My Beautiful Beast (LevixEren)
My Beautiful Beast
Chapitre 13: The Sleeping Beast
La mission n’avait été qu’à demi-remplie.
Ils avaient réussi à mettre la main sur d’importants documents consignant les activités du groupe des Marchands de Sable. Mais il leur faudrait au moins un mois, avec l’aide des meilleures équipes de décryptage, avant de pouvoir exploiter ces informations. De plus Levi n’arrivait pas à se sortir de la tête l’image de l’étrange silhouette qu’il avait aperçue dans l’entrepôt avant qu’elle ne mette le feu aux cadavres
…était-ce réellement un être humain ?
Indifférent à l’agitation qui régnait tout autour de lui, Levi, sourcils froncés, vit soudain son esprit effectuer un rapide nettoyage d’automne. Absolument toutes ses questions furent relayées au second plan pour qu’il ne reste plus qu’une chose en tête de liste.
Eren.
Il écarta la main de Moblit quand celui-ci essaya de passer un peu de désinfectant sur la légère coupure qu’il avait sur la joue : « Laisse ça la Raie, les gars du labo désinfecteront pour moi. Je me tire… » Moblit leva la main en direction du Caporal : « Mais ! Qu’est-ce que je vais raconter à…
- Plus tard ! J’écrirais un foutu rapport, pour le reste racontez ce que vous voudrez, j’ferais avec…
- Caporal ! » Levi agita distraitement la main en arrière et la foule s’écarta pour lui libérer le passage. Il traversa sous les sifflements admiratifs et excités des habitants qui s’étaient agglutinés là comme s’il était dans une foutue salle de cinéma. Levi grogna et se dirigea droit vers l’allée où il avait garé sa voiture. Il s’arrêta devant une Hennessey Venom GT, carrosserie noire. C’était le ‘petit cadeau’ qu’il s’était offert pour ses 20 ans. Il venait de démanteler l’une des sous-branches du culte d’Atlas avec l’aide des informations fournies par Mitch (à propos de leur culture en masse d’herbes hallucinogènes ou encore de l’organisation du village)
…Ça avait été la première et la plus marquante des victoires de la Brigade d’Intervention.
Pour l’occasion, ils avaient été mis en compétition contre les Elitistes issus de leur promotion. La défaite de ces derniers avaient été cuisante. Tant en stratégie, qu’en force de frappe et résultats. A la suite de quoi Erwin avait finalement pris la décision de faire plaisir à tout le monde. Ainsi pour ne pas froisser ses précieux investisseurs il avait gardé le droit d’enrôler autant d’E.C de son choix dans l’académie de Survey Corp, en échange de quoi les vingt premiers élèves de chaque promotion auraient le droit de choisir dans quelle Brigade ils souhaitaient effectuer leur service.
La Garnison, la Brigade Spéciale (à l’intérieur du mur magnétique) ou la Brigade d’Intervention.
Un petit groupe d’hommes s’étaient agglutinés autour de sa voiture et la contemplait comme s’il s’agissait d’une des merveilles du monde.
Quand ils prirent note de la présence de Levi, ils s’écartèrent tous. Le Caporal approcha de la bête, la déverrouilla, ouvrit la porte et s’installa tranquillement. Il ôta ses lunettes de soleil et poussa un soupire. Il allait devoir la nettoyer à fond maintenant qu’il avait osé s’y installer alors qu’il était aussi crade….Il démarra le moteur. Le doux vrombissement le détendit un peu alors qu’il appuyait sur la pédale d’accélération.
Il devait se dépêcher s’il voulait arriver à temps. Ces enfoirés de blouses blanches pouvaient être flippants quand ils s’y mettaient vraiment. Et respecter le couvre-feu était l’une de leurs règles sacrées.
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Il s’était passé tellement de choses durant les six dernières années.
Tout d’abord au sujet de l’accident.
Erwin était le genre d’homme qui détestait les imprévus. Carla, Eren et Kenny faisaient partie d’un vaste plan qu’il avait élaboré avec patience. Ils étaient ses pions. Et à moins qu’une véritable force du destin ait été à l’œuvre, il n’était pas prêt d’admettre qu’ils aient pu aussi facilement être éliminés avant d’avoir accompli leur rôle. Le commandant Erwin ne croyait pas au hasard, il lui fallait comprendre par A et B de quelles façons les choses avaient pu se produire.
