Un Vide de Vérité

Chapitre 36 : Combat

3068 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 23/01/2021 17:32

Mattias avait parlé d’une ville fortifiée, mais Elsa avait plutôt le sentiment d’une ville fantôme tant le silence était assourdissant. Elle se tenait debout devant les quais du port, son capitaine à ses côtés. Lui, vêtu de cape et d’épée, la main sur la garde de son arme, elle, dans sa tenue de cinquième esprit, sa traine volant au vent. Elle avait accepté de dégeler la mer donnant accès à Arendelle simplement pour les besoins de leur plan. Un seul navire, celui de Derlock. Les autres étaient toujours prisonniers dans la glace ou incapable d’approcher.


Son adversaire pouvait d’ailleurs faire une entrée plus spectaculaire, il l’avait toujours fait jusqu’à maintenant. Mattias sembla lire dans ses pensées parce qu’il déclara :


« La garde assure nos arrières, majesté. »


Elle hocha la tête, tendue, toujours persuadé que Derlock allait surgir de nulle part tandis que leur attention était concentrée sur le navire. Mais ce ne fut pas le cas, le bois grinça de manière sinistre et bientôt le bruit des bottes martela les quais. Il était là, toujours vêtu d’une élégance inutile et ridicule, son monocle vissé à l’œil. Lenjo, juste un pas derrière lui, avançait avec moins de confiance. Elsa prit une brève inspiration.


« Espérons qu’ils acceptent de se rendre sans combat. »


Mattias lui jeta un regard curieux.


« Oui, espérons. »


Mais à son ton il était évident qu’il n’y croyait pas une seule seconde et Derlock s’apprêtait, évidemment, à lui donner raison.


« Hé bien ma chère, j’aurais espéré un accueil plus chaleureux.

-Le froid ne m’a jamais dérangée. Où est ma sœur ?

-Allons allons ! Vous êtes une monarque, où sont passées vos manières ?

-Je peux vous promettre plus de chaleur et de manières lorsque ma famille sera de nouveau réunie. D’ici là, les usages m’autorisent à vous traiter comme un ennemi.

-Votre sœur, ma chère, se porte à merveille à mes côtés. Si elle n’est pas ici c’est parce qu’elle ne voulait pas vous voir. Elle a exprimé très clairement le choix de rester avec moi.

-J’aimerai l’entendre me le dire si cela ne vous fait rien. Votre parole, sans vouloir vous offenser, n’est rien d’autre que du vent à mes oreilles. »


La mâchoire de Derlock se carra légèrement.


« Connaissant Laceli, je sais qu’elle a également exprimé le désir de me rejoindre. Vous êtes une femme avec des principes, n’est-ce pas ? J’imagine donc que vous ne l’empêcherai pas d’être à mes côtés. En retour, je vous promets que nous partirons en paix et que nous ne reviendrons plus jamais.

-Après l’avoir libérée de votre joug, j’ai laissé à Laceli le droit de jouir de sa propre liberté, comme vous venez si bien de le dire, j’ai des valeurs et des principes que je respecte. Elle est où il lui semble bon d’être et si ce n’est pas à vos côtés, je n’y suis pour rien.

-Je n’en crois pas un mot.

-Vous comprenez donc pourquoi c’est ma sœur que je veux entendre, et non vous. »


 Le navire à quai craqua douloureusement, le bois se tordit avant d’exploser pour laisser sortir des racines qui glissèrent tels des serpents sur le sol. Anna apparut dans l’ouverture béante, livide et épuisée. Les stigmates du combat qu’elle avait mené lors du rituel encore bien visible. Son regard se riva automatiquement sur celui d’Elsa.


« Anna ! »


Les racines la transportèrent jusqu’au côté de Derlock. Elle avait réfléchi toute la nuit au meilleur moyen de protéger sa sœur ainée, comment l’empêcher de mettre sa vie en péril pour sauver la sienne. Ne valait-il pas mieux lui faire croire qu’elle rejoignait librement leurs ennemies pour éviter le combat ? Mais Lenjo lui avait dit que jamais, jamais Derlock ne renoncerait à Elsa ni à n’importe quel autre esprit ancien. Cette bataille, ce combat aurait lieu qu’elle le veuille ou non. Les larmes lui montèrent aux yeux. L’homme eut un sourire narquois.


