Le destin des Ackerman - Tome 1

Chapitre 49 : Chapitre 48 - 62e expédition extra-muros, prémices

5339 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 26/05/2020 16:31

Une quinzaine de silhouettes se tiennent au sommet de la porte extérieure du disctrict de Krolva. Certains observent le paysage couvert de gel être baigné progressivement dans la lumière salvatrice du soleil levant, d'autres s'occupent de superposer caisses et tonneaux. Tous souffrent en tout cas de ce froid mordant à cinquante mètres du sol.


C'est pourquoi ils essayent tous de se maintenir actifs ou se frictionnent les mains, soufflant entre leurs paumes de temps à autres. Deux d'entre eux sont pourtant assis sur le bord du rempart, les pieds pendant dans le vide.


Annie les regarde discuter et se sourire mais n'est pas la seule.


Merde ils gèlent pas sur place ? J'suis frigorifié alors que j'porte le matos. Dit Conny.


Il y a d'autres façons de se réchauffer... Baisse ton froc, je vais te montrer. Suggère Jean en affichant un air pervers.


Heiiiiiin ?


Conny écarquille les yeux et recule d'un pas, ce qui fait beaucoup rire son interlocuteur ainsi que Sasha et Judith.


Cette dernière porte son attention à Mikasa et Thomas lorsque son rire se calme et les observe pendant quelques instants.


Qui aurait cru qu'il arrêterait d'être une pleurnicheuse... Prononce cette dernière, exprimant ses pensées à voix haute.


Armin est juste à côté d'elle, assis près du feu de camp qu'ils ont préparé, lisant un rapport. Le capitaine lève la tête vers la membre de son escouade puis suit son regard vers son lieutenant et son amie d'enfance avant de sourire. Le blond remarque certaines similitudes entre lui et monsieur Ralle. Tous deux étaient de médiocres soldats avant d'intégrer le bataillon et c'était sûrement d'autant plus flagrant pour Armin qui n'a rien su faire pendant la bataille de Trost sinon trembler de peur et regarder, impuissant, Eren se faire dévorer juste devant lui. Là où il y a une réelle différence, à son sens, c'est que huit mois plus tard lui n'a toujours pas prouvé qu'il mérite la confiance qui a été placée en lui. Thomas n'a pas seulement fait mentir son dossier et ce que ses instructeurs pensaient de lui, il s'est transcendé pour devenir l'un des meilleurs combattants de ce corps d'armée puis a prouvé ses qualités de leader. Ces conclusions poussent Armin à penser que c'est son lieutenant qui devrait être à la tête de leur escouade, d'autant plus lorsqu'il mesure à quel point il fédère ses membres.


Cette guerre nous a tous transformés... Dit Armin.


Judith s'assoit près de lui et passe un bras autour de ses épaules en remarquant son air tristounet.


Roh aller, on va plus vite que prévu pour liquider tous ces grands dadais qui nous cassent les bonbons, bientôt on verra la mer. Essaye-t-elle, pour lui redonner le sourire.


Armin acquiesce et les commissures de ses lèvres s'étirent légèrement, montrant qu'elle a réussi son coup.


Et puis avec les deux tueurs qu'on a avec nous, il n'y a pas de quoi s'en faire. Ajoute mademoiselle Stern.

.

Ils n'étaient pas tous seuls... Peste Conny qui les écoutait.


Non c'est certain mais... On ne peut pas nier que l'un et l'autre sont déjà parmi nos meilleurs combattants mais quand ils sont ensemble c'est encore autre chose. Ajoute Armin.


Ouais, j'pense même que nos titans se feraient découper eux aussi, n'est-ce pas ? Provoque Jean qui hausse le ton en se tournant vers Eren et Annie.


Le jeune Jäger observait lui aussi les deux personnes qui sont le sujet de cette conversation avec les mâchoires serrées mais il se tourne vers son ami avec un sourire en coin.


C'est vrai qu'ils font peur, mais moins que ta tête de cheval. Rétorque le titan assaillant.


