Parmi mon peuple

Chapitre 6 : Une révélation troublante

5733 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 10/11/2016 06:11

Amerys et les nains de la compagnie furent invités à une jolie tablée de plein air sur une terrasse surélevée à la vue éblouissante. Une table fut réservée au Seigneur Elrond, à Gandalf le Gris et à Thorïn Ecu-De-Chêne, tandis que les autres compères furent installés ensemble sur une grande table. Amerys en fine stratège vint se placer aux côtés de Fili et Bilbon, histoire d’être plus à l’aise pendant le repas.

    La tablée était remplie de mets fins et probablement sans aucune matière grasse. Beaucoup de verdure, de légumes, de fruits, de noix, de potages et d’autres aliments dont elle ignorait totalement l’existence. Les nains furent fort dépités par le repas, voulant manger de la viande et des féculents en quantité. Ils affichèrent une mine consternée et découragée devant le mince déjeuner elfique. La jeune demi-naine ne cacha pas non plus sa déception car elle était affamée et aurait mangé un poulet entier. Mais c’était plus poli de le cacher aux hôtes qui avaient quand même pris tous les soins nécessaires à l’élaboration de ce déjeuner.

- Est-ce qu’ils auraient de la purée ? demanda dans un désespoir hilarant Ori.

    Cependant et malgré la déception persistante devant les plats, tout le monde, tenaillé par une faim inébranlable se servit et engloutît les mets. Amerys se surprit à tout aimer. Les saveurs étaient,  à son plus grand étonnement, exquises et pleines de goût, aussi bien sucrées, salées que douce amer. Elle discuta un peu avec tout le monde, écoutant sagement les conversations, pas des plus sérieuses soit dit en passant ; tandis que des mélodies à la harpe s’élevaient parmi l’assemblée. Elle se laissa bercer par la douceur des notes finement jouées par une elfe des plus resplendissantes dans sa belle robe de soie.

- J’aime tellement cette musique, fit-elle alors remarquer. Cela me rappelle les soirées d’été du village où l’on chantait et dansait comme des fous !

- Je suis d’accord, acquiesça Bilbon. C’est un instrument peu répandu en Comté et j’en apprécie aujourd’hui toutes les notes. C’est sublime !

- Mouais, c’est trop mélancolique, ça manque de joie, railla Dwalïn. Déjà qu’on picore comme des moineaux, il faut en plus que ce soit dans une ambiance triste… C’est d’un ennui mortel.

- En tout cas les femmes elfes sont superbes, avoua un Kili subjugué par la musicienne et dont les yeux ne la quittaient pas, comme s’il avait succombé à un envoûtement.

    Les nains attablés lui lancèrent un regard interloqué tout autant qu’ils étaient et certains eurent même un sourire moqueur.

- Tu plaisantes ? lança alors Bofur les yeux écarquillés.

    Kili sembla alors fort gêné et sortit du charme de l’enchanteresse feinta par une courbette.

- Non, vous avez raison. Elles sont trop minces, leurs pommettes sont trop hautes. Pas assez de barbe… Quoi que… Celle-là est vraiment jolie…, murmura-t-il tandis qu’un elfe passait silencieusement tout près dans des mouvements graciles.

- Ca mon gars, commença Dwalin, ce n’est pas une femme…

    Le groupe éclata d’un rire général tandis que Kili penaud d’avoir confondu un elfe homme avec une elfe femme baissa la tête. La jeune femme ne put que s’y donner à cœur joie tellement la scène fut cocasse et voir les railleries presque grivoises de ses congénères était vraiment très drôle !

- Rien ne vaut une belle naine avec de belles formes ! s’exclama Dwalïn qui continuait d’enfoncer le jeune nain. Robuste et délicieuse comme notre chère amie ici !

    « Pardon ?! » s’offusqua Amerys intérieurement. Comment osait-il parler d’elle comme cela ? C’était déplacé !

    Il mima en même temps de ses mains des courbes féminines et les rirent retentirent de plus belle.

    En cet instant ce fut Amerys qui ressentie une gêne palpable. Néanmoins elle ne put que se sentir flattée des compliments. Les nains appréciaient ses courbes, ce que les hommes n’avaient su faire… Elle avait toujours été fière d’être différente mais son physique plus semblable à la naine qu’à la femme humaine avait plusieurs fois été rejeté pour sa plus grande peine. Elle avait été blessée par le passé mais cette compagnie semblait inverser cette tendance. Elle ne se sentait pas comme un monstre, elle était comme eux, elle était naine et fière de l’être.

