Parmi mon peuple

Chapitre 9 : Une destinée de choix

8149 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/11/2016 02:40

 

Amerys passa une nuit agitée et inondée de rêves troublants. Son réveil fut en conséquence difficile et elle resta songeuse face à ce lointain souvenir qui avait soudainement refait surface. Ce jour où Beorn avait failli tuer Myriel… Elle s’en rappelait comme si c’était hier car depuis ce jour plus rien n’avait été pareil entre elle et ses amies. Aussi étrange que cela fut, la naine pensait intuitivement rêver de la récente révélation de Thorïn et du lien qui les unissait tous deux ou bien de ses agréables moments passés avec Fili, surtout la veille avec ce fabuleux spectacle de lucioles… L’inconscient était décidemment bien mystérieux.

            Fili… ce jeune nain, charmant, attentionné, gentil et espiègle. Elle l’aimait bien et pensait que c’était là une situation réciproque. La soirée fut fort agréable en sa compagnie, enfin elle se sentait à son aise avec un homme, et cet homme était tout bonnement un nain. N’avait-elle pas déjà dit à son père qu’elle ne pourrait jamais être avec un humain et que seuls les nains la comprendraient ? Depuis ce soir-là avec Fili elle était sur un petit nuage et savourait ces moments inattendus et complices avec lui. Malgré cela elle ne pouvait s’empêcher de rester sur sa réserve car trop de fois son cœur fut brisé. Notamment par peur d’être trop vite déçue comme la dernière fois. Elle n’avait d’ailleurs toujours pas pris sa décision à propos de continuer ou non la route avec la compagnie. Si elle restait là elle ne pourrait pas apprendre à connaître Thorïn et Fili, au contraire si elle se joignait à eux, elle serait inévitablement confrontée à moult dangers sur le chemin. C’était un choix important à faire mais qui pourrait avoir une grande conséquence sur son avenir. Elle avait encore un court délai pour y réfléchir ceci dit.

            La jeune femme s’étira longuement et savoura la douceur de ses draps et la mélodie des chants d’oiseaux qui envahissait la vallée. Tout était si paisible et délectable. Un délicat mélange de camélia et de rosier chatouilla ses narines tandis que les rayons du soleil s’infiltraient à travers les colonnades de la pièce. Malgré une irrésistible envie de se rendormir, elle trouva le courage de se lever.

            Un peu plus tard dans la matinée, alors qu’elle observait l’entrainement de Bilbon, Thorïn l’invita à une balade matinale. Elle s’excusa auprès de son compère et accompagna le roi sous la Montagne dans les couloirs de Foncombe. Cette proposition était surprenante mais pourtant plaisante. Elle n’avait pas reparlé au nain depuis sa révélation nocturne et espérait qu’aucun malaise ne s’installerait. Elle souhaitait au fond d’elle partager plus avec ce personnage que de simples paroles polies. Pourrait-elle un jour l’appeler plus intimement « mon oncle » ?

- Comment allez-vous Amerys ? demanda alors Thorïn loin des oreilles à l’affût.

- Je me sens bien. Dans cet endroit il est impossible de ne pas se sentir bien à vrai dire. Je passe de bons moments auprès des elfes, des nains de la compagnie et de Bilbon.

- C’est ce que j’ai pu remarquer, sourit-il alors. Fili s’est attaché à vous cela ne fait aucun doute.

            « Etait-ce si flagrant que cela ? » se demanda alors la jeune femme. C’est vrai qu’ils avaient ouvertement passé du temps ensemble mais uniquement comme de simples et bons amis qui apprennent à se connaître.

- Vous a-t-il parlé de moi ? hésita alors la naine rougissante.

- Nul besoin de m’en parler, je connais mon neveu… A vrai dire plusieurs d’entre nous se sont attachés à votre personne, je ne suis pas aveugle. Vous êtes appréciée jeune fille, c’est pourquoi je revenais vers pour vous demander si vous aviez pris une décision quant à l’éventualité de nous accompagner jusqu’à Erebor. Décidez-vous de tenter l’aventure de votre vie fille de Daraïn Forgefer ou suivrez-vous votre propre chemin ?

- Pour être honnête avec vous Thorïn, je n’ai pas encore pris ma décision…

- Il va le falloir, nous partons demain à l’aube.

- Oh déjà ?! Je… je vous donnerai ma réponse au plus vite, je vous en fais la promesse.