En premier lieu, il étudia attentivement le bug informatique à l’origine de l’embouteillage monstre qui avait forcé Kenny a emprunté le périphérique.
Les serveurs contrôlant le système de signalisation avaient été piratés ce jour-là. Et les agents de polices assignés à la circulation s’étaient tous révélés être des ripoux. Cette première anomalie l’avait conforté dans son idée que quelque chose clochait. Erwin avait donc fait des pieds et des mains pour récupérer les débris de la voiture dans laquelle se trouvait Eren.
Il avait rencontré une telle résistance de la part de l’administration policière de l’époque qu’il avait été obligé d’en venir aux mains et de faire voler le véhicule en pleine nuit.
En ce qui concernait les cadavres de Kenny et Carla, dont il avait voulu l’autopsie, la tâche avait été plus ardue encore. Celui de Kenny avait été le plus facile à obtenir mais celui de Carla en revanche…Erwin avait dû l’intercepter à deux pas du crématorium.
On aurait dit que quelqu’un en haut lieu tentait de faire disparaître des preuves.
L’autopsie avait été l’un des facteurs les plus révélateurs de son enquête. En effet elle révéla que Kenny n’était pas mort dans l’explosion. Tout comme Eren, il avait été broyé à l’intérieur du véhicule. Et au vu des analyses effectuées sur sa voiture, ça avait été comme si quelque chose de massif et d’incroyablement solide s’était encastrée du côté conducteur.
D’autres conclusions, pour le moins dérangeantes, étaient venues s’ajouter à la liste des anomalies concernant cette affaire. Car même si au premier abord, on aurait pu croire que Carla, dont la ceinture de sécurité n’était pas attachée avait été propulsée hors du véhicule pendant le choc, se brisant la nuque, les résultats de l’autopsie réfutaient complètement cette conclusion. En réalité, la colonne vertébrale du cadavre de Carla avait été arrachée. De plus une simulation retraçant les positions des corps et les angles de l’accident avait prouvé qu’elle n’avait pas été propulsée hors de son siège mais bel et bien extirpée hors du véhicule… « Qu’est-ce que t’essaie de dire-là ? Mono-sourcils… qu’ils ont été assassinés ? Par qui, quoi ? Pourquoi ? Je veux bien croire que Kenny avait beaucoup d’ennemis mais aucun d’entre eux n’iraient jusqu’à faire exploser le périphérique…et tu fais quoi des autres victimes ?
- Levi. C’est tout le problème. Les véhicules que mes espions ont pu photographier avant qu’ils ne soient détruits à la fourrière, ne présentaient pas que les traces de dégâts qu’auraient pu causer la déflagration…
- Ces gens ne sont pas morts dans l’explosion…
- Non. Ils ont été attaqués. Par quelque chose d’immense et d’assez puissant pour que la carrosserie de leur voiture ne pose pas plus de problèmes qu’une feuille de papier. » Ils avaient marqué un silence.
Levi s’était senti incroyablement mal à l’aise et le bureau d’Erwin lui avait paru ne plus être un endroit assez sûr pour avoir la conversation qu’il entretenait.
Il avait soufflé : « De quoi t’es en train de parler-là, d’un char d’assaut amélioré ? D’une arme futuriste qui comprime l’air ou une connerie du genre ? » Erwin avait marqué une pause : « Non. On parle d’une arme biologique Levi…Je pense que le gang des Titans a développé de supers soldats d’un autre type…
- Ce que tu dis n’a absolument aucun sens ! S’ils disposait d’une armée pareille, pourquoi est-ce qu’ils ne prennent pas directement le contrôle du pays ?!