    Elle resta souriante mais tenta de se faire le plus discrète possible car elle était la seule naine (enfin demi-naine) présente ici et parler de la gente féminine comme cela était presque embarrassant, presque inconvenant envers elle. Ou était-elle trop prude ? Elle sentit une bonne partie des regards sur elle et le rouge empourpra ses joues.

- Ils sont taquins mais ne se moquent pas de vous particulièrement Amerys, la rassura Bilbon dans un chuchotement. Au contraire…

 

-  C’est embarrassant, dit-elle à son tour. Je ne suis pas un objet.

 

- Je comprends mais ne faites pas attention. Voyez derrière cela des compliments maladroits et sincères.

- Hurm hurm, racla alors de sa gorge un Balïn impatient. Mes amis… Vous embarrassez notre amie Amerys avec vos boutades. Soyez un peu plus respectueux…

    Les nains s’excusèrent alors timidement auprès de la jeune voyageuse et le repas continua sans encombre. Amerys discuta beaucoup avec Bilbon qui lui parla de la Comté et de sa vie à Cul-De-Sac, sa maison. Son foyer lui manquait et tout son petit confort avec. Elle ne comprit que trop bien ce sentiment, qu’elle partagea sans dissimulation avec lui. C’est sur ce point commun qu’ils échangèrent longuement, racontant avec panache de futiles anecdotes sur leur vie de village. Il lui conta ainsi sa rencontre fortuite avec les nains qui s’étaient invités dans sa demeure et avait mangé tout ce qu’il possédait de comestible. Le hobbit était une personne réellement attachante, doté d’une intelligence et d’une lucidité sans pareille. D’instinct malicieux, il savait de même faire preuve d’écoute et d’une empathie extrême. Mais après cette conversation, la jeune femme eut des doutes sur le voyage même de la compagnie.

    Après les récits de Bilbon, l’évocation d’une quête et même la présence d’un hobbit et d’un magicien parmi une tripotée de nains, tout cela lui semblait louche. Il y avait anguille sous roche et pas des moindres. Il fallait tirer les vers du nez de l’un d’entre eux, à moins que son ami hobbit ne lui en dise plus sur le sujet de leur voyage dans les Monts de Fer. En tout cas il y a bien un guerrier qui serait susceptible de lui parler après quelques verres de vin… si elle jouait de ses charmes… non pas de cela, cela serait malsain et malvenu de sa part, comment pouvait-elle y penser. Mais alors qu’elle se creusait la tête pour tenter d’établir une stratégie pour en savoir plus sur la quête de cette troupe, elle aperçut Thorïn se lever de table et s’en aller d’un pas nonchalant avec une mine renfrognée et quelque peu troublée. Elle devina que le repas ne s’était pas très bien passé pour lui et aurait été curieuse de savoir ce qui s’était dit sur cette table spéciale de personnes importantes.    Alors qu’elle suivait des yeux le roi sous la montagne, son attention fut soudainement reportée sur ses voisins de déjeuner car c’est un Bofur enjoué qui se tenait debout sur la table. Il chantonna une chanson gaie en tambourinant du pied parmi les saladiers, assiettes et autres ustensiles. Il s’agita dans tous les sens, suivi par des nains entrainés par la musique et le chant. La harpe avait laissé place à la flûte et tous chantaient en cœur en tapant des mains. La jeune femme fut fort amusée et se laissa entraîner par cet air joyeux, n’ayant cure de la distinction et de la politesse qu’on se devait d’avoir au cours d’un repas. Elle tapa des mains en rythme à son tour, accompagnant ses compères dans des trémolos mélodieux et enthousiastes.  Au milieu de la chanson des aliments commencèrent à voler dans tous les sens, allant s’écraser sur les murs et le sol. Les nains se chamaillaient comme de terribles enfants au-delà de toute convenance. Amerys rit aux éclats.  Balïn se leva alors et tira la jeune femme de sa chaise pour la faire tournoyer au rythme de la musique devant les yeux effarés des elfes qui semblaient ne pas s’émouvoir de cette gaieté. Ils se raidirent mais en bons hôtes laissèrent les convives dans leur petite fête pour le plus grand plaisir de la naine qui s’amusait comme une folle dans les bras d’un Balïn très habile pour la danse.