Répète un peu pour voir, que j'te bute avant que cette opération ne commence ! S'énerve Jean qui choppe son camarade par le col : cette insulte est toujours aussi efficace.


Sasha et Conny en profitent pour se marrer et les autres membres des deux escouades d'élite sourient.


Annie reste silencieuse et inexpressive — comme à son habitude — mais est pensive quant aux mots de ses camarades avec qui, après quatre mois de cohabitation, il n'y a plus aucune animosité ni méfiance. Tout est comme au bon vieux temps, quelque part.


Ses yeux bleus se posent sur monsieur Ralle et à y repenser c'est vrai que lors des premiers entraînements elle se questionnait sur sa place dans une escouade d'élite, d'autant plus au grade de lieutenant. Il n'était pas très bon en lutte et mis à part sa vitesse elle ne lui a pas trouvé de talent particulier en tridimensionnalité. Mais au fil des semaines elle a appris à connaître ce jeune homme qui cache très bien son jeu. Malice, anticipation, créativité et audace sont ses principales qualités en plus d'une force impressionnante qui dépasse sa condition physique, une chose qu'il a en commun avec Mikasa.


A observer le petit couple elle se dit qu'ils seraient sûrement moins redoutables que Livaï mais poseraient tout de même de sérieux problèmes, surtout qu'en éliminer un seul n'enlèverait qu'une épine du pied.


C'est lors de la 59e expédition extra-muros, il y a trois mois, que le titan féminin a découvert leur complémentarité au combat mais aussi et surtout la capacité que Thomas a d'être imprévisible et insaisissable.


Finalement, Annie le respecte et l'estime notamment après que Julia lui ait brièvement parlé de lui. Elle se souvient de cette révélation troublante de certaines choses le concernant qui lui permirent de le voir sous un nouveau jour puisque, jusque là, la jeune femme n'arrivait pas à le cerner ni à comprendre ses motivations et c'est après un entraînement que Julia lui fit part de certaines informations.


La jeune assistante de Hanji avait remarqué les regards de travers et la méfiance qu'elle éprouvait pour son lieutenant. Elle s'était alors approchée d'elle.


S'il y a bien une personne à qui tu peux faire confiance ici, c'est lui. Je sais qu'il est énervant parfois mais à sa place je n'aurai même pas pensé à faire ce qu'il a fait pour toi.


Annie haussa un sourcil en dévisageant sa camarade.


Si tu avais tué ma sœur, mon premier réflexe n'aurait pas été de te protéger de la torture ni de me démener pour que ton destin soit autre chose que te faire dévorer.


Pour la première fois depuis qu'elle était réveillée, le soldat Leonhart eut une expression autre que la lassitude ou l'exaspération.

 

Ces mots surprirent Annie. Non seulement elle comprenait d'autant moins les faits et gestes de ce mystérieux soldat mais elle comprit aussi que son comportement n'était pas un jeu ni l'envie d'embêter ses supérieurs et ses camarades. Il avait loué le courage et l'abnégation de la jeune femme alors qu'en fin de compte elle n'était qu'une enfant, une gosse à qui on avait bourré le crâne pour faire des choses horribles à des gens qu'elle considérait comme n'ayant d'humain que leur apparence.


Mais comment appelle-t-on la capacité à surmonter sa haine et sa colère, à savoir tendre la main à son ennemi ?


Elle ne savait pas si c'était le signe d'une infinie bêtise ou d'une infinie bonté, mais encore une fois son passé la rattrapait à l'allusion de ces gens qu'elle a tué. D'anciens camarades aujourd'hui disparus lui revinrent en tête : Minha, Marco, Marlo... Ils avaient deux points communs : le premier est qu'ils étaient trop bons pour un monde si cruel, le second est qu'elle est responsable de leur mort.


A ce moment là elle ne put s'empêcher de se demander comment Thomas avait survécu jusque là et si son destin ne serait pas, comme les autres, de mourir par sa faute.