- C’est la réponse que nous devons obtenir, Levi. Avant qu’ils ne parviennent à régler leur problème et ne décident de passer à la phase deux de leur plan…
- Erwin, t’es en train de péter un câble…
- Levi…à partir du moment où l’existence d’un enfant aussi incroyable qu’ Eren s’est avéré possible, alors n’est-il pas normal pour nous de considérer qu’il puisse exister bien pire ? Après tout, tu ne sais rien d’Eren, ni d’où il vient, ni même ce qu’ils fuyaient, sa mère et lui. Le nom Jäeger n’est pas originaire de Paradiz, ils étaient clandestins… Comment leur route les a-t-elle conduits à Heaven ? D’où Eren tient-il ses capacités hors normes ?…pourquoi la colonne vertébrale de Carla a-t-elle été arrachée ? Etait-ce pour l’empêcher de se régénérer comme en est capable son fils ? Levi, lorsque tu fais référence à l’accident, tu parles de la malédiction Ackermann…j’ai bien conscience de ce que tu penses de ton clan familial. De cette histoire de malheur et de violence…
-….
-… sauf que cette fois-ci, ce n’était peut-être pas Kenny qui était visé. C’était peut-être Carla qu’on cherchait à abattre…
- Erwin…ces types n’auraient pas laissé Eren en vie si c’était le cas. Et puis pourquoi est-ce que tu penses qu’il s’agit d’un coup des Titans ? » Erwin avait agité la tête : « Détrompes-toi pour Eren. Tu n’as jamais voulu voir les photos mais en prenant en compte mes suppositions et l’angle sous lequel nous avons retrouvé le corps d’Eren…ils ne savaient peut-être même pas qu’il était là. Dans la voiture…ni même d’ailleurs que Carla avait un enfant. Et si je suis aussi certain, qu’il s’agit d’un coup des Titans, c’est parce que leur emblème a fini par apparaître au cours de mes investigations…Sans parler du modus operendi...n'est-ce pas extrêmement titanesque d’absolument tout détruire sur leur passage pour que personne ne remonte jamais jusqu’à eux ? Vu comme ça, une explosion en plein périphérique, ce n’est plus si fou, non ? » Levi avait senti un courant d’air lugubre lui soulever les poils de la nuque : « Qu’est-ce qu’il se passerait s’ils apprenaient que Carla a eu un fils ?... » Erwin avait marqué une pause avant de se redresser dans son siège, l’air grave : « Je pense qu’il deviendrait leur prochaine cible à abattre. »
Levi venait de passer le dernier contrôle autorisant l’accès au quartier de Stohess. Alias, l’intérieur du mur magnétique.
Ici les rues étaient propres, lumineuses et peuplées de passants aux airs insouciants. Stohess représentait tout ce qui avait dû inspirer aux fondateurs du pays le nom de Paradiz. Les buildings paraissaient toucher le ciel, leur façade en verre holographique en reflétait les couleurs et on pouvait presque croire qu’ils étaient translucides. C’était un centre-ville dynamique. Avec toutes ces caméras de surveillance, son manque de vigiles à l’entrée des magasins, elle donnait l’impression que tout était possible et qu’absolument aucun citoyen mal attentionné ne pouvait subsister en ce lieu.
Luxes, liberté et joie.
Aucun des habitants de Stohess n’avaient jamais eu à craindre la faim ou le froid.
Un revenu minimum était requis pour espérer y obtenir une autorisation de résidence.
Bars, boites de nuits, salles d’arcades délirantes, parcs d’attractions, musées, restaurants de luxe, les hôtels les plus prisés du monde, les meilleurs hôpitaux, les meilleurs écoles Stohess était une véritable bulle de bien-être. La première fois que Levi avait mis les pieds dans l’enceinte du mur, ça avait été comme recevoir une gifle en plein visage. Il n’avait jamais eu d’occasion aussi frappante de constater à quel point l’argent pouvait offrir à qui le possédait absolument tout ce qu’il désirait. A quel point les disparités de ce monde étaient fortes et inébranlables. A quel point ce mur magnétique, cachant à la vue de tous les citoyens d’Heaven l’incroyable opulence de ses dirigeants, était infranchissable…
Ici, personne ne louchait sur sa Hennessey Venom GT. Des voitures du même acabit, il y en avait garé à presque chaque coin de rue.
