Parmi mon peuple

Chapitre 10 : Escapade au col des Montagnes de Brume

7189 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 08/11/2016 21:29

 

          Après cette journée de marche, Amerys apprécia de freiner l’allure pour poser le campement de nuit. Nichés à flanc de colline ils étaient à l’abri d’éventuels ennemis mais aussi d’’improbables intempéries. Un renfoncement dans la roche qui aurait pu s’apparenter à une grotte leur permit de construire un nid douillet et c’est par conséquent que Gloïn se donna à cœur joie pour y faire un bon feu. Non loin de là à quelques mètres seulement, un ruisseau avait creusé son lit et glissait entre la roche lissée par l’érosion dans des clapotis  presque musicaux.

            Maintenant que la fille du forgeron avait enfin la possibilité de se poser et soulager ses douleurs, elle en profita pour se rendre au point d’eau qui serpentait à quelques pas d’ici et prit bien soin de n’être vue de personne. Thorïn lui ordonna de ne pas s’éloigner mais étant aussi aphone qu’un poisson d’eau douce elle ne répondit pas, pire encore, elle évita de manière insolente son regard. Il est vrai qu’elle était un peu en colère contre lui étant donné qu’elle n’avait pas eu le temps de souffler ne serait-ce que quelques minutes après ses malencontreuses péripéties. Elle l’avait trouvé bien dur, sans compassion et avait ainsi eu du mal à avaler ses ordres. Paradoxalement elle avait obéi bon gré mal gré.

            C’est ainsi qu'accroupie devant le miroir d'eau, Amerys observa de plus près ses blessures, constatant notamment une belle coupure sur son bras gauche. Puis elle se débarbouilla grâce à l’eau fraîche et limpide de ce pays sauvage, enlevant la souillure noire sur son visage, sa poitrine, ses bras et ses mains. C’est uniquement à ce moment précis qu’elle ressentit de petites piqûres sur son front et sa joue droite, dues à de probables petites entailles sans gravité. Peu après, la blessée s’assura en furetant à droite et à gauche  tel le renard sortant de son terrier s’assura qu’aucun nain n'était embusqué à l’espionner et quand elle fut sûre d’elle déboutonna un peu son corsage pour nettoyer le reste de sang séché. Elle avait l’impression de sentir la mort et ce n’était pas fort agréable, c’est pourquoi elle se frotta ardemment pour enlever cette abominable odeur de sang d’orque, même dans sa chevelure.

- Répugnant hein ! lança alors une voix familière derrière son dos.

            Amerys sursauta à cette intrusion tandis qu’elle était dénudée, puis voulant protéger son intimité remonta ses vêtements tant bien que mal dans un mouvement de panique pudique. Lançant un regard furieux en arrière pour voir quel nain avait fait irruption alors qu’elle faisait une toilette privée, elle remarqua que Bofur était confortablement assis sur un rocher à quelques pas, fumant sa pipe d’un air détendu.

La demi-naine se mit en colère, et de ses yeux furibonds ouvrit la bouche pour le faire savoir, mais encore une fois aucun son n’en sorti. Elle foudroya alors le nain d’un regard et mima des paroles presque vulgaires pour tenter d’expliquer que Bofur n’avait rien à faire ici.

- Oh là, je suis désolé, je ne voulais pas vous importuner ! Je ne suis pas un pervers et je ne vous ai même presque pas regardée.

            Amerys ne fut pas satisfaite de cette explication, « presque » avait-il précisé… Se fichait-il d’elle ? Elle relaça alors tout son corsage et remonta son chemisier à l’abri des regards du joueur de pipo et se retourna toujours mécontente. Ce dernier n’avait  toujours pas bougé d’un pouce. Il haussa alors les épaules.

- Ne m’en voulez pas, c’est Thorïn qui m’a ordonné de vous surveiller, je ne fais qu’exécuter les ordres.

