Kaboum : Le réveil des Karmadors

Chapitre 19 : Quand la Nature se Venge

8541 mots, Catégorie: B

Dernière mise à jour 28/10/2025 13:45

L'aube fragile étendait sa lueur pâle sur l'Académie, comme un voile hésitant avant la tempête. STR, figée au centre du grand hall, contemplait le groupe assemblé devant elle. Ses amis, ses compagnons, ses alliés. Tous portaient dans leurs regards le même éclat tendu : celui de ceux qui s'apprêtent à franchir une limite dont on ne revient pas.

Son attention se posa d'abord sur Eclair, qui glissa son vieux sifflet cabossé dans la paume de Rapido. Leurs doigts se serrèrent, lourds d'un souvenir commun. Un signal pour se retrouver, un souffle qui rappelait qu'ils n'étaient jamais seuls. STR sentit son cœur battre plus fort. Ce geste, presque enfantin, avait maintenant des allures de serment.

Non loin, Geyser rejoignit Maya, la voix vibrante d'une promesse.

— Je vais veiller sur toi, quoi qu'il arrive. Comme sur la prunelle de mes yeux.

La Karmadore arqua un sourcil, puis, sans parvenir à masquer le sourire au coin de ses lèvres, lâcha :

— Essaie d'abord de veiller sur toi-même. Parce que si tu te casses encore la figure, je ne promets pas de te ramasser.

Leurs éclats ironiques, pourtant tendres, firent naître un souffle léger au sein du groupe, comme une bouffée d'air au cœur de la tension. STR sourit derrière son masque : même dans l'ombre de la guerre, leur humanité persistait.

À l'écart, Gina n'était pas seule. Autour d'elle se tenaient trois silhouettes familières, auréolées d'une prestance qui imposait le respect : Magma, Gaïa et Lumina. Les Sentinelles. Leurs alliées. Leur présence silencieuse, mais ferme, apportait au groupe une densité nouvelle, comme si la mission dépassait désormais la jeunesse des apprentis pour s'inscrire dans une continuité héroïque plus vaste. STR capta le regard de Gina : une flamme y brûlait, claire et intrépide. Elle avait trouvé son nom de Justicière Masque, mais aussi son armée fraternelle.

Plus loin, Huang, entouré de ses compagnons, se tenait droit, plus fier que jamais. Mais cette fois, aucune raillerie ne franchit ses lèvres. Son silence avait le goût de l'orgueil ravaler, d'un respect maladroit mais réel. STR comprit qu'il avait choisi son camp — le leur.

Enfin, dans un recoin obscur, l'imposante silhouette de Fiouze, secouée par une lueur étrange, rappelait la présence silencieuse de Dixie. STR n'avait pas besoin de mots : elle savait que la créature, traversée de l'âme flamboyante de son amie, serait leur atout le plus dangereux, et peut-être leur clé pour franchir les portes de la forteresse.

STR posa alors la main sur sa Goutte. Le cristal vibra d'une lueur contenue, comme une boussole vivante pointant leur destin. Sa voix s'éleva, grave et limpide, se répercutant sur les murs :

— Nous avons nos peurs, nos doutes, nos rancunes... mais elles ne comptent plus. Ce qui compte, c'est de sauver nos frères et sœurs. Ce qui compte, c'est de sauver l'Académie. Nous partirons en silence, nous frapperons vite, et nous reviendrons. Ensemble.

Un souffle parcourut la salle. Les apprentis se raidirent, les poings serrés. Les Sentinelles inclinèrent légèrement la tête, comme pour sceller leur soutien. Même Huang et sa bande abaissèrent les yeux en signe de respect.

Et, au centre de cette unité fragile mais flamboyante, STR leva les yeux vers l'horizon invisible où se dessinait déjà l'ombre de la forteresse.

Leur voyage commençait.


STR sentit le poids de la Goutte dans sa main et, à travers son souffle, une image ancienne refit surface. Elle se revit, toute jeune, découvrant pour la première fois le QG des Karmadors. Cette vision du jeune protecteur de l'eau de Kaboum lui revint avec une clarté presque douloureuse : la rigueur, la responsabilité, et cette impression qu'un destin bien plus grand que soi la dépassait déjà.

Aujourd'hui, alors qu'elle guidait ses compagnons à travers l'expédition qui les mènerait à la forteresse des Krashmals, elle ne pouvait s'empêcher de sourire intérieurement. Les souvenirs de ce premier pas dans le QG, maladroit et émerveillé, se mêlaient à la solennité du présent. Elle était la même STR, mais transformée, forte et déterminée, prête à porter la responsabilité de chacun de ses alliés comme le jeune Karmador avait jadis porté l'eau de Kaboum.

Chaque regard posé sur ses compagnons — Geyser, Maya, Assomia, Eclair, Rapido, et même Huang et sa bande — lui rappelait qu'elle n'était pas seule. Mais ce retour en arrière lui donnait cette force silencieuse, cette assurance que même les chemins les plus périlleux pouvaient être affrontés, car elle avait déjà été témoin de la naissance d'un Karmador, et maintenant, elle en guidait toute une nouvelle génération.



STR fit tourner la Goutte dans sa paume, et une clarté bleutée se mit à irradier, projetant dans l'air un hologramme mouvant. Les silhouettes de montagnes, de vallées et de rivières apparurent en relief, suspendues au-dessus de leurs têtes. La forteresse des Krashmals se dressait au loin, une masse d'ombres et de flèches acérées.

STR prit une inspiration, consciente que chaque mot devait leur donner de la force.

— Voilà notre chemin, dit-elle, sa voix claire et ferme. Nous descendrons cette vallée, suivrons la rivière jusqu'à la lisière des sapins, puis nous établirons notre premier point d'arrêt ici. Elle désigna du doigt une clairière lumineuse sur la projection. Ce ne sera pas une attaque précipitée. Nous avons besoin de repos, de vigilance et de coordination. C'est la seule manière d'arriver jusqu'à eux... et de revenir en vie.

Un murmure parcourut le groupe. Eclair fronça les sourcils.

— Se reposer ? Mais si on perd du temps...

— Perdre du temps, l'interrompit STR, c'est foncer sans réfléchir. Nous ne sommes pas des mercenaires aveuglés par la colère. Nous sommes des Karmadors. La patience est une arme autant que nos pouvoirs.

À ces mots, Maya croisa les bras, son regard flamboyant d'accord silencieux. Assomia, quant à elle, esquissa un sourire apaisant.

— Je préfère dormir sous des sapins que sous des gravats, souffla-t-elle en haussant les épaules.

Geyser en profita pour glisser sa remarque avec un sérieux faussement exagéré :

— Très bien... mais qu'on se le dise. Nous avons peut-être appris à invoquer des tornades et à contrôler la lave... sauf qu'on a oublié le chapitre "Comment planter une tente sans se tuer".