Levi roula encore sur quelques kilomètres avant d’atteindre l’impressionnante et effrayante Tour Z. Après avoir montré son Pass à la caméra de surveillance, passé le contrôleur biométrique (un scan rétinien) et tapé son code personnel lors du troisième check point, il fut escorté par des hommes lourdement armés jusqu’à ce qu’il quitte la Zone A. Levi poussa un coup d’accélération alors qu’il s’engageait sur la large route, bordée de forêt qui menait à la Zone H. La Zone où Hanji avait ses quartiers personnels.
Levi revisita en pensée les six dernières années de sa vie.
La première année avait été la plus facile.
Il lui avait suffi d’attendre, impatiemment qu’Eren se réveille.
Levi s’était plongé dans le travail. Les jours étaient passés à la vitesse de l’éclair. Entre toutes les affaires qu’il avait eu à traiter et ses nuits entières passées au chevet d’Eren, les mois s’étaient écoulés sans qu’il ne s’en rende compte.
Par la suite, les choses étaient devenues bien plus compliquées.
L’état dans lequel se trouvait Eren avait commencé à lui peser sur la conscience.
Et Levi s’était demandé de plus en plus souvent, s’il avait eu raison de le laisser vivre. Si Erwin n’avait pas été le plus clairvoyant de tous lorsqu’il avait parlé de ‘le libérer’. De les libérer, tous les deux.
Levi n’avait pas pu se résoudre à vendre leur maison dans le quartier de Trost.
Il voulait qu’Eren puisse retrouver ses marques lorsqu’il serait autorisé à sortir du laboratoire. Alors il l’avait gardée. Mais habiter seul, dans un si grand espace, empli de leurs souvenirs communs, c’était au-dessus de ses forces. L’endroit était sombre, froid et sinistre. C’était un peu comme si Carla et Kenny allaient pousser la porte d’entrée, d’une minute à l’autre. Alors Levi avait commencé à déserter les lieux, n’y revenant que pour faire la poussière et récupérer le courrier.
S’il ne dormait pas dans la chambre d’Eren au laboratoire, il dormait dans son bureau dans le quartier général de la Brigade.
Et vice versa.
Jusqu’à ce qu’au bout de deux ans, ses amis décident qu’il était temps pour lui de vivre une vie plus saine.
De sortir, de s’amuser, de voir du monde, de se donner le droit d’exister autrement qu’en tant que Caporal ou même tuteur d’Eren. Hanji l’avait même menacé, lui expliquant qu’il serait facile pour elle de l’empêcher de rendre visite à Eren pendant une période indéterminée, jusqu’à ce qu’il se ressaisisse.
Ces trois premières années avaient fait du corps de Levi, l’implacable machine à tuer qu’il était aujourd’hui.
Il avait choisi de suivre leur conseil pendant un moment.
Parce qu’il valait mieux ça que de passer ses nerfs sur Eren.
Il était donc sorti, il avait vu du monde… passé un temps considérable à se jeter dans les bras de parfaites inconnues (surtout les riches écervelées qui peuplaient les bars de Stohess). Jamais deux fois la même. Jusqu’à ce qu’il finisse, un soir, ivre mort (et diantre, qu’est-ce qu’il avait dû s’enfiler pour finir dans cet état ! Maudit corps Ackermann, on aurait dit que l’alcool faisait partie intégrante de son système sanguin…) par être recueilli par Petra.
Ce qu’il aurait pu se passer cette nuit-là, avait suffi à lui faire comprendre qu’il ne pouvait décidemment plus continuer à tourner le dos à sa véritable nature.
A savoir que Levi ne savait pas vivre comme les autres. Essayer ne pas penser ou de ne rien contrôler ne lui ressemblait pas du tout et ça avait en plus fortement risqué de lui faire commettre la pire erreur de sa vie. S’il s’était passé quelque chose avec Petra, cette nuit-là, il ne se le serait sans doute jamais pardonné. Alors il avait repris ses habitudes. Boulot, visite d’Eren…sauf que pour ne pas inquiéter ses amis, il avait appris à faire la part des choses. Il sortait en leur compagnie et se montrait plus souvent en public.