            « Les ordres les ordres… Donner des ordres ça il sait faire ce bougon ! » râla Amerys intérieurement. Elle fronça les sourcils alors qu’elle s’approchait d’un pas engagé vers Bofur, serrant les dents. Elle aurait voulu lancer le nain à l’eau mais n’en avait pas la force. A la place elle passa simplement son chemin et retourna un peu renfrognée vers le campement. Le fumeur lui emboîta alors le pas.

            Revenue au bivouac elle envoya un regard accusateur à l’attention de Thorïn et après avoir poliment emprunté un bol à Bombur posa son séant près du feu de bois.

- Elle n’a pas apprécié ma surveillance, murmura alors Bofur à l’adresse du chef perplexe. Je crois qu’elle m’a pris pour un voyeur. Ça c’est un sale caractère de nain je puis te l’assurer Thorïn, tu aurais dû la voir... Heureusement qu’elle ne parle pas sinon je crois que mes oreilles n’auraient pas apprécié ses paroles. Pour une demi-naine elle est bien plus naine qu’humaine la petiote. Si elle avait une barbe et était plus petite on y verrait que du feu !

- Merci Bofur, c’était plus prudent que quelqu’un garde un œil sur elle. Son mécontentement passera bien aussitôt.

              Le nain acquiesça, assez fier de sa fructueuse surveillance et retourna se prélasser auprès de ses amis.

            Amerys versa dans le bol quelques plantes médicinales qu’elle avait gardées dans sa petite sacoche et un peu d’eau qu’elle écrasa à l’aide d’un caillou pour en faire une pâte grossière. Pâte qui servit ensuite à une application cutanée sur sa coupure du bras gauche et d’autres petites entailles présentes sur le reste du corps aux endroits visibles. Fili n’avait jusqu’alors cessé de la regarder mais étant d’humeur maussade à cause de Thorïn et Bofur elle avait évité le regard de tout le monde, lui y compris bien qu’il ne l’ait pas mérité. Jusqu’à ce que le nain vienne dans un soudain élan près d’elle et saisisse son bol sans le lui demander. Elle se rebiffa et tenta de récupérer sa pâte mais remarqua que son ami malgré son sérieux avait un air taquin. Jusqu’alors crispée elle se détendit peu à peu et confiante laissa le jeune guerrier se poster près d’elle. Il scruta son visage, puis plongea un doigt dans la mixture avant de poser un peu de pâte sur le front de la naine, ainsi que sur sa joue, exactement aux endroits qui avaient piqué tout à l’heure au ruisseau. Elle força sa voix quitte à avoir mal et remercia timidement son ami grâce à un susurre. C’est alors qu’il lui destina un sourire sincère avant d’ajouter :

- J’espère que vous recouvrirez bientôt votre voix Amerys, j’ai hâte de savoir ce qui s’est réellement passé avec l’orque. Vous avez été courageuse pour votre premier combat en tout cas. J’étais sûr que vous étiez pleine de ressources !

            Fili continua de discuter avec elle mais bien qu’elle ne puisse y répondre elle fit de son mieux pour se faire comprendre. Plus tard, le soleil se coucha et Kili vint se joindre à eux. Les deux frères se montrèrent complices face à elle. « Ils ont vraiment une belle relation fraternelle », pensa-t-elle alors en regrettant d’avoir été fille unique. L’amusement vint néanmoins à terme lorsque Thorïn affecta Fili au premier tour de garde. Ainsi après avoir tenté de manger un peu Amerys s’emmitoufla dans sa cape et s’endormit sans peine près des douces flammes dansantes.

 

            Le temps passait inlassablement. Cela faisait plus de dix-huit jours que le groupe vadrouillait à travers le pays sauvage et le temps était parfois bien long pour la jeune naine. Malgré une météo changeante, l'immuable paysage se noyait dans son austérité, parsemant à perte de vue les mêmes arides collines des mêmes amas de roches. Cependant, depuis la veille Amerys avait enfin recouvré sa voix et pouvoir faire la conversation pendant le voyage était plus agréable. Fili n’avait d’ailleurs pas perdu son temps pour écouter les détails de son combat avec l’orque et l’avait grandement félicité. Malgré tout la jeune femme ne voyait rien d’extraordinaire dans cet exploit. Par la suite il lui donna même des conseils pour mieux se défendre, ce qu’elle accueillit avec enthousiasme et répéta avec beaucoup de rigueur.