- Soit. J’attendrai votre réponse Amerys.

            Un silence s’installa alors que les marcheurs dévalaient un escalier en colimaçon qui débouchait sur une belle et spacieuse cour extérieure décorée de statues d’elfes et de fontaines rugissantes. Une légère brise souffla entre les feuilles et les fleurs du magnolia niché au centre, embaumant l’air d’une douce fragrance. Ils aperçurent Gandalf passer non loin de là accompagné du Seigneur Elrond, ils lancèrent un bref signe de la main et continuèrent leur conversation qui semblait hautement importante. C’est ainsi que les deux grandes silhouettes firent volteface au détour d’une colonnade envahie de lierre.

- Aimeriez-vous que je reste ? osa alors demander la fille du forgeron non sans une pointe d’hésitation tandis que leurs pas les menaient vers l’inconnu.

            Thorïn ne répondit pas de suite, laissant alors une lueur nostalgique envahir son regard. Il marchait mains croisées derrière le dos, une position sage et calme qu’il prenait parfois quand il semblait serein. Une sérénité quelque peu déconcertante ceci dit.

- Mes souhaits ne sauraient vous aiguiller dans vos priorités. Votre destin est entre vos mains Amerys, je n’en suis pas le maître. Ce que moi je veux ne peux pas déterminer ce qui est le mieux à faire pour vous.

            La jeune femme sourit à ses paroles. Une jolie feinte pour ne pas dire ce que lui-même voulait. Elle pensait qu’être la nièce de la femme qu’il avait aimé serait déterminant et que le roi sous la Montagne l’implorerait de l’accompagner mais ce nain était décidemment bien malin. Elle décida alors de se poser à l’ombre de l’arbre sur le rebord de la fontaine, Thorïn sans un mot l’imita.

- Je suis aujourd’hui face à tout ce dont j’ai rêvé depuis des années. Je suis en compagnie du peuple que je considère mien, malgré mon évolution avec les humains. Mon entourage n’a jamais vraiment compris le sentiment que j’éprouvais, celui d‘être différente, une mélangée, une bâtarde… Je me suis alors enfermée. Après un malencontreux incident j’ai perdu la complicité qui me liait à mes précieuses amies. J’ai été seule, demi-naine parmi les humains, que j’ai vu mourir les uns après les autres tandis que je restais jeune. Mes amies et certaines femmes du village en sont devenues jalouse. Voir ma peau lisse et rosée, tandis que la leur se ridait avec l’âge, que leurs cheveux blanchissaient, que les rhumatismes les accablaient de toute part et que la maladie emportait leur mari, leurs enfants ou elles-mêmes. J’ai pendant un temps reçu de la haine de la part des gens que j’avais autrefois aimés et que j’aimais encore. Je ne vous cache pas que cela fut difficile.

 

            Elle fit une pause, avalant difficilement sa salive alors qu’elle racontait cette partie de sa vie au chef de la compagnie. Sans savoir pourquoi, elle sentait qu’elle devait révéler son histoire. Puis reprit :

- Mon père n’en avait cure. Il ne s’est jamais remis de la mort de ma mère et s’est acharné à la tâche dans sa forge, noyant sa peine dans le feu et le fer de ses ancêtres. Il partait régulièrement loin en voyage pour ses livraisons, me laissant seule dans la maison familiale. J’ai été tentée plusieurs fois de partir rejoindre les Montagnes Bleues mais j’ignore pourquoi je n’ai pas pris ce risque. Je suis restée à attendre mon père à chaque fois. D’un autre côté, j’ai pris le relais de ma mère en tant que guérisseuse du village. Les années ont passé, indéniablement, et j’ai petit à petit oublié cette irrépressible envie de m’enfuir vers les montagnes. Puis mon père est tombé malade, je me suis occupée de lui pendant très longtemps, jusqu’à sa récente mort il y a quelques mois, j’avais espéré sa guérison car je l’aimais tellement… Dès lors je n’avais plus aucune attache, plus de parents, plus d’amis, pas de mari… L’idée de retrouver la seule possible famille qui me restait refit alors surface. Je ne parle pas d’une famille de sang car je n’en ai plus, mais je parle d’une famille bien plus grande que cela, le peuple nain. Le peuple qui saurait m’accueillir et me respecter en tant que telle. Qui m’accepterait parmi les siens… Aujourd’hui c’est chose faite grâce à vous Thorïn, à vous et vos amis. Je voulais vous remercier pour cela car vous n’imaginez pas ce que cela représente pour moi. De plus savoir que nous sommes liés par la même personne ne me laisse pas indifférente, c’est comme si je retrouvais une famille lointaine. Je ne vous cache pas que cela me rend heureuse. Je sens que l’avenir est devant moi aujourd’hui et je marche positivement sur le chemin de ma destinée qui je l’espère sera belle et prospère.