Un rire nerveux, mais bienvenu, détendit l'atmosphère. Même Huang laissa échapper un souffle amusé, bien qu'il se retînt de sourire franchement.


Puis la nuit tomba, d'un seul coup, comme si un géant avait appuyé sur un interrupteur. Les ténèbres engloutirent le paysage avec brutalité, et le groupe frissonna dans cette obscurité soudaine.

C'est alors que Dixie — ou plutôt Fiouze habité par elle — se mit à briller. Sa silhouette massive scintilla dans le noir comme un diamant brut, facetté par des reflets étranges. Le spectacle était presque irréel : chaque mouvement dessinait des éclats étincelants qui dansaient autour de lui.

Un vent glacé balaya la plaine, sifflant à ras du sol. Les apprentis resserrèrent leurs capes, leurs souffles visibles dans l'air, quand soudain des cristaux de neige commencèrent à tomber. Ils scintillaient doucement, s'accrochant à leurs cheveux, à leurs épaules, comme une pluie d'étoiles gelées.

Et pourtant, de ce froid surgit une lumière. Dixie, luisant à travers Fiouze, projetait un halo qui adoucissait les ténèbres. La clarté forma un cercle protecteur autour du groupe, un écrin de chaleur au milieu du souffle glacé.

Alors, ils virent la vallée s'ouvrir sous leurs yeux. Au-delà de la pente, une mer de verdure s'étendait, ondulant dans l'obscurité comme une tapisserie vivante. Des sapins dressaient leurs silhouettes sombres, et au pied des pentes, des buissons en fleurs parsemaient la nuit de taches de couleurs. L'air, chargé de parfums résineux et sucrés, contrastait avec le froid mordant du plateau.

Anne Marie souffla, presque malgré elle :

— C'est magnifique...

Simon, lui, grelottant, marmonna :

— Magnifique ou pas... j'espère que quelqu'un sait faire du feu.

Un sourire passa sur les lèvres d'Esther. Elle observa un à un ses compagnons : la peur dans leurs yeux, mais aussi la braise de courage qui luttait pour s'imposer. Elle se redressa, et sa voix résonna comme une promesse :

— Retenez bien cette vallée. Ce soir, elle est notre premier refuge. Demain, elle sera notre premier pas vers la forteresse. Et chaque pas nous rapprochera de nos amis. Quoi qu'il en coûte, nous ne reculerons pas.

Le vent s'apaisa, et un silence solennel enveloppa le groupe. Dans ce cercle de lumière et de neige, l'expédition venait réellement de commencer.


La nuit s'était installée depuis longtemps, enveloppant la plaine d'un voile d'ombre parsemé d'éclats d'étoiles. Le camp des Karmadors, malgré les rires étouffés et les ronflements déjà éparpillés sous les tentes, baignait dans une étrange quiétude. Martin, incapable de trouver le sommeil, laissait ses pensées tourner en rond, encore et encore, comme si son esprit refusait de se reposer. Finalement, il repoussa sa couverture et se redressa en silence, décidé à suivre cette intuition qui le poussait vers l'extérieur.

Il distingua bientôt, un peu à l'écart, la silhouette de sa sœur. Esther, penchée sur une lueur vacillante, semblait absorbée par un travail minutieux. Le froissement léger de ses gestes et le scintillement régulier d'un éclat de verre piquèrent aussitôt la curiosité de Martin. Il s'approcha sur la pointe des pieds, feignant la discrétion d'un espion malhabile.

— Tu comptes me faire croire que tu bricoles une lampe torche avec des cailloux ? lança-t-il à mi-voix, le sourire déjà en coin.

Esther ne leva pas les yeux, mais ses lèvres s'étirèrent d'un sourire imperceptible.

— T'es vraiment incapable d'arriver quelque part sans faire de commentaire, toi...

Martin haussa les épaules, amusé.

— Je t'ai vue chipoter avec mes lunettes, admit-il. Alors soit tu t'es improvisée opticienne de campagne, soit tu prépares un gadget digne d'un film d'espionnage.

Esther poussa un petit soupir malicieux, reposa délicatement les lunettes sur le tissu étendu devant elle et les fit glisser vers son frère.

— Disons que je les ai... ajustées.

Martin les prit entre ses doigts, les inspectant sous toutes les coutures, fronçant exagérément les sourcils comme s'il déchiffrait une énigme.

— Ajustées, hein ? Bon, elles n'ont pas l'air d'avoir explosé... Tu veux que je les mette ?

— Pas tout de suite, répondit Esther en lui lançant un regard ferme mais tendre. C'est une surprise. Et crois-moi, tu comprendras quand tu en auras besoin.

Martin arqua un sourcil, la mine faussement vexée.

— Génial. Donc je dois attendre que ma vie soit en danger pour tester tes inventions ? Super rassurant, merci.

Esther éclata d'un rire discret, étouffé pour ne pas réveiller les autres.

— Arrête, Martin. C'est justement fait pour ça. Tu n'imagines pas à quel point tu fonces tête baissée... J'avais besoin d'un moyen de m'assurer que tu t'en sortes.

Il resta un moment silencieux, ses yeux fixés sur elle. Puis, avec une sincérité inhabituelle dans sa voix, il souffla :

— Tu sais que tu comptes énormément pour moi, pas vrai ? J'essaie pas toujours de le dire... mais j'espère que tu le sais.

Esther le regarda longuement, ses traits s'adoucissant comme sous l'effet d'une caresse invisible.

— Bien sûr que je le sais. Et toi, tu comptes encore plus que tu ne le crois.

Martin inspira profondément, puis détourna les yeux, soudain mal à l'aise devant tant de gravité. Pour désamorcer, il prit une voix taquine :

— Tu sais quoi ? Si ça continue, je vais finir par t'appeler "maman du groupe".

Esther leva aussitôt un doigt menaçant, ses yeux pétillant d'un éclat amusé.

— N'essaie même pas, petit frère.

Martin éclata d'un rire franc, incapable de se retenir.

— Allez, avoue que ça t'irait bien. Tu répares, tu consoles, tu sermonnes, tu distribues des gadgets magiques... Sérieux, il ne manque que le tablier à fleurs !

Esther secoua la tête, mais son sourire trahissait l'affection derrière ses airs sévères. Elle lui donna une petite tape sur l'épaule.

— File dormir avant que je change d'avis et que je reprenne mes lunettes.

Martin, tout en s'éloignant à contrecœur, lança par-dessus son épaule :

— D'accord, "maman". Mais sache que si je deviens aveugle à cause de ton bricolage, je te hanterai.

Esther le suivit du regard, secouant la tête avec tendresse. Dans la nuit calme, leur complicité avait tracé une étincelle rassurante, comme un phare dans l'obscurité de leur mission.