En secret, il avait même adopté un chaton, appelé En. Une vraie teigne, aux yeux vert jaunes qui s’était fait une joie d’absolument tout démolir dans la maison avant d’y prendre ses aises. Une boule de poil qui ne se laissait jamais caresser (sauf quand elle l’avait décidé bien sûr) et le forçait à rentrer à la maison tous les soirs pour la nourrir.
La cinquième année avait marqué les débuts de l’Escadron du Caporal en tant qu’Instructeurs spéciaux pour les vingt élèves les plus prometteurs de l’académie du Survey Corp.
La sixième année s’était déroulée comme dans un rêve. Avec la lenteur de la routine et un certain sentiment de résignation.
Levi se gara sur sa place de parking attitré.
Il descendit du véhicule et se dirigea d’une démarche lente vers les grandes portes qui menaient à la demeure d’Hanji (même si elle se plaisait à l’appeler son laboratoire, il s’agissait bel et bien de sa maison). L’homme à l’accueil le salua d’un vif hochement de tête : « Bonsoir Caporal. Vous avez failli rater le couvre-feu ! » Levi lui répondit d’un hochement de tête : « J’avais une maison de retraite à faire sauter… » L’homme éclata de rire. Pas parce qu’il prenait cette réplique pour une blague, non, c’était parce qu’il savait qu’il y avait un dangereux accent de vérité dans les paroles de Levi, qu’il se permettait d’en rire.
Hanji avait su s’entourer d’un personnel presque aussi barje qu’elle….
Levi traversa les couloirs et les salles avec la force de l’habitude, répondant avec circonspection aux salutations des blouses blanches qui hantaient les lieux. Parfois, il se demandait s’ils n’étaient pas tous des robots, programmés par Hanji pour tromper l’ennui. Peu importait l’heure à laquelle il s’était permis de déambuler dans ces couloirs, il y avait toujours eu des blouses blanches réveillées, en plein débats ou en pleine expérimentation, comme si le concept même de l’alternance nuit et jour leur était parfaitement étranger.
Levi appuya sur le bouton d’appel de l’ascenseur et attendit patiemment.
A chaque fois qu’il rendait visite à Eren, il était assailli par les mêmes émotions. Une impression étrange d’enfin être de retour chez lui, de se trouver exactement là où il devait être. Alors que paradoxalement, son cœur se noyait dans un mélange de tristesse et de colère.
Pourtant, il le savait, ce n’était pas de la faute d’Eren. Rien de tout ça n’était de la faut d’Eren.
L’ascenseur ouvrit ses portes et Levi s’y engouffra avant d’appuyer sur le plus haut étage, le 4ème. Il profita de ce temps de pause pour observer la crasse sous ses ongles. La première chose qu’il ferait en entrant dans la chambre ce serait de prendre une bonne douche. Les portes se rouvrirent. Levi traversa le long couloir sans regarder les autres pièces de l’étage. Son pas assuré l’emporta devant la dernière porte.
Comme d’habitude il hésita un instant avant de l’ouvrir.
Souvent, il se surprenait à imaginer que la scène qui l’attendait de l’autre côté serait différente de celle d’hier, et d’avant-hier. Qu’enfin, les choses changeraient. Il abaissa la poignée et poussa la lourde porte. Ses yeux s’accoutumèrent très vite à la pénombre. Face à lui, une énorme baie vitrée qui donnait une vue splendide sur la forêt. A sa gauche le canapé super confortable sur lequel il avait passé le plus clair de son temps ces six dernières années. Une table basse sur laquelle il avait rédigé bon nombre de rapports. Deux fauteuils dans lesquels il s’était endormi plus d’un million de fois alors qu’il lisait un livre pour se détendre. Une bibliothèque encastrée dans le mur et bien entendu, une large télévision murale (Hanji lui avait limite aménagé un véritable studio). Derrière le petit salon improvisé une porte, menant à la salle d’eau.
Et enfin, lorsqu’il tournait la tête vers la droite. Eren.