« Vous voyez ma chère, elle est à mes côtés. Ma tendre Anna, votre sœur m’estime peu digne de confiance. Je vous laisse donc lui dire vous-même. »


La cadette serra ses mains sur le tissu de la robe que Derlock l’obligeait à porter. Elle renifla alors que les larmes coulaient sur ses joues.


« Je ne veux pas me battre contre toi, Elsa. Tu es ma sœur et je t’aime. Mais il me forcera, cet homme est un monstre Elsa, ne le sous-estime pas, s’il te plait, sois prud… Ah ! »


Sa joue rougit sous l’effet de la gifle. L’ainée réagit au quart de tour, des pics de glaces se dressèrent contre Derlock. Une menace plus qu’une réelle attaque. Une bourrasque de vent les balaya. Elsa serra les poings, son adversaire eut un sourire condescendant mais elle prit la parole en premier.


« La discussion est terminée Derlock. Libérez ma sœur, ainsi que Lenjo. C’est votre dernière chance de repartir libre. »


Le sorcier éclata de rire si fort qu’il en perdit son monocle. L’objet se balançait mollement au rythme des soubresauts. Mattias adressa un signe de tête à Elsa et partit en retrait.


« Ma chère… Vos troupes vous abandonnent déjà ? »


Pour toute réponse, l’ancienne reine transforma le sol en patinoire. Loin de se laisser déstabiliser, Derlock profita des pouvoirs du vent pour maintenir son équilibre et fit sortir d’autres racines de terres pour briser la glace. Il eut un rire sinistre et son regard brûlait d’excitation. Si Elsa était déterminée à remporter la victoire, Anna en revanche n’en menait pas très large. Mais c’est malgré elle qu’elle déploya des lianes qui s’enroulèrent autour du cou de son ainée. Le cinquième esprit les gela d’un geste sec et envoya plusieurs salves de glace vers Derlock. Son attention n’était que sur lui et elle lui réservait toute sa colère. Mais ils étaient trois, qu’elle le veuille ou non, Anna était dans le mauvais camp.


Des racines s’enroulaient autour de ses chevilles, le vent gênait ses gestes. Elle luttait sur tous les fronts avec rage. Elle brisait les roches et les racines sous l’effet du gel, mais l’air restait son principal problème. Une bourrasque de vent poussa Anna en première ligne. Une pluie de flèche enflammées descendit du ciel et traça une ligne juste devant Derlock. Les flammes s’élevèrent avec force vers la voute céleste et la tempête ne faisait que l’attiser. Laceli apparut sur le flanc gauche, c’était le moment qu’elle attendait, celui qui lui permettrait de séparer la cadette des deux autres adversaires. Derlock hurla de rage.


« TOI ! TRAITRESSE ! »


La brune déglutit, le poids des années de torture autant physique que psychologique pesait lourdement sur ses épaules.


« Après tout ce que je t’ai donnée, après ce que j’ai fait de toi, comment oses-tu ? COMMENT OSES-TU !

-Arendelle m’a donné davantage en quelques jours que toi en toute une vie. »


Les pavés sous les pieds de Derlock se transformèrent en lave. D’un coup de vent il se projeta en avant, la colère faisait battre ses veines le long de ses tempes. Les flammes l’encerclèrent pour le séparer de Lenjo. Le sorcier serra les poings, il enrageait mais pas suffisamment pour perdre de vue son objectif. Il se tourna vers son acolyte qu’il distinguait tout juste par-delà la fumée.


« Occupe-toi d’elle, je veux qu’elle revienne ramper vers moi en me suppliant de la reprendre, tu as compris ? »


L’esclave jaugea l’esprit du feu du regard. Laceli n’avait pas besoin de le voir s’exprimer pour savoir ce qu’il avait en tête.


« Il ne me contrôle plus, R. »


Autour d’elle, la tempête se leva, les isolants tous les deux du reste du champ de bataille.