 Un vacarme étrange fendait l'air. Des coups secs, rapides, lourds. Comme si quelqu'un s'acharnait contre la forêt elle-même. Intrigué, Martin s'éloigna discrètement du campement et suivit le bruit.

Il aperçut Fulgure.

Le jeune homme frappait le sol et les troncs avec une frénésie qui confinait à la folie. Son bâton sifflait dans l'air, claquait contre la terre gelée, rebondissait dans un martèlement furieux. Chaque mouvement vibrait d'une rage presque animale, ses muscles bandés comme s'ils allaient éclater.

Martin fit un pas en avant, la bouche entrouverte pour parler, mais un coup passa si près de son visage qu'il en sentit le souffle chaud effleurer sa joue.

— Hé ! Tu veux ma mort ou quoi ? s'écria-t-il en reculant vivement.

Fulgure s'arrêta, haletant, les yeux brûlants d'une fièvre sombre. Il serrait son arme comme un condamné sa dernière prière.

— Tu devrais pas être là, Bordeleau.

Martin leva les mains, mi-ironique, mi-prudent.

— Peut-être. Mais tu frappes comme si tu voulais réveiller un volcan. Tu vas finir par réveiller toute la forêt avec ça.

Un silence tomba. Seul le souffle court de Fulgure rompait l'air glacé. Puis sa voix s'arracha, rauque et pleine de fissures :

— Je n'ai jamais été assez bien. Ni pour ma famille. Ni pour l'Académie. Nulle part.

Martin se figea, surpris par la gravité de l'aveu.

Fulgure tourna la tête, mais sa colère bouillonnait toujours. Ses doigts blanchirent autour du bois.

— Tu sais ce qu'ils m'appelaient, chez moi ? Le Yāoguài. Le démon. Pas parce que j'avais fait quelque chose de mal, mais parce que j'étais... différent. Trop de colère, trop de bruit, trop de coups de bâton. J'avais dix ans quand ça a éclaté au grand jour.

Il marqua une pause, ses yeux perdus quelque part loin derrière lui.

— C'était un repas de famille. Mon père m'a fait me lever devant tout le monde pour montrer que j'étais "indiscipliné". Il a dit que je ne serais jamais un héritier digne. Alors j'ai frappé la table avec mon bâton... fort. Trop fort. Les assiettes ont éclaté, la nourriture a volé partout. Tout le monde m'a regardé comme si j'étais un monstre. Tout le monde sauf elle...

Fulgure sortit un pendentif de sous sa tunique. Le médaillon de métal terni pendait, fragile, dans sa paume.

— Ma grand-mère. Elle seule m'a défendu. Elle a pris ma main ce jour-là et m'a dit : "Tu n'es pas un monstre. Tu es une tempête, et une tempête peut aussi arroser la terre."

Ses yeux s'embuèrent, mais il se redressa d'un mouvement brutal, frappant le sol d'un coup de bâton qui fit trembler la terre sous leurs pieds.

— Mais elle est partie. Et moi... je ne suis resté que le démon de la famille. Même ici, à l'Académie, je suis celui qui frappe trop fort, celui qui ne sourit jamais. Pas un héros. Pas un ami. Juste... une erreur.

Martin avait reculé d'un pas au moment de l'impact, mais maintenant il s'avança doucement. Lentement, il posa sa main sur le bâton, l'arrêtant net.

— Tu crois que je n'ai jamais été traité comme une erreur ? demanda-t-il, sa voix basse mais ferme. Cyclone... tu crois que c'est un nom qui inspire le respect ? J'ai été la risée de l'Académie. Le gars qui tombe, qui se cogne, qui rate tout. Mais je me suis relevé. Parce que ce ne sont pas leurs rires qui décident de qui je suis.

Il leva les yeux vers Fulgure.

— Et toi non plus, tu n'as pas besoin de leur approbation. Tu n'es pas un démon. Tu es un Karmador.

Fulgure détourna le regard, ses mâchoires crispées. Sa voix se brisa presque :

— Tu parles comme si c'était facile. Mais moi... je n'arrive même pas à croire que je mérite ça.

Martin inspira profondément.

— Alors crois en une seule chose. Dis-moi pourquoi tu as accepté de marcher avec nous. Pourquoi tu es là, ce soir.

Un silence lourd. Fulgure serra son pendentif, ses doigts tremblant.

— Pour elle, murmura-t-il. Pour ma grand-mère. Elle disait que ma colère pouvait devenir lumière. Elle croyait en moi quand personne d'autre ne le faisait. Je ne veux pas que ses mots meurent avec elle. Alors je suis venu. Pour essayer de faire une différence. Pas pour moi. Pas pour mes parents. Pour elle.

Martin contempla le pendentif, puis serra un peu plus fort sa main sur le bâton de Fulgure.

— Alors c'est suffisant. Tu n'as pas besoin de leur reconnaissance. Tu n'as pas besoin d'être parfait. Ta grand-mère a vu ta valeur. Et moi aussi je la vois. Et je te le jure, chaque fois que tu l'oublieras, je serai là pour te le rappeler.

Un silence tomba. Les yeux de Fulgure brillaient, mais il les détourna vite, reniflant sèchement.

— T'es insupportable, Bordeleau, lâcha-t-il à mi-voix. Toujours avec tes grandes phrases.

Martin esquissa un sourire en coin.

— Peut-être. Mais parfois, il faut quelqu'un d'insupportable pour remettre les pendules à l'heure.

Cette fois, Fulgure ne répondit pas. Mais ses épaules, tendues comme des arcs, se relâche. 

Le silence se prolongea, lourd mais moins hostile qu'avant. Fulgure fixait le sol, ses doigts jouant nerveusement avec le pendentif. Puis, brusquement, il leva les yeux vers Martin, un éclat farouche au fond du regard.

— Tu crois que tu me comprends, Bordeleau ? Tu crois que quelques belles phrases suffisent à effacer des années de rejet ?

Martin fronça légèrement les sourcils, mais resta immobile.

— Non. Mais je crois que je peux marcher à tes côtés.

Fulgure inspira profondément, puis, sans prévenir, fit tournoyer son bâton d'un geste rapide et le pointa vers Martin.

— Alors montre-moi. Montre-moi que tu n'es pas juste un beau parleur.

Martin leva les mains, interloqué.

— Sérieusement ? Tu veux te battre, là, maintenant ?

— Pas me battre, grogna Fulgure. Essaye de tenir.

Martin soupira, mais un sourire amusé étira ses lèvres.

— D'accord. Mais si tu me casses le nez, je vais avoir du mal à t'appeler "allié".