    Le repas se termina sur cette note musicale et ô combien trépidante. Elle était néanmoins essoufflée d’avoir dansé avec ce cher Balïn et le remercia pour cet exercice artistique des plus intéressants. Il la gratifia d’un compliment flatteur sur sa grâce et elle se sentit pousser des ailes. Enfin, grisée de tourbillons et de rires, elle finit par sentir la fatigue la gagner. Laissant ses compagnons nains s’afférer à leurs occupations elle regagna sa chambre, enleva ses chaussures et s’affala de tout son poids sur le lit, partant immédiatement au pays des rêves.

    Quand Amerys se réveilla le soleil renvoyait déjà une grande lueur orangée à travers sa chambre, c’était déjà le soir. Elle se frotta les yeux, encore endormie et prit tout son temps pour se lever. Ayant toujours cette envie de prendre un bain elle remarqua qu’une tunique sobre d’un bleu de nuit  accompagnée d’un corset tissé avait été posée sur son lit pendant qu’elle dormait. Un mot l’accompagnait et indiquait qu’un bain l’attendait dans une autre pièce non loin de là. Quelle délicate attention que ce fut-là. Saisissant sa robe elle suivit les indications du mot et atterrit dans une pièce close et reculée. Une elfe l’attendait patiemment avec un sourire chaleureux. Au milieu de ce délicieux endroit, une baignoire laissait échapper de douces fragrances vaporeuses. L’elfe l’invita à se dévêtir et désigna une serviette posée sur un guéridon au côté de la baignoire.

- Je vous promets que personne ne viendra vous déranger. Prenez votre temps car le repas ne sera servi que dans une heure pour vous et vos amis. Vous pouvez enfiler le vêtement que l’on vous a donné, laissez les vôtres ici nous les laverons très vite.

- Je vous remercie Madame.

    L’elfe acquiesça et se retira poliment, laissant la jeune femme seule face à son bain tant attendu. Ni une ni moins elle se déshabilla et plongea dans l’eau chaude. La chaleur détendit ses muscles si sollicités ces deux derniers jours et ce fut un réel plaisir que de se savonner. Elle se délecta de ce paisible moment, seule avec soi-même. Quand elle eut terminé, elle se sécha et enfila les vêtements elfiques. Ils virent se poser sur son corps comme une caresse tant le tissus était doux et soyeux. La robe était ample et longue, laissant dévoiler épaules et bras, de même le corset tissé fleuri lui allait comme un gant. S’admirant rapidement devant le miroir elle se trouva relativement jolie avec cette robe elfique et sa longue tresse rabattue sur sa poitrine. Peu de temps après elle réussit à retrouver le chemin qui menait à sa chambrée mais ne put l’atteindre car elle croisa Fili.

- Amerys… vous…, bégaya le nain. Où sont vos vêtements…?

- Oh ça… dit-il en se montrant elle-même. Les elfes me les ont prêtés le temps que mes vêtements soient lavés. Ils sont d’une gentillesse incroyable.

- Cela, hurm… cela vous va à ravir, avoua-t-il hésitant tandis qu’il faisait mine de se gratter la tête.

    Ses joues rosies par le compliment, la jeune femme lui adressa un sourire franc et reconnaissant.

- Merci pour le compliment Fili, et… et si nous allions manger maintenant ? proposa-t-elle avant de virer au rouge pivoine.

    Mais alors qu’ils tentaient de trouver leur chemin les couloirs et les cloîtres s’illuminèrent comme par enchantement, éclairant les sombres corridors bercés par la nuit et le simple reflet de la lune. Les chandeliers qui un instant avant étaient neutres portaient maintenant une flamme dansante, lançant une douce chaleur dorée.

- De la magie ? souffla Fili.

- Oui j’imagine que c’est la magie des elfes, conclut Amerys qui était aussi surprise et époustouflée que son compagnon. Incroyable…

- Cela serait si pratique dans nos montagnes… D’un seul claquement de doigts illuminer tout le royaume hop !