 

            Passer tout son temps avec la compagnie permit à Amerys de connaître petit à petit chaque nain personnellement, complété pour certains par leurs exploits de guerrier. Le plus doué pour narrer des histoires était incontestablement Balïn. Le proche conseiller de Thorïn avait cette facilité verbale peu commune et fascinante. Un nain brillant et sage, qui lui en apprit beaucoup sur le peuple de son père et donc sur ses origines naines. Il répéta des histoires que la naine connaissait déjà comme celle qui concernait le créateur de leur peuple : Aüle, maître de la terre et des minéraux. Elle en apprit néanmoins plus sur la lignée des Durïn et comprit donc à travers les récits du vieux nain que Durïn était l’un des sept pères des nains. Ce qui voulait donc dire que Thorïn, Fili et Kili descendaient d’une lignée mémorable, d’une lignée fondatrice du peuple Khazâd. Balïn évoqua également la cité d’Erebor et de Dale, la ville d’origine de sa mère. Elle s’imagina alors bien les deux royaumes côte à côte et cette pensée la ramena à ses parents et ses souvenirs. Une pointe de nostalgie l’envahit mais qui fut rapidement chassée de son esprit au vu de son bien-être au sein de son nouveau peuple et de la nouvelle vie qui s’offrait à elle.

 

            Chaque jour, de par la promiscuité avec le groupe, elle sentait néanmoins le poids de la surveillance des nains à son égard. Il n’était pas rare de voir Thorïn jeter un œil dans sa direction bien qu’il ne se risquait plus à envoyer Bofur l’espionner. Elle passait le plus clair de son temps avec Fili, Bilbon et Balïn. Malgré que Fili ai un esprit moins cultivé que ces deux derniers il était attentionné et drôle, toujours à prêter main forte et à s’assurer de son bien-être. Il n’était pas rare que Kili intervienne aussi et quand les deux frères se chamaillaient il était impossible de les arrêter, ce qui était toujours un spectacle divertissant. Une autre fois elle tenta de converser avec Bifur mais le malheureux ne pouvait pas s’exprimer correctement. Quant à Ori il était si timide avec elle qu’elle n’osa le déranger plus de peur de le mettre mal à l’aise. Inversement, Amerys était si impressionnée par le charisme de Dwalïn qu’elle ne s’approchait que très peu, de toute manière le grand nain était indéniablement discret et peu bavard. Ses yeux épiaient chaque faits et gestes, toujours à l’affut, tandis qu’il suivait de près son chef. La jeune naine comprit très vite que le guerrier donnerait sans hésiter sa vie pour sauver celle de son vieil ami.

            Pendant un soir particulièrement frais Amerys demanda cette fois à ce cher  Gloïn de lui montrer comment faire du feu. Cela serait toujours utile et elle voulait apprendre le maximum. Le nain s’en était fait une fière joie, peut-être trop d’ailleurs car quand il s’agissait de feu il ne s’arrêtait plus et il était difficile de calmer son entrain.

 

            D’un autre côté, Balïn devient bien vite son mentor, tel un grand-père qui apprenait les histoires passées de cet âge à ses petits-enfants. Amerys qui n’avaient jamais connu ses grands-parents accueillit cette relation avec joie et allégresse et espérait que le vieux nain avait des sentiments réciproques. Il était évident que le sage désirait transmettre ses connaissances d’érudit et n’ayant pas d’enfants il s’était pris d’affection pour cette curieuse jeune demi-naine.