Fulgure attaqua sans attendre. Son bâton siffla dans l'air, rapide, précis. Martin esquiva de justesse, le cœur battant, ses réflexes mis à rude épreuve. Chaque coup vibrait comme un tonnerre contenu, chaque mouvement trahissait une discipline féroce.

Martin ne possédait pas l'adresse d'un maître d'armes, mais il avait sa détermination. Il para, esquiva, trébucha même à un moment, mais se releva aussitôt. Et malgré la rudesse de l'exercice, il tint bon.

À chaque assaut, Fulgure semblait tester quelque chose : sa patience, son courage, sa volonté de ne pas céder. Finalement, dans un geste inattendu, Martin saisit le bâton à deux mains, bloquant net la frappe.

Leurs regards se croisèrent. Le souffle court, Martin lança, entre deux halètements :

— Alors ? Toujours envie de dire que je suis qu'une erreur ?

Fulgure resta figé, son arme prisonnière de l'étreinte de Martin. Puis, lentement, il relâcha la pression. Ses lèvres s'étirèrent en un demi-sourire, rare, presque imperceptible.

— Pas ce soir.

Il tira son bâton vers lui, fit tourner l'arme dans un moulinet gracieux, puis la planta dans le sol avec solennité.

— Chez nous, dit-il à voix basse, on dit que partager un duel sans haine, c'est tisser un pacte. Tu l'as gagné.

Martin haussa un sourcil, essoufflé mais intrigué.

— Attends, tu veux dire que je suis... ton frère d'armes ?

— Peut-être, répondit Fulgure en haussant légèrement les épaules. Ou peut-être juste quelqu'un que je n'ai plus besoin de jalouser.

Martin esquissa un sourire franc, et, dans un geste spontané, tendit sa main.

— Alors, marché conclu. Pas de jalousie. Pas de rancune. Juste... on se tient debout.

Fulgure hésita une seconde, puis serra la main tendue. Sa poigne était ferme, presque écrasante, mais cette fois, elle n'était pas un défi. C'était un sceau silencieux.

Dans la nuit glacée, un accord venait d'être forgé — brut, maladroit, mais solide. Et pour la première fois depuis longtemps, Martin eut la certitude que, derrière la colère de Fulgure, il y avait autre chose : une loyauté qui, si elle se déchaînait, serait aussi redoutable que sa tempête intérieure.

Le bâton de Fulgure fendit l'air dans un sifflement sec, visant l'épaule de Martin. D'un bond maladroit, celui-ci esquiva de justesse, trébuchant sur une racine avant de se rattraper en moulinant des bras. Fulgure ne laissa aucun répit : il enchaîna par une frappe circulaire, fluide, presque féline, qui aurait fauché n'importe qui d'autre.

Martin plia les genoux, se jeta en avant et sentit le bois frôler ses cheveux.

— Tu danses, Bordeleau ? railla Fulgure, son souffle court mais son sourire carnassier bien présent.

Martin grogna, ramassa une branche brisée qui traînait au sol et l'empoigna comme une arme improvisée.

— J'improvise. Toujours mieux que de finir en purée.

Ils s'affrontèrent à nouveau. Le bâton de Fulgure vibrait comme un serpent, changeant de direction en une fraction de seconde. Ses pas, rapides et précis, dessinaient des cercles autour de Martin, qui pivotait maladroitement pour suivre le rythme.

Fulgure bondit soudain en l'air, effectua un tour complet et abattit son arme comme la foudre. Martin, par pur réflexe, leva sa branche et encaissa le choc. Le bois gémit, craqua, mais tint bon. Les bras de Martin tremblaient sous l'impact, pourtant il ne céda pas.

— Pas mal... pour un clown, lâcha Fulgure, les yeux plissés par l'effort.

— Tu sais... j'ai toujours eu du mal à faire rire au bon moment, répliqua Martin entre ses dents serrées.

Leurs armes s'entrechoquèrent à plusieurs reprises, chaque coup résonnant comme un écho dans la clairière. Fulgure tournait, bondissait, frappait avec une précision chirurgicale. Martin, lui, parait avec la force du désespoir, se jetant parfois à plat ventre ou esquivant de travers comme un funambule ivre. Mais malgré la maladresse, il tenait.

Puis, dans un mouvement inattendu, Martin roula sur le côté, se releva en jaillissant et bloqua une frappe en croix. Ses deux mains agrippèrent le bâton de Fulgure, l'arrêtant net.

Un silence tomba, seulement troublé par leurs respirations haletantes.

Martin planta son regard dans celui de son adversaire.

— Alors ? Tu vois encore en moi le gars qu'on appelle Cyclone pour se moquer ?

Les muscles de Fulgure se contractèrent, mais il ne reprit pas l'assaut. Lentement, il relâcha la pression. Ses yeux, d'ordinaire brûlants de colère, semblaient adoucis, comme apaisés par la résistance inattendue de Martin.

Puis il souffla, presque amusé.

— Tu as le pire style de combat que j'ai jamais vu.

Martin haussa un sourcil.

— Et pourtant, je suis encore debout.

Fulgure éclata d'un rire bref, sec, mais franc. Il fit tourner son bâton dans un moulinet élégant et le planta dans le sol, comme pour sceller quelque chose.

— Tu sais... chez nous, quand deux combattants se mesurent sans haine, on dit qu'ils deviennent frères d'armes.

Martin haussa un sourcil, surpris.

— Frères d'armes, hein ?... Ça sonne mieux que Cyclone, ça.

Fulgure laissa échapper un souffle qui ressemblait presque à un rire étouffé. Puis il serra la main que Martin lui tendait. Sa poigne était ferme, presque écrasante, mais cette fois, ce n'était pas un défi.

Dans le froid de la nuit, la reconnaissance venait de naître.



Le soleil se levait à peine, étirant ses premières lueurs rosées sur la cime des arbres, quand le petit groupe de Karmadors reprit la route. L'air était vif, piquant, chargé de l'odeur des pins et de la terre humide. Leurs pas s'enfonçaient dans un sol parfois boueux, parfois rocheux, et chaque souffle de vent portait l'écho d'une aventure qui s'écrivait pas à pas.

STR ouvrait la marche, la Goutte bleue métallique serrée dans sa main comme une boussole sacrée. L'appareil projetait des signaux lumineux, pulsant en rythme comme un cœur artificiel, traçant une direction claire vers l'objectif.

— À gauche, indiqua STR d'une voix grave mais rassurante. On grimpe ce versant rocheux, puis on redescend vers la vallée.

— Facile à dire, marmonna Martin en levant les yeux vers la paroi. On dirait plutôt l'escalier secret de King Kong.

Esther lui lança un sourire amusé malgré la fatigue.

— Allez, Geyser. Si tu peux escalader les armoires de la cuisine pour voler des biscuits, tu peux bien grimper ça.

