La nuit où les étoiles se sont rallumées
Let The Beat Control Your Body, Brodinski, Louisahhh
7 ans plus tôt...
Les basses pulsent comme si elles voulaient tout engloutir. Les éclairs lumineux trouent l’obscurité, éclairant une masse de corps mouvants. Des gens hurlent – sûrement les paroles de la musique de merde – et le sol colle aux semelles. Ça sent la clope, l’alcool et la sueur.
Ça sent la fête.
Recroquevillé dans un coin de la pièce, je colle le goulot d’une bouteille de whisky contre mes lèvres, mon joint dans l’autre main. C’est le combientième déjà ? Cinquième ? Sixième ? Septième ? On dirait bien que j’ai perdu le compte...
Soudain, je fronce les sourcils. Décolle la bouteille de ma bouche. Vide. Putain, déjà. J’étais sûr qu’elle était à moitié pleine quand je l’ai prise sur une des tables. Un regard circulaire m’apprend que je n’ai pas à m’inquiéter : une bouteille de vodka patiente tranquillement, là-bas.
Parfait.
Personne ne fait attention à moi quand je m’en empare, avant de me blottir à nouveau dans le fond de la pièce.
Je m’étais d’abord posé dans un parc pour fumer ma weed, mais la détente, l’euphorie, la légèreté, tout ça… Rien n’est venu. Il n’y avait que cette putain de souffrance. La conversation avec Nate me prenait trop la tête et j’arrêtais pas de pleurer. Alors j’ai pensé aux fêtes des fraternités, parce qu’un samedi soir, il devait forcément y en avoir une à quelque part.
Capuche sur la tête, j’ai marché, longtemps. Tenté d’ignorer mon foutu portable qui vibrait toutes les deux secondes – sûrement la mère de Nate – jusqu’à l’éteindre d’un geste las. Qu’on me foute la paix. Je demande que ça.
Et enfin, j’ai entendu une maison vomir un déluge sonore.
Bingo.
Aucun des fêtards en délire ne m’a posé de question, ni empêché de kidnapper la bouteille de whisky. J’aurais pu me casser, mais en restant sur place, j’étais sûr de pouvoir me réapprovisionner facilement. En plus, le bordel ambiant m’empêche de trop penser et personne ne m’a fait chier pour mon joint. Tous ces étudiants doivent voir un pauvre type trop pâle, aux vêtements trop noirs, aux yeux trop rouges et à l’air hargneux, qui s’est mis minable.
Je tire une taffe, je crache un nuage de fumée, j’avale une gorgée de vodka, laisse la brûlure de l’alcool caresser mon œsophage avant de se lover dans mon estomac.
Putain, ça m’avait manqué.
On dirait que mes vieux démons n’ont pas tardé à réapparaître. Ils ont peut-être toujours été là, cachés dans l’ombre, à attendre une occasion… que je viens de leur offrir sur un plateau
Un nuage de fumée.
Une gorgée.
Une taffe.
Un nuage de fumée.
Une gor...
— Tu partages ?
Je tourne la tête, surpris, et croise un regard bleu.
Sans attendre ma réponse, la meuf me prend le joint des mains et tire une énorme taffe avant de me le redonner.
On dirait Kenna.
Mais ce n’est pas Kenna, c’est une fille en crop top, aux cheveux roses et au maquillage baveux. Soit elle a pleuré, soit ri, soit trop dansé. A voir la sueur qui dégouline de son front, je penche pour la troisième hypothèse. Et quand elle fait voler ses cheveux au rythme des basses, son collier de perles rouges scintille, comme si quelqu’un venait de lui trancher la gorge.
Je secoue la tête, cherchant à me rafraîchir les idées.
Un des projecteurs illumine soudain le visage de l'inconnue. Ses pupilles dilatées ne laissent aucun doute sur son état actuel, mais bon, au moins, elle ne dit rien. Elle se contente de rester à côté de moi jusqu’à ce qu’on ait fini le joint, tandis que les gens continuent à se déchaîner sur la piste de danse. La musique me déchire les oreilles et ma tête commence à tourner. En plus, j’ai le bide à l’envers.
— Tu t’appelles comment ? Je t’ai j-jamais vu par ici, lance soudain la fille.
Merde.
C’est le moment d’aller pisser.