Julia la laissa là, seule avec elle-même et toutes ces questions qui se posèrent soudainement suite à ces quelques mots. Le plus déroutant était ce sentiment étrange qui se réveilla au fond du coeur d'Annie.


C'est pour cela que, aujourd'hui, son esprit est si confus et, peu à peu, elle perd de vue son objectif premier. Ici, sur l'île du paradis, là où elle est arrivée en ennemie, là où elle a trahit ses camarades avec qui elle a partagé tant de choses pendant des années, la jeune femme se sent plus à sa place que nulle part ailleurs.


Ironie du sort ?


Finalement il aura fallu qu'elle rejoigne le bataillon pour trouver un foyer ?


Penser à accepter cette idée lui fait mal. Tout semble à la fois si différent et si semblable aux trois années passées dans cette brigade d'entraînement... Qu'est-ce qui lui fait doucement mais sûrement prendre racines à cet endroit ?


Bien sûr que ceux qui lui font confiance se comptent sur le doigt d'une main mais, dans l'enceinte de ces murs, personne ne la considère comme un monstre pour sa simple naissance et elle n'a pas besoin de se battre pour avoir une considération supérieure à celle d'une moins que rien. Ici, elle n'a pas besoin d'impressionner quiconque pour exister.


Après avoir ouvert cette brèche dans le mur Maria, quand elle et ses compagnons guerriers s'infiltrèrent parmi ces gens, l'hôte du titan féminin fut frappé par cette acceptation sans conditions. Annie ne l'aurait jamais exprimé tant que Reiner et Bertolt étaient encore là mais... Cet endroit pourrait être son nouveau chez elle.


Minha, Marco, Marlo... Ces trois prénoms reviennent sans cesse et la hantent. Elle se surprend à commencer à croire aux mots de Thomas sur son jeune âge et son manque de discernement, quand elle a fait ces choses horribles qui ont profondément marqué son âme. Est-ce qu'elle peut trouver grâce aux yeux des eldiens en invoquant ceci ? Peut-elle vraiment être pardonnée ?


Tout ce qu'elle veut, au fond, c'est revoir son père une dernière fois puis honorer le souhait du soldat Ralle.


Ce qui me plairait vraiment c'est qu'un jour tu fasses ce qu'il te plaît et pas ce qu'on te demande de faire. Avait-il dit.


Sur le moment Annie prit ces mots comme le discours d'un jeune homme imbus de lui-même qui pensait tout savoir mais, après coup, elle se rendit compte que c'est le genre de discours que pourrait prononcer Eren...


Mais finalement, il avait vraiment tout compris. Son enfance difficile à s'entraîner plusieurs heures tous les jours sous la surveillance d'un père qui ne lui donnait pas de tendresse, ces années à essayer de surpasser les autres pour devenir un guerrier Mahr, la mission pour laquelle elle fut envoyée ici... Annie n'a jamais décidé pour elle-même ni écouté ses propres désirs. Le constat est simple aujourd'hui : si la jeune femme fait ce qu'on lui a ordonné, elle saisirait la première occasion pour enlever Eren et fuirait à Mahr pour remplir cette mission qu'on lui a confié il y a plusieurs années. Au contraire, si elle fait ce qu'il lui plaît, elle ne mettrait plus jamais les pieds dans cet endroit et ferait tout pour prouver aux officiers du bataillon d'exploration qu'elle peut changer d'allégeance.


Aujourd'hui et comme ça a toujours été le cas, personne n'ose vraiment s'approcher d'elle et ce n'est qu'un autre vestige de la personne qu'elle était autrefois, de sa façon d'être si froide et désintéressée. En regardant ses camarades, leurs sourires, leur complicité et la confiance qu'ils ont les uns pour les autres elle se surprend à souhaiter secrètement et ardemment de ressentir ces choses là, qu'un jour quelqu'un passe son bras autour de ses épaules avec un grand sourire aux lèvres en disant sincèrement être son ami. Elle se sentira alors appréciée pour la personne qu'elle est, indépendamment des choses qu'elle a faites. Un jour quelqu'un la serrera contre lui et pas pour lui demander de faire une promesse ou pour obtenir quelque chose. Annie aimerait juste quelqu'un sur qui s'appuyer pour repartir de zéro, pour guérir de son passé, quelqu'un qu'elle pourrait garder à ses côtés.