 

            Au fil des jours, Amerys voyait s’agrandir à l’horizon une masse de roche grise et noire. Les montagnes se rapprochaient terriblement vite et elle pensait qu’ils les auraient atteintes avant la fin de la journée. Curieuse du chemin que le groupe prenait elle rejoignit Thorïn et le questionna.

- Allons-nous passer par ces montagnes Thorïn ?

- En effet, ce que vous voyez se profiler à l’horizon avec sa roche noire et ses pics ardents sont les Montagnes de Brume. Nous pouvons cheminer à travers le col mais cela n’est pas sans danger car le chemin est haut et étroit. Il faudra faire attention où vous mettez les pieds cette fois-ci.

 - Cela va de soi… murmura Amerys penaude. Combien de temps nous faudra-t-il pour les traverser ?

- D’après les dires de Gandalf, à peu près deux jours, dans l’éventualité où nous prendrions du repos dans la nuit.

         Amerys scruta le ciel au loin car de sombres nuages pesaient sur les Montagnes de Brume et menaçaient férocement le col. S’il fallait s’aventurer dans ces monts la route risquait d’être laborieuse. Thorïn qui observa à son tour la voûte céleste se rembrunit.

- Je vois que vous vous êtes bien remise de vos blessures et de votre perte temporaire de voix, remarqua le souverain. J’ai entendu votre récit et je dois avouer que je ne m’attendais pas à ce que vous soyez si combattive. Néanmoins vous auriez pu y laisser votre vie…

- Mais je suis là entière à vos côtés, prête à tenter une escapade dans ces montagnes qui ne m’inspirent aucune confiance, plaisanta-t-elle non sans une pointe de sérieux.

- Vous avez raison de vous méfiez, mais tant que nous restons unis rien ne pourra nous vaincre. D’ailleurs, je vois que Fili vous donne régulièrement des conseils sur l’art du combat et de la défense. Est-il bon professeur ?

- J’imagine que oui, supposa la demi-naine. Il est attentionné, patient, très adroit et vif. Il a le sens du détail ça c’est certain, ainsi qu’une passion dévorante pour les armes, ce que je ne suis pas apte à comprendre.

         Mais tandis qu’Amerys se mettait à rire, Thorïn laissa transparaître un léger sourire et tourna la tête pour jeter un œil sur son neveu qui semblait profondément absorbé dans ses pensées.

- C’est moi qui l’ai formé, ainsi que Kili, avec bien évidemment l’appui de Balïn et de Dwalïn. Ces deux-là sont très prometteurs à vrai dire, mais ils n’ont pas encore connu de vraies batailles, de vrais combats, tout comme vous.

- Si j’ai pu tuer un orque il y a plusieurs jours, vos neveux sont sans aucun doute capables d’exploits bien plus impressionnants.

- Bien sûr qu’ils en sont capables, cela ne fait aucun doute. J’ai simplement peur que Fili ne se laisse atteindre par quelques faiblesses.

- Fili, faible ? pouffa Amerys un peu ahurie de la pensée de Thorïn. Il est à mon avis loin d’être faible, au contraire il dégage beaucoup d’assurance et d’habilité.

- Ce n’est pas ce que je veux dire. Mon neveu n’a pas de faiblesse à proprement parler hormis éventuellement la fougue de la jeunesse. Non, sans vous offenser, je crains que ce soit vous qui deveniez sa faiblesse Amerys

- Co…Comment ?! Non, non, je ne suis pas d’accord avec vous, réprouva-t-elle en observant Fili. Les liens qui peuvent unir les gens sont au contraire une force. L’amour, l’amitié, la famille. Ne pensez-vous pas trouver votre force et votre envie de vivre et de vous battre dans votre famille, vos neveux, vos amis, Lerï ?

         Thorïn sembla perturbé par l’évocation de sa bien-aimée. Il fronça les sourcils en signe de contrariété et aborda soudainement la naine avec une pointe de rancœur dans la voix. Etait-elle allée trop loin ?

- Lerï est morte, en quoi serait-elle une force… ? L’amour, bien que cela soit un sentiment sincère et pur impose d’immenses faiblesses, croyez-moi.