« Nous avons une chance de le renverser, pour de bon, de gagner notre liberté. »


Les vents commencèrent à charrier des débris : bois, roches, volets arrachés…


« Elsa disait vrai tout à l’heure, elle m’a rendue ma liberté, j’ai choisi de mener ce combat à ses côtés parce que je ne voulais pas te laisser derrière. Je sais que tu n’es pas mon adversaire, R, même si tu n’as pas le choix. »


Laceli fit de nouveau couler la lave sous les pieds de Lenjo qu’il esquiva sans problème. Mais c’était suffisant pour que la tempête perde en intensité. Des murs de flamme le pressèrent de tous les côtés, sous lui le sol se dérobait sans cesse. L’esclave faisait de son mieux pour maintenir le vent et éviter les attaques.


De son côté, Elsa était aux prises avec Derlock et sa propre sœur. Une liane claqua dans l’air et lui coupa la joue jusqu’au sang. La blonde ne prit même pas le temps de jeter un regard à sa cadette, si elle se défendait contre Anna, en revanche, toutes ses attaques étaient dirigées vers le sorcier. Les archers d’Arendelle s’étaient mêlés à la bataille et faisaient pleuvoir des nuées de flèches sur l’ennemi. Les flammes continuaient de séparer Lenjo, Anna et Derlock. Mais un seul était la cible de tous les assauts. Les deux femmes se battaient avec une complicité naturelle, la glace lui fauchait les jambes, la lave l’accueillait à la réception. De violentes tempêtes faisaient pleuvoir roches et parfois des arbres entiers, les flèches des archers étaient régulièrement détournées de leurs courses pour être dirigées contre elles. Le combat était acharné de part et d’autre et l’épuisement commençait à se faire sentir, autant que les blessures qui s’accumulaient et le sang qui tâchaient leurs vêtements. Pourtant, la détermination et la rage étaient toujours intacte. Le sorcier le savait, ses deux coéquipiers n’étaient pas complètement dans la bataille, il n’avait pas réellement l’avantage du nombre.


A l’arrière du champ de bataille, dans la fumée des flammes et la poussière des débris, Kecen avançait seul vers son frère. Personne ne lui prêtait attention, il arrivait dans le dos de ses adversaires. Personne ou presque puisque les flammes s’écartèrent sur son passage et que la glace forma un pont par-dessus la lave.


« Lenjo. »


L’intéressé se retourna, l’effet de la surprise lui fit manquer un mur de glace qui le projeta aux pieds de son frère. Ce dernier ne perdit pas une minute pour lui mettre les menottes qu’il avait récupéré dans le bateau de Derlock et en une fraction de seconde, au clic de verrouillage, le vent tomba complètement sur tout le champ de bataille. Les arbres se fracassèrent sur le sol, le sorcier chavira et se servit d’une racine pour s’élever au-dessus de la lave menaçante. Son regard haineux transperça les deux hommes.


« Vous me le pairez… »


Mais il n’avait pas le temps de mettre ses menaces à exécution puisqu’Elsa et Laceli n’avaient pas cessé de se battre. Un hurlement presque animal déchira l’atmosphère, des racines s’emmêlèrent tout autour d’Anna, lui enserrèrent la taille, le cou, les bras, les épaules. Les yeux de la cadette s’agrandirent sous l’effet de la peur.


« Anna ! »


Les racines disparurent en cendre aussi vite qu’elles étaient apparues. Laceli toisa son adversaire du regard.


« C’est fini Derlock, tu ne peux rien faire contre nous deux, tu n’as plus la magie du vent avec toi. C’est terminé.

-Et tu crois que je vais me laisser faire bien sagement… Je tuerai la petite dernière avant ! »


Puisqu’il n’avait plus le choix, il n’utilisait désormais que la seule magie de la terre et il n’avait plus qu’un seul objectif en tête forçant ses opposantes à se concentrer sur la protection de la cadette. Elsa paniquait.


« Où est Mattias ? »


Le capitaine devait arriver avec la dernière paire de menottes, celle qui devait permettre de maitriser le pouvoir de la terre. Mais la route qui menait jusqu’au quai du port était maintenant un amas de racines gigantesques, d’arbres, de ronces et de liane, une forêt monstrueuse et menaçante.


« Capitaine ! Par ici ! »


Kristoff arrivait à tout allure sur le dos de Sven, il captura les menottes des mains de Mattias et s’enfonça dans les bois avec la dextérité d’un homme qui a grandi en pleine nature, qu’elle soit magique ou non. Sven évitait les obstacles avec une facilité déconcertante, il bondissait entre les racines et par-dessus les ronces.