            Alors qu’Amerys s’était lancée dans une longue logorrhée sur sa vie et son histoire abrégée, Thorïn n’avait cessé de l’écouter attentivement. Il était difficile de lire sur son visage car il restait aisément stoïque, seuls ses yeux bleus trahissaient parfois de soudaines et inattendues expressions. Et pendant son récit, son visage s’était renfrogné au mot « bâtarde », avait compati à l’évocation de la mort de son père et avaient brillé à la fin de son récit.

- Je suis heureux de vous avoir rencontré Amerys, malgré un début difficile cela va sans dire. Il m’est impossible de ne pas vous prendre en affection, vous êtes toute votre tante. Je ne peux m’empêcher de la voir à travers vous et je ferai tout mon possible pour que vous arriviez à votre but.

 

            Après son entrevue avec le chef des nains, Amerys fut plongée dans ses réflexions tout l’après-midi. Elle s’isola et s’assura que personne ne viendrait la déranger. C’est ainsi du haut de la cascade rugissante, assise à même la pierre humide qu’elle pesa le pour et le contre de cette aventure, tout en contemplant la merveilleuse Vallée cachée comme si celle-ci aurait pu lui souffler le bon choix.

- Puisse la force accompagner mes pas vers mon destin… souffla-t-elle alors qu’elle prit sa décision à l’aube du crépuscule.  

 

            Le lendemain, Amerys se leva à l’aurore et sans un mot, enfila ses vêtements, s’emmitoufla dans sa cape et accrocha le fourreau de son épée à la taille. Elle ne croisa nul nain, nul elfe. Seule dans les couloirs elle s’aventura aux écuries. Plumerette était là, encore endormie. La jeune femme se glissa dans le box et l’odeur familière de foin, de crottin, de paille et de cuir emplit ses narines. Elle serra sa monture près d’elle non sans quelques larmes silencieuses.

- Tu vas ma manquer Plumerette mais nous nous reverrons bientôt mon amie. En attendant les elfes prendront grand soin de toi j’en suis sûre.

            Il était douloureux de laisser sa fidèle compagne derrière elle mais cela était nécessaire et était le seul moyen de la protéger du danger, elle était de toute façon persuadée qu’elle la reverrait tôt ou tard. Après cet au revoir elle se faufila en direction de l’armurerie de la demeure où avaient été déposés son arc et son carquois. Elle entra doucement mais personne ne s’y trouvait, puis elle vit son arc délicatement posé dans un coin. Mais alors que son bras allait le saisir son œil fut attiré par la panoplie d’armes elfiques adroitement rangées sur le côté. La rangée d’arcs attira de ce fait son attention. Si les nains étaient adroits dans la fabrication des armes, les elfes n’avaient rien à leur envier car leur art, d’une différente façon était tout aussi magnifique. Sculpté dans un bois dur et souple à la fois il semblait pouvoir envoyer des flèches à l’infini. Curieuse et voyant qu’aucun elfe ne se profilait à l’horizon elle saisit un arc de taille moyenne, adapté pour sa petite taille. Il était léger et jamais elle n’avait vu pareille facilité de maniement. Le filigrane doré inscrit sur le bois était délicat et fin, donnant un véritable caractère au bois. Elle tira sur la corde et la relâcha pour tester la puissance. Parfaite ! Sa main se porta alors sur une flèche casée dans un carquois juste à côté. Elle semblait robuste et filante d’autant plus que la plume blanche était taillée droite au millimètre près.

- Je crois que le seigneur Elrond ne m’en voudra pas si je lui empreinte cet arc et ce carquois… murmura Amerys qui tentait de se rassurer.

            C’est ainsi qu’elle sortit satisfaite de l’armurerie non pas avec son arc mais avec un arc elfique « empreinté ». Elle tenait à le préciser. Ce n’était pas une voleuse ça non !