    Ainsi la demeure s’illumina de mille feux, encore plus splendide de nuit que de jour. De là où ils étaient on pouvait apercevoir une partie de la maisonnée brillant de petits points jaunes tant dans l’habitation de pierre que dans les jardins. Ils continuèrent  néanmoins leur chemin à travers le beau palais et revinrent à l’endroit où avait été servi leur premier repas. Quelques nains étaient déjà attablés cette fois ci sans aucun elfe. Le repas avait été posé et chacun était donc libre de se servir quand bon lui semblait. Lorsque la silhouette d'Amerys se présenta, parée de soies elfiques, sa personne sembla attirer toute l’attention. Espérant que sa tenue en était la cause, la naine s'assit sans faire cas, face à Fili et aux côtés d’un Dori courtois et attentionné qui lui recommanda la tisane à la rose qui selon lui était délicieuse, puis elle mangea léger. Elle fut assez rapide car elle n’avait qu’un seul désir, celui d’explorer les jardins dans cette douce nuit.

- Où est Thorïn ? demanda alors Fili, cherchant des yeux son oncle.

- Il est parti avec le seigneur Elrond, Gandalf, Balïn et Bilbon je ne sais où pour tenter de déchiffrer la carte, répondit Kili entre deux bouchées de petits pois. Il paraît que l’elfe leur apportera une aide bien précieuse.

- Une carte… ? demanda alors Amerys curieuse.

- Euuuh…

- Vous sentez drôlement bon Amerys, complimenta alors un Bofur maladroit tentant apparemment d’esquiver la question de la jeune naine. Une fleur… je ne sais plus laquelle.

- Euh oui, je ne sais pas non plus… Est-ce si important ?

- Bien sûr que c’est important ! renchérit Kili.

- Plus important que votre soi-disante carte dont vous ne voulez pas me parler. Vous me cachez beaucoup de choses mais soit ! s’exclama Amerys frustrée. Excusez-moi mais je me retire de table. Bon repas et bonne nuit.

    La jeune femme se leva promptement, presque furieuse devant l’attitude secrète des nains envers elle. Comme si son odeur était importante ! Ils occultaient quelque chose de sérieux et il fallait vraiment qu’elle découvre de quoi il en retournait, fini les cachoteries !

- Amerys… entendit-elle d’une voix qu’elle décela comme celle de Fili derrière son dos.

       Mais même pour le jeune guerrier elle n’eut pas une once d’attention et l’ignora totalement.

- Vous êtes des idiots… grommela alors ce dernier visiblement mécontent de l’attitude de ses amis.

    Amerys prit le premier escalier descendant et trottina pieds nus sur le sol froid, s’éloignant le plus possible de ces nains méfiants et secrets qui auraient vite fait de la mettre hors d’elle. Elle croisa un Bilbon étonné de la voir si pressée et ne lui adressa qu’un léger sourire poli. Elle ne souhaitait discuter avec personne, pas même le hobbit. Jetant un regard en arrière elle scruta un moment le balcon où les nains se revigoraient sous la douce chaleur des candélabres mais se rappela sa frustration et tourna le dos sans regret.Puis comme convenu elle déambula dans les jardins, rêveuse, explorant les moindres recoins jusqu’à en perdre la notion du temps.

       Après une bonne promenade nocturne la jeune naine était dorénavant dans la partie sous-jacente de la demeure, à l’abri sous les saules pleureurs, cachée du monde extérieur. Les jardins étaient naturellement éclairés par la lune miroitante qui lançait sa lumière bleutée, à laquelle venait s’ajouter des torches de lumières déposées de part et d’autre. L’ambiance y était intime, poétique et des plus reposante. La jeune naine savoura le contact chatoyant des brins d’herbe sous ses pieds comme si l’énergie de la terre s’en venait à elle, puis d’un geste délicat porta sa main dans l’eau froide d’une  magnifique fontaine. Elle traversa ensuite un long pont et s’appuya à la rambarde pour observer l’eau qui ruisselait en dessous. Elle y vit son reflet sous la lumière des étoiles tandis que le clapotis jouait une musique rythmée. Plus tard elle s’installa sur le banc en bois d’une haute gloriette dont les rosiers blancs recouvraient une partie de la cage. Elle leva les yeux au ciel, puis paupières closes inspira une grande bouffée d’air frais. Quand elle les rouvrit une silhouette se tenait près d’elle et dans un sursaut de peur elle s’écria.

- Calmez-vous ce n’est que moi, s’exaspéra une belle voix grave.

- Thorïn… expira alors Amerys. Ne refaites plus jamais ça !

- Vous êtes une femme véritablement peureuse Amerys, puis-je ? demanda-t-il en désigna le banc sur lequel elle se tenait assise.

 

- Je vous en prie.