— Pas la même chose, protesta-t-il. Les biscuits ne me faisaient pas risquer la fracture du coude.

Malgré les plaisanteries, l'expédition progressait avec prudence. Ils traversèrent des torrents glacés en se tenant par la main pour ne pas être emportés par le courant. Ils escaladèrent des parois abruptes, leurs doigts crispés sur les pierres humides. Parfois, ils s'arrêtaient pour reprendre leur souffle, les visages rouges d'effort, les muscles en feu. Mais à chaque fois, un regard déterminé circulait dans le groupe. Personne ne voulait céder.

Les jours se succédèrent ainsi, marqués par les nuits passées à la belle étoile, sous un ciel constellé. STR montait souvent la garde, l'air grave, le regard fixé sur l'horizon. Esther, de son côté, tentait de maintenir le moral en discutant avec les plus jeunes, en racontant de petites histoires ou en évoquant des souvenirs familiaux. Martin, malgré sa maladresse, trouvait toujours le moyen de faire rire les autres, en se plaignant théâtralement de ses ampoules ou en inventant des chansons absurdes pour rythmer la marche.

Au bout de plusieurs jours, épuisés mais soudés, ils atteignirent enfin le village de Sainte-Élie-de-Caxton. Le décor changeait : les forêts semblaient plus denses, les lacs reflétaient une lumière étrange, presque argentée, et l'air lui-même paraissait chargé d'électricité.

C'est à ce moment-là que la Goutte de STR commença à se comporter étrangement.

Un premier grésillement éclata, sec et métallique, comme un vieux poste de radio mal réglé. La lumière bleutée qui guidait le groupe se mit à clignoter de façon irrégulière, projetant des ondes circulaires qui s'étendaient autour d'eux avant de disparaître.

— STR ?... demanda Maya, inquiète. C'est normal, ça ?

STR fronça les sourcils, resserrant sa poigne sur l'objet.

— Non... la Goutte ne devrait pas émettre ce genre de fréquence. On dirait qu'elle résiste.

Martin, qui observait les ondes crépiter, lança d'un ton nerveux :

— Résiste ? Attends... tu veux dire qu'elle a un caractère ? Parce que déjà qu'on galère avec toi en mode sergent-chef, si en plus ton gadget décide de nous faire la grève, on est fichus.

Un autre grésillement plus fort retentit, presque un cri aigu. La Goutte vibra dans la main de STR comme si elle voulait s'échapper.

Puis, soudain, un hurlement déchira l'air.

Le cri venait de Dixie. Ou plutôt... de Fiouze.

Ses mains se crispèrent, ses yeux se révulsèrent, et son corps se cambra violemment comme si une force invisible tentait de l'arracher de l'intérieur.

— Dixie ! s'écria Esther en se précipitant vers elle.

Dixie hurlait, la voix rauque, inhumaine, entrecoupée de gémissements terrifiants.

— Il... il essaie de revenir ! Fiouze... Fiouze veut son corps !

Elle tomba à genoux, ses doigts griffant la terre. Sa respiration saccadée sonnait comme un animal traqué. Le sol vibrait légèrement sous elle, comme si deux présences s'affrontaient dans une guerre invisible.

STR s'agenouilla près d'elle, posant une main ferme sur son épaule.

— Résiste, Dixie. Ne le laisse pas reprendre le dessus. Tu es plus forte que lui.

— Tu crois que c'est si simple ?! cracha-t-elle, ses yeux brillant d'une lueur bleutée inquiétante. Il est là, je le sens ! Il m'étouffe !

Martin recula d'un pas, le visage pâle.

— Euh... question : est-ce qu'on risque une explosion ? Parce que j'ai pas envie de finir grillé façon marshmallow.

Un éclat de rire noir, glaçant, jaillit de la gorge de Dixie. Mais ce n'était plus sa voix. C'était celle de Fiouze, grave, déformée.

— Ce corps... est... à moi !

Les bras de Dixie se levèrent d'eux-mêmes, ses doigts formant des griffes. Son corps se tordait, pris entre deux forces contraires. Une lueur violette s'échappa de sa poitrine, dessinant deux silhouettes superposées : l'ombre de Dixie, fragile mais déterminée, et celle de Fiouze, plus sombre, plus lourde, tentant de l'écraser.

Esther s'avança malgré la peur, tendant les mains.

— Dixie ! Écoute-moi ! Tu n'es pas seule. On est avec toi ! Tu peux le repousser !

Dixie hurla à nouveau, les veines de son cou gonflées, son visage couvert de larmes.

— Je... je ne veux pas disparaître !

La lutte intérieure prenait forme à l'extérieur : chaque spasme de son corps faisait trembler le sol, chaque cri libérait une onde d'énergie qui bousculait les Karmadors autour d'elle. STR, les dents serrées, tenta de stabiliser la bete.

Les spasmes de Dixie devinrent si violents que ses bras claquèrent contre le sol comme frappés par une force invisible. Sa gorge se serra, puis une voix étrangère, déformée, jaillit d'elle. Ce n'était plus Dixie.

Une voix rauque, grave, presque monstrueuse, résonna, mais avec une froide clarté :

— Fiouze ne partage pas son corps. Fiouze reprend ce qui lui appartient.

Un frisson parcourut la colonne de Martin. Tous les Karmadors reculèrent d'instinct. STR, lui, ne perdit pas une seconde. Il leva haut sa Goutte, malgré les ondes folles qui la faisaient vibrer comme un cœur malade, et ordonna d'un ton martial :

— MÉTAMORPHOSE ! Tout le monde, maintenant !

Une lumière éclata autour du groupe. Esther, Martin, Anne Marie, Fulgure, STR et les autres prirent leur forme de Karmadors, leurs tenues scintillant sous la pâle clarté de Sainte-Élie. Le sol vibra légèrement sous l'énergie déployée.

Mais Fiouze rit. Un rire sombre, secoué d'un grondement presque animal. Sa voix, à la troisième personne, se déchaîna :

— Vous croyez intimider Fiouze avec vos costumes de lumière ? Dixie n'a rien à faire ici. Elle usurpe un corps qui ne lui appartient pas. Si elle ne part pas... alors Fiouze fera un festin de vous tous.

Le corps de Dixie/Fiouze se redressa d'un coup, les yeux écarlates, un sourire cruel étirant son visage.

— Fiouze aime la chair des Karmadors. Vous croyez qu'elle résistera longtemps ?

Dixie, de l'intérieur, hurla :

— NON ! Ne les touche pas ! C'est mon corps pour l'instant, et je me battrai !

Mais la voix de Fiouze l'écrasa aussitôt.

— Tu n'es rien. Tu n'es qu'une voleuse. Fiouze reprendra ses os, son sang, ses crocs. Et Fiouze criera si fort que les Krashmals entendront.