- Non je ne vous crois pas Thorïn Ecu-de-Chêne, contesta la fille du forgeron certaine de ses arguments.

- Soit. Si vous ne me croyez pas, je vous laisse méditer le sujet par vous-même. Cependant, évitez de mourir. Cela causerait des désagréments et Fili en serait peiné. Et s’il est peiné il ne pourra pas donner le meilleur de lui-même dans cette quête.

         La jeune naine fut déconcertée par cette mise en garde inattendue de la part du souverain. « Evitez de mourir… j’aimerais bien », pensa-t-elle intérieurement.Elle croisa une nouvelle fois le regard azuré du grand nain, qui ne laissait transparaître qu'un froid calcul de chef de guerre. Etait-il simplement inquiet pour Fili ? Peut-être qu’il se préoccupait d’une manière un peu trop paternel de son neveu mais elle comprit néanmoins que Thorïn cherchait simplement à le protéger, il était sa famille. Cela, elle ne pouvait pas lui en vouloir après tout.

         Alors sans un mot de plus elle baissa la tête, fit la moue et pris ses distances avec ce personnage.

 

         L’après-midi passa sans plus d’encombres et ils atteignirent enfin les Montagnes de Brume. Ces dernières s’élevaient haut dans le ciel, demeures noires et rocheuses, au silence absolu régnant en maître entre les parois. Amerys observa la roche qui semblait par endroit aussi tranchante qu’une lame bien forgée et n’aurait pas voulu s’y frotter. Le ciel toujours menaçant commença à cracher une fine pluie au toucher soyeux, puis elle entraperçu sur le côté un chemin escarpé qui serpentait à travers les monts, s’élevant toujours plus haut et se prolongeant dans le col, avant de disparaitre derrière l’imposante masse de pierres comme une route secrète.

- Ces montagnes dégagent quelque chose de particulier, fit remarquer Bilbon.-

- Il est assez rare que des voyageurs s’aventurent à travers ces monts car le temps y est toujours mauvais, appuya Balïn. Elles ne portent pas leur nom pour rien ces vénérables dames à la cime noirâtre.

 - Nous devrions faire une petite pause avant de s’aventurer là-dedans, proposa Dwalïn.

- Tu as raison, prenons quelques minutes de repos, approuva le roi. Nous en aurons bien besoin avant de se risquer dans ces montagnes.

 

         C’est ainsi que la dite pause commença et que la compagnie se requinqua avant de grimper dans les hauteurs. Amerys mangea tout en inspectant machinalement la roche de loin avec un sentiment de crainte. La pluie s’étant intensifiée elle se couvrit de sa capuche et s’emmitoufla dans sa cape pour avoir plus chaud. 

- Je crois que nous allons devoir affronter une tempête, fit remarquer Fili à son amie.

- Je le pense aussi… Ce n’est pas très prudent de s’y aventurer avec ce temps.

- Nous n’allons pas avoir le choix malheureusement. Il faudra juste faire attention, vous en particulier, accentua-t-il en levant un sourcil. Je ne veux pas qu’il vous arrive un accident.

         Amerys ne put s’empêcher de sourire face au guerrier, mais derrière cette façade elle repensa soudainement aux paroles de Thorïn. Etait-elle vraiment une faiblesse pour Fili ? Cela lui semblait totalement absurde et pourtant inversement, si Fili perdait la vie, comment réagirait-elle ? Elle chassa l’horrible image de sa tête avant d’imaginer le pire.

- Il est temps de partir ! ordonna soudainement Thorïn.

         C’est par conséquent que toute la troupe s’activa. Fili se mit debout et tendit sa main vers Amerys pour l’aider à se relever à son tour. Elle n’en avait pas besoin certes mais elle n’allait pas refuser ce geste au risque de le contrarier. Aussi surprenant soit-il, le contact avec sa main chaude et forte lui procura une agréable sensation, presque un sentiment de sécurité. Malgré cela il la remonta avec tant de force que, déséquilibrée, elle vint le percuter de plein fouet et cogna légèrement sa tête contre la sienne, tandis que ses mains avaient naturellement agrippé la fourrure de ses épaules pour éviter la chute.