    Le roi sous la montagne prit alors place à ses côtés, son visage semblait calme et serein, loin de la mine renfrognée qu’elle avait majoritairement vue depuis leur première rencontre. Ses yeux bleus brillaient d’un éclat pur et royal traduisant par là une commune envie de se confier. Néanmoins il resta silencieux durant de bonnes longues minutes et la jeune femme n’osa engager la conversation, voulant partager un moment de paix avec Thorïn sans que tous deux se fassent la guerre. Aussi drôle que cela puisse être le chef de la compagnie avait l’air de désirer ce même état. Malgré cela la jeune femme puisa dans son courage pour aborder adroitement le nain.

- Je voulais excuser mon comportement déplacé tout à l’heure lors de notre arrivée. Je n’avais pas le droit de vous parler comme ça.

    Thorïn sembla réfléchir à son pardon et c’est avec une tranquillité démesurée qu’il répondit :

- Je vous pardonne.  A vrai dire je n’ai pas été très agréable avec vous non plus et nous sommes partis du mauvais pied depuis notre rencontre. Je ne vous ai pas traité comme mon égale. Heureusement que mes compagnons ne me ressemblent pas, ils vous ont offert un accueil loyal et chaleureux.

    Cet aveu de la part du roi était en tout point déstabilisant. Avait-il bu plus que de raison ? Non… il paraissait aussi sobre qu’un enfant.

- Pourquoi me détestez-vous ? demanda alors Amerys persuadée que ce chef avait de la rancœur pour sa personne.

    Thorïn lui adressa un léger sourire et son regard se perdit dans le vague.

- Je ne vous déteste pas… mais vous me rappelez quelqu’un que j’ai connu il y a fort longtemps.

- Un ennemi ?

- Oh que non au contraire… Vous me rappelez une naine que j’affectionnais beaucoup.

- Affectionnais ? Que lui est-il arrivé ? questionna la jeune voyageuse qui avait deviné que la personne n’était éventuellement plus de ce monde aujourd’hui.

- Smaug… souffla-t-il avec peine tandis que son regard semblait se plonger dans un éternel et douloureux passé. Les flammes du dragon l’ont meurtrie et j’ai été incapable de la sauver. Je suis arrivé trop tard…

- Je suis désolée, marmonna Amerys partageant la peine du nain assis à ses côtés. J’imagine que ce fut très douloureux.

- Ce le fut et ça l’est encore aujourd’hui. Cette douleur s’est malencontreusement ravivée à notre rencontre, ceci bien malgré moi.

- Vous l’aimiez ? devina Amerys.

- Je l’aimais autant que la vie elle-même. Elle était si belle, si fraîche et si pure. Son rire tintait comme le cristal et elle était d’une joie sans pareille. Un rayon de soleil dans cette montagne sombre et froide. Je m’étais promis à elle et elle à moi, jusqu’à ce jour funeste où elle perdit la vie. Ce jour funeste où j’ai perdu mon âme et mon cœur par la même occasion.

    Il fit une pause, comme si cela était nécessaire. Figé comme une statue il n’osait regarder Amerys dans les yeux.

- Comment s’appelait-elle ?

- Lerï.

    Lerï ? Sa tante, la jeune sœur de son père s’appelait Lerï… et était morte sous les flammes de Smaug ce jour-là lors de l’attaque… Non ce n’était pas possible. S’agissait-il de la même Lerï ?! Cela ne se pouvait…

    Thorïn tourna alors son regard et plongea ses intenses pupilles dans les siennes, là où il put lire dans les yeux de sa voisine l’effarement de la compréhension.

- Je vois que vous avez vite fait le lien ma chère amie. Il s’agit bien de Lerï, la jeune sœur de votre père Daraïn. Ma Lerï, si belle et si gentille. Vous êtes son portrait craché…, avoua-t-il péniblement tandis qu’il scrutait respectueusement la jeune naine, semblant admirer une femme aimée mais jadis perdue. Les mêmes formes généreuses, le même visage, les mêmes yeux pétillants, les mêmes lèvres et le même sourire sincère. Seuls ses cheveux étaient différents. Ils étaient d’un rouge cuivré resplendissant tel le feu.

