa silhouette se drapa d'une lumière incandescente, puis sa tenue se forgea, éclatante, inédite : une redingote longue, fine et ajustée, zébrée de veines de feu, donnant l'illusion que des torrents de lave glissaient sur le tissu en fusion. Le noir et l'orange dominaient, ponctués d'éclats d'argent qui pulsaient comme des braises prêtes à exploser. Même son masque reflétait cette dualité, sombre et flamboyant, mystérieux et brûlant. Elle leva les yeux, le visage auréolé de reflets volcaniques, et nul ne put deviner la profondeur de son pouvoir, encore voilé mais déjà redouté.

À ses côtés, Pétronille s'enveloppa d'un halo désordonné, presque capricieux. Sa transformation n'avait rien de lisse ni de disciplinée, mais elle imposait sa singularité. Son costume se révéla dans une explosion de noir, d'orange et d'argent, mais enrichi d'ornements étranges, excentriques, presque théâtraux. Elle portait une perruque démesurée, hérissée de mèches aux couleurs variées, comme un feu d'artifice pétrifié en plein mouvement. Ses manches longues s'évasèrent en arabesques, et chaque détail semblait un défi à la symétrie. Loufoque, fantasque, elle demeurait pourtant éclatante, comme une étoile qui refusait de se fondre dans la constellation.

Puis ce fut Simon. Sa transformation ne jaillit pas comme une explosion, mais comme une déferlante de vitesse contenue. Un flux argenté parcourut ses muscles, se resserrant, affinant sa silhouette. Sa tenue se matérialisa d'un seul jet : un uniforme noir et orange, épuré, profilé comme celui d'un champion olympique. Chaque couture semblait taillée pour l'aérodynamisme, chaque ligne pour l'efficacité. Sur sa poitrine brillait un éclair argenté, simple et tranchant comme une lame de foudre. Ses bottes, fuselées, pulsaient d'une énergie prête à bondir, et son masque s'ajustait avec une précision chirurgicale. Simon se tint droit, puissant et sûr de lui, et l'on devinait que son corps n'était plus chair mais mouvement.

Sébastien lui emboîta le pas, mais sa transformation, bien que similaire, révéla sa propre essence. Le halo qui l'entoura vibrait comme une tension prête à se libérer. Sa tenue s'imprima sur lui dans un même style sportif et effilé, noir et orange vibrant, mais au centre de son torse flamboyait un logo en forme de flèche argentée, qui semblait déjà traverser le tissu pour se projeter vers l'avant. Ses gants, fins et aiguisés, luisaient comme des pointes d'acier, et ses bottes s'ancraient au sol avec la promesse d'une impulsion fulgurante. Il esquissa un sourire nerveux, conscient de la puissance nouvelle qui l'habitait. Désormais, Simon et lui étaient les incarnations vivantes de la vitesse, deux frères d'élan que rien ne semblait pouvoir arrêter.

Tout autour, l'atmosphère vibrait d'énergie. Les éléments s'entrecroisaient : flammes, brumes, vents, étincelles. C'était une véritable fresque mouvante, un tableau vivant où chaque apprenti révélait son identité à travers sa parure et son aura. STR, immobile, laissa ses yeux s'imprégner de chaque détail. Ses lèvres tremblèrent légèrement, partagées entre la stupeur et l'admiration. Elle se rappelait, dans un coin secret de son cœur, son propre nom d'antan — Eureka — et jamais ce mot n'avait semblé aussi vrai.

Oui, songea-t-elle en silence, avec une dignité presque sacrée. Ils étaient devenus Karmadors.


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