- Ouille ! Pardon, dit-elle en reculant et reprenant appui sur ses jambes.

- Ouch, non désolé c’est ma faute, je ne contrôle pas ma force, s’excusa-t-il de manière timide.

         Cependant Amerys se mit à rire face à cette situation cocasse et entraina Fili par la même occasion. Mais l’amusement fut de courte durée car Thorïn les rappela à l’ordre et ils  furent dans l’obligation d’emboîter le pas derrière leurs amis.

 

       Plutôt agréable à marcher malgré la fine pluie, le chemin devitn bien vite fort étroit et se parsema de virages plus serrés par moments. Il n’était pas rare qu’Amerys vît quelques pierres s’écrouler sous leurs pas et quand elle regardait dans le vide, le contrebas lui donnait le vertige. Ils serpentaient à travers la roche toujours aussi noire et à chaque regard posé sur l’horizon, elle ne voyait que les montagnes à perte de vue. Le ciel s’était d’autant plus assombri et il ne tarda pas à pleuvoir des cordes. Un orage éclata peu après et la situation devint alors considérablement périlleuse. La foudre s’abattit brusquement sur la roche qui sembla soudainement se mettre en mouvement. Faisant un pas en avant elle glissa sur une pierre lisse mais fut rattrapée de justesse par Fili qui veillait sur elle d’un œil protecteur. Mais alors qu’elle remit un pied devant l’autre une gigantesque roche vint s’écraser non loin de là face à eux, tombant en mille éclats de poussière devant leurs yeux ébahis. Peu après, un autre vint ricocher juste au-dessus de leurs têtes et ils durent se coller à toute vitesse contre la paroi pour éviter l’éboulis de cailloux.

- Ce n’est pas un orage, c’est un duel de rage ! scanda alors Balïn.

         Son expression aussi étrange fusse-t-elle trouva néanmoins tout son sens quand Amerys vit tout près d’elle un homme de pierre démesurément grand se décrocher de la montagne pour aller percuter un deuxième déjà debout. Elle en resta bouche bée. « Etait-ce possible ? Ou bien cela relevait-il de la sorcellerie ? » Il y avait entre les montagnes et devant leurs yeux deux énormes bonhommes fait de pierres et de rocs se battre l’un contre l’autre sous une pluie battante et un orage menaçant. Quel spectacle insensé ! La jeune femme sentit un vent de panique envahir son être car ils étaient au cœur d’un danger sans précédent. Soudain le sol sous leurs pieds trembla sans retenue et commença à bouger de manière anormale. C’est alors que la montagne se fissura en deux entre elle et Fili. Tous deux reculèrent et Kili saisit alors Amerys de justesse pour lui éviter la chute. Voyant son ami s’éloigner d’elle avec le reste de la compagnie et comprenant ainsi qu’ils étaient eux même nichés sur une de ces créatures rocheuse elle fut effrayée et son cœur se serra. Allaient-ils tous mourir ? Ils s’accrochèrent comme ils purent aux parois mais ces dernières étaient si humides qu’il était difficile de s’agripper alors ils se tinrent de toute leur force au risque de virevolter dans le vide. Sur le point de perdre l’équilibre elle s’agrippa au plus jeune nain et vit l’autre moitié de la compagnie voler sur le genou de l’homme rocher, s’accrochant eux aussi de mieux qu’ils pouvaient. Dans le combat l’un des hommes de pierre, perdant, alla se fracasser sur le flanc de la colline, avant de tomber en miette, tandis que celui sur lequel ils étaient juchés vacilla avant de s’effondrer à son tour. Ils en profitèrent pour sauter sur le sentier d’origine avant de s’écraser avec la bête rocheuse, puis retrouvèrent enfin la stabilité d’un sol normal, malgré quelques éboulis ici et là. Cependant, la peur sclérosa son corps quand elle aperçut le reste de la troupe tomber avec la dernière créature contre la montagne juste un peu plus loin.