Il était allongé paisiblement dans son lit. Plus aucune machine à ses côtés. Il avait l’air serein. Bien qu’un peu maigre, son corps s’était parfaitement développé. D’après Hanji, il mesurait déjà à treize ans, 1m64. Il allait forcément finir par dépasser Levi, même si celui-ci évitait de trop y penser. Il avait de longues jambes et avec le temps son visage s’était mis à ressembler à celui de Carla encore plus qu’avant. Des traits fins, sculptés avec douceur, une bouche pleine et boudeuse. Il se trouvait en plein dans cette période ingrate où il n’était plus vraiment un enfant mais pas tout à fait un adulte. L’acné l’avait épargné et sa parfaite peau caramélisée rayonnait bien-être. Oui. Eren allait bien. Parfaitement bien même. Il était là, paisiblement endormi...
…depuis plus de six ans.
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Levi avait pris une douche puis s’était appliqué, une simple serviette nouée autour de la taille, à soigner les quelques égratignures qu’il s’était fait pendant l’intervention.
Au fond, s’il était en colère, c’était surtout contre lui-même.
Parce qu’il avait pris la liberté de croire qu’Eren sortirait effectivement de son coma au bout d’un an et demi, comme l’avait prédit Hanji. Mais ça ne s’était pas produit. Au final même si Eren s’était entièrement régénéré, son activité cérébrale était restée la même que celle d’un homme endormi. Ses yeux bougeaient sous ses paupières, il respirait, parfois même soupirait. Une fois, Levi l’avait entendu gémir comme s’il faisait un cauchemar. Sa peau était chaude, tiède ou froide selon la température ambiante. Il était là, sans être là. Vivant sans l’être vraiment. On aurait dit la poupée à taille humaine la plus réaliste du monde. Sauf que ce n’était pas une poupée. Levi l’avait vu grandir, sans vouloir y croire.
Au bout d’un certain temps, Levi avait fini par ne plus vraiment reconnaître celui que se trouvait dans ce lit.
Une part de lui savait qu’il s’agissait d’Eren. Mais qui était Eren ? Eren avait été l’enfant de cinq ans qu’avait vu grandir Levi jusqu’à ce qu’il atteigne ses sept ans. Cet inconnu aux membres déliés n’était pas son Eren.
Et plus le temps passait et plus Levi se demandait à quel genre d’individu il aurait affaire. Si jamais un jour il se réveillait, qui Levi aurait-il en face de lui ?
Combien de temps encore devait-il attendre qu’Eren ouvre les yeux ? Dix ans ? Vingt ans ? Trente ans ? Aurait-il seulement le courage de continuer à supporter de le voir grandir, vieillir, sans jamais avoir droit à autre chose qu’à cette étrange enveloppe de chaire, inerte ?
Levi sortit de la salle d’eau, traversa la chambre et ouvrit la commode qui se trouvait sous la bibliothèque encastrée.
Il disposait de tout un tas de vêtements dans cette chambre (C’était vraiment devenu son petit studio…) Il enfila un boxer noir et un simple t-shirt. La chambre était toujours trop chauffée. Et puis en plus de ne pas craindre le froid, Levi avait toujours préféré dormir quasiment nu. Surtout depuis qu’il avait découvert les plaisirs d’une excellente literie. Il posa à nouveau les yeux sur Eren.
Un long silence se fit dans son esprit.
En dépit de tous ses questionnements, son sentiment d’abandon et de trahison, le fait qu’il ait l’impression de se retrouver face à un total inconnu, Levi ne pouvait s’empêcher de ne se sentir parfaitement détendu que dans cette chambre. Aux côtés de son gamin.
Il aurait voulu pouvoir s’endormir directement, histoire de se réveiller frais et dispo le lendemain matin.
Levi passait en général ses weekends sur le terrain, à préparer les cours du Lundi ou pire, en réunion avec Erwin et les autres chefs de services…ciel, ce qu’il pouvait détester ces réunions interminables…
Il agrippa d’une main le dossier d’un des fauteuils et le traîna jusqu’à ce qu’il soit placé au plus près du lit d’Eren. Puis il s’y laissa tomber, croisa la jambe avec nonchalance et observa l’adolescent en penchant la tête sur le côté.