     A ces paroles, la jeune femme porta la main devant sa bouche. Les troublantes révélations l'avaient rendue muette d'effarement. Voilà ce qui avait perturbé le nain depuis le début. Son physique était en tout point commun à celui de sa tante, une naine qu’il avait autrefois aimée. Leur rencontre avait probablement fait remonter sa peine, sa douleur et sa colère ainsi que les souvenirs heureux avec sa bien-aimée.

 

- Quand je vous vois, rajouta-t-il, je ne peux arrêter de penser que vous auriez pu être ma fille. Notre fille. Ravissante comme le jour, dénuée de mauvaises intentions, loyale envers son peuple. C’est réellement troublant. Vous êtes peut-être de sang mêlé mais je puis vous garantir que vous avez tout d’une naine et il est temps que je vous respecte en tant que telle.

- Je ne sais pas quoi vous dire Thorïn. Ce que vous me dites là va au-delà de ce que je m’imaginais. J’ignorais totalement que vous aimiez ma tante et que pour ma part je lui ressemblais autant. Mon père ne me l’a pas fait souvent remarquer même s’il affirmait que j’avais un air de Lerï.

    Le roi sous la montagne se leva et commença à marcher à petit pas à l’intérieur de la gloriette, caressant quelques roses piquantes au passage.

- Il fallait que je vous le dise à un moment ou un autre, pour une relation plus saine entre nous et au sein même de la compagnie. Seul Balïn était au courant pour moi et Lerï, bien évidemment quand ils vous a vue il a immédiatement fait le lien avec elle et a insisté pour que vous veniez avec nous. Il a jugé que cela serait bon pour moi, que je pourrais nouer des liens avec vous. Comme une fille ou une nièce j’imagine. Si Lerï était encore là aujourd’hui je serais votre oncle…

- Je suppose que cela aurait été la cas, sourit alors Amerys dont cette idée était certes saugrenue mais bien réelle.

    Thorïn lui rendit un sourire non dissimulé, comme soulagé d’avoir révélé un épisode de sa vie intime. Elle aurait été la nièce du roi, quelle drôle de situation.

- Je crois que sur un point vous m’avez également menti… Sur le but de ce voyage… reprocha la jeune femme profitant de l’occasion pour obtenir des réponses à ses questions.

- En effet, vous êtes perspicace Amerys, vive d’esprit comme votre tante.  Nous ne nous rendons pas dans les Monts de Fer. Nous nous dirigeons actuellement vers Erebor.

- Erebor ?! s’exclama la jeune naine. Mais tout est abandonné aux griffes du dragon…

    La Montagne Solitaire… Elle ne s’était pas attendue à ça. Cette idée était pure folie, c’était se jeter dans la gueule béante de la bête à leurs risques et périls.

- Nous allons reprendre notre royaume, tonna-t-il de sa voix grave. Smaug a couvé bien trop longtemps cet or et n’a apporté que le désert dans cette magnifique région. Il est temps d’y remédier !

- Et comment comptez-vous vous y prendre ?

Thorïn ne répondit pas et feinta par une courbette.

- Il est tard et vous devriez dormir. Nous aurons tout le temps d’en reparler mais en tout cas je comprendrais que vous ne vouliez pas vous joindre à nous dans cette quête qui pourrait s’avérer dangereuse.

- Je vais y réfléchir sagement durant nos prochains jours ici.

    Le chef nain acquiesça silencieusement et dans une gestuelle respectueuse invita la jeune femme à remonter dans la demeure, loin de ces confessions nocturnes dans les jardins. Ils empruntèrent le même chemin et les mêmes escaliers, dans un silence neutre. Il n’y avait nul besoin de discuter. Ils ne croisèrent ni elfe ni nain dans les corridors et les cloîtres. Le temps semblait suspendu et la jeune femme estima qu’il devait être bien tard. Thorïn raccompagna la jeune naine à sa chambre avant de lui lancer un dernier regard.

- Bonne nuit Amerys, dormez-bien.

- Bonne nuit Thorïn, trouvez également un bon sommeil, répondit la jeune femme sur un ton apaisé envers le chef de la compagnie.

    Le roi continua peu après son chemin vers son lieu de villégiature tandis que la voyageuse fermait la porte de sa chambre. Cette nuit avait été pleine d’émotions et elle était encore fatiguée. Il était grand temps de s’allonger et dormir à poings fermés pour tenter de digérer cette nouvelle des plus inattendues sur les relations étroites qui avait lié Thorïn et sa tante. Mais aussi entre Thorïn et elle-même… car plus rien ne serait pareil dorénavant.

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