- Nooooooon, cria à en perdre la voix un Thorïn déchiré par la probable mort de ses amis et de son neveu.

            L’orage se calma soudainement et nul mouvement dans la roche ne persévéra. Tout redevint normal en l’espace de quelques secondes, ce qui était absurde et totalement déconcertant. Thorïn se précipita alors vers les siens ensevelis sous la pierre, avec l’espoir que peut-être ils avaient survécu. Amerys en eut la nausée. Fili était-il mort ? Un sentiment affreux la prit alors de toute part et elle emboîta le pas du souverain.

            Fort heureusement, les nains semblaient en vie. Des gesticulations et râlements se firent entendre et le roi se précipita pour les dégager des éboulis, suivit par le reste du groupe. C’était déjà un soulagement pour tous les nains qu’Amerys voyait se relever entier et sans blessures graves mais cela le fut encore plus quand elle vit Fili, entier lui aussi, aider Bombur à se remettre sur ses guiboles. Elle se décontracta. La peur l’avait foudroyée en plein cœur mais il était en vie, ils étaient tous en vie… Cela ne faisait que quelques jours qu’ils avaient pris la route et elle avait déjà failli mourir deux fois, si cela continuait à ce rythme elle allait mourir tôt ou tard pour de bon.  D’un autre côté elle avait été fort étonnée de l’intensité des sentiments que Thorïn avait pour les siens. Jamais elle n’aurait pensé le voir sous cet angle, si dévoué aux siens, si protecteur. Elle le regarda d’une autre manière depuis lors, sans doute l’avait-elle jugé trop durement auparavant.

            C’est alors que Fili s’approcha d’elle sous la pluie toujours battante, les cheveux en bataille et perlés de gouttes d’eau il semblait quelque peu exténué.

- Amerys… vous n’avez rien, remarqua-t-il soulagé à son tour en posant une main sur son épaule. J’ai eu peur pour vous.

- Je pense avoir eu bien plus peur pour vous pour être honnête. Je vais bien et je suis heureuse de voir que vous êtes en vie, avoua-t-elle à son tour en posant sa main sur la sienne. L’espace d’un instant j’ai cru vous perdre …

- Rassurez-vous je suis aussi solide que le roc ! Nous sommes des nains !

         Amerys avait effectivement bien cru perdre Fili et le sentiment éprouvé n’avait pas été des plus agréables. Tous deux restèrent à se regarder, figés comme la roche des montagnes qui les entouraient. C’est alors que le nain s’aventura à repousser une mèche humide et collante du front de son amie, puis sourit.

- Pas d’autre coupure sur votre visage, je n’aurais pas à vous soigner de retour et cela vous évitera de vilaines cicatrices.

         Ce qui fit bien évidemment rire la demi-naine et la toucha également. Elle aimait ce contact avec lui, elle aimait son attention, sa protection, son sourire… Mais bien vite elle dû reprendre ses esprits car Fili s’en alla auprès de son frère. Amerys sentit soudainement tout le poids du regard de Thorïn sur elle. Il les avait observées et l’expression sur son visage rappelait sa récente mise en garde et le fait qu’elle serait une faiblesse pour son neveu. Gênée elle détourna les yeux et chercha en vain Bilbon.

- Bilbon ?! l’appela-t-elle. Où est Bilbon ?

            Elle regarda à droite et à gauche mais ne vit pas immédiatement le hobbit, quand tout à coup elle l’aperçut enfin, battant des pieds dans le vide et s’agrippant à la roche pour ne pas tomber. Le malheureux avait dû glisser et se rattraper de justesse sur le rebord. Elle se précipita alors vers lui.- Bilbon tenez bon ! lança-t-elle à l’adresse de son ami pendant que les nains alertés s’approchaient pour l’aider à le hisser.