Après tout, c'est le but originel de tout être humain : exister aux yeux des autres. C'est le vœu de tous, c'est ce qui pousse tout le monde à faire et dire des choses qui ne leur ressemble pas, parfois. Elle ne fait pas exception. Devenir un citoyen d'honneur en est le parfait exemple : un titre pompeux qui n'est que du vent mais promet une reconnaissance de ceux qui l'ont toujours dénigrée...


Annie est décidée. Il est peut-être trop tard pour elle, jamais le passé ne pourra être changé, mais elle peut encore protéger ces gens qui ont de la bonté en eux au point de donner sans réserve. La jeune femme n'a pas la réponse à la question de savoir si ces personnes profondément bonnes peuvent changer le monde ou si cette faculté est uniquement détenue par les personnes aussi mal intentionnées que puissantes...


Peu importe.


Elle ne veut pas que Thomas meure par sa faute, elle ne veut pas perdre — encore une fois — l'une des seules personnes qui acceptent d'être son ami et qui est prête à lui accorder sa confiance. Ce soldat pensait avoir trouvé un compromis pour qu'Annie et le bataillon coopèrent pendant un temps mais aujourd'hui ça a changé : c'est lui, le compromis.







Julia est avec Lukas et ce dernier parle sans qu'elle ne l'écoute vraiment parce qu'elle est pensive. De temps à autres elle hoche la tête pour feindre son attention.


Cela fait quatre mois maintenant que Thomas et elle n'ont plus qu'une relation cordiale et malgré cela elle a cette impression que sa présence l'accompagne toujours. Quelque soit l'endroit où elle est et la chose qu'elle fait, Julia le sent plus ou moins près d'elle et prêt à surgir au moindre problème. Est-ce réel ou est-ce une hallucination ? Sans doute que c'est, en fin de compte, le désir inavoué et inavouable qu'il veille toujours sur elle.


Lukas est un jeune homme qui a tout pour plaire : grand, beau, bien bâti, les cheveux blonds, des yeux verts magnifiques, cultivé et poli, gentil et attentionné, drôle... Tout ce dont n'importe quelle fille normalement constituée rêverait. Mais ça ne lui suffit pas, il lui manque quelque chose qu'elle ne peut pas ou ne veut pas nommer.


Il a rejoint l'escouade tactique il y a un peu moins d'un mois et s'est très bien intégré dans le groupe et tout le monde l'apprécie, excepté Thomas. A chaque fois qu'elle voit le regard du brun se poser sur ce nouveau membre des escouades elle y lit de la méfiance.


Dans les premiers temps Julia pensait que Thomas était jaloux et donc qu'elle avait vu juste : il voulait le beurre et l'argent du beurre en étant avec Mikasa et la gardant sous le coude. Lentement mais sûrement la jeune femme commençait à le détester, son comportement la dégoûtait et cette jalousie qu'elle pensait lire dans ses yeux lui faisait pitié.


Mais malgré cela, Lukas lui semble fade et insignifiant en comparaison. Son toucher ne la fait pas autant frissonner, son corps ne lui donne pas autant le vertige, elle se sent moins en sécurité dans ses bras et elle ne peut pas complètement se noyer dans ses yeux.


Il ne lui aura pas fallu longtemps pour comprendre que Lukas n'est qu'un substitut et qu'elle lui ment. Plusieurs fois elle aurait voulu lui dire la vérité, lui avouer que si elle est avec lui c'est uniquement par besoin affectif et par besoin d'oublier quelqu'un d'autre qui n'a pas su saisir sa chance. Elle aurait aimé avoir la force de couper court à cette relation condamnée depuis qu'elle a commencée.