            Sans un bruit, elle se faufila toujours aussi discrètement et emprunta le chemin qui la mènerait hors de Foncombe. Elle posa un dernier regard sur la vallée, savourant cet instant où le palais était illuminé d’une lueur dorée. Puis elle grimpa le chemin et disparut au premier virage.

 

 

                                                                       ***

 

            Thorïn avait été clair avec Amerys, ils partiraient dès l’aube. Elle devait prendre sa décision mais il n’en avait pas été informé ce qui l’avait agacé au delà du raisonnable. Les nains de la compagnie avaient posé des questions, ils avaient espéré compter sur la jeune naine à leur côté mais elle n’avait pour le moment montré aucun signe de vie. Fili était sens dessus dessous et la cherchait désespérément. Son neveu avait été jusque dans sa chambre mais elle n’y était pas. Plumerette était toujours aux écuries et son arc toujours dans l’armurerie… Malgré cela il était plus que temps de partir…

- Il est temps d’y aller, ordonna le roi sous la montagne à ses compères. Gandalf nous rejoindra plus tard mais il nous faut partir maintenant.

- Elle est forcément quelque part, attendons encore quelques minutes, insista Fili peiné de ne pas voir Amerys.

- Apparemment non, répondit froidement le souverain. Elle doit trouver notre quête trop dangereuse… et a décidé de rester ici.

- Je ne crois pas à cela ! répliqua Fili qui vint se poster fièrement devant son oncle.

- Tu es naïf mon neveu !

- Je vous en prie, calma Bilbon. Il doit bien y avoir une explication à sa disparition. Amerys ne doit pas être loin…

- Assez ! coupa Thorïn, nous partons sur le champ. Tant pis pour elle je l’avais prévenue.

            Et sans un mot de plus il tourna les talons et marcha sans laisser transparaître à la vue de ses compagnons son regret qu’Amerys ne les accompagne pas dans leur quête. Il s’était montré dur avec Fili mais son neveu devait se faire à l’évidence qu’il ne la reverrait probablement plus jamais, et lui également…

            Alors que la compagnie avançait d’un pas régulier sur le chemin avec Thorïn en tête, ce dernier discerna dans le lointain, au détour du virage, une silhouette emmitouflée dans la bruine matinale. Il stoppa la file, se méfiant du probable ennemi qui se postait devant eux. Etait-ce un orque ? Difficile à identifier mais en tout cas si c’était le cas il était seul. Alors qu’il s’approchait tandis que ses amis restaient en retrait, il leva son épée mais arrêta son geste d’un coup sec. Cette silhouette…

Quand elle se retourna, le visage éclairé par un sourire complice il n’eut plus aucun doute.

- Amerys… dit-il alors aussi surpris que soulagé.

- Amerys ! s’exclamèrent les nains, c’est Amerys !

            La jeune femme s’avança en défiant Thorïn du regard avec un sourire malicieux. Son regard si pénétrant, si optimiste comme si le monde lui appartenait et qu’elle n’avait rien à perdre.

-  Bonjour ! Je commençais à m’impatienter ! s’exclama-t-elle mains sur les hanches.

- Vous deviez me tenir informé de votre décision demoiselle… Nous nous sommes inquiétés, nous ne savions pas si nous devions vous attendre ou non, grogna néanmoins le souverain.

- Vous aviez fait le bon choix Thorïn, dit-elle en s'approchant du nain. A vrai dire, j'avais pris ma décision hier. Pour être honnête je pensais prendre le chemin des Montagnes Bleues car je ne me sentais pas capable d'affronter le danger. Cependant, le doute a persisté dans mon esprit et j'ai été incapable de vous apporter une réponse honnête car je ne l'avais simplement pas. Malgré tout, ce matin j'ai été prise de clairvoyance et j'ai su ce que je devais faire. Alors je suis partie seule en avance histoire de contempler une dernière fois Imladris et trouver la force et le courage dans la beauté de cette Vallée. Je vous prie d'excuser mon impolitesse.

            Il renvoya pour seule réponse un unique sourire destiné à cette jeune naine au regard brillant.

- Avançons, ne perdons pas de temps mes amis, déclara-t-il alors après ces retrouvailles. Une longue route nous attend et le chemin sera long et difficile.

            Alors qu’il avançait le pas, il vit Amerys ralentir la cadence et se mettre à hauteur de Bilbon, échanger quelques paroles ainsi que des gestes amicaux et se poster ensuite près de Fili, qui était ravi de revoir la fille du forgeron.

