Le chant des étincelles

Chapitre 5 : Légende.

3682 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/02/2022 20:46

Rudolf Kruger


         Les cris de l’extérieur faisaient presque trembler les parois. Les manifestations reflétaient la haine du peuple Eldien. 

-Tu dis qu’ils se battent pour quoi déjà ? demandais-je à Charlie alors que je m’asseyais sur la motte de foin.

         Nous nous étions installés dans une grange plongée en plein milieu de la ville, là où les rues étaient infestées de passants révoltés. 

-Pour la gloire d’un prénommé Eren Jäger. Ça ne te dit rien le « grand terrassement » ? 

-Hm… Si, mais seulement en mal, et par des rumeurs.  C’est celui-ci qui aurait condamné le peuple Eldien à une vengeance inéluctable de Mahr. 

-Ça dépend des points de vue. Ceux-là, dit-il en pointant du doigt la porte arrière, pensent qu’Eren était un dieu leur ayant ouvert le chemin vers une paix de deux siècles. On les appelle les Eldiens Valhut, ils défendent la parole d’Eren. 

-Pourquoi ils font tout ce boucan alors ? 

-Parce-qu’ici, aux ruines de Karanes, les seuls bâtiments religieux sont des vestiges des églises des murs et une place sainte mettant en valeur le culte d’Ymir Fritz. 

-Le culte d’Ymir Fritz ? marmonna Kate alors qu’elle s’était échappée de son corps de titan. 

-Celle qui aurait donné naissance aux titans primordiaux ? continua Lewis.

-Exactement, confirma l’homme aux cheveux rasés de très près. Les Eldiens Valhut vouent un culte à cette paix durant laquelle aucun titan ne fut utilisé. Ils pensent qu’Ymir Fritz est mauvaise car elle a apporté au monde les titans, et par extension, la grande guerre des titans. 

-Ils se trompent, s’interposa Erna alors que tout le monde avait oublié sa présence. 

         Elle se tenait, collée à Hedwig, sur une poutre posée à même le sol et regardais d’un mauvais œil le groupe. 

-Tout est subjectif, répliqua Rudolf. 

-Non, tout mais pas ça. Les Valhut se trompent, c’est une évidence. Ils ne croient qu’en une paix qu’ils n’ont même pas connue, comme si cet « Eren » avait eu un impact sur leurs vies alors qu’il n’est qu’un imposteur !

         Un calme sans précédent suivi la tirade. Même Hedwig semblait choquée de ce qu’elle entendait. 

-Voyons, Erna… tenta-t-elle de dire. 

-Nous sommes tous des détenteurs désormais, et vous allez me dire que vous croyez en des gens qui pensent que vous êtes des monstres ? 

-On n’a jamais dit ça Erna, fit remarquer Kate. Juste que les deux avaient des avis très différents. 

-Et pourtant, ils ne mériteraient pas de donner leurs avis !

         Erna se leva de la poutre et pris la main d’Hedwig comme si elle souhaitait aller quelque part avec elle. 

-Il faudrait mettre un terme à cette guerre civile qui fait rage !!

-Guerre civile… ? Mais il n’a jamais été fait mention de Guerre civile, seulement de manifestations, expliqua Charlie. 

         Un nouveau silence perça les paroles. Une larme s’échappa des yeux d’Erna et, embarquant avec elle Hedwig, elle sortit de la grange par la porte à sa gauche. La porte se flanqua et quelques pleurs s’entendirent à travers les murs. 

-Qu’est-ce qui lui arrive ? se questionna Kate.

-C’est sûrement la fatigue, lâchais-je. Et vue tout ce qu’il nous arrive, c’est compréhensible de craquer à un moment. On a tous perdu quelque chose.

         Le petit Lyam, caché derrière son grand frère leva la main et dit d’un ton très bas :

-Pour Enos et moi… C’est une maison que nous avons perdue…

         Charlie surenchérit en prenant la parole :

-Nous avons perdus une connaissance Kate et moi, ainsi que l’entièreté de Shiganshina. 

-C’était un petit havre de paix, ajouta la détentrice du titan Féminin. 

-Kei et moi avons perdu une amie, continua le petit brun, des livres pleins les bras. 

         Bien que, depuis notre rencontre, je n’avais pas une fois pu observer les yeux du petit Kei, je vis à cet instant une légère larme rouler sur ses joues. Il se tenait à un petit mètre de moi et était assis sur une autre motte de foin. Peut-être fermait-il les yeux, je n’en savais rien, mais jamais je ne l’avais vu dans cet état, preuve qu’il tenait énormément à cette « Lora » dont les autres avaient parlé. En tout cas, jusqu’à cette discussion, je ne l’avais presque jamais vue avec autant d’émotions, quand bien même je ne voyais que la moitié de son faciès. 