Pourtant Lukas n'est pas idiot et a compris que quelque chose s'est passé entre sa compagne et ce Thomas Ralle qui fait que cette relation ne peut pas s'épanouir pleinement. Les regards résignés et tristes qu'elle lui lance, ces fois où elle s'est mise inutilement en danger comme si elle voulait le tester...


Lors de la 61e expédition, Julia s'est jetée dans la mêlée pour se mettre en danger. C'était une pulsion plus forte qu'elle pour mettre Thomas et Lukas à l'épreuve. Malheureusement aucun des deux hommes n'a su répondre à ses attentes puisque aucun d'entre eux ne vint directement l'épauler ou surveiller ses arrières. Elle se convainquit que Thomas avait une excuse, celle des mots qu'elle avait prononcé trois mois plus tôt, cette interdiction de continuer à la protéger, mais... Elle aurait aimé qu'il sorte de nouveau de nulle part pour s'occuper de sa sécurité.


A ce moment là, la dure réalité des choses lui fit mal et sur le chemin du retour elle put mesurer la cassure irréparable entre eux. Ça la rendait absolument folle parce qu'elle ne pouvait pas être certaine d'avoir eu raison ou tort de le repousser. Mais quand ils revinrent à Karanes, quand ils n'étaient plus qu'à quelques kilomètres du district, son regard croisa ces deux billes bleues et magnétiques qu'elle connait par cœur.


Il l'observait avec une expression dure, sourcils froncés et mâchoires serrées. Après une seconde qui lui sembla être une minute, Julia vit ce jeune homme secouer lentement la tête en signe de désapprobation. Elle comprit alors qu'il l'avait vu prendre des risques inconsidérés. Qu'il ait fait quelque chose pour l'aider sans qu'elle ne s'en aperçoive ou non n'avait pas d'importance parce que tout ce qui comptait était que, malgré tout, il gardait un oeil sur elle.


Ce cheminement de pensées la mène à se rappeler — sans véritable raison — que quelques jours avant qu'ils ne commencent à préparer cette nouvelle expédition, et alors qu'elle était dans le bureau de Hanji pour de la paperasse, le caporal et le capitaine firent irruption dans la pièce. Le premier semblait passablement énervé.


N'a qu'un oeil, c'est quoi cette histoire ? Demanda-t-il en posant les deux mains sur le bord du bureau.


De quoi tu parles mon mignon ? Provoqua le major en réponse puisqu'elle adore le titiller quand il est ronchon.


Armin vient de me dire que Mikasa a formulé le souhait de changer d'escouade.


Oui, elle m'en a parlé il y a quelques semaines mais je pense que ça serait une bonne idée. C'est vous qui avez décidé qu'elle fasse équipe avec Thomas, alors pourquoi ne pas aller jusqu'au bout ? Ajouta Armin.


Je vais me répéter une dernière fois pour que les choses soient bien claires entre nous trois : l'escouade tactique n'accueille que les meilleurs, la crème de la crème du bataillon. Je ne peux pas me séparer de mon meilleur élément juste parce qu'il y a beaucoup de potentiel avec son binôme. Je voulais que vous transfériez Thomas chez moi mais vous lui avez collé au cul une traîtresse qui peut nous en mettre une d'un moment à l'autre. Expliqua le caporal Ackerman qui l'avait toujours aussi mauvaise.


Tu n'es pas satisfait de ta nouvelle recrue ? S'indigna Hanji.


Julia eut une oreille d'autant plus attentive à la mention de Lukas Ritter puisque c'est elle qui avait suggéré de le recruter étant donné ses nombreuses qualités et les choses qu'il a prouvé lors des précédentes expéditions.


Oh si... Mais là n'est pas la question et tu le sais très bien. Maintenant qu'on sait tout tu ne peux plus me servir tes salades habituelles sinon ça va m'énerver. Prononce Livaï qui ne perd pas son sang-froid mais ses yeux noirs parlent pour lui.


Hanji soupira.