- Heureux de vous voir parmi nous, murmura alors le jeune nain à l’adresse de la voyageuse. 

- Serait-ce un arc elfique que vous avez là Amerys ? siffla alors Dwalïn derrière elle. Vous l’avez volé ?!

- Ne serait-ce pas une serviette de table elfique qui pend à votre pantalon maitre Dwalïn ? esquiva la naine d’une pirouette comique.

            Le nain après un moment de silence rit aux éclats.

- Ce n’est qu’un emprunt, articula-t-il pour se défendre. Et ce n’est qu’une serviette de table… J’aimais bien les broderies dessus…

- C’est aussi un emprunt pour ma part. Je leur ai laissé ma jument alors en échange j’ai emprunté un arc, que j’échangerai contre Plumerette à mon retour. Echange de bons procédés si vous voyez ce que je veux dire.

            Ce n’était pas un acte anodin pensa alors Thorïn mais au moins elle se défendrait mieux avec un arc elfique que celui qui était en sa possession auparavant. Il espérait simplement qu’elle n’aurait pas à s’en servir et que tout irait pour le mieux et que s’il arrivait quelque chose elle saurait s’en servir avec la même adresse qu'à l’épée

 

*

 

            Amerys ne regrettait pas ce choix longuement réfléchi. Se sentant pousser des ailes au sein de la compagnie, elle avait pu lire dans leurs yeux leur joie de la voir les accompagner, même l’impassible Thorïn n’avait pu cacher sa satisfaction. L’effet de surprise qu’elle avait provoqué n’était pas pour lui déplaire, elle regrettait simplement de ne pas avoir pu dire au revoir au Seigneur Elrond et le remercier de son hospitalité.

 

            Foncombe était loin derrière eux à présent et ils crapahutaient ardemment à travers les plaines vallonnées, verdoyantes et rocheuses. Pour le moment l’astre solaire brillait en éclat au-dessus de leur tête et l’air y était doux, ce qui rendait la marche plus aisée. Cependant, le lendemain matin, ils s’engouffrèrent dans une épaisse brume et durent prendre plus de précautions car le danger était invisible et imprévisible à travers elle. Amerys ne quittait pas des yeux son compagnon de devant et le suivait de près pour ne pas se perdre dans le brouillard. Mais parfois Balïn pouvait être vivace et l’espace de quelques secondes elle ne le voyait plus, avant qu’un pan de sa cape ne réapparaisse instantanément d’un mouvement ondulé.   Parfois elle tentait un regard en arrière pour s’assurer que Kili la suivait toujours. Fili était censé se trouver aux côtés de son frère mais il était il y a peu passé devant pour rejoindre son oncle. La jeune femme ne voyait même pas où elle mettait les pieds et craignait à chaque instant la chute. Elle sentait que le chemin était quelque peu pentu et qu’elle pouvait dégringoler à n’importe quel moment.

- Tout va bien Amerys ? demanda alors Kili.

- Oui oui, mais on y voit rien dans ce brouillard, il est difficile de suivre le pas.

- Ne vous en faites pas je suis derrière, rien ne peut vous arriver tant que je suis là !

- Je n’en doute pas, si vaillant que vous êtes ! lança-t-elle d’un air taquin.

- Vous vous moquez de moi, pouffa le jeune nain.

- Pas du tout ! En fait je… Haaaa !

            La voyageuse n’avait pas eu le temps de finir sa phrase car elle trébucha sur une pierre et dans sa chute roula sur une pente sans jamais s’arrêter. Elle roula et percuta des cailloux, sentit sa peau se déchirer à plusieurs endroits, jusqu’à ce qu’elle percute de plein fouet un gros rocher qui l’empêcha de continuer à dévaler dans tous les sens, heureusement sa tête ne cogna pas. Etourdie et un peu assommée elle eut grand mal à reprendre ses esprits. Dans le lointain elle entendit vaguement quelqu’un scander son nom. Elle tenta en vain de bouger mais certaines zones étaient très douloureuses et se relever était un exploit qu’elle n’était pas en mesure d’affronter pour le moment. Elle ferma les yeux et souffla pour apaiser ses maux. Allongée sur le sol humide elle tata les parties de son corps pour s’assurer que rien n’était cassé, et par miracle rien n’était cassé. Cela devait juste être des contusions et des égratignures, rien de bien grave. Elle ignorait de plus si elle avait longtemps dévalé et à quelle distance de la compagnie. Le brouillard, toujours aussi épais était un réel frein visuel. Prenant son courage et deux mains et ignorant la douleur tiraillante elle se releva doucement avant d’entendre son nom résonner en écho à travers la brume.