         Il sécha d’ailleurs ses larmes d’un revers de la main. Malgré toute cette histoire et le fait que je n’aurais jamais dû rencontrer cette troupe, je me prenais d’affection pour Kei. Et même si je ne connaissais pas une seule bribe de son histoire, je le voyais déjà comme un bon compagnon de route. 

         Repensant ensuite à mon histoire alors que je continuais de pointer du regard le petit Kei, je me rendais compte que j’étais le dernier à expliquer ce que j’y avais perdu. 

         Chacun des regards étaient posés sur moi, notamment celui d’Enos qui se faisait de plus en plus persistant. Alors, sans pour autant dévoiler toute mon histoire, je me confiais au moins sur cette perte :

-Pour ma part, j’ai perdu un allié. Un frère d’arme et un camarade. 

         Je marquais une petite pause, me remémorant des images de son sourire. Un de mes poings posé sur mon habit pourri se referma et mes dents se crispèrent de tristesse, et pourtant je ne m’étais pas rendu compte de l’apparition de ces rictus. 

-Il s’appelait Gabril, et il m’accompagnait dans mon voyage pour Shiganshina. 

-Comment l’as-tu perdu… ? m’interrogea Charlie.

-Charlie… ! Ce ne sont pas des questions qui se posent, s’offusqua Kate. 

-Il a… 

         Mes souvenirs me coupèrent dans mon élan. Ils étaient comme réapparus. 

-Je… J’ai un souvenir d’une petite fille.

         Tout le monde m’écouta attentivement et des œillades s’échangèrent.

-Elle m’avait dit quelque chose… Et m’a frappé jusqu’à l’évanouissement, je suppose. 

-Qu’est-ce qu’elle t’avait dit… ? réclama Charlie qui semblait très curieux. 

         Ma main gauche se plaqua contre mon front, comme si elle allait aider mon cerveau à réfléchir. Cependant, les paroles ne me venaient pas, je ne voyais que son ombre parler dans le vide. 

-Je ne sais plus…

         Les ardeurs se calmèrent et tout le monde relâcha la pression. Le silence permit de se rendre compte que les pleurs avaient cessé. 

-Bon… lâcha Lewis en remettant le nez dans ses livres. 

         Il semblait rechercher depuis plusieurs longues minutes quelque chose sur des sortes de cartes du monde. Mais, ne sachant pas en lire à grande échelle, il rencontrait quelques difficultés à comprendre le sens dans lequel il fallait tenir ces dernières. Alors il tournait et retournait les ouvrages dans tous le sens. Et, après plusieurs essais, adopta une position juste en observant la rosace des vents. 

         Aussitôt après avoir compris le sens, il s’empressa de faire un petit signe de la main à Kei. L’autre jeune homme avait l’air bien moins emballé mais se força à bouger vers Lewis. Les deux chuchotèrent discrètement pendant plusieurs minutes alors que les autres membres du groupe vaquaient à d’autres occupations comme se documenter sur les livres disponibles ou bien rester près de la porte principale à observer si aucun soldat Mahr ne se pointait. 

         Une ambiance morbide régnait désormais dans la pièce et chacun essayait d’oublier comme il pouvait. 

-Notre prochaine destination est un territoire Azumabito, déclara finalement Lewis après un long moment de réflexion. 

-Nous nous y rendrons par voie maritime dans les plus brefs délais, accentua Kei. 

-D’après les cartes, nous devrions arriver à un port nommé Vailmid situé ici.

         Lewis pointa un pays de son doigt. Tout le monde resta bluffé par le professionnalisme des deux adolescents. Si bluffés que personne n’eut le temps de rappliquer.

-Il serait, d’après les dires des différents livres, sous occupation Azumabito. De cette manière nous partirions tous en direction du soleil levant, clôtura Kei. 

-Pourquoi faire ? questionna Enos sur un ton transpirant le mépris. 

         Mais les enfants ne se découragèrent pas et, s’apprêtant à expliquer plus en détail, Lewis fut coupé par Charlie :

-Afin d’effectuer une alliance militaire avec les Azumabito je présume. 

         Les enfants hochèrent la tête chacun leurs tours. 

-C’est pourtant évident, reprit-il. En considérant que nous sommes effectivement des détenteurs de titans primordiaux, nous représentons les derniers remparts du peuple Eldien, et pas n’importe quel rempart. Sûrement le plus haut et le plus ardu des murs à abattre. Il semblerait stratégiquement intéressant pour les Azumabito de s’allier à notre groupe afin de renverser la situation actuelle. 