C'est vrai que maintenant qu'il a eu son éveil... Dit-elle en retirant ses lunettes qu'elle pose sur le bureau pour masser les flancs de son nez.


Armin ouvrit de grands yeux, surpris par la mention d'un terme très précis qui n'était jamais utilisé à la légère, dans leur cas.


Son "éveil" ? Interrogea-t-il.


Julia le savait aussi, ce mot ne pouvait pas avoir des centaines de définitions dans ce contexte.


Ah oui, c'est vrai, je ne t'avais pas mis au courant... Dit Hanji en soupirant de nouveau.


Même mademoiselle Smith, par qui pourtant tous les rapports passent, n'a jamais été mise au courant non plus. Le caporal se tourna vers le blondinet.


Thomas nous a fait un rapport il y a un mois et demi, à peu près. Il nous raconte ce qu'il s'est réellement passé dans la forêt, lors du dernier jour de leur mission de reconnaissance.


Et ? Répondit Armin pour encourager le caporal à continuer.


Et nous avons donc la preuve formelle qu'il est un Ackerman. Annonça Livaï.


Les deux personnes qui n'étaient pas au courant dans cette pièce étaient bouches-bées.


Comment ça la preuve formelle, vous vous en doutiez déjà ?


Tu te souviens sûrement de Erik Müller, le dernier officier corrompu des brigades spéciales que nous avons arrêté ? Tu connais toute l'histoire mais... Nous avons appris que son véritable nom est Erik Ackerman. Ajouta Hanji.


Julia fut abasourdie mais une fois le choc passé et avec un semblant de recul, tout lui sembla logique. Là où elle fut vraiment incapable d'être objective c'est sur l'éventuel lien de sang qui, du coup, le lie à Mikasa. Il n'y a quasiment pas de doute qu'entre cette jeune femme et Livaï leur lien de parenté est si éloigné qu'il est insignifiant mais ça ne veut pas dire qu'il en va de même pour tous les Ackerman.


Son choix de partenaire lui apparaît alors d'autant plus étrange et incompréhensible. Et si leurs deux familles étaient proches..? Cette idée la répugne et la dégoûte d'autant plus du chemin que Thomas a décidé d'emprunter.


C'est pourquoi en cet instant, alors que Lukas continue de produire ce bruit blanc pendant qu'elle observe l'autre couple des escouades, la révélation continue de faire écho dans son esprit qui cherche inlassablement une logique dans tout ça. Sa conclusion la plus crédible pour le moment est qu'aucun d'eux n'est au courant. Sinon comment pourraient-ils..?







Armin de son côté fut incapable de garder ça pour lui et, suite à cette entrevue, alla rendre une petite visite à son amie d'enfance. Il la trouva près des terrains d'entraînement puisqu'ils en avaient un de prévu environ trente minutes plus tard. Mikasa aimait bien s'y rendre plus tôt pour s'échauffer. Par chance elle était seule cette fois et en pleine préparation de son équipement.


Il s'approcha d'elle et la jeune femme, en l'entendant arriver, se tourna en sa direction et l'accueillit avec un petit sourire. Chose à laquelle il ne s'était pas encore habitué.


C'est d'ailleurs à cet instant, en voyant son sourire, que le capitaine Arlelt se rendit compte qu'en prenant la décision de venir lui en parler il avait complètement oublié la possibilité que cela détruise ce qu'ils ont construit ensemble, ces derniers mois. De plus, cela va au-delà de leur bonheur et de leur épanouissement personnel, le bataillon d'exploration bénéficie largement de leur association.


Armin hésitait alors et observait silencieusement celle qu'il considère comme sa grande sœur sans savoir quoi dire.


Le jeune homme ne put s'empêcher de s'imaginer tout le désespoir, la perdition et la douleur qu'il pourrait lire dans ses yeux sombres au moment où il lui apprendrait ce que Livaï et Hanji viennent de lui révéler. Après tout, ça pourrait tout à fait être plus de peur que de mal, leur lien de sang pourrait n'en avoir que le nom... Mais le risque existe.