« Allez mon vieux, sors-nous de là ! »


Le renne acquiesça d’un soufflement et accéléra encore la cadence. L’horizon se bouchait au fur et à mesure que le piège se refermait sur eux. Sven bondit une dernière fois puis il freina brutalement pour projeter son cavalier au travers de l’enchevêtrement naturel, dans le dernier trou encore visible avant que des lianes ne le bouchent entièrement. Kristoff roula sur le sol à l’extérieur de la forêt.


« Sven ! »


Mais il courrait déjà vers Anna qui n’était plus qu’à quelques mètres et bientôt les menottes se refermèrent autour de ses poignets, elle s’écroula dans ses bras, épuisée, en même temps que les bois disparaissaient pour libérer le renne.


« C’est fini, Anna, c’est fini…

-Kristoff… »


Elle sanglota dans ses bras, bientôt rejointe par Elsa. Sur la gauche, Lenjo et Kecen savouraient la victoire et leurs retrouvailles avec des embrassades fraternelles.


Derlock et Laceli se faisaient toujours face. L’homme ricana.


« Et toi Petite Fille ? On dirait bien que tu n’as que moi… »


Une épée enflammée se matérialisa lentement dans la main de l’esprit du feu.


« Ils ont tous une famille, mais toi, Laceli, toi, tu as qui ? Je suis le seul à t’avoir recueilli alors même que tes parents ne voulaient plus de toi. Tu ne peux pas me tourner le dos. »


Elle avança vers lui d’un pas hésitant.


« Nous étions très bien à deux, nous formions une belle équipe et un duo inséparable. »


Plus proche encore, agenouillé sur le sol, le sorcier tendit la main vers elle.


« Reviens à mes côtés et tout sera pardonnée. »


Laceli le fixa, indécise.


« Mais pas moi, Derlock.

-Comment ?

-Pas moi, je ne te pardonnerai jamais tout ce que tu m’as fait. »


Elle leva l’épée de feu à deux mains au-dessus de sa tête.


« Non ! Lace ! Non ! »


Elsa venait de bondir devant elle, du sang s’écoulait depuis sa lèvre inférieure, son œil droit était gonflé, et la coupure à sa joue saignait toujours. Même comme ça, épuisée, échevelée et blessée, Laceli la trouvait magnifique. L’ancienne reine posa une main sur son bras pour l’obliger à désarmer son geste.


« Non, c’est terminé maintenant, il n’a plus le contrôle, sur rien, sur personne et surtout pas sur toi, ne le laisse pas te prendre autre chose. »


L’épée s’évanouit ne laissant derrière qu’une volute de fumée qui se confondait aisément avec celles des ruines du champ de bataille. Les soldats d’Arendelle arrivèrent pour encercler Derlock et le neutraliser.


« D’accord Chaton, d’accord. »


Laceli lui offrit un fantôme de sourire, l’air un peu hagarde. Lenjo arriva vers elle en courant, il passa ses mains menottées autour de ses épaules et la serra dans ses bras.


« Hé… Salut, R. Désolée pour la lave tout à l’heure. »


Pour toute réponse, il la serra encore plus fort.


« D’accord, d’accord, doucement sur les câlins, tu sais que je n’aime pas ça. »


L’intéressé secoua légèrement la tête et se désengagea. Il fit quelques signes que Laceli traduisit pour le reste de l’assemblée.


« Il dit que je mens. »


Le groupe se mit à rire franchement. Elsa jeta un regard protecteur à sa cadette que Kristoff aidait à se relever. Il essuya doucement un peu de poussière sur son visage.


« Tu vas bien ?

-Je vais mieux maintenant. »


Elle passa ses bras autour de son cou et l’embrassa tendrement.


« Je t’aime Kristoff.

-Je t’aime aussi Anna. »


Il écarta une mèche rousse de son visage pour découvrir la plaie qu’elle avait au front.


« Viens, allons te soigner et tu as besoin de repos.

-Oui. »


Elsa sourit à son ami et à sa sœur.


« Je crois que nous avons tous besoin de soin et de repos. »

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