Levi n’était pas comme Armin et Mikasa.
Il n’avait jamais pris la peine d’adresser le moindre mot à cette coquille vide. Il lui suffisait de l’observer et de parler à Hanji pour savoir comment il allait. Quel pouvait bien être l’intérêt de parler à un comateux ?
Contrairement à lui Mikasa et Armin, indéfectibles amis depuis qu’ils s’étaient rencontrés (à peine deux mois après l’accident d’Eren) débarquaient religieusement tous les deux jours pour raconter absolument toute leur vie au corps endormi de l’adolescent. Ils lui parlaient jusqu’à ce qu’ils n’aient plus rien à dire et que le silence redevienne pesant. Puis ils partaient, le cœur lourd, tout en promettant de revenir encore.
Levi aurait voulu avoir en lui, la même foi que Mikasa, lorsqu’elle affirmait avec assurance qu’Eren allait finir par ouvrir les yeux.
Comme si le gosse devait se réveiller d’une vulgaire sieste et non pas d’un coma long de six ans…
Pas une seule fois, la voix de sa cousine n’avait flanché lorsqu’elle affirmait avec déférence qu’Eren leur reviendrait. Elle ne se séparait qu’en été de l’écharpe rouge qu’il lui avait offerte. Levi la trouvait extrêmement flippante et souvent il se demandait si le gène sectaire qui avait poussé ses parents à rejoindre les Atlas ne s’était pas un peu trop exprimé dans son patrimoine génétique. Sauf que la religion de Mikasa, c’était Eren.
Il s’éclaircit la gorge : « Hey…morveux. »
Il se fit l’effet d’être un parfait imbécile : « …Aujourd’hui j’ai fait sauter une maison de retraite… tu verras que même si au départ, c’était de la faute des proprios qui ont laissé un dangereux gang de dealers de drogue du troisième âge élire domicile dans leurs locaux, ces enculés essayeront quand même de faire passer la note des réparations sur le compte de la Brigade… » Eren ne bougeait pas. Pas même un cil.
Levi continua : « Mono-sourcil ne prend même plus la peine de m’engueuler. Je crois qu’il est assez taré pour se contrefoutre des thunes qu’engloutit la Brigade en à peine une semaine, rien qu’en dégâts matériels…Je pense qu’il veut qu’on se sente libre de faire absolument tout ce qu’on estime nécessaire pour obtenir des résultats…même si pour ça on doit faire sauter au C4 l’ensemble d’un quartier marchand…une idée d’Eld ça encore. Il devrait arrêter de jouer au jeu vidéo… Il est déjà blond alors imagine l’état de son cerveau…» Du coin de l’œil. Levi crut voir un mouvement.
Il se tut un instant, incrédule. Puis il tendit la main pour venir la poser sur celle d’Eren.
« Gamin… » Sa voix s’était faite plus grave : « …j’ai adopté un chaton. Enfin, c’est plus vraiment un chaton maintenant. Il, ou plutôt, elle a déjà trois ans. Elle a bousillé le canapé de ta mère, j’ai dû le faire remplacer. Ils ne vendaient plus le même modèle alors j’ai dû en prendre un autre…de la même couleur. » L’un des doigts d’Eren tressauta contre sa paume.
Le cœur de Levi s’était doucement mis à battre plus vite : « …Elle s’appelle En. Elle a les yeux vert…je crois qu’ils ressemblent aux tiens. Mais ça fait bien longtemps que je n’ai pas vu la couleur de tes yeux alors…au fond peut-être qu’en fait, ils ne se ressemblent pas tant que ça… Personne ne sait que j’ai un chat. Ils se foutraient sûrement de ma gueule….je l’ai trouvée dans notre ruelle gamin. Celle où je…» Le spasme qui agitait les doigts d’Eren s’était arrêté.
Levi savait qu’il lui arrivait souvent de tressauter, de soupirer ou même de gémir de douleur. Ca ne signifiait pas pour autant qu’il allait se réveiller.