C'est une responsabilité qu'il n'arrive pas à porter, Armin ne voudrait absolument pas briser ce couple qui porte tous ses espoirs. Le fait que Mikasa ait réussi à s'ouvrir à quelqu'un, qu'elle ait appris à se battre autrement qu'en solitaire, les changements de Thomas depuis qu'ils se côtoient et ses progrès fulgurants, leur efficacité incroyable lors des expéditions... Non vraiment, remettre en question toutes ces choses bénéfiques qui rayonnent au-delà de leur intimité lui ferait mal.


Mais après tout, est-ce vraiment de sa faute s'ils ont autant de malchance ? Sera-t-il vraiment à blâmer ?


Impossible à dire.


Tout va bien..? S'inquiéta Mikasa qui voyait le jeune homme rester figé sur place.


Oh, euh...


Sur le coup il oublia complètement la raison pour laquelle il se trouvait ici en sursautant parce qu'il fut surpris de l'entendre. En la dévisageant, en voyant ce sourire qu'elle avait aux lèvres et son regard pétillant, il perdit toute volonté d'aborder le sujet.


Pourtant son expression montrait qu'il était préoccupé.


— Armin ?


Je... J'ai appris quelque chose mais je ne sais pas si je devrai t'en parler, ça me fait peur. Avoua difficilement le capitaine.


Mikasa fronça, n'aimant pas vraiment qu'il fasse autant de mystère et ne crache pas le morceau plus vite.


Armin soupira avant de se lancer.


Je viens d'apprendre que Thomas est un Ackerman.


Son souffle se coupa l'instant suivant son annonce brutale, de peur de sa réaction. Il s'attendait à ce qu'elle soit interloquée, que son regard montre à quel point la révélation la surprend, qu'elle sursaute... Il était même prêt à ce que ses yeux s'humidifient subitement. Mais rien de tout cela, elle n'eut aucune réaction sinon un petit soupir.


Alors... Elle était au courant ?!


Tu le savais ? Demanda-t-il rapidement puisque la personne ébahie n'était pas celle qui le devait.


La jeune Ackerman acquiesçait.


Depuis quand ?


— Tu sais, on ne s'adressait plus la parole à un moment...


Hein-hein ?


C'est pour ça qu'on s'évitait. Explique Mikasa qui se gratte nerveusement le bras, signe que ce souvenir est désagréable, encore aujourd'hui.


Ah... Je comprends mieux... Quand tu m'avais dit que vous n'étiez pas faits l'un pour l'autre j'ai eu du mal à y croire, tu m'avais plus ou moins dit la même chose après la fusillade, à Trost, quand vous vous étiez brusquement éloignés. C'est pour ça que je me suis douté que quelque chose s'était passé...


Le silence s'installa pendant les quelques secondes nécessaires à Armin pour intégrer ces nouvelles informations. Mikasa resta muette pendant ce laps de temps.


Pourquoi être retournés l'un vers l'autre ? Reprit-il.


La question était difficile pour la jeune femme. Pas parce qu'elle ne saurait pas formuler de réponse ni parce qu'elle doute de ses sentiments mais tout simplement parce qu'il lui fallait les exprimer.


Armin comprenait bien, la tête qu'elle faisait, qu'elle hésitait à parler de ses états d'âme, à se confier, à exprimer de façon claire ce qu'elle ressentait.


Elle rangea une mèche de cheveux derrière son oreille puis se mit à tripatouiller nerveusement ce bracelet en cuir à son poignet gauche, le regard fuyant.


Parce que sans lui je n'aurai pas pu continuer bien longtemps. Finit-elle par répondre avec aplomb.


Comment ça, continuer à quoi ? Demanda-t-il pour l'encourager à être plus précise.


Ce fut au tour de Mikasa de soupirer.


Je ne sais pas comment te l'expliquer, Armin...


Essaye, s'il te plaît. Suppliait presque l'officier, avec un ton doux et compréhensif.


Encore un moment d'hésitation pour la brune qui essayait de trouver les mots pour que son ami la comprenne.