Je contrôle que le paquet de weed est bien dans ma poche et je me lève, la vodka à la main. La pièce tangue comme un bateau ivre. Les danseurs tournoient et moi j’essaie de ne pas me crasher par terre. Je heurte une épaule, écrase un pied, en mode brise-glace au milieu d’une mer déchaînée.
— Héééé ! Je t’ai posé une question, s’entête la fille, qui commence à me suivre d’un pas mal assuré.
J’accélère, mais d’un bond, elle s’agrippe à moi. L’esprit déjà brouillé par l’alcool, je me mets à vaciller, avant de perdre carrément l’équilibre. Tous mes muscles se contractent, attendant un choc qui ne vient pas.
On atterrit dans un fauteuil, et apparemment, tout le monde s’en fout.
La fille éclate de rire. Je sens ses jambes sur les miennes et ses deux mains sur mon torse, tandis qu’elle essaie maladroitement de se relever. Son crop top glisse légèrement lors de la manœuvre, et malgré moi, mon regard dérive sur la parcelle de peau nue.
Ça ne passe pas inaperçu.
Avec un grand sourire, la fille m’enlève ma capuche.
— Houuuu, c’est que t’es plutôt mignon, en fait !
Et elle écarte les cheveux qui me tombent sur les yeux.
Son rire s’arrête, son sourire s’évanouit, remplacé par quelque chose de beaucoup plus intense.
Relève-toi. Va-t-en ! Vite !
Mais mon cerveau semble paralysé. Tout ce qu’il réussit à faire, c’est se féliciter du sauvetage de la bouteille de vodka, que je tiens toujours dans mon poing serré.
Minute, la fille est soudain beaucoup trop proche.
Je vois chaque cil couvert de mascara.
Avant que je puisse protester, sa bouche se pose sur la mienne.
Elle me roule une pelle monumentale.
Ok, c’est pas vraiment désagréable... Ses lèvres sont douces, sa langue caresse la mienne et ses seins sont pressés sur mon sweat-shirt. Je passe mon bras valide autour d’elle – celui qui tient la bouteille – pour l’attirer plus près de moi. Ça fait tellement longtemps que je n’ai pas embrassé une fille, que je n’ai pas…
Nate !
Je détourne brusquement la tête.
Nos lèvres se décollent.
— Héééé, mon p’tit chat, proteste mollement la fille. On peut aller dans une chambre, s’tu préfères… ?
La honte me brûle soudain les entrailles. Comment j’ai pu faire ça à Nate ? Si j’ai pu être un vrai connard par le passé, j’espérais ne plus en être un. Parce que malgré ses paroles, on est toujours ensemble, non ?
Fais chier. Me raccrochant à mes dernières bribes de conscience, je bredouille une excuse, et me dirige vers la porte de sortie. J’ai vraiment l’impression d’évoluer dans du coton.
Sauf qu’un type me barre le passage. Je tente de le contourner, mais il se décale pour se replacer devant moi. Putain !
— Finn ? lâche-t-il, les yeux plissés dans la pénombre.
Hein ? On se connaît ? Son visage me semble vaguement familier et après de longues secondes, ça y est, je le remets.
Xander.
Le mec qui a humilié, puis harcelé Nate au lycée – quoique le verbe torturer serait plus juste. C’est la dernière pensée lucide de mon cerveau. La seconde suivante, je lui mets mon poing dans la gueule. Un crochet du droit fulgurant.
Puis je m’enfuis en courant.
Des voix alarmées résonnent derrière moi, mais je cours, je cours si vite que j’ai l’impression de cracher mes poumons.
La dispute avec Nate, l’alcool, la fille aux cheveux rose, Xander, tout se mélange dans ma tête. Ma main, elle, serre la vodka comme si le monde risquait de disparaître.
La nuit froide m’engloutit à nouveau.
Note de l'autrice C'est un des chapitres préférés! :D Allez savoir pourquoi, j'adore décrire des ambiances de fêtes, même si les folles soirées n'étaient pas forcément ma tasse de thé quand j'étais ado^^ Et je ne pouvais pas écrire dans ce fandom sans insérer un petit passage arrosé d'alcool et de décibels. :p N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez, ici où sur Insta, où je poste toujours un teasing avant la publication (april.autrice) Et merci d'être aussi nombreuses et nombreux à me lire!