-À savoir, la domination Mahr sur notre pays, compléta Kei. De cette manière, la liberté d’Eldia serait totale.

         Enos regarda quelque instant Kei dans le blanc des yeux et pouffa de rire. Il se changeaen moquerie. Enos, bien que perdu dans cette histoire, n’avait pas osé une seule seconde croire ce que lui racontaient les deux adolescents. 

-Vous ne vous rendez pas compte de ce que vous dites, fit-il remarquer. Vous ressemblez à ces Eldiens Valhut manifestant dehors pour un quelconque changement dans la manière de penser des gens. L’histoire se répète bon sang de bonsoir ! Regardez donc en face vos paroles et essayer de comprendre la situation comme des grands !

         Personne n’avait l’air de comprendre ce qu’il déblatérait, et pourtant, chacun essayait d’identifier son point de vue. 

-Vous refoulez la présence Mahr comme s’ils allaient vous lâcher du jour au lendemain sous-prétexte que vous possédez des titans dont on ne connait même pas encore l’étendue des pouvoirs. Et vous savez à qui vous me faites penser avec vos beaux discours pour la liberté d’Eldia ? Hein… ? Vous me refaites juste penser à cet « Eren Jäger », comme si on devait à tout prix se libérer de l’étreinte et se venger. Votre condition d’être humain vous rattrape, c’est triste à observer. 

-Parce-que l’on devrait rester ici alors que nous avons enfin la possibilité de vaincre l’adversité ?! hurla Kei au bord des larmes.

         C’était la première fois que je voyais ses yeux. Noirs perçants mais profondément beaux, ils me rappelaient la mer battant son plein. Et l’écume venait se déposer à nouveau au coin de son menton. 

-Ça fait trois cents ans que nous sommes en paix et environ vingt ans que la guerre a repris, alors sache que je n’ai aucunement l’intention de rester les bras croisés alors que j’ai l’opportunité de me battre pour Eldia !!

-Putain mais vous n’y comprenez rien !! Le cycle de la haine qui s’engendre depuis des millénaires est dû à ce genre de réflexion !! Ça parait pourtant logique bordel ! C’est à cause de ce genre d’idées que le monde retourne en guerre sans cesse et que les vengeances s’empilent les unes sur les autres !! 

-Et qu’est-ce que tu voudrais faire Enos, hein ?! Te dérober à ta conception d’humain ?! Renier la haine et chaque émotion de ton corps parce-que ça serait trop facile de juste suivre ce qu’il te serait bon de faire ?!! Rester dans l’insouciance que tout se résoudra de soit-même et rester les bras croiser à faire pâle figure face à Mahr ?!! Hein ?!! Espèce d’égoïste !!!

-Mais de quoi est-ce que tu m’parles, sac à merde !! Ne pas penser à comment résoudre le problème d’une autre façon est le moyen le plus rapide et le plus sûr de se tromper ! Dans l’histoire, l’égoïste c’est toi ! À croire seulement au fait qu’une alliance entre une nation et un groupe de rebelles soit capable de remettre en place notre dictateur !!

-Oh calmez-vous !! s’interposa Charlie.

         Il se plaça entre les deux adversaires et tendit les bras en leurs directions. 

-Je pense que Kei a raison, avoua Kate. 

-Ouais… Moi aussi, rajouta Lewis.

-Je suis du même avis que Kei, clôturais-je. 

-Ce n’est pas possible… pesta Enos. 

         Il se rassit aux côtés de Lyam et le perça du regard. 

-Et toi ? 

         Le petit frère, peu sûr de lui, bredouilla :

-Je… Euh… Je suis de ton avis…

         Enos soupira et se détendit. Il semblait avoir évacué une rage extrême. Quant à Lyam, il se contenta de baisser les yeux par peur. J’avais du mal à m’imaginer que ce dernier croyait vraiment en ce qu’Enos racontait, il était sûrement mis sous-pression. 

-Ce plan n’est pas stupide, reprit Charlie. Ils seraient logique pour eux de tenter quelque chose avec nos titans respectifs. Je pense qu’ils accepteront, encore faudrait-il se rendre en territoire Azumabito.

         Enos baissait les yeux au fur et à mesure que Charlie parlait. La honte le ravageait. 

-Il faudrait embarquer clandestinement sur un bateau de ce port, compléta Lewis. 

-C’est le plus proche, seulement, la distance qui nous en sépare et grande. Traverser tout ça à pied serait long et épuisant. 

-Je peux reprendre ma forme de titan, proposa Kate d’un ton apeuré. 