- Je suis là ! cria-t-elle. Je n’ai rien, tout va bien !

            La réponse retour se fut confuse et difficile à discerner. Je ne suis quand même pas tombée si bas de la colline, pensa-t-elle. Mais alors qu’elle pensait prendre la direction pour se diriger vers les siens, un bruit étrange attira son attention parmi le calme. Elle stoppa le pas pour tenter de l’identifier et ne fit plus un geste. Son mauvais pressentiment l’amena à empoigner son épée sans la sortir de son fourreau, se mettant ainsi sur ses gardes. C’est alors qu’un cri guttural retentit dans son dos. Se retournant à toute vitesse elle vit un orque se ruer sur sa personne, épée au poing prête à la mettre en charpie. Son horrible visage s’avança satisfait de sa trouvaille et attaqua la jeune naine qui esquiva tant bien que mal. Amerys sortit une bonne fois pour toute son arme qui railla à la sortie de son fourreau.

- Que me veux-tu sale bête répugnante ?! lança-t-elle alors à l’adresse de son adversaire qui avait disparu dans le brouillard après sa première tentative.

            Ce dernier fit soudainement un nouvel essai. Trop bruyant cependant car la naine l’entendit venir et réussit à l'esquiver et même à le blesser. Mais celui-ci était plus grand et n’eut aucun mal à faire tomber la fille du forgeron à terre et propulser son épée à quelques pas. Il la menaça de son arme, tentant de la tuer mais Amerys se débattait comme une forcenée. Dans un geste brusque elle envoya valser l’arme de son attaquant et ce dernier tenta alors de l’étrangler de ses mains maigres et sales, crachant de sa bouche dégoulinante. Suffoquant elle sentit sa dernière heure arriver mais pleine de ressources, la naine sortit sa dague bien cachée et trouvant une faille, trancha la gorge de son assaillant. Un sang noir dégoulina alors en masse sur Amerys qui poussa de ce fait sa victime à la renverse pour s’en dégager. L’orque gesticula en tenant son cou et tomba au sol en se tortillant de douleur tandis qu’il se vidait de son sang. La jeune femme hésita un moment mais poussée par l’adrénaline elle récupéra son épée et abrégea les souffrances du pauvre en lui plantant la lame dans le cœur. C’était fini, il était mort.

            C’est à ce moment qu’elle vit apparaître Dwalin et Fili et se rendit compte que le brouillard se dissipait petit à petit. Leur regard stupéfait se posa sur l’orque gisant à terre puis sur Amerys elle-même qui respirait fortement pour récupérer son souffle.

- Vous allez bien Amerys ? demanda Fili en s’approchant d’elle d’un air inquiet.

            Il posa une main sur son épaule et aida la jeune fille à se faire un appui. La naine tremblait devant ce qu’elle venait de faire, de même, l’orque avait serré si fort son cou qu’elle avait du mal à respirer, elle était d’autant plus épuisée et avait mal partout à cause de sa chute.

- Asseyez-vous un instant, voilà respirez, tout va bien, continua-t-il doucement en l’aidant à s’asseoir au sol tandis que Dwalïn inspectait le cadavre de l’ennemi.

            Amerys qui n’en pouvait plus se laissa aller contre le jeune guerrier, posant sa tête contre lui, le nez dans la fourrure de son col. Elle tremblait encore et ne pouvait plus s’arrêter. Il essuya son visage plein de sang noir avec un pan de tissus tandis que cette dernière fermait les yeux de fatigue.

- Elle est épuisée, blessée et tremblotante Dwalïn, il va falloir la porter.

- Saleté d’orque puant, cracha alors le guerrier en donnant un coup de pied à l’adversaire mort d’Amerys. Cela doit être un éclaireur… A-t-elle d’autres blessures ?

- Elle ne saigne pas, confirma Fili en examinant de près la jeune demi-naine. Probablement beaucoup de contusions dûes à sa chute et son combat, je ne crois pas qu’elle est quelque chose de cassé. Amerys vous m’entendez ? Sentez-vous quelque chose de cassé ?