            C’est Thorïn qui sans l’ombre d’une hésitation risqua sa propre vie pour sauver le hobbit. Il entreprit  habillement de descendre sur une petite paroi en contre-bas pour remonter d’un seul bras le léger petit homme qui fut ensuite sain et sauf sur la terre ferme. Malheureusement, le souverain glissa à son tour et se balança dans le vide. Amerys sentit encore une fois son cœur faire un bon à l’idée de perdre cette fois-ci Thorïn. Malgré cela le roi fut remonté sans peine grâce à ses amis nains. « Que d’émotions dans ces terribles montagnes… » pensa la voyageuse.

- Nous avons bien failli le perdre, scanda l’un des nains en évoquant Bilbon.

- Il est perdu depuis qu’il est sorti de chez lui… rectifia alors Thorïn en reprenant son souffle. Il n'aurait jamais dû venir, il n'a pas sa place parmi nous.

         Amerys trouva cette remarque blessante envers le hobbit et s’offusqua. Thorïn n’y allait pas par quatre chemins et ses paroles pouvaient aisément être blessantes. Bilbon n’avait jamais vécu la vie que les nains avaient toujours connue, il n’était pour l’instant pas très débrouillard (tout comme elle d’ailleurs) et malgré tout il était plein de volonté, il ne demandait qu’à apprendre et s’adapter. La jeune naine aurait voulu défendre son ami mais s’abstint de faire face à un Thorïn probablement exténué et donc irritable. Alors elle posa simplement une main sur l’épaule du hobbit en signe de soutien et d’empathie et murmura à son oreille de garder courage.  

- Il nous faut trouver un abri, conseilla alors Thorïn après ces dangereuses mésaventures.

- Plus loin là ! s’écria Ori en montrant d’un doigt une grotte visible à quelques pas de là.

         Sans attendre ils se précipitèrent vers la caverne, heureux d’être enfin à l’abri du danger et de la pluie battante. La grotte était plutôt cossue, pour une grotte… Spacieuse elle pouvait facilement accueillir toute la troupe. Parsemée de quelques rochers plus ou moins grands pouvant faire office de fauteuil et de lit de substitution, elle était  en plus de cela couverte d’une poussière de roche tel un tapis soyeux.

- Bien on va faire un bon feu ! s’enthousiasma Gloïn.

- Non Gloïn pas de feu, pas ici, interdit alors le chef.

- Mais…

        Le nain fut fort dépité comme un chien battu mais obéit aux ordres de son supérieur. Amerys qui avait espéré se réchauffer grogna intérieurement et enleva sa cape trempée. Le reste de ses vêtements était également détrempé mais certainement moins que sa cape.

         Bofur fut affecté au premier tour de garde et Amerys qui ne voulait pas dormir au sol au risque que ses vêtements humides s’imprègnent de saleté, se jucha sur un rocher plat qui pouvait confortablement accueillir son corps éreinté. A peine allongée elle sombra comme une souche.

         La jeune naine ne sait combien de temps il s’était passé depuis qu’elle s’était endormie mais un bruit sourd vint néanmoins la tirer de son profond sommeil. Ouvrant les yeux, elle remarqua que le son avait également mis ses amis en alerte, dont les visages reflétaient une soudaine perplexité. C’est alors qu’un mécanisme rouillé sembla se mettre en route. Le sable au sol fut aspiré dans des rainures serpentines. Tout ce remue-ménage ne signifiait rien de bon pour la demi-naine qui se redressa et posa sa main sur la poignée de son épée. Mais alors que tout redevint silence, le sol sur lequel dormaient tous ses amis s’effondra au travers de trappes secrètes. Ils tombèrent tous en braillant et disparurent hors de sa vue happés dans des tunnels invisibles, tandis que la jeune naine sur son rocher restait totalement stoïque. Le sol se retourna derrière eux, intact, et ce fut comme si personne n’était jamais passé par là auparavant… Maintenant elle était seule…

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