S'il n'est plus à mes côtés je n'ai plus d'espoir, plus de rêves, plus de tendresse, plus personne pour me regarder avec ces même yeux brillants que tu as quand tu lis ton livre qui parle du monde extérieur... Je me sens vivante avec lui, je suis moi-même. Dit-elle.


Les mots que Mikasa faisaient écho à leur précédente conversation sur le sujet et prouvèrent qu'elle avait enfin trouvé les réponses à ses questions.


Je me fiche de ce qu'on est vraiment l'un pour l'autre, et je me fiche que les autres l'acceptent ou non... Ajouta la jeune femme.


Armin comprit bien la portée de ses mots et savait très bien qu'il serait très difficile sinon impossible de la faire changer d'avis.


Alors il la regarde tenir la main gauche de Thomas entre les siennes comme si c'était la chose la plus précieuse qu'elle possédait, la gardant jalousement pour elle. Il se dit qu'effectivement, le mieux est peut-être de ne pas chercher plus loin sur leur ascendance commune puisque leur union fait beaucoup de bien, à eux et à ceux qui les entourent.


Lui qui a lu beaucoup de livres sait que même les plus grands hommes qu'ils aient été monarques, généraux, explorateurs ou philosophes avaient des torts, des vices et des démons. C'est ça l'humanité : demeurer un être imparfait.







[ Deux heures plus tard - Porte de Krolva ]


Tous les effectifs mobilisés pour l'expédition de ce mois de Février sont là, en colonne devant l'énorme porte du district de Krolva, qui s'élève lentement dans ce bruit caractéristique que font ses lourdes et épaisses chaînes en roulant dans les gigantesques poulies.


Hanji — comme le veut la tradition — est aux avants-postes et derrière elle ses deux bras droit avec leurs escouades qui font suite : Livaï et Armin. Tous ont un regard déterminé fixé droit devant eux. Cette quatrième mission d'extermination va enfin débuter et les approcher encore plus de la liberté pour eux et tous ceux qui peuplent ces murs, notamment ceux qui — à l'instar de Mikasa, Eren et Armin — habitaient dans l'enceinte du mur Maria et pourront ainsi retrouver leur foyer pour le reconstruire.


Les habitants de cette gigantesque ville font une haie d'honneur pour saluer ce corps d'armée qui a rapidement redoré son blason suite à la reprise de Shiganshina. De plus, ses sorties déplorent de moins en moins de pertes humaines. Contre les trente pourcent de pertes en moyenne sous l'ère Erwin Smith, Hanji Zoe peut s'estimer heureuse d'en compter dix pour cent, et le chiffre est en baisse.


Quoi qu'il en soit, le bataillon d'exploration n'est plus cette troupe de suicidaires qui brassent du vent et engraissent les titans avec l'argent des contribuables. Fiers, conquérants et auréolés de gloire : voilà pourquoi le peuple scande les noms des plus grandes figures de ce corps d'armée.


Hanji Zoe, Livaï Ackerman, Eren Jäger, Mikasa Ackerman... Ces quatre vétérans, ces héros aux exploits incroyables sont connus de tous. Certains noms ne se font pas entendre alors qu'ils le devraient mais ça ne fait rien, qu'est-ce que peut représenter la reconnaissance des civils par rapport à cette liberté qu'ils effleurent maintenant du bout des doigts ?


Thomas lance un regard à Mikasa et elle se tourne vers lui pour croiser ses yeux bleus. Ils se sourient et hochent la tête en même temps. Tous les deux le savent, si cette opération est autant un succès que les précédentes il serait même possible de se tourner vers l'extérieur du mur Maria d'ici deux ou trois mois.


La grande porte est maintenant assez haute pour les laisser passer. Le Major Hanji tire l'un de ses sabre qu'elle brandit fièrement.


Soldats, la soixante-deuxième expédition extra-muros commence ! Hurle-t-elle, entraînant ses hommes et la foules dans un cri guerrier et rageur juste avant de partir au galop.

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