            Amerys fit non de la tête pour rassurer son ami.

          Fili enleva ainsi son arc et le carquois pour les porter et la libérer de ce poids, tandis que Dwalïn la hissa dans ses bras sans aucune difficulté.

- Allez courageuse naine, vous vous êtes bien battue, avoua son porteur. C’est une horreur de moins qui parcourt ce monde grâce à vous.

            Amerys encore consciente sourit difficilement au guerrier, elle aurait voulu lui répondre mais la bête avait serré si fort sa gorge qu’elle ne pouvait plus parler pour le moment. Le seul son qui sorti de sa bouche était inaudible. Le nain fronça les sourcils.

- Cette saleté ne vous a pas loupé Amerys, grogna Dwalïn.

- Qu’y a-t-il ? s’inquiéta derechef Fili en regardant la concernée.

- Il l’a probablement étranglée, elle ne peut plus parler… La prochaine fois jeune fille faites plus attention où vous mettez les pieds, cela vous évitera bien des soucis.

- Ce n’est pas sa faute, la défendit le plus jeune nain, on y voyait rien avec ce brouillard, n’importe lequel d’entre nous aurait pu tomber et se confronter à l’orque.

- Je ne l’accuse de rien, je ne veux pas qu’il lui arrive quoique ce soit, tout comme toi.

            Fili ne rajouta rien hormis un signe de tête approbateur et resta un moment à contempler d’un air peiné son amie.

- P…Pa…, commença Amerys qui n’arrivait à produire de son correct. Pard…

- Chut jeune demoiselle, siffla Dwalïn. Nul besoin de pardon, ce sont simplement les aléas de la route. Fili a raison, cela aurait pu arriver à n’importe lequel d’entre nous.

            Amerys fit la moue puis s’assoupit un instant dans les bras de son porteur. Dwalïn arrivait à la soulever sans effort alors que la montée était raide et grimpant. Il était cependant le plus grand et le plus fort des nains de la compagnie, il intimidait la naine presque autant que Thorïn d’ailleurs.

            Le brouillard se dispersa avant de laisser place à un ciel nuageux. Ils retrouvèrent enfin la troupe à l’arrêt et c’est avec un soulagement non dissimulé que certains nains accueillir Amerys.

- Laissez-la respirer les gars, lança alors Fili à l’adresse de ses compères qui s’amassaient devant la blessée. Elle ne peut pas parler de toute manière.

- Que s’est-il passé ? demanda Thorïn en détaillant la jeune naine poisseuse de sang et de terre.

            Dwalïn posa enfin la fille du forgeron à terre qui avait cessé de trembler. La douleur lui étira néanmoins quelques grimaces.

- Après sa chute elle a fait la rencontre fortuite d’un orque qui a tenté de la tuer mais la demoiselle lui a ôté la vie avant qu’il n’ôte la sienne. Nous pensons que c’était un éclaireur, expliqua Dwalïn. Cependant il l’a étranglée tellement fort qu’elle ne peut pour l’instant pas émettre un seul son.

 

            A cette explication le souverain haussa un sourcil de surprise, comme s’il avait cru la jeune femme incapable d’un tel exploit. D’ailleurs elle pensait qu’elle en était incapable aussi mais étant sur le point de mourir des mains de cet affreuse créature elle n’avait pas eu le choix, l’instinct de survie avait pris le dessus. Elle espérait par ailleurs recouvrer l'usage de ses cordes vocales très prochainement et pourrait s’excuser pour le désagrément causé.

            Balïn lui tendit à cette occasion une gourde pour boire et se rafraichir. Assoiffée elle but avec plaisir mais le passage dans la gorge fut difficile et lui donna des larmes aux yeux. Elle se massa le cou mais sursauta de douleur. Le vieux nain lui donna une légère tape amicale dans le dos et elle le remercia d’un signe de tête. La jeune naine avait mal partout et imaginait bien que son corps était parsemé d'ecchymoses. Elle s’allongea un instant.

- Il nous faut continuer, annonça Thorïn, le dernier jour de Durïn ne nous attendra pas.

            « Le quoi ? » se demanda alors Amerys. Qu’était-ce donc ? Elle avait encore du louper un coche concernant cette aventure semblerait-il. Elle devrait donc encore questionner l’un deux sur ce fameux dernier jour de Durïn.