Un silence de plomb tomba. Puis, comme pour appuyer sa menace, le corps de Fiouze ouvrit la bouche et un souffle guttural, grondant, en sortit. Pas encore le hurlement... mais une vibration assez puissante pour faire trembler les vitres des maisons alentours.

STR blêmit.

— Il... il est sérieux. Si Fiouze hurle, on sera cernés par les Krashmals en quelques minutes.

Esther serra son arme, les yeux fixés sur Pixie.

— Dixie se bat encore, on peut l'aider ! Il ne faut pas l'abandonner !

Mais Fiouze ricana.

— Fiouze connaît vos faiblesses. Et Fiouze connaît votre chemin. Le château de Lethifière n'est pas si loin. Voulez-vous vraiment que Fiouze appelle ses frères... et qu'ils vous traquent jusque-là ?

Il avança d'un pas, chaque mouvement chargé d'une puissance sauvage.

— Alors, Karmadors... décidez vite. Ou Fiouze décide pour vous.

Le corps se cambra à nouveau, partagé entre l'éclat lumineux de Dixie qui résistait et les ombres furieuses de Fiouze. Chaque seconde devenait un compte à rebours.


Le combat éclata dans une fureur brute. Fiouze, enfermé dans le corps de Dixie, chargea les Karmadors avec une rapidité bestiale. Ses bras fouettaient l'air, ses griffes improvisées labouraient le sol. Chaque coup semblait vouloir briser, non seulement leurs défenses, mais aussi leurs nerfs.

STR ordonnait, la voix ferme malgré le chaos :

— Formation défensive ! Ne le touchez pas directement, il faut éviter de blesser Dixie !

Mais Fiouze était partout. Un bond. Un rugissement. Un coup de poing si puissant que STR fut projetée contre un rocher, l'armure éraflée. Geyser accourut, haletant.

— STR ! Tu tiens ?

— T'occupe de moi, je vais bien ! Occupe-toi de lui !

Pendant ce temps, Maya et Fulgure essayaient de canaliser l'énergie de Fiouze dans un cercle, improvisant un rituel protecteur à partir de gestes qu'ils avaient appris dans les cours de divination. Des symboles lumineux se traçaient au sol, faiblement, comme si la terre elle-même hésitait à coopérer.

Mais Fiouze, sentant le piège, éclata d'un rire caverneux.

— Vous croyez enfermer Fiouze ? Fiouze brise vos cercles comme vos os !

Il frappa le sol d'un coup si violent que les traits lumineux se fissurèrent. Le cercle de lumière chancela.

Alors Dixie hurla de l'intérieur, sa voix chevauchant celle du monstre :

— AIDEZ-MOI ! Ne le laissez pas gagner !

STR, tremblante mais debout, sentit sa gorge se nouer. Ils perdaient du temps. Et chaque seconde rapprochait Fiouze de son hurlement d'alerte.

Geyser jura.

— On n'y arrivera pas de cette manière... STR ! On a besoin d'un choc, quelque chose qui puisse le neutraliser sans la tuer !

STR hocha la tête, mais resta un instant figée. Le choix était terrible. Et c'est alors qu'une voix s'éleva.

Geyser.

Sa stature imposante, ses yeux brillants d'une résolution nouvelle. Il leva les bras vers le ciel.

— La nature est mon alliée. L'orage est mon frère. Si nous devons contenir Fiouze, alors que ce soit par la force des éléments !

Le vent commença à tourner. Un souffle puissant, d'abord discret, puis hurlant comme mille voix, s'éleva autour de Fiouze. La terre vibra. Les arbres ployaient. Un tonnerre sourd éclata au loin.

La tornade naquit.

Elle s'enroula autour de Fiouze comme un serpent de tempête, l'emprisonnant dans un vortex étincelant de pluie, de foudre et de poussière. Les yeux de Fiouze s'écarquillèrent, sa bouche s'ouvrit... et il hurla.

Un hurlement si atroce qu'il traversa l'air comme une lame. Un cri qui n'était ni tout à fait humain, ni tout à fait monstrueux. Les oiseaux s'envolèrent par milliers. Les montagnes répercutèrent l'écho comme un tambour.

STR sentit son sang se glacer.

— Trop tard...

Geyser, le souffle court, recula d'un pas.

— Il... il a appelé les Krashmals...

Fiouze, pris dans la tornade mais toujours vivant, ricana à travers son hurlement. Sa voix résonnait comme un écho multiple, terrifiant :

— Venez, mes frères... Fiouze les attend... dans le château de Lethifière !

La tornade hurlait. Les Karmadors tenaient bon. Mais chacun savait, au fond de lui, que ce cri venait de changer la donne.

D'abord, ce fut une impression subtile. Le vent, trop lourd. L'odeur de l'air, plus métallique, saturée d'une âcre senteur de pierre brûlée. Puis, comme un frisson parcourant le monde, la nature bascula.

Les herbes autour d'eux se dressèrent comme des lames, pointées vers les Karmadors. Les branches des arbres se tordirent dans des mouvements impossibles, grinçant comme des os fracturés. Les troncs, eux-mêmes, semblaient gémir sous une pression invisible.

STR, la voix tremblante, fit un pas en arrière :

— Ce n'est pas... normal. La forêt... elle nous regarde.

Un craquement violent éclata à leur gauche : une racine jaillit de terre comme un serpent, frappant à quelques centimètres de Fulgure. Il bondit de côté, ses lances levées, le souffle coupé.

— C'est vivant ! Ce fichu sol essaie de nous tuer !

Maya, haletante, sentit la terre se fendre sous ses pieds. Elle recula de justesse, ses yeux emplis d'effroi.

— La nature est enragée... ce n'est plus qu'une forêt, c'est une arme !

Les rochers au loin vibrèrent. Certains se détachèrent, roulant dans un grondement sourd, comme poussés par une main invisible. Une pluie de pierres s'abattit tout près d'eux, soulevant poussière et éclats.

Geyser, crispé, leva les bras pour repousser un tronc qui s'abattait presque sur STR. La force de l'impact le fit chanceler, mais il tint bon, son visage rouge d'effort.

— J'ai beau contrôler les éléments... ça, ce n'est pas naturel ! Quelqu'un... quelque chose contrôle tout ça !

Alors, un rire étranglé monta du vortex. Le corps de Dixie se cambra, secoué de convulsions. Sa voix jaillit, chevauchée par celle de Fiouze, comme une dissonance insoutenable :

— Fiouze ne crie pas seul... Fiouze n'est jamais seul...

Les mots se diluaient, avalés par le vent. Puis, d'un ton menaçant :

— Le Krashmal des racines... il est là... il écoute...

Un silence. Puis le sol éclata sous leurs pieds. Des fissures zébrèrent la terre, s'ouvrant comme des gueules béantes. La mousse, les feuilles, tout se mit à pourrir à vue d'œil.