Il resserra sa prise sur la main qu’il tenait dans la sienne : « …Gamin…tu ne trouves pas que t’as assez pioncé ? Tu comptes me faire attendre pendant combien de temps encore ? …T’es entré dans ma vie comme une foutue bombe, t’as niqué ma routine, défoncé mes plans d’avenir, tu… » Levi relâcha la main d’Eren. Il se redressa dans son fauteuil.
Il se sentait si vide. Tellement épuisé.
La journée avait été longue, trop longue.
Il aurait peut-être mieux fait de rentrer à Trost…
Son regard tomba de nouveau sur Eren. Il se pencha en avant et lui passa une main dans les cheveux, comme il l’avait si souvent fait avant, lorsqu’il avait cinq voire même six ans. Ils avaient toujours cette même douceur, sauf que là, ils étaient plus longs et que Levi pouvait y perdre les doigts.
C’était vrai. Il ne savait pas en face de qui il allait se retrouver quand cet Eren ouvrirait les yeux. Mais au fond, il s’en contrefichait.
Levi en était venu au point où il n’existait plus grand-chose qu’il ne soit pas prêt à sacrifier pour revoir ne serait-ce qu’une fois ces pupilles vert d’eau, magnétiques, presque magique.
Il approcha encore, comme pour mieux se rendre compte de la présence de ce corps, endormi.
Si proche et pourtant si loin.
Il savait qu’il agissait bizarrement aujourd’hui. Qu’il était sûrement en train d’atteindre une nouvelle limite de sa patience. Peut-être qu’il allait commencer à espacer davantage le nombre de ses visites. Après tout s’il commençait à penser qu’il valait mieux achever Eren de ses propres mains que de continuer à le voir dans cet état, alors peut-être qu’il avait tout intérêt à ne plus le voir aussi souvent.
Levi posa les lèvres sur le front d’Eren, sur l’espace dégagé par les doigts qui retenaient encore quelques-unes de ses mèches souples.
Les yeux clos, le front collé à celui de l’adolescent, il inspira un bon coup. Eren sentait l’antiseptique hospitalier, le propre et…cette petite note, presque effacée, de soleil et de menthe qui n’appartenait qu’à lui. Levi ne voulait pas se poser de questions.
Ni sur l’angoisse étrange qui lui étreignait le ventre à chaque fois qu’il pensait que peut-être Eren ne serait plus le même. Qu’il aurait à faire face à un tout nouvel individu …un autre Eren. Plus adulte.
Ni au sujet du baiser qu’il venait de lui donner.
Ce genre de geste affectif détonnait complètement de ses habitudes. Il n’avait même jamais embrassé comme ça. Avec tendresse. C’était un peu comme s’il disait adieu à quelqu’un. Qu’il achevait un deuil. Le Eren de sept ans était mort dans cet accident. Et il ne reviendrait plus. Son petit frère, celui qu’il n’avait jamais osé appeler de cette façon avant cet instant, était mort, dans un accident de voiture.
Levi souffla : « Eren… » Il resta un moment dans cette position. Front contre front.
La fatigue menaçait de prendre le pas sur sa conscience.
Il était finalement soulagé d’avoir pris la peine de venir jusqu’ici. Ça lui avait permis de faire le point en quelque sorte. Il cesserait dorénavant d’attendre le retour d’un être qui était parti depuis longtemps. Il fallait qu’il se prépare davantage à accueillir l’adolescent ou même l’adulescent, voire pourquoi pas l’adulte que serait Eren à son réveil.
Un souffle chaud lui caressa le visage.
Levi commença par froncer les sourcils avant de rouvrit les yeux. Là face à lui, étrécies par la lumière de la salle de bain dont la porte était encore entrouverte, les deux pupilles les plus magnifiques du monde le fixaient. Ses souvenirs étaient bien en deçà de la vérité. Cette couleur, unique, était composée de délicates nuances entre le vert opalin et l’émeraude, les tâches de bleu qui constellaient cet océan de verdure avaient la couleur d’un ciel d’été.
Le cœur de Levi cessa de battre.
Pendant un court instant, il eut l’impression qu’Eren le reconnaissait. Mais la minute d’après, un hurlement bestial, proche du rugissement puissant d’un tigre à l’agonie, déchira l’air.
Puis Eren convulsa.
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