-Tu serais prête ? 

         Elle hocha la tête de force. La transformation en titan n’avait pas l’air de lui avoir fait que du bien. 

-Peut-être pourrait-on essayer avec quelqu’un d’autre, non ? proposais-je.

-Non, ça serait trop dangereux de faire se transformer en titan quelqu’un d’autre alors que l’on ne connait pas encore celui de tout le monde. On ne peut pas risquer de faire se transformer quelqu’un en titan colossal par exemple, les dégâts causés seraient bien trop grands. 

-Alors je serais prête à reprendre le rôle de titan féminin pour faciliter les déplacements. 

-Oui, surtout que tu as déjà l’air de savoir te contrôler comme il faut, ajouta Charlie. 

-Étrange capacité d’ailleurs, fit remarquer Lewis. On dirait que tu as appris à le maitriser depuis des années. Tu as ressenti ça aussi ? 

-Ouais… Pourtant c’était la première fois dans cette forme. Mais…

         Elle regarda un instant sa main droite et reprit :

-Sous cette forme je me sentais si puissante. Je me sentais vivre. 

         Elle rangea sa main.

-Comme si j’étais finalement complète.


         ****

Erna Blümer

         

La porte claqua sous la force de mes bras et à peine fus-je dehors que des larmes se mirent à couler. Hedwig relâcha ma main et disparu de mon champ de vision alors que je m’asseyais, le chagrin au creux de mes mains. 

-Qu… Qu’est-ce qui t’as pris, Erna ? 

         Des gémissements s’échappèrent de ma gorge.

-Je ne t’avais jamais vu réagir de cette manière, ajouta-t-elle. 

         Ma tête se releva et, croisant son regard, je découvrais alors avec stupeur ses visions d’enfer traversant mon cerveau. 

         Je voyais le chaos à l’état pur. La guerre comme jamais je n’aurais pu l’imaginer. Des armes, beaucoup d’armes. Des chars d’assauts équipées d’artilleries à peine descriptibles. Du sang, des larmes et, cachés au fin fond de mes tympans, la présence de hurlements de douleur.  

-Mon dieu… Qu’est-ce qu’il t’arrive… ?

         Hedwig vint se rapprocher de moi et m’enlaça fortement. 

-Erna… 

         Tant d’émotions se transmettaient. Si peu de temps entre nos deux corps, c’était presque à en avoir le vertige. 

-Nous retrouverons ma sœur… J’en suis persuadée. 

-Tu… N’as alors rien compris… mâchais-je entre mes larmes. Lora est morte… 

         Elle serra un peu plus fort mon corps et crispa ses doigts autour de mon cou. Sans rien dire, je réussissais à savoir qu’elle n’acceptait pas cette réalité. 

-Ouvre les yeux, Hedwig… Lora est partie et c’est pour ça que Kate s’est transformée en titan…

-Mais je…

         Hedwig se retint de pleurer de la même manière que moi. Pourtant, mes larmes s’échouaient déjà sur le tissu abimé de son haut. 

-C’est impossible… Elle ne peut pas être partie de cette manière…

         Elle explosa finalement en sanglots.

-J’ai un plan… marmonnais-je doucement. 

         Ces paroles étaient comme une berceuse que l’on aurait fait écouter à un enfant, et automatiquement, les pleurs d’Hedwig se calmèrent. 


         La disparition de Lora m’avait également tant chamboulée que je n’arrivais pas encore à m’en rendre compte. Et hériter de ces souvenirs qui passaient quelques fois dans ma tête lorsque je regardais sa sœur m’effrayait de plus en plus. Ces visions horrifiques me dérangeaient au plus haut point. 

         Mais, du fait de ce sang Ackerman coulant dans mes veines, une partie de moi s’était avant tout détruite à sa mort. J’avais entendu ça sur le champ de bataille en tant que Meneur. Un soldat parti trop vite m’avait raconté que le sang Ackerman était recherché et qu’il permettait, apparemment, aux Ackermans de s’identifier à un proche. La disparition de ce dernier provoquerait alors un profond vide chez le serviteur.

         Cette situation venait de m’arriver, et m’ayant beaucoup attaché à Lora Lambert à mon retour à Shiganshina, je découvrais ici la dure réalité d’une perte de cette envergure. 

         Mes visions s’accumulant ne présageaient pas que du mauvais. J’y voyais des montagnes de morts, certes, mais une paix parfaite conçue pour être l’ultime création Eldienne. 

         Rassurant Hedwig, je mettais alors en place un stratagème afin de mettre en accord tous les peuples, dans une paix parfaite. 











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