- Je ne sais pas si Amerys est capable de se déplacer, hésita Bilbon. Elle semble fatiguée. Peut-être devrions-nous faire une pause et examiner ses blessures.

- Nous en avons déjà fait une Maître Sacquet, pendant que notre amie ici dégringolait la colline et se battait contre l’ennemi, répondit froidement le Thorïn. Je le regrette Amerys mais il nous faut continuer, nous ne sommes pas à l’abri ici. Si vous ne pouvez pas marcher nous vous ferons appui ou nous vous porterons. Mais nous devons avancer coûte que coûte.

 

            La jeune femme acquiesça et c’est sans attendre que Dwalïn se pencha vers elle pour la porter de nouveau. Elle écarta brusquement ses mains approchantes par une pichenette. Malgré sa surprise il réitéra son intention mais elle répéta son geste de refus. Elle ne voulait pas être portée, elle pouvait marcher.

- Ça marche, lança-t-il compréhensif mais laissez-moi au moins vous aider à vous relever.

            Même si elle était réticente à être portée comme une princesse ou une estropiée elle n’était pas contre une aide pour se remettre sur ses gambettes. Une fois debout la douleur s’intensifia à certains endroits mais elle serra les dents et fit mine que tout allait bien. Fili lui envoya un regard accusateur mais ne pipa mot. La naine tendit alors le bras, faisant comprendre à son ami qu’elle souhaitait récupérer son arc et son carquois. Le jeune nain s’y refusa, presque taquin, ce qui eut le don de renfrogner Amerys qui ne pouvait pas contester oralement.

- Vous n’avez pas d’ordres à me donner, d’autant plus que vous êtes aphone, ce qui est embêtant, ricana-t-il gentiment.

            Malgré la douleur elle ne put s’empêcher de sourire devant la nonchalance de ce jeune nain qui osait la materner comme un grand frère. Puis elle emboîta le pas à Bilbon, Fili la suivant de près. Elle se rappela la dague qui avait tué l’orque et la ressortit. Tâchée de sang et poisseuse, elle prit alors le soin de l’essuyer et la regarda comme si elle n’était désormais plus la même. Elle avait ôté une vie, ce qui était un sentiment étrange même pour avoir tué un orque. Pouvait-elle se qualifier de meurtrière ? Etait-elle une mauvaise personne pour autant ? Elle se rappela le son qu'avait produit la lame en tranchant la peau et le sang dégoulinant sur son visage, ainsi que ses tremblements de peur après le dernier acte... Elle aurait pu perdre la vie. Elle avait cru son dernier moment arriver et n'avait jusqu'à là pas réalisé la gravité de la situation. Un moment malgré tout affreux qu'elle n'aurait, force est de constaté, pas envie de réitérer et par conséquent remit en doute sa présence au sein de la compagnie. Balïn qui sembla lire à travers elle se posta à ses côtés et tenta de la rassurer.

- Je me rappelle de la première vie que j’ai pris, commença-t-il. C’était il y a fort longtemps, j’étais bien plus jeune que vous à l’époque. C’était un gobelin, une créature répugnante telle que l’orque. Je savais que c’était un ennemi sans morale mais je n’ai pu m’empêcher de me sentir comme un meurtrier. Ce sentiment-là n’est cependant pas resté longtemps car j’ai dû ôter par la suite bien d’autres vies. J’ai cessé de les compter, en particulier lors de la bataille d’Azanulbizar. Je vous mentirais en vous disant que vous n’aurez plus à le faire, mais je ne crains que l’occasion se présent de nouveau et vous devrez être prête, batailler avec force comme ce que vous venez de faire, je sais que vous en êtes capable Amerys. Ne culpabilisez surtout pas, soyez en paix et souvenez-vous que nous combattons le mal et que ces créatures sont le mal.

 

            Amerys avait sagement écouté les paroles de Balïn et en prenait note. Il avait raison car elle savait qu’ils auraient à faire face au danger, elle aurait encore probablement à tuer même si cela ne lui plaisait pas. Elle n’était désormais plus dans le nid familial, dans son paisible village. Elle devait avouer qu'elle avait peur. Peur de se confronter à l'ennemi une nouvelle fois, peur de perdre la vie et donc mettre en péril son avenir et toutes ses espérances. Ici il fallait vivre, survivre, se battre et se défendre. Aujourd’hui la chance avait été de son côté, elle espérait en avoir autant pour la suite de la quête, ainsi qu'un soupçon de courage…

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