Maya hurla, tirée en arrière par STR au dernier instant avant qu'une racine noire ne lui attrape la cheville. La liane claqua, sifflant comme une vipère.

Fulgure, haletant, lança entre ses dents serrées :

— On n'est plus face à Fiouze... c'est la forêt elle-même qui nous combat !

Dixie, un instant, reprit le dessus. Son visage se déforma par la douleur, ses yeux emplis de désespoir.

— Courez... vite... il veut... nous engloutir tous...

Mais déjà Fiouze riait de nouveau, sa voix caverneuse éclatant à travers la tempête :

— Courez, Karmadors... La forêt est à Fiouze... et Fiouze est la forêt !

Le vent, la terre, les racines, tout se soulevait contre eux. La vallée entière semblait vouloir les avaler.

Les fissures au sol s'élargirent, et dans un grondement sourd, d'énormes racines jaillirent de la terre. Elles fouettèrent l'air comme des serpents millénaires, épaisses, noueuses, suintantes de sève sombre.

Avant même que les Karmadors ne puissent réagir, elles s'enroulèrent autour d'eux avec une brutalité inhumaine.

STR fut saisie à la taille, soulevée du sol comme une poupée. Elle cria, frappant de ses poings contre l'écorce rugueuse, mais les fibres resserraient leur étreinte, l'écrasant presque.

— Geyser ! Aide-moi !

Geyser rugit en retour, ses bras s'illuminant de la puissance des éléments. Il invoqua un souffle d'air pour repousser la racine qui étranglait sa sœur, mais aussitôt une autre surgit de derrière lui, lui enserrant les deux jambes. Il perdit l'équilibre, s'écrasant lourdement au sol.

— Lâchez-moi ! hurla-t-il en déclenchant une onde de choc. Mais le vent qu'il invoqua se dissipa aussitôt, avalé par l'épaisseur mouvante de la forêt.

À quelques pas de là, la Justicière Masquée, Gina, arracha la racine qui l'emprisonnait à coups de bras colossaux. Ses muscles saillants craquaient sous l'effort, sa cape se soulevant dans la tempête végétale. Elle grogna, la veine du cou tendue :

— Vous croyez pouvoir menchaîner ?!

Dans un hurlement, elle projeta la racine arrachée au loin. Mais déjà cinq autres s'élançaient, la recouvrant, l'aveuglant, la clouant au sol malgré ses efforts titanesques. Son cri de rage se mua en un grondement étranglé.

— Non... pas... encore !

Assomia, elle, leva ses mains tremblantes. Ses yeux se teintèrent d'une lueur blanche. Les racines s'immobilisèrent un instant, suspendues dans les airs comme si une force invisible les retenait. Un silence de quelques secondes. Puis, dans un craquement sinistre, les lianes éclatèrent de mille fissures.

— Je peux les briser ! cria-t-elle, haletante.

Mais soudain, la terre vibra, et une marée de racines jaillit de dessous ses pieds, l'encerclant comme une armée. Assomia hurla, tentant de les repousser, mais son pouvoir télékinétique vacilla sous la pression. Les fibres noueuses lui saisirent les bras et la gorge, la forçant à plier les genoux. Sa voix se brisa :

— Ce... n'est pas... assez !

Maya, suffoquant, cracha une gerbe de lave incandescente. Les flammes léchèrent l'écorce, mais les racines, loin de se consumer, se resserrèrent comme pour étouffer son feu.

— Ça... ne brûle pas ?! Impossible...

Fulgure frappait à coups de lances, chaque coup tranchant net. Mais aussitôt, les racines se régénéraient dans un craquement sinistre, refermant la plaie. Une liane lui fouetta la taille et s'enroula, l'immobilisant. Il lâcha un juron, la rage au bord des lèvres :

— On dirait qu'elles se nourrissent de nos pouvoirs !

Partout, les racines se multipliaient, bruissant comme une armée d'ombres vivantes. Les Karmadors ressemblaient à des proies capturées par une araignée colossale. Chaque mouvement, chaque éclat de force ou de pouvoir, ne faisait que renforcer l'étreinte.

STR, malgré la douleur, tenta de garder le contrôle de sa voix.

— Concentrez-vous... cherchez... le point faible...

— Y'en a pas ! rugit La Justiciere Masque, ses bras tremblant sous la pression. On est pris comme des insectes dans une toile !

La terre vibra. Les racines se mirent à pulser lentement, comme si elles respiraient. Un battement profond, presque un cœur, parcourait le sol. Les Karmadors sentirent leurs poitrines oppressées, synchronisées malgré eux à ce rythme infernal.

Alors, soudainement, tout s'arrêta.

Les racines ne bougèrent plus. Elles restaient enroulées autour de leurs corps, mais immobiles, comme figées dans une pose d'étreinte mortelle. Le vent cessa. Même la tornade de Geyser s'éteignit, aspirée dans un silence pesant.

Un silence total.

Pas un oiseau. Pas une feuille. Pas un souffle.

Chaque Karmador, suspendu, haletant, pouvait entendre son propre cœur cogner dans sa poitrine. Les regards s'échangèrent dans l'ombre, chacun muet, prisonnier d'une attente atroce.

Quelque chose... ou quelqu'un... venait d'imposer son contrôle.


Les Karmadors luttaient encore contre les racines. Chacun d'eux s'épuisait, mais leurs forces semblaient inutiles. La Justicière Masquée tirait de toutes ses forces, ses muscles bandés comme des cordes prêtes à rompre, mais chaque craquement de racine se refermait aussitôt en un étau plus serré. À ses côtés, Assomia levait la main, son pouvoir de télékinésie cherchant à repousser la masse végétale, mais son front se couvrit rapidement de sueur. La forêt résistait. Pire : elle semblait se nourrir de leurs efforts.

Puis, tout s'arrêta.

Un silence épais, surnaturel, tomba sur la clairière. Les oiseaux cessèrent de chanter, le vent de souffler. C'était comme si le monde retenait son souffle.

Alors, un bruissement sourd, régulier. Des pas... non. Pas des pas. Une avancée, sans poids, sans froissement. Entre les troncs, une silhouette drapée de noir apparut. Un manteau long effleurait le sol, une capuche dissimulait son visage. Mais il ne marchait pas : il flottait, à peine à quelques centimètres du sol, comme une ombre qui se déplaçait sans friction avec le monde.

Les yeux des Karmadors s'écarquillèrent.

Dans ses mains, il tenait un bocal de verre. À l'intérieur, une minuscule étincelle se débattait, fragile et incandescente. Dixie. Sa lumière vibrait, mais faiblissait, chaque éclat plus court, plus douloureux. Elle criait, mais sa voix n'était plus qu'un souffle étouffé.

Derrière lui, gisant au sol, Fiouze venait de réapparaître. Son corps tremblait, émacié, comme vidé de sa substance. Sa poitrine se soulevait faiblement, ses lèvres s'ouvraient dans un souffle inaudible. Mais aucun mot ne sortit. Il était trop faible.

La silhouette leva la tête. Deux éclats rougeoyants, sous la capuche, transpercèrent les ombres. Puis, la voix s'éleva : grave, sifflante, comme une caresse empoisonnée.

— Alors voilà... ce sont eux, les héritiers tant vantés ? Les sauveurs, les Karmadors ?

Il se mit à rire, un rire profond, résonnant dans la clairière comme un glas.

— Vous ressemblez plutôt à des insectes pris dans une toile d'araignée. Pathétiques. Impuissants. Et moi... je suis l'araignée.

STR se redressa autant qu'elle le put malgré les racines, son regard flamboyant.

— Qui es-tu ?!

L'inconnu s'inclina légèrement, théâtral, comme un marionnettiste s'amusant de son auditoire.

— On m'appelle Rorshak.

Il fit tourner le bocal entre ses doigts, et la faible lueur de Dixie projeta des éclats dans ses yeux rouges.

— Cette petite... croyait pouvoir défier la volonté d'un Krashmal. Quelle arrogance. La voilà réduite à une lueur prisonnière. Et Fiouze ?

Il désigna du doigt le corps affaibli au sol.

— Regardez-le... pitoyable. Trop faible pour un mot, trop brisé pour une menace. Voilà vos alliés. Voilà vos chances.

Geyser gronda, sa voix tremblant de rage.

— Lâche ! Montre ton vrai visage, viens nous affronter !

Rorshak éclata d'un nouveau rire, plus cruel.

— Mon vrai visage ? Ah, mais vous ne méritez pas cet honneur. Vous ne méritez que mes moqueries. Vous, les soi-disant protecteurs, incapables de vous libérer de quelques racines !

La Justicière Masquée rugit, tirant encore sur ses liens. Rorshak tourna lentement la tête vers elle.

— Ah... la force brute. Toujours la même rengaine. Mais que vaut ta puissance, quand la terre elle-même se rebelle contre toi ?

Puis il recula, planant légèrement, et sa voix se fit plus grave encore, comme un grondement venu des entrailles de la terre.

— Vous sentez ce silence ? C'est celui qui précède l'orage. C'est celui qui annonce... la forteresse de Nécrophore.

Un frisson parcourut tous les Karmadors. STR sentit son estomac se nouer, tandis que Geyser fixait Rorshak avec un mélange de peur et de défi.

— Oui, reprit le Krashmal, vous n'êtes qu'à quelques pas. Chaque racine, chaque ombre de cette forêt vous guide vers elle. Et quand vous y entrerez...

Il marqua une pause, savourant le suspense. Puis son rire reprit, plus démentiel que jamais :

— ... vous comprendrez qu'il n'y a pas de retour possible.

Les racines se resserrèrent brutalement, arrachant un cri de douleur à la Justicière Masquée. Dixie hurla dans son bocal, son éclat vacillant comme une bougie qu'on étouffe.

Et Rorshak, au centre de cette scène d'horreur, riait encore.

Rorshak fit tournoyer lentement le bocal dans sa main. La lumière de Dixie vibrait, étouffée, comme un papillon piégé derrière du verre. Ses yeux rouges, sous la capuche, se fixèrent sur STR, puis sur Geyser, et sa voix reprit, plus douce, presque caressante.

— Vous tremblez à l'évocation du Krashmals Supreme, n'est-ce pas ? Mais ce n'est pas votre plus grande crainte... Oh non. Votre peur véritable... elle se trouve ailleurs.

Il laissa planer un silence, presque insupportable, et ses lèvres s'étirèrent dans un sourire qu'on devinait sous l'ombre du capuchon.

— Le manoir de Lethifière.

À ces mots, le sang des Karmadors se glaça. Même les racines semblèrent tressaillir, comme si elles s'étaient tendues à l'unisson de ce nom. STR eut un sursaut, ses yeux s'écarquillant.

— Comment... comment connais-tu ce lieu ? demanda-t-elle d'une voix brisée, presque étranglée.

Rorshak éclata d'un rire sec, cruel, qui résonna comme une chaîne qu'on traîne sur des pierres.

— Comment je le connais ? Petite ignorante... c'est le manoir qui me connaît. C'est lui qui m'a enfanté, nourri, façonné. Ses murs respirent encore vos secrets, vos mensonges. Vous croyez qu'il dort, qu'il se cache ?

Il se pencha légèrement, ses paroles sifflant comme un serpent.

— Le manoir de Lethifière ne dort jamais. Il observe. Il se souvient. Et il attend votre retour...

Les mots s'écrasèrent sur les Karmadors comme des coups invisibles. Geyser gronda, les poings serrés malgré ses liens.

— Mensonges ! Tu essayes juste de nous briser !

Mais la voix de Rorshak, grave et vibrante, s'insinua comme un poison.

— Mensonges ? Ah... mais c'est là votre faiblesse, Geyser. Vous préférez croire à vos illusions. Vous cachez vos vérités derrière vos rires et vos bravades. Mais vous savez... oh, vous savez au fond de vous, que tout ce que je dis est vrai.

Il se redressa, planant à nouveau, et leva le bocal à hauteur de son visage. L'éclat de Dixie trembla désespérément.

— Ce manoir... sera votre tombeau, comme il a été celui de tant d'autres avant vous. Ses portes vous appellent. Et moi... je ne fais que vous y guider.

Son rire se remit à rouler, guttural, démentiel, tandis que les racines se resserraient encore, écrasant lentement les Karmadors dans une étreinte insoutenable.

Un frisson parcourut l'échine des Karmadors. Même Geyser, solide et imposant, sentit un poids s'abattre sur sa poitrine. La voix de STR trembla légèrement, mais elle garda sa posture : chef et protectrice de son équipe.

— Préparez-vous... à rencontrer le Krashmal Suprême.

À ces mots, un vent noir se leva, parcourant la clairière comme un précurseur de tempête. Les racines se rétractèrent lentement, libérant les Karmadors, mais la sensation d'oppression demeurait. Les regards se croisèrent. Tous savaient que le chemin serait périlleux, que chaque pas vers le manoir de Lethifière serait un défi, mais qu'ils n'avaient pas le choix.

Geyser resserra ses poings, le souffle lourd, et murmura presque pour lui-même :

— On ne laissera rien ni personne les arrêter...

STR leva les yeux vers le ciel sombre, le souffle court, mais la détermination dans ses yeux brûlait plus fort que la peur.

— Alors allons-y